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Le Rhin, Tome I

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Cependant les deux gros êtres mes voisins causaient entre eux et se racontaient l'un à l'autre, comme dans les expositions des pièces mal faites, des choses qu'ils savaient fort bien tous les deux: —Qu'ils n'avaient point passé à Rocroy depuis 1818. Vingt-deux ans! – que M. Crochard, le secrétaire de la sous-préfecture, était leur ami intime; – que, comme il était minuit, il devait être couché, ce bon monsieur Crochard, etc… La dame assaisonnait ces intéressantes révélations de locutions bizarres qui lui étaient familières; ainsi elle disait: Egoïste comme un vieux lièvre; la fortune du pauvre au lieu de la fortune du pot. Le monstrueux bonhomme, son mari, faisait de son côté des calembours comme celui-ci: On dit que c'est un lieu commun (comme un), moi, je dis que c'est un lieu comme trois, ou des proverbes travestis comme celui-là: Vends-ta-femme-et-n'aie-point-d'oreilles. Puis il riait avec bonté.

La voiture était repartie, mes deux voisins causaient encore. Je faisais beaucoup d'efforts pour ne pas entendre leur conversation, et je tâchais d'écouter les grelots des chevaux, le bruit des roues sur le pavé et des moyeux sur les essieux, le grincement des écrous et des vis, le frémissement sonore des vitres, lorsque tout à coup un ravissant carillon est venu à mon secours, un carillon fin, léger, cristallin, fantastique, aérien, qui a éclaté brusquement dans cette nuit noire, nous annonçant la Belgique, cette terre des étincelantes sonneries, et prodiguant sans fin son badinage moqueur, ironique et spirituel, comme s'il reprochait à mes deux lourds voisins leur stupide bavardage.

Ce carillon, qui m'eût réveillé, les a endormis. Je présume que nous devions être à Fumay, mais la nuit était trop obscure pour rien distinguer. Il m'a fallu donc passer, sans rien voir, près des magnifiques ruines du château d'Hierches et de ces beaux rochers à pic qu'on appelle les Dames de Meuse. De temps en temps, au fond d'un précipice plein de vapeur, j'apercevais, comme par un trou dans une fumée, quelque chose de blanchâtre: c'était la Meuse.

Enfin, comme les premières lueurs de l'aube paraissaient, un pont-levis s'est abaissé, une porte s'est ouverte, la diligence s'est engagée au grand trot dans une espèce de long défilé formé à gauche par un noir rocher à pic, et à droite par un édifice long, bas, interminable, étrange, en apparence inhabité, percé de part en part d'une multitude de portes et de fenêtres qui m'ont semblé toutes ouvertes, sans battants, sans volets, sans châssis et sans vitres, me laissant voir à travers cette sombre et fantastique maison le crépuscule qui étamait déjà le bord du ciel de l'autre côté de la Meuse. A l'extrémité de ce logis singulier, il y avait une seule fenêtre fermée et faiblement éclairée. Puis la voiture a passé rapidement devant une grosse tour d'un fort beau profil, s'est enfoncée dans une rue étroite, a tourné dans une cour, des servantes d'auberge sont accourues avec des chandelles et des garçons d'écurie avec des lanternes; j'étais à Givet.

LETTRE V
GIVET

Les deux Givet. – Dissertation sur les architectes et les cruches à propos des clochers flamands. – Givet le soir. – Paysage. – La tour du Petit-Givet. —Jose Gutierez.– Ce qu'on peut trouver dans trente-deux lettres. – Ce qu'on peut voir sur l'impériale de la diligence Van Gend.

Dans une auberge sur la route, 1er août.

C'est une jolie ville que Givet, propre, gracieuse, hospitalière, située sur les deux rives de la Meuse, qui la divise en grand et petit Givet, au pied d'une haute et belle muraille de rochers dont les lignes géométriques du fort de Charlemont gâtent un peu le sommet. L'auberge, qu'on appelle l'hôtel du Mont-d'Or, y est fort bonne, quoiqu'elle soit unique et qu'elle puisse par conséquent loger les passants n'importe comment et leur faire manger n'importe quoi.

Le clocher du petit Givet est une simple aiguille d'ardoise; quant au clocher du grand Givet, il est d'une architecture plus compliquée et plus savante. Voici évidemment comment l'inventeur l'a composé. Le brave architecte a pris un bonnet carré de prêtre ou d'avocat. Sur ce bonnet carré il a échafaudé un saladier renversé; sur le fond de ce saladier devenu plate-forme il a posé un sucrier; sur le sucrier, une bouteille; sur la bouteille, un soleil emmanché dans le goulot par le rayon inférieur vertical; et enfin, sur le soleil, un coq embroché dans le rayon vertical supérieur. En supposant qu'il ait mis un jour à trouver chacune de ces six idées, il se sera reposé le septième jour.

Cet artiste devait être Flamand.

Depuis environ deux siècles, les architectes flamands se sont imaginé que rien n'était plus beau que des pièces de vaisselle et des ustensiles de cuisine élevés à des proportions gigantesques et titaniques. Aussi, quand on leur a donné des clochers à bâtir, ils ont vaillamment saisi l'occasion et se sont mis à coiffer leurs villes d'une foule de cruches colossales.

La vue de Givet n'en est pas moins charmante, surtout quand on s'arrête vers le soir, comme j'ai fait, au milieu du pont, et qu'on regarde au midi. La nuit, qui est le plus grand des cache-sottises, commençait à voiler le contour absurde du clocher. Des fumées suintaient de tous les toits. A ma gauche, j'entendais frémir avec une douceur infinie de grands ormes au-dessus desquels la clarté vespérale faisait vivement saillir une grosse tour du onzième siècle qui domine à mi-côte le petit Givet. A ma droite une autre vieille tour, à faîtage conique, mi-partie de pierre et de brique, se reflétait tout entière dans la Meuse, miroir éclatant et métallique qui traversait tout ce sombre paysage. Plus loin, au pied de la redoutable roche de Charlemont, je distinguais, comme une ligne blanchâtre, ce long édifice que j'avais vu la veille en entrant et qui est tout simplement une caserne inhabitée. Au-dessus de la ville, au-dessus des tours, au-dessus du clocher surgissait à pic une immense paroi de rochers qui se prolongeait à perte de vue jusqu'aux montagnes de l'horizon et enfermait le regard comme dans un cirque. Tout au fond, dans un ciel d'un vert clair, le croissant descendait lentement vers la terre, si fin, si pur et si délié, qu'on eût dit que Dieu nous laissait entrevoir la moitié de son anneau d'or.

Dans la journée, j'avais voulu visiter cette vénérable tour qui tenait jadis en respect le petit Givet. Le sentier est âpre et occupe autant les mains que les pieds; il faut un peu escalader le rocher, lequel est de granit fort beau et fort dur. Arrivé, non sans quelque peine, au pied de la tour qui tombe en ruines et dont les baies romanes ont été défoncées, je l'ai trouvée barricadée par une porte ornée d'un gros cadenas. J'ai appelé, j'ai frappé, personne n'a répondu. Il m'a fallu descendre comme j'étais monté. Cependant mon ascension n'a pas été tout à fait perdue. En tournant autour de la vieille masure dont le parement est presque complétement écorcé, j'ai remarqué, parmi les décombres qui s'écroulent chaque jour en poussière dans la ravine, une assez grosse pierre où l'on pouvait distinguer encore des vestiges d'inscription. J'ai regardé attentivement; il ne restait plus de l'inscription que quelques lettres déchiffrables. – Voici dans quel ordre elles étaient disposées:

 
LOQVE…SA.L.OMBRE
PARAS…MODI.SL.
ACAV.P…SOTROS.
 

Ces lettres, profondément creusées dans la pierre, semblaient avoir été tracées avec un clou; et un peu au-dessous, le même clou avait gravé cette signature restée intacte: – IOSE GVTIEREZ, 1643. J'ai toujours eu le goût des inscriptions. J'avoue que celle-ci m'a beaucoup occupé. Que signifiait-elle? En quelle langue était-elle? Au premier abord, en faisant quelques concessions à l'orthographe, on pouvait la croire écrite en français et y lire ces mots absurdes: Loque sale.Ombre.Parasol.Modis (maudis) la cave.Sot. Rosse. Mais on ne pouvait former ces mots qu'en ne tenant aucun compte des lettres effacées, et d'ailleurs il me semblait que la grave signature castillane, Jose Gutierez, était là comme une protestation contre ces pauvretés. En rapprochant cette signature du mot para et du mot otros, qui sont espagnols, j'en ai conclu que cette inscription devait être écrite en castillan, et, à force d'y réfléchir, voici comment j'ai cru pouvoir la restituer:

 
LO QUE EMPESA EL HOMBRE
PARA SIMISMO DIOS LE
ACAVA PARA LOS OTROS.
 

«Ce que l'homme commence pour lui, Dieu l'achève pour les autres.»

Ce qui me semble vraiment une fort belle sentence, très-catholique, très-triste et très-castillane. Maintenant, qu'était ce Gutierez? La pierre était évidemment arrachée de l'intérieur de la tour. 1643, c'est la date de la bataille de Rocroy. Jose Gutierez était-il un des vaincus de cette bataille? Y avait-il été pris? L'avait-on enfermé là? Lui avait-on laissé le loisir d'écrire dans son cachot ce mélancolique résumé de sa vie et de toute vie humaine? – Ces suppositions sont d'autant plus probables qu'il a fallu, pour graver une aussi longue phrase dans le granit avec un clou, toute cette patience des prisonniers qui se compose de tant d'ennui. Et puis qui avait mutilé cette inscription de la sorte? – Est-ce tout simplement le temps et le hasard? – Est-ce un mauvais plaisant? – Je penche pour cette dernière hypothèse. Quelque goujat, de méchant perruquier devenu mauvais soldat, aura été enfermé disciplinairement dans cette tour et aura cru faire montre d'esprit en tirant un sens ridicule de la grave lamentation de l'hidalgo. D'un visage il a fait une grimace. – Aujourd'hui le goujat et le gentilhomme, le gémissement et la facétie, la tragédie et la parodie, roulent ensemble pêle-mêle sous le pied du même passant, dans la même broussaille, dans le même ravin, dans le même oubli!

 

Le lendemain, à cinq heures du matin, cette fois fort bien placé tout seul sur la banquette de la diligence Van Gend, je sortais de France par la route de Namur et je gravissais la première croupe de la seule chaîne de hautes collines qu'il y ait en Belgique; car la Meuse, en s'obstinant à couler en sens inverse de l'abaissement du plateau des Ardennes, a réussi à creuser une vallée profonde dans cette immense plaine qu'on appelle les Flandres; plaine où l'homme a multiplié les forteresses, la nature lui ayant refusé les montagnes.

Après une ascension d'un quart d'heure, les chevaux déjà essoufflés, et le conducteur belge déjà altéré, se sont arrêtés d'un commun accord et avec une unanimité touchante devant un cabaret, dans un pauvre village pittoresque, répandu des deux côtés d'un large ravin qui déchire la montagne. Ce ravin, qui est tout à la fois le lit d'un torrent et la grande rue du village, est naturellement pavé du granit du mont mis à nu. Au moment où nous y passions, six chevaux, attelés de chaînes, montaient ou plutôt grimpaient le long de cette rue étrange et affreusement escarpée, traînant après eux un grand chariot vide à quatre roues. Si le chariot eût été chargé, il eût fallu vingt chevaux ou plutôt vingt mules. Je ne vois pas trop à quoi peut servir ce chariot dans ce ravin, si ce n'est à faire faire des esquisses improbables aux pauvres jeunes peintres hollandais qu'on rencontre çà et là sur cette route, le sac sur le dos et le bâton à la main.

Que faire sur la banquette d'une diligence à moins qu'on ne regarde? – J'étais admirablement situé pour cela. J'avais sous les yeux un grand morceau de la vallée de la Meuse; au sud, les deux Givet gracieusement liés par leur pont; à l'ouest, la grosse tour ruinée d'Agimont, se composant avec sa colline et jetant derrière elle une immense ombre pyramidale; au nord, la sombre tranchée dans laquelle s'enfonce la Meuse et d'où montait une lumineuse vapeur bleue. Au premier plan, à deux enjambées de ma banquette, dans la mansarde du cabaret, une jolie paysanne, assise en chemise sur son lit, s'habillait près de sa fenêtre toute grande ouverte, laquelle laissait entrer à la fois les rayons du soleil levant et les regards des voyageurs quelconques juchés sur les impériales des diligences. Au-dessus de cette mansarde, dans le lointain, comme couronnement aux frontières de France, se développaient sur une ligne immense les formidables batteries de Charlemont.

Pendant que je contemplais ce paysage, la paysanne leva les yeux, m'aperçut, sourit, me fit un gracieux signe de tête, ne ferma pas sa fenêtre et continua lentement sa toilette.

LETTRE VI
LES BORDS DE LA MEUSE. – DINANT. NAMUR

Paysage de la Meuse. – La Lesse. – La Roche à Bayard. – Dinant. – Choses inconvenantes que fait une petite bonne femme en terre cuite. – Encore les clochers, les cruches et les architectes. – Châteaux ruinés. Prière des morts aux vivants. – Idées que les belles filles perchées sur les arbres donnent aux voyageurs juchés sur les impériales. – Souvenirs poétiques à propos de Namur et du prince d'Orange. – Ce qu'enseignent les enseignes.

Liége, 3 août.

Je viens d'arriver à Liége par une délicieuse route qui suit tout le cours de la Meuse depuis Givet. Les bords de la Meuse sont beaux et jolis. Il est étrange qu'on en parle si peu. Les voici en raccourci.

Après le village, le cabaret et la paysanne qui s'habille au soleil levant, on rencontre une montée qui m'a rappelé le Val-Suzon près de Dijon, et où la route, repliée à chaque instant sur elle-même, se tord pendant trois quarts d'heure au milieu d'une forêt, sur de profonds ravins creusés par des torrents. Puis on aborde un plateau où l'on court rapidement avec de grandes campagnes plates à perte de vue autour de soi; on pourrait se croire en pleine Beauce, quand tout à coup le sol se crevasse affreusement à quelques pas à gauche. De la route, l'œil plonge au bas d'une effrayante roche verticale, le long de laquelle la végétation seule peut grimper. C'est un brusque et horrible précipice de deux ou trois cents pieds de profondeur. Au fond de ce précipice, dans l'ombre, à travers les broussailles du bord, on aperçoit la Meuse avec quelque galiote qui voyage paisiblement, remorquée par des chevaux, et au bord de la rivière un joli châtelet rococo qui a l'air d'une pâtisserie maniérée ou d'une pendule du temps de Louis XV, avec son bassin lilliputien et son jardinet-pompadour dont on embrasse toutes les volutes, toutes les fantaisies et toutes les grimaces d'un coup d'œil. Rien de plus singulier que cette petite chinoiserie dans cette grande nature. On dirait une protestation criarde du mauvais goût de l'homme contre la poésie sublime de Dieu.

Puis on s'écarte du gouffre, et la plaine recommence, car le ravin de la Meuse coupe ce plateau à vif et à pic, comme une ornière coupe un champ.

Un quart de lieue plus loin on enraye; la route va rejoindre la rivière par une pente escarpée. Cette fois l'abîme est charmant. C'est un tohu-bohu de fleurs et de beaux arbres éclairés par le ciel rayonnant du matin. Des vergers entourés de haies vives montent et descendent pêle-mêle des deux côtés du chemin. La Meuse, étroite et verte, coule à gauche profondément encaissée dans un double escarpement. Un pont se présente; une autre rivière, plus petite et plus ravissante encore, vient se jeter dans la Meuse: c'est la Lesse; et à trois lieues, dans cette gorge qui s'ouvre à droite, est la fameuse grotte de Han-sur-Lesse. La voiture passe outre et s'éloigne. Le bruit des moulins à eau de la Lesse se perd dans la montagne. La rive gauche de la Meuse s'abaisse gracieusement ourlée d'un cordon non interrompu de métairies et de villages; la rive droite grandit et s'élève; le mur de rochers envahit et rétrécit la route; les ronces du bord frissonnent dans le vent et dans le soleil, à deux cents pieds au-dessus de nos têtes. Tout à coup un grand rocher pyramidal, aiguisé et hardi comme une flèche de cathédrale, apparaît à un tournant du chemin. «C'est la Roche à Bayard,» me dit le conducteur. La route passe entre la montagne et cette borne colossale, puis elle tourne encore, et, au pied d'un énorme bloc de granit couronné d'une citadelle, l'œil plonge dans une longue rue de vieilles maisons, rattachée à la rive gauche par un beau pont et dominée à son extrémité par les faîtages aigus et les larges fenêtres à meneaux flamboyants d'une église du quinzième siècle. C'est Dinant.

On s'arrête à Dinant un quart d'heure, juste assez de temps pour remarquer dans la cour des diligences un petit jardin qui seul suffirait pour vous avertir que vous êtes en Flandre. Les fleurs en sont fort belles, et au milieu de ces fleurs il y a trois statues peintes, en terre cuite. L'une de ces statues est une femme. C'est plutôt un mannequin qu'une statue, car elle est vêtue d'une robe d'indienne et coiffée d'un vieux chapeau de soie. Au bout de quelques instants, à un petit bruit qu'on entend et à un rejaillissement singulier qu'on aperçoit sous ses jupes, on s'aperçoit que cette femme est une fontaine.

Le clocher de l'église de Dinant est un immense pot à l'eau. Cependant, vue du pont, la façade de l'église conserve un grand caractère, et toute la ville se compose à merveille.

A Dinant on quitte la rive droite de la Meuse. Le faubourg de la rive gauche, qu'on traverse, se pelotonne admirablement autour d'une vieille douve croulante de l'ancienne enceinte. Au pied de cette tour, dans un pâté de maisons, j'ai entrevu en passant un exquis châtelet du quinzième siècle avec sa façade à volutes, ses croisées de pierre, sa tourelle de briques et ses girouettes extravagantes.

Après Dinant la vallée s'ouvre, la Meuse s'élargit; on distingue sur deux croupes lointaines de la rive droite deux châteaux en ruines; puis la vallée s'évase encore, les rochers n'apparaissent plus que çà et là sous de riches caparaçons de verdure; une housse de velours vert, brodée de fleurs, couvre tout le paysage. De toutes parts débordent les houblonnières, les vergers, les arbres qui ont plus de fruits que de feuilles, les pruniers violets, les pommiers rouges, et à chaque instant apparaissent par touffes énormes les grappes écarlates du sorbier des oiseaux, ce corail végétal. Les canards et les poules jasent sur le chemin; on entend des chants de bateliers sur la rivière; de fraîches jeunes filles, les bras nus jusqu'à l'épaule, passent avec des paniers chargés d'herbes sur leurs têtes, et de temps en temps un cimetière de village vient coudoyer mélancoliquement cette route pleine de joie, de lumière et de vie.

Dans l'un de ces cimetières, dont l'herbe haute et le mur tombant se penchent sur le chemin, j'ai lu cette inscription:

 
– O pie, defunctis miseris succurre, viator! —
 

Aucun memento n'est, à mon sens, d'un effet aussi profond. Ordinairement les morts avertissent, ici ils supplient.

Plus loin, lorsqu'on a passé une colline où les rochers de la rive droite, travaillés et sculptés par les pluies, imitent les pierres ondées et vermoulues de notre vieille fontaine du Luxembourg (si déplorablement remise à neuf en ce moment, par parenthèse), on sent qu'on approche de Namur. Les maisons de plaisance commencent à se mêler aux logis de paysans, les villas aux villages, les statues aux rochers, les parcs anglais aux houblonnières, et sans trop de trouble et de désaccord, il faut le dire.

La diligence a relayé dans un de ces villages composites. J'avais d'un côté un magnifique jardin entremêlé de colonnades et de temples ioniques, de l'autre un cabaret orné à gauche d'un groupe de buveurs et à droite d'une splendide touffe de roses-trémières. Derrière la grille dorée de la villa, sur un piédestal de marbre blanc veiné de noir par l'ombre des branches, la Vénus de Médicis se cachait à demi dans les feuilles, comme honteuse et indignée d'être vue toute nue par des paysans flamands attablés autour d'un pot de bière. A quelques pas plus loin, deux ou trois grandes belles filles ravageaient un prunier de haute taille, et l'une d'elles était perchée sur le gros bras de l'arbre dans une attitude gracieuse, où les passants étaient si parfaitement oubliés, qu'elle donnait aux voyageurs de l'impériale je ne sais quelles vagues envies de mettre pied à terre.

Une heure après j'étais à Namur. Les deux vallées de la Sambre et de la Meuse se rencontrent et se confondent à Namur, qui est assise sur le confluent des deux rivières. Les femmes de Namur m'ont paru jolies et avenantes; les hommes ont une bonne, grave et hospitalière physionomie. Quant à la ville en elle-même, excepté les deux échappées de vue du pont de Meuse et du pont de Sambre, elle n'a rien de remarquable. C'est une cité qui n'a déjà plus son passé écrit dans sa configuration. Sans architecture, sans monuments, sans édifices, sans vieilles maisons, meublée de quatre ou cinq méchantes églises rococo et de quelques fontaines Louis XV d'un mauvais goût plat et triste, Namur n'a jamais inspiré que deux poëmes, l'ode de Boileau et la chanson d'un poëte inconnu où il est question d'une vieille femme et du prince d'Orange; et, en vérité, Namur ne mérite pas d'autre poésie.

La citadelle couronne froidement et tristement la ville. Pourtant je vous dirai que je n'ai pas considéré sans un certain respect ces sévères fortifications qui ont eu un beau jour l'honneur d'être assiégées par Vauban et défendues par Cohorn.

Où il n'y a pas d'églises, je regarde les enseignes. Pour qui sait visiter une ville, les enseignes des boutiques ont un grand sens. Indépendamment des professions dominantes et des industries locales qui s'y révèlent tout d'abord, les locutions spéciales y abondent et les noms de la bourgeoisie, presque aussi importants à étudier que les noms de la noblesse, y apparaissent dans leur forme la plus naïve et sous leur aspect le mieux éclairé.

Voici trois noms pris à peu près au hasard sur les devantures des boutiques à Namur; tous trois ont une signification. – L'épouse Debarsy, négociante. On sent, en lisant ceci, qu'on est dans un pays français hier, étranger aujourd'hui, français demain, où la langue s'altère et se dénature insensiblement, s'écroule par les bords et prend, sous des expressions françaises, de gauches tournures allemandes. Ces trois mots sont encore français, la phrase ne l'est déjà plus. —Crucifix-Piret, mercier. Ceci est bien de la catholique Flandre. Nom, prénom ou surnom, Crucifix serait introuvable dans toute la France voltairienne. —Menandez-Wodon, horloger. Un nom castillan et un nom flamand soudés par un trait d'union. N'est-ce pas là toute la dénomination de l'Espagne sur les Pays-Bas, écrite, attestée et racontée dans un nom propre? – Ainsi, voilà trois noms dont chacun exprime et résume un des grands aspects du pays; l'un dit la langue, l'autre la religion, l'autre l'histoire.

 

Observons encore tout de suite que sur les enseignes de Dinant, de Namur et de Liége, ce nom Demeuse est très-fréquemment répété. Aux environs de Paris et de Rouen, c'est Desenne et Deseine.

Pour finir par une observation de pure fantaisie, j'ai encore remarqué dans un faubourg de Namur un certain Janus, boulanger, qui m'a rappelé que j'avais noté à Paris, à l'entrée du faubourg Saint-Denis, Néron, confiseur, et à Arles, sur le fronton même d'un temple romain en ruines, Marius, coiffeur.

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