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Valvèdre

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– Il te l'eût refusée, répondit-il, comme il me l'avait refusée à moi-même. Il t'eût dit, comme à moi, que tu étais un fils de famille, et qu'il n'avait pas le droit d'exposer ta vie. D'ailleurs, tu aurais compris, comme moi, que, quand on n'est pas fort nécessaire dans ces sortes d'expéditions, on y est fort à charge. Un homme de plus à loger, à nourrir, à protéger, à soigner peut-être dans de pareilles conditions…

– Oui, oui, je le comprends pour moi; mais comment se fait-il que tu ne sois pas extrêmement utile, toi savant, à ton savant ami?

– Je lui suis plus nécessaire en restant à Saint-Pierre, d'où je peux suivre presque tous ses mouvements sur la montagne, et d'où, à un signal donné, je peux lui envoyer des vivres, s'il en manque, et des secours, s'il en a besoin. J'ai, d'ailleurs, à faire marcher une série d'observations comparatives simultanément avec les siennes, et je lui ai donné ma parole d'honneur de n'y pas manquer.

– Je vois, dis-je à Obernay, que tu es excessivement dévoué à ce Valvèdre, et que tu le considères comme un homme du plus grand mérite. C'est l'opinion de mon père, qui m'a quelquefois parlé de lui comme l'ayant rencontré chez le tien à Paris, et je sais que son nom a une certaine illustration dans les sciences.

– Ce que je puis te dire de lui, répondit Obernay, c'est qu'après mon père il est l'homme que je respecte le plus, et qu'après mon père et toi, c'est celui que j'aime le mieux.

– Après moi? Merci, mon Henri! Voilà une parole excellente et dont je craignais d'être devenu indigne.

– Et pourquoi cela? Je n'ai pas oublié que le plus paresseux à écrire, c'est moi qui l'ai été; mais, de même que tu as bien compris cette infirmité de ma part, de même j'ai eu la confiance que tu me la pardonnais. Tu me connaissais assez pour savoir que, si je ne suis pas un camarade assez démonstratif, je suis du moins un ami aussi fidèle qu'il est permis de le souhaiter.

Je fus vivement touché, et je sentis que j'aimais ce jeune homme de toute mon âme. Je lui pardonnai l'espèce de supériorité de vues ou de caractère qu'il avait paru s'attribuer la veille vis-à-vis de moi, et je commençai à craindre qu'il n'en eût réellement le droit.

Il prit quelques instants de repos, et, pendant qu'il dormait, la tête à l'ombre et les jambes au soleil, je l'étudiai de nouveau avec intérêt, comme quelqu'un que l'on sent devoir prendre de l'ascendant sur votre existence. Je ne sais pourquoi, je le mis en parallèle dans ma pensée littéraire et descriptive avec l'israélite Moserwald. Cela se présentait à moi comme une antithèse naturelle: l'un gras et nonchalant comme un mangeur repu, l'autre actif et maigre comme un chercheur insatiable; le premier, jaune et luisant comme l'or qui avait été le but de sa vie; l'autre, frais et coloré comme les fleurs de la montagne qui faisaient sa joie, et qui, comme lui, devaient aux âpres caresses du soleil la richesse de leurs tons et la pureté de leurs fins tissus.

Ceci était pour mon imagination, jeune et riante alors, l'indice d'une vocation bien prononcée chez mon ami. Au reste, j'ai toujours remarqué que les vives appétences de l'esprit ont leurs manifestations extérieures dans quelque particularité physique de l'individu. Certains ornithologues ont des yeux d'oiseau; certains chasseurs, l'allure du gibier qu'ils poursuivent. Les musiciens simplement virtuoses ont l'oreille conformée d'une certaine façon, tandis que les compositeurs ont dans la forme du front l'indice de leur faculté résumatrice, et semblent entendre par le cerveau. Les paysans qui élèvent des boeufs sont plus lents et plus lourds que ceux qui élèvent des chevaux, et ils naissent ainsi de père en fils. Enfin, sans vouloir m'égarer dans de nombreux exemples, je puis dire qu'Obernay est resté comme une preuve acquise à mon système. J'ai pleinement reconnu par la suite que, si son visage, sans beauté réelle, mais éminemment agréable, avait l'éclat d'une rose, – son âme, sans génie d'initiative, avait le charme profond de l'harmonie, et comme qui dirait un suave et splendide parfum d'honnêteté.

Quand il eut dormi une heure avec la placidité d'un soldat en campagne habitué à mettre le temps à profit, il se sentit tout à fait bien, et nous nous reprîmes à causer. Je lui parlai de Moserwald, ma nouvelle connaisance, et je lui rapportai les plaisanteries de ce grand sceptique sur sa position de consolateur obligé de madame de Valvèdre. Il faillit bondir d'indignation, mais je le contins.

– Après ce que tu m'as dit de ton affection et de ton respect pour le caractère du mari, il est tout à fait inutile de te défendre d'une trahison indigne, et ce serait même me faire injure.

– Oui, oui, répondit-il avec vivacité, je ne doute pas de toi; mais, si ce juif me tombe sous la main, il fera bien de ne pas me plaisanter sur un pareil sujet!

– Je ne pense pas qu'il pousse jusque-là son débordement d'esprit, quoique, après tout, je ne sache de quoi il n'est pas capable avec sa candeur effrontée. Le connais-tu, ce Moserwald? N'est-il pas de Genève?

– Non, il est Allemand; mais il vient souvent chez nous, je veux dire dans notre ville, et, sans lui avoir jamais parlé, je sais très-bien que c'est un fat.

– Oui, mais si naïvement!

– C'est peut-être joué, cette naïveté cynique. Que sait-on d'un juif?

– Comment, tu aurais des préjugés de race, toi, l'homme de la nature?

– Pas le moindre préjugé et pas la moindre prévention hostile. Je constate seulement un fait: c'est que l'israélite le plus insignifiant a toujours en lui quelque chose de profondément mystérieux. Sommité ou abîme, ce représentant des vieux âges obéit à une logique qui n'est pas la nôtre. Il a retenu quelque chose de la doctrine ésotérique des hypogées, à laquelle Moïse avait été initié. En outre, la persécution lui a donné la science de la vie pratique et un sentiment très-âpre de la réalité. C'est donc un être puissant que je redoute pour l'avenir de la société, comme je redoute pour cette forêt où nous voici la chute des blocs de granit que les glaces retiennent au-dessus d'elle. Je ne hais pas le rocher, il a sa raison d'être, il fait partie de la charpente terrestre. Je respecte son origine, et même je l'étudie avec un certain trouble religieux; mais je vois la loi qui l'entraîne, et qui, tout en le désagrégeant, réunit dans une commune fatalité sa ruine et celle des êtres de création plus moderne qui ont poussé sur ses flancs.

– Voilà, mon ami, une métaphore par trop scientifique.

– Non, non, elle est juste! Notre sagesse, notre science religieuse et sociale ont pris racine dans la cendre du monde hébraïque, et, ingrats disciples, nous avons voulu l'anéantir au lieu de l'amener à nous suivre. Il se venge. C'est absolument comme ces arbres dont les racines avides et folles soulèvent les roches et creusent le chemin aux avalanches qui les engloutiront.

– Alors, selon toi, les juifs sont les futurs maîtres du monde?

– Pour un moment, je n'en doute pas; après quoi, d'autres cataclysmes les emporteront vite, s'ils restent juifs: il faut que tout se renouvelle ou périsse, c'est la loi de l'univers; mais, pour en revenir à Moserwald, quel qu'il soit, crains de te lier avec lui avant de le bien connaître.

– Je ne compte pas me lier jamais avec lui, bien que je le juge mieux que tu ne fais.

– Je ne le juge pas; je ne sais rien sur son compte qui m'autorise à le soupçonner en tant qu'individu. Au contraire, je sais qu'il a la réputation de tenir sa parole et d'être large en affaires plus qu'aucun de sa race; mais tu me dis qu'il parle légèrement de M. de Valvèdre, et cela me déplaît. Et puis il t'offre ses services, et cela m'inquiète. On peut toujours avoir besoin d'argent, et la fable de Shylock est un symbole éternellement vrai. Le juif a instinctivement besoin de manger un morceau de notre coeur, lui qui a tant de motifs de nous haïr, et qui n'a pas acquis avec le baptême la sublime notion du pardon. Je t'en supplies si tu te voyais entraîné à quelque dépense imprévue, excédant sérieusement tes ressources, adresse-toi à moi, et jamais à ce Moserwald. Jure-le-moi, je l'exige.

Je fus surpris de la vivacité d'Obernay, et me hâtai de le rassurer en lui parlant de l'honnête aisance de ma famille et de la simplicité de mes goûts.

– N'importe, reprit-il, promets-moi de me regarder comme ton meilleur ami. Je ne sais quelle sera ta vie… D'après ce que tu m'as laissé entrevoir hier de tes angoisses vis-à-vis de l'avenir et de ton mécontentement du présent, je crains que les passions ne jouent un rôle trop impérieux dans ta destinée. Il ne me semble pas que tu aies travaillé à te forger le frein nécessaire…

– Quel frein? la botanique ou la géologie?

– Oh! si tu railles, parlons d'autre chose.

– Je ne raille pas quand il s'agit de t'aimer et d'être touché de ton affection généreuse; mais conviens que tu penses trop en homme de spécialité et que tu dirais volontiers: «Hors de la science, point de salut.»

– Eh bien, oui, je te dirais volontiers. J'ai la candeur et le courage d'en convenir. J'ai eu sous les yeux de tels exemples de ces fausses théories qui ont déjà troublé ton âme!..

– Quelles théories me reproches-tu? Voyons!

– La théorie en la personnalité d'abord, la prétention de réaliser une existence de gloire personnelle avec la résolution d'être furieux et désespéré, si tu échoues.

– Eh bien, tu le trompes; j'ai deux cordes à mon ambition. J'accepte la gloire sans bonheur ou le bonheur sans gloire.

Obernay me raillia à son tour de ma prétendue modestie, et, tout en discutant de la sorte, je ne sais plus comment nous vînmes à parler de M. de Valvèdre et de sa femme. J'étais assez curieux de savoir ce qu'il y avait de vrai dans les commérages de Moserwald, et Obernay était précisément disposé à une extrême réserve. Il faisait le plus grand éloge de son ami, et il évitait d'avoir une opinion sur le compte de madame de Valvèdre; mais, malgré lui, il devenait nerveux et presque irascible en prononçant son nom. Il avait des réticences troublées; le rouge lui montait au front quand je lui en demandais la cause. Mon esprit fit fausse route. Je m'imaginai qu'en dépit de sa vertu, de sa raison et de sa volonté, il était amoureux de cette femme, et, dans un moment où il s'en défendait le plus, il m'échappa de lui dire ingénument:

 

– Elle est donc bien séduisante!

– Ah! s'écria-t-il en frappant du poing sur la boîte de métal qui contenait ses plantes et qui lui avait servi d'oreiller, je vois que les mauvaises pensées de ce juif ont déteint sur toi. Eh bien, puisque tu me pousses à bout, je te dirai la vérité. Je n'estime pas la femme dont tu me parles… A présent, me croiras-tu capable de l'aimer?

– Eh! mais… c'est quelquefois une raison de plus; l'amour est si fantasque!

– Le mauvais amour, ou l'amour des romans et des drames modernes; mais les mauvaises amours n'éclosent que dans les âmes malsaines, et, Dieu merci, la mienne est pure. La tienne est-elle donc déjà corrompue, que tu admets ces honteuses fatalités?

– Je ne sais si mon âme est pure comme la tienne, mon cher Henri; mais elle est vierge, voilà ce dont je puis te répondre.

– Eh bien, ne la laisse pas gâter et affaiblir d'avance par ces idées fausses. Ne te laisse pas persuader que l'artiste et le poëte soient destinés à devenir la proie des passions, et qu'il leur soit permis, plus qu'aux autres hommes, d'aspirer à une prétendue grande vie sans entraves morales; ne t'avoue jamais à toi-même, quand même cela serait, que tu peux tomber sous l'empire d'un sentiment indigne de toi!..

– Mais, en vérité, tu vas me faire peur de moi-même, si tu continues! Tu me mets sous les yeux des dangers auxquels je ne songeais pas, et pour un peu je croirais que c'est moi qui suis épris, sans la connaître, de cette fameuse madame de Valvèdre.

– Fameuse! Ai-je dit qu'elle était fameuse? reprit Obernay en riant avec un peu de dédain. Non; la renommée n'a rien à faire avec elle, ni en bien ni en mal. Sache que les aventures qu'on lui prête à Genève, selon M. Moserwald (et je crois qu'on ne lui en prête aucune), n'existent que dans l'imagination de ce triomphant israélite. Madame de Valvèdre vit à la campagne, fort retirée, avec ses deux belles-soeurs et ses deux enfants.

– Je vois que Moserwald est, en effet, mal renseigné: il m'avait dit quatre enfants et une belle-soeur; mais, toi, sais-tu que tu te contredis beaucoup sur le compte de cette femme? Elle est irréprochable, et pourtant tu ne l'estimes pas!

– Je ne sais rien à reprendre dans sa conduite; je n'estime pas son caractère, son esprit, si tu veux.

– En a-t-elle, de l'esprit?

– Moi, je ne trouve pas; mais elle passe pour en avoir.

– Elle est toute jeune?

– Non! Elle s'est mariée à vingt ans, il y a déjà… oui, il y a dix ans environ. Elle peut avoir la trentaine.

– Eh! ce n'est pas si jeune, en effet! Et son mari?

– Il a quarante ans, lui, et il est plus jeune qu'elle, car il est agile et fort comme un sauvage, tandis qu'elle est nonchalante et fatiguée comme une créole.

– Qu'elle est?

– Non, c'est la fille d'une Espagnole et d'un Suédois; son père était consul à Alicante, où il s'est marié.

– Singulier mélange de races! Cela doit avoir produit un type bizarre?

– Très-réussi comme beauté physique.

– Et morale?

– Morale, moins, selon moi… Une âme sans énergie, un cerveau sans étendue, un caractère inégal, irritable et mou; aucune aptitude sérieuse et de sots dédains pour ce qu'elle ne comprend pas.

– Même pour la botanique?

– Oh! pour la botanique plus que pour toute autre chose.

– En ce cas, me voilà bien rassuré sur ton compte. Tu n'aimes pas, tu n'aimeras jamais cette femme-là!

– Cela, je t'en réponds, dit gaiement mon ami en rebouclant son sac et en repassant sa _jeannette1 en sautoir. Il est permis aux fleurs de ne pas aimer les femmes; mais les femmes qui n'aiment pas les fleurs sont des monstres!

Il me serait bien impossible de dire pourquoi et comment cet entretien brisé et repris plusieurs fois durant le reste de la journée, et toujours sans aucune préméditation de part ou d'autre, engendra en moi une sorte de trouble et comme une prédisposition à subir les malheurs dont Obernay voulait me préserver. On eût dit que, doué d'une subite clairvoyance, il lisait dans le livre de mon avenir. Et pourtant je n'étais ni un caractère passif, ni un esprit sans réaction; mais je croyais beaucoup à la fatalité. C'était la mode en ce temps-là, et croire à la fatalité, c'est la créer en nous-mêmes.

– Qui donc va s'emparer de moi? me disais-je en m'endormant avec peine vers minuit, tandis qu'Obernay, couché à six heures du soir, se relevait pour se livrer aux observations scientifiques dont son ami lui avait confié le programme. Pourquoi Henri a-t-il paru si inquiet de moi? Son oeil exercé à lire dans les nuages a-t-il aperçu au delà de l'horizon les tempêtes qui me menacent? Qui donc vais-je aimer? Je ne connais aucune femme qui m'ait fait beaucoup songer, si ce n'est deux ou trois grandes artistes lyriques ou dramatiques auxquelles je n'ai jamais parlé et ne parlerai probablement jamais. J'ai eu la vie, sinon la plus calme, du moins la plus pure. J'ai senti en moi les forces de l'amour, et j'ai su les conserver entières pour un objet idéal que je n'ai pas encore rencontré.

Je rêvai, en donnant, à une femme que je n'avais jamais vue, que, selon toute apparence, je ne devais jamais voir, à madame de Valvèdre. Je l'aimai passionnément durant je ne sais combien d'années dont la vision ne dura peut-être pas une heure; mais je m'éveillai surpris et fatigué de ce long drame dont je ne pus ressaisir aucun détail. Je chassai ce fantôme et me rendormis sur le côté gauche. J'étais agité. Le juif Moserwald m'apparut et m'offensa si cruellement, que je lui donnai un soufflet. Éveillé de nouveau, je retrouvai sur mes lèvres des mots confus qui n'avaient aucun sens. Dans mon troisième somme, je revis le même personnage, amical et railleur, sous la forme d'un oiseau fantastique énormément gras, qui s'enlevait lourdement de terre, et que je poursuivais cependant sans pouvoir l'atteindre. Il se posait sur les rochers les plus élevés, et, les faisant crouler sous son poids, il m'environnait en riant de lavanges de pierres et de glaçons. Toutes les métaphores dont Obernay m'avait régalé prenaient une apparence sensible, et je ne pus reposer qu'après avoir épuisé ces fantaisies étranges.

Quand je me levai, Obernay, qui avait veillé jusqu'à l'aube, s'était recouché pour une heure ou deux. Il avait l'admirable faculté d'interrompre et de reprendre son sommeil comme toute autre occupation soumise à sa volonté. Je m'informai de Moserwald; il était parti au point du jour.

J'attendis le réveil d'Henri, et, après un frugal déjeuner, nous partîmes ensemble pour une belle promenade qui dura une grande partie de la journée, et durant laquelle il ne fut plus question ni des Valvèdre, ni du juif, ni de moi-même. Nous étions tout à la nature splendide qui nous environnait. J'en jouissais en artiste ébloui qui ne cherche pas encore à se rendre compte de l'effet produit sur son âme par la nouveauté des grands spectacles, et qui, dominé par la sensation, n'a pas le loisir de savourer et de résumer. Familiarisé avec la sublimité des montagnes et occupé de surprendre les mystères de la végétation, Obernay me paraissait moins enivré et plus heureux que moi. Il était sans fièvre et sans cris, tandis que je n'étais que vertige et transports.

Vers trois heures de l'après-midi, comme il parlait d'escalader encore une banquette de roches terribles pour chercher un petit saxifrage rarissimus qui devait se trouver par là, je lui avouai que je me sentais très-fatigué, et que je me mourais de faim, de chaud et de soif.

– Au fait, cela doit être, répondit-il. Je suis un égoïste, je ne songe pas que toute chose exige un apprentissage, et que tu ne seras pas bon marcheur dans ce pays-ci avant huit ou dix jours de fatigues progressives. Tu me permettras d'aller chercher mon saxifrage; il est un peu tard dans la saison, et je crains fort de le trouver tout en graines, si je remets la chose à demain. Peut-être, ce soir, trouverai-je encore quelques corolles ouvertes. Je te rejoindrai à Saint-Pierre, à l'heure du dîner. Toi, tu vas suivre le sentier où nous sommes; il te conduira sans danger et sans fatigue, dans dix minutes tout au plus, à un chalet caché derrière le gros rocher qui nous fait face. Tu trouveras là du lait à discrétion. Tu descendras ensuite vers la vallée en prenant toujours à gauche, et tu regagneras notre gîte en flânant le long du torrent. Le chemin est bon, et tu seras en pleine ombre.

Nous nous séparâmes, et, après m'être désaltéré et reposé un quart d'heure au chalet indiqué, je descendis vers la vallée. Le sentier était fort bon, en comparaison de ceux qu'Obernay m'avait fait parcourir, mais si étroit, que, lorsque je m'y rencontrais avec des troupeaux défilant tête par tête à mes côtés, je devais leur céder le pas et grimper sur des talus plus ou moins accessibles, pour n'être pas précipité dans une profonde coupure à pic qui rasait le bord opposé. J'avais réussi à me préserver, lorsque, me trouvant dans un des passages les plus étranglés, j'entendis derrière moi un bruit de sonnettes régulièrement cadencé. C'était une bande de mulets chargés que je me mis tout de suite en mesure de laisser passer. A cet effet, j'avisai une roche qui me mettait de niveau avec la tête de ces bêtes imperturbables, et je m'y assis pour les attendre. La vue était magnifique, mais la petite caravane qui approchait absorba bientôt toute mon attention.

En tête, une mule assez pittoresquement caparaçonnée à l'italienne, et menée en main par un guide à pied, portait une femme drapée dans un léger burnous blanc. Derrière ce groupe venait un groupe à peu près semblable, un guide, un mulet, et sur le mulet une autre femme plus grande ou plus svelte que la première, coiffée d'un grand chapeau de paille et vêtue d'une amazone grise. Un troisième guide, conduisant un troisième mulet et une troisième femme qui avait l'air d'une soubrette, était suivi de deux autres mulets portant des bagages, et d'un quatrième guide qui fermait la marche avec un domestique à pied.

J'eus tout le temps d'examiner ce personnel, qui descendait lentement vers moi; je pouvais très-bien distinguer les figures, sauf celle de la dame en burnous dont le capuchon était relevé, et ne laissait à découvert qu'un oeil noir étrange et assez effrayant. Cet oeil se fixa sur le mien au moment où la voyageuse se trouva près de moi, et elle arrêta brusquement sa monture en tirant sur la bride, au point de faire trébucher le guide, et au risque de le faire tomber dans le précipice. Elle ne parut pas s'en soucier, et, m'adressant la parole d'une voix assez dure, elle me demanda si j'étais du pays. Sur ma réponse négative, elle allait passer outre, lorsque la curiosité me fit ajouter que j'y étais depuis deux jours, et que, si elle avait besoin d'un renseignement, j'étais peut-être à même de le lui donner.

– Alors, reprit-elle, je vous demanderai si vous avez entendu dire que le comte de Valvèdre fût dans les environs.

– Je sais qu'un M. de Valvèdre est à cette heure en excursion sur le mont Rose.

– Sur le mont Rose? tout en haut?

– Dans les glaciers, voilà tout ce que je sais.

– Ah! je devais m'attendre à cela! dit la dame avec un accent de dépit.

– Oh! mon Dieu! ajouta la seconde amazone, qui s'était approchée pour écouter mes réponses, voilà ce que je craignais!

– Rassurez-vous, mesdames; le temps est magnifique, le sommet très-clair, et personne n'est inquiet de l'expédition. Tout fait croire aux gens du pays qu'elle ne sera pas dangereuse.

– Je vous remercie pour votre bon augure, répondit cette personne à la figure ouverte et à la voix douce; madame de Valvèdre et moi, sa belle-soeur, nous vous en savons gré.

Mademoiselle de Valvèdre m'adressa ce doux remerciement en passant devant moi pour suivre sa belle-soeur, qui s'était déjà remise en marche. Je suivis des yeux le plus longtemps possible la surprenante apparition. Madame de Valvèdre se retourna, et, dans ce mouvement, je vis son visage tout entier. C'était donc là cette femme qui avait tant piqué ma curiosité, grâce aux réticences dédaigneuses d'Obernay! Elle ne me plaisait point. Elle me paraissait maigre et colorée, deux choses qui jurent ensemble. Son regard était dur et sa voix aussi, ses manières brusques et nerveuses. Ce n'était pas là un type que j'eusse jamais rêvé; mais comme, en revanche, mademoiselle de Valvèdre me semblait douce et d'une grâce sympathique! D'où vient qu'Obernay ne m'avait point dit que son ami eût une soeur? L'ignorait-il? ou bien était-il amoureux d'elle et jaloux de son secret au point de ne vouloir pas seulement laisser deviner l'existence de la personne aimée?

 

Je doublai le pas, et j'arrivai au hameau peu d'instants après les voyageuses. Madame de Valvèdre était déjà devenue invisible; mais sa belle-soeur errait encore par les escaliers, s'enquérant de toutes choses relatives à l'excursion de son frère. Dès qu'elle me vit, elle me questionna d'un air de confiance en me demandant si je ne connaissais pas Henri Obernay.

– Oui, sans doute, répondis-je, il est mon meilleur ami.

– Oh! alors, reprit-elle avec abandon, vous êtes Francis Valigny, de Bruxelles, et sans doute vous me connaissez déjà, moi? Il a dû vous dire que j'étais sa fiancée?

– Il ne me l'a pas dit encore, répondis-je un peu troublé d'une si brusque révélation.

– C'est qu'il attendait ma permission, apparemment. Eh bien, vous lui direz que je l'autorise à vous parler de moi, pourvu qu'il vous dise de moi autant de bien qu'il m'en a dit de vous; mais vous, monsieur Valigny, parlez-moi de mon frère et de lui!.. Est-ce bien vrai qu'ils ne sont pas en danger?

Je lui appris qu'Obernay n'avait suivi M. de Valvèdre que pendant une nuit, et qu'il allait rentrer.

– Mais, ajoutai-je, devez-vous être inquiète à ce point de votre frère? N'êtes-vous pas habituée à le voir entreprendre souvent de pareilles courses?

– Je devrais m'y habituer, répondit-elle simplement.

En ce moment, madame de Valvèdre la fit appeler par une soubrette italienne d'accent et très-jolie de type. Mademoiselle de Valvèdre me quitta en me disant:

– Allez donc voir si Henri revient de sa promenade, et apprenez-lui que Paule vient d'arriver.

– Allons, pensai-je, silence à tout jamais devant elle, mon pauvre étourdi de coeur! Tu dois être le frère et rien que le frère de cette charmante fille. D'ailleurs, tu serais bien ridicule de vouloir lutter contre un rival aimé, et sans doute plus que toi digne de l'être. N'es-tu pas déjà un peu coupable d'avoir tressailli légèrement au frôlement de cette robe virginale?

Obernay arrivait; je courus au-devant de lui pour l'avertir de l'événement. Sa figure rose passa au vermillon le plus vif, puis le sang se retira tout entier vers le coeur, et il devint pâle jusqu'aux lèvres. Devant cette franchise d'émotion, je lui serrai la main en souriant.

– Mon cher ami, lui dis-je, je sais tout, et je t'envie, car tu aimes, et c'est tout dire!

– Oui, j'aime de toute mon âme, s'écria-t-il, et tu comprends mon silence! A présent, parlons raison. Cette arrivée imprévue, qui me comble de joie, me cause aussi de l'inquiétude. Avec les caprices de… certaines personnes… ou de la destinée…

– Dis les caprices de madame de Valvèdre. Tu crains de sa part quelque obstacle à ton bonheur?

– Des obstacles, non! mais… des influences… Je ne plais pas beaucoup à la belle Alida!

– Elle s'appelle Alida? C'est recherché, mais c'est joli, plus joli qu'elle! Je n'ai pas été émerveillé du tout de sa figure.

– Bien, bien, n'importe… Mais, dis-moi, puisque tu l'as vue, sais-tu ce qu'elle vient faire ici?

– Et comment diable veux-tu que je le sache? J'ai cru comprendre qu'une vive inquiétude conjugale…

– Madame de Valvèdre inquiète de son mari?.. Elle ne l'est pas ordinairement; elle est si habituée…

– Mais mademoiselle Paule?

– Oh! elle adore son frère, elle; mais ce n'est certainement pas son ascendant qui a pu agir en quoi que ce soit sur sa belle-soeur. Toutes deux savent, d'ailleurs, que Valvèdre n'aime pas qu'on le suive et qu'on le tiraille pour le déranger de ses travaux. Il doit y avoir quelque chose là-dessous, et je cours m'en informer, s'il est possible de le savoir.

Moi, je courus m'habiller, espérant que les voyageuses dîneraient dans la salle commune; mais elles n'y parurent pas. On les servit dans leur appartenant, et elles y retinrent Obernay. Je ne le revis qu'à la nuit close.

– Je te cherche, me dit-il, pour te présenter à ces dames. On m'a chargé de t'inviter à prendre le thé chez elles. C'est une petite solennité; car, de la terrasse, nous verrons, à neuf heures, partir de la montagne une ou plusieurs fusées qui seront, de la part de Valvèdre, un avis télégraphique dont j'ai la clef.

– Mais la cause de l'arrivée de ces dames? Je ne suis pas curieux, pourtant je désire bien apprendre que ce n'est pas pour toi un motif de chagrin ou de crainte.

– Non, Dieu merci! Cette cause reste mystérieuse. Paule croit que sa belle-soeur était réellement inquiète de Valvèdre. Je ne suis pas aussi candide; mais Alida est charmante avec moi, et je suis rassuré. Viens.

Madame de Valvèdre s'était emparée du logement de son mari, qui était assez vaste, eu égard aux proportions du chalet. Il se composait de trois chambres dans l'une desquelles Paule préparait le thé en nous attendant. Elle était si peu coquette, qu'elle avait gardé sa robe de voyage toute fripée et ses cheveux dénoués et en désordre sous son chapeau de paille. C'était peut-être un sacrifice qu'elle avait fait à Obernay de rester ainsi, pour ne pas perdre un seul des instants qu'ils pouvaient passer ensemble. Pourtant je trouvai qu'elle acceptait trop bien cet abandon de sa personne, et je pensai tout de suite qu'elle n'était pas assez femme pour devenir autre chose que la femme d'un savant. J'en félicitai Obernay dans mon coeur; mais tout sentiment d'envie ou de regret personnel fit place à une franche sympathie pour la bonté et la raison dont sa future était douée.

Madame de Valvèdre n'était pas là. Elle resta dans sa chambre jusqu'au moment où Paule frappa à la porte en lui criant que c'était bientôt l'heure du signal. Elle sortit alors de ce sanctuaire, et je vis qu'elle avait endossé un délicieux négligé. Ce n'était peut-être pas bien conforme aux agitations d'esprit qu'elle affichait; mais, si par hasard elle avait fait cette toilette à mon intention, pouvais-je ne pas lui en savoir gré?

Elle m'apparut tellement différente de ce qu'elle m'avait semblé sur le sentier de la montagne, que, si je l'eusse revue ailleurs que chez elle, j'eusse hésité à la reconnaître. Perchée sur son mulet et drapée dans son burnous, je l'avais imaginée grande et forte; elle était, en réalité, petite et délicate. Animée par la chaleur, sous le reflet de son ombrelle, elle m'avait paru rouge et comme marbrée de tons violacés. Elle était pâle et de la carnation la plus fine et la plus lisse. Ses traits étaient charmants, et toute sa personne avait, comme sa mise, une exquise distinction.

J'eus à peine le temps de la regarder et de la saluer. L'heure approchait, et l'on se précipitait sur le balcon. Elle s'y plaça la dernière, sur un siège que je lui présentai, et, m'adressant la parole avec douceur:

– Il me semble, dit-elle, que les premiers gîtes de ceux qui entreprennent de semblables courses n'ont rien d'inquiétant.

– En effet, répondit Obernay, ce gîte est un trou dans le rocher, avec quelques pierres alentour. On n'y est pas trop bien, mais on y est en sûreté. Attention cependant! Voici les cinq minutes écoulées…

– Où faut-il regarder? demanda vivement mademoiselle de Valvèdre.

– Où je vous ai dit. Et pourtant… non! voici la fusée blanche. C'est de beaucoup plus haut qu'elle part. Il aura dédaigné l'étape marquée par les guides. Il est sur les grands plateaux, si je ne me trompe.

– Mais les grands plateaux ne sont-ils pas des plaines de neige?

– Permettez… Seconde fusée blanche!.. La neige est dure, et il a installé sa tente sans difficulté… Troisième fusée blanche! Ses instruments ont bien supporté le voyage, rien n'est cassé ni endommagé. Bravo!

1C'est la boîte de fer battu où les botanistes mettent leurs plantes à la promenade pour les conserver fraîches.
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