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Valvèdre

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– Vous avez la prétention d'aimer, vous qui ne connaissez que les voies de l'infamie, et qui croyez pouvoir acheter l'amour?

– Voilà vos exagérations, et je m'étonne qu'un garçon aussi intelligent que vous comprenne si mal la réalité. Comment! c'est outrager une femme que de la combler de présents et de richesses sans lui rien demander?

– Mais on connaît cette manière de ne rien demander, mon cher! Elle est à l'usage de tous les nababs impertinents, elle constate une confiance intérieure, une attente tranquille et perfide dont une femme d'honneur doit s'indigner. C'est une manière de placer un capital sur la certitude d'un plaisir personnel et sur l'inévitable lâcheté de la personne séduite: beau désintéressement en vérité, et, si j'étais femme, j'en serais singulièrement touchée!

Moserwald subit mon indignation avec une douceur étonnante. Assis devant une table, la tête dans ses mains, il paraissait réfléchir. Quand il releva la tête, je vis avec la plus grande surprise qu'il pleurait.

– Vous m'avez fait du mal, dit-il, beaucoup de mal; mais je ne vous en veux pas. J'ai mérité tout cela par mon manque d'esprit et d'éducation. Que voulez-vous! je n'ai jamais fait la cour à une femme si haut placée, moi, et ce que j'imagine de plus artiste et de plus délicat est précisément ce qui l'offense le plus… tandis que vous… avec rien, avec des airs et des paroles, vous qui ne la connaissez que d'hier et qui ne l'aimez certainement pas comme je l'aime, moi, depuis deux ans… car il y a deux ans, oui, deux ans que j'en suis malade, que j'en deviens fou chaque fois que je la rencontre!.. J'en perds l'esprit, entendez-vous, mon cher? Et je vous le dis, à vous, mon rival, destiné à me supplanter parce que vous avez pour vous la musique du sentiment, et que les femmes les plus sensées se laissent endormir par cette musique-là… Cela ne les amuse pas toujours, mais cela flatte leur vanité quelquefois plus que les parures et que le bonheur. Eh bien, je le répète, je ne vous en veux pas. C'est votre droit, et, si vous m'en voulez de ce que j'ai fait, vous manquez d'esprit. Nous ne nous devons rien l'un à l'autre, n'est-ce pas? nous n'avons donc pas de motifs pour nous haïr. Au fond, je vous aime, je ne sais pas pourquoi; un instinct, un caprice d'esprit, peut-être une idée romanesque, parce que vous aimez la même femme que moi, et que nous devons nous retrouver plus d'une fois emboîtant le pas derrière elle. Qui sait? nous serons peut-être éconduits tous deux, et peut-être aussi vous d'abord… moi plus tard… Enfin je n'y renonce pas, vous voyez! Je vous le promettrais que je mentirais, et je suis la franchise même. Je pars demain matin; c'est ce que vous désirez? Je le désire également. Votre Obernay m'ennuie, et cette belle-soeur me gène. Adieu donc, mon très-cher, et au revoir… Ah! attendez! vous êtes pauvre, et vous croyez qu'on peut se passer d'argent en amour. Grave erreur! il vous en faut, ou il vous en faudra bientôt, ne fût-ce que pour payer une chaise de poste au besoin! Voilà mon blanc-seing. Donnez-le n'importe où, à n'importe quel banquier… on vous comptera la somme que vous jugerez nécessaire. Je m'en rapporte à votre délicatesse et à votre discrétion! Direz-vous à présent que les juifs n'ont rien de bon?

Je lui saisis le bras au moment où il me présentait sa signature, qu'il venait de tracer rapidement avec quelques mots d'argot financier sur une feuille de papier blanc. Je le forçai de remettre cela sur la table sans que mes mains y eussent touché.

– Un instant! lui dis-je; avant de nous quitter, je veux savoir, je veux comprendre l'étrangeté de votre conduite. Je ne me paye pas de paroles vagues, et je ne vous crois pas fou. Vous me prenez pour un rival, pour un rival heureux qui plus est, et vous voulez me fournir les moyens qui, selon vous, me sont nécessaires pour assouvir ma passion! Quel est ce calcul? Répondez, répondez, ou je prendrai pour une grave injure l'offre que vous me faites, car je perds patience, je vous en avertis.

Je parlais avec tant de fermeté, que Moserwald se déconcerta. Il resta pensif un instant; puis il répondit, avec un beau et franc sourire qui me le montra sous un jour nouveau, tout à fait inexplicable.

– Vous ne le devinez pas, enfant, mon calcul? C'est que vous voulez voir un calcul où il n'y en a pas! C'est un élan et une inspiration tellement naturels…

– Vous voulez acheter ma reconnaissance?

– Précisément, et cela pour que vous ne parliez pas de moi avec aversion et mépris à cette femme que j'aime… Vous refusez mes services? N'importe! vous ne pourrez pas oublier avec quelle courtoisie je vous les ai offerts, et un jour viendra où vous les réclamerez.

– Jamais! m'écriai-je indigné.

– Jamais? reprit-il. Dieu lui-même ne connaît pas ce mot-là; mais, pour le moment, je m'en empare: c'est un aveu de plus de votre amour!

Je sentis que, quelle que fut mon attitude, légère ou sérieuse, je n'aurais pas le dernier mot avec cet homme bizarre, têtu autant que souple, et naïf autant que rusé. Je brûlai devant lui son blanc-seing; mais je ne sais avec quel art il tourna la fin de notre entretien. Il est de fait qu'en le quittant je m'aperçus qu'il m'avait forcé de le remercier, et que, venu là en humeur de le battre, je m'en allais en touchant la main qu'il me tendait.

Il partit au point du jour, laissant notre hôte et tous les gens de la maison et du village enthousiasmés de sa générosité. Il n'eût pas fait bon le traiter de juif devant eux; je crois qu'on nous eût lapidés.

Je ne saurais dire si je dormis mieux cette nuit-là que les précédentes. Je crois qu'à cette époque j'ai dû passer des semaines entières sans sommeil et sans en sentir le besoin, tant la vie s'était concentrée dans mon imagination. Le lendemain, Paule et Obernay vinrent déjeuner dans la salle basse avec Alida. Ils avaient forcé madame de Valvèdre à une explication qui, contrairement aux prévisions de celle-ci, n'avait amené aucun orage. Il est bien vrai qu'Henri avait défendu le caractère et les intentions de mademoiselle Juste; mais Paule avait tout apaisé en déclarant que sa soeur aînée avait outre-passé son mandat, qu'au lieu de se borner à soulager madame de Valvèdre des soins de la famille et du ménage, elle avait usurpé une autorité qui ne lui appartenait pas, en un mot qu'Alida avait raison de se plaindre, et qu'elle-même avait souffert une certaine persécution très-injuste et très-fâcheuse pour avoir voulu défendre les droits de la véritable mère de famille.

Obernay n'aimait pas Alida, et il aimait encore moins que sa fiancée prît parti pour elle; mais il craignait avant tout d'être injuste, et, en présence de cet intérieur troublé, il jugea fort sainement qu'il fallait céder sous peine d'exaspérer. Puis, la question de son prochain mariage se trouvant soulevée par l'incident, il éprouva tout à coup une vive reconnaissance pour madame de Valvèdre, et passa dans son camp avec armes et bagages. Si botaniste qu'il fût, il était homme et amoureux. Quelques mots de lui, pendant qu'on servait le déjeuner, me mirent au courant de ce qui s'était passé la veille au soir après ma sortie, et de ce qui avait été décidé le matin même après la nouvelle du départ de Moserwald. On devait attendre à Saint-Pierre le retour de Valvèdre, afin de lui soumettre le voeu commun, à savoir le prochain mariage de Paule et l'expulsion à l'amiable de mademoiselle Juste. Cette dernière mesure, venant de l'initiative apparente du chef de la famille, ne pouvait manquer d'être à la fois absolue et douce dans la forme.

Le séjour d'Alida à Saint-Pierre pouvait donc durer huit jours, quinze jours, peut-être davantage. M. de Valvèdre avait mis dans ses prévisions qu'il redescendrait peut-être la montagne par le versant qui nous était opposé, et que, là, renouvelant ses provisions et ses guides, il recommencerait l'ascension d'un autre côté, si ses premiers efforts n'avaient pas abouti. Quels souhaits je fis dès lors pour l'insuccès de l'exploration scientifique! Alida semblait calmée et presque gaie de ce campement dans la montagne. Elle me parlait avec douceur et abandon, elle me souffrait auprès d'elle. J'étais assis à la même table. Elle projetait une promenade, et ne me défendait pas de l'accompagner. J'étais tout espoir et tout bonheur, en même temps que la douleur de l'avoir offensée un instant restait en moi comme un remords.

Il y a un langage mystérieux entre les âmes qui se cherchent. Ce langage n'a même pas besoin du regard pour persuader; il est complétement inappréciable aux yeux comme aux oreilles des indifférents; mais il traverse le milieu obscur et borné des perceptions physiques, il embrasse je ne sais quels fluides, il va d'un coeur à l'autre sans se soumettre aux manifestations extérieures. Alida me l'a dit souvent depuis. Dès cette matinée, où je ne songeai pas à lui exprimer mon repentir et ma passion par un seul mot, elle se sentit adorée, et elle m'aima. Je ne lui fis point de déclaration, elle ne me fit point d'aveux, et pourtant, le soir de ce jour-là, nous lisions dans la pensée l'un de l'autre et nous tremblions de la tête aux pieds quand, malgré nous, nos regards se rencontraient.

A la promenade, je ne la quittai pas d'un instant. Elle était médiocrement marcheuse, et, ne se résignant pas à emprisonner ses petits pieds dans de gros souliers, elle s'en allait, adroite, insouciante, mais vite meurtrie et fatiguée, à travers les pierres de la montagne et les galets du torrent, avec ses bottines minces, son ombrelle dans une main, un gros bouquet de tleurs sauvages dans l'autre, et laissant sa robe s'accrocher à tous les obstacles du chemin. Obernay allait devant avec Paule, emportés tous deux par une ardeur d'herborisation effrénée; puis ils faisaient de longues pauses pour comparer, choisir et parer les échantillons qu'ils emportaient. Nous n'avions pas de guide; Henri nous en dispensait. Il me confiait madame de Valvèdre, heureux de n'avoir pas à se préoccuper d'elle et de pouvoir être tout entier à son intrépide et infatigable élève.

 

– Suivez-nous ou devancez-nous, m'avait-il dit; il suffit que vous ne nous perdiez pas de vue. Je ne vous mènerai pas dans des endroits dangereux. Pourtant surveille un peu madame de Valvèdre, elle est fort distraite et ne doute de rien.

J'avais eu, moi, l'infâme hypocrisie de lui dire que j'étais la victime de la journée et que j'aimerais bien mieux herboriser à ma manière, c'est-à-dire errer et contempler à ma guise, que d'accompagner cette belle dame nonchalante et fantasque.

– Prends patience pour aujourd'hui, avait répondu Obernay; demain, nous arrangerons cela autrement. Nous lui donnerons un mulet et un guide.

Candide Obernay!

Je fis si bien, que ces quatre heures de promenade furent un tête-à-tête ininterrompu avec Alida. Quand nos compagnons s'arrêtaient, je la faisais marcher, afin, disais-je, de n'avoir pas à se presser pour les rejoindre quand ils reprendraient les devants, et, quand nous avions un peu d'avance, je l'invitais à se reposer jusqu'à ce que nous les vissions se remettre en marche. Je ne lui disais rien. J'étais auprès d'elle ou autour d'elle comme un chien de garde, ou plutôt comme un esclave intelligent occupé à écarter les épines et les cailloux de son chemin. Si elle regardait un brin d'herbe sur le revers du rocher, je m'élançais, au risque de me tuer, pour le lui rapporter en un clin d'oeil. Je tenais son ombrelle quand elle était assise, je débarrassais son écharpe des brins de mousse qu'elle avait ramassés en frôlant les sapins; je lui trouvais des fraises là où il n'y en avait pas; je crois que j'aurais fait fleurir des camellias sur le glacier. Et je prenais tous ces soins classiques, je lui rendais tous ces hommages, aujourd'hui passés de mode et dès lors assez rebattus, avec une ivresse de bonheur qui m'empêcha d'être ridicule. Elle essaya bien d'abord de s'en moquer; mais, voyant que je me livrais tout entier à son dédain et à son ironie sans me plaindre et sans me décourager, elle devint sérieuse, et je sentis qu'à chaque instant elle s'attendrissait.

Le soir, dans sa chambre, après le départ des fusées qui nous signalèrent l'expédition dans une région moins élevée que la veille, mais plus éloignée au flanc de la montagne, elle reprit sa broderie, et les fiancés reprirent leur étude. Je m'assis auprès d'elle et lui offris de lui faire la lecture à voix basse.

– Je veux bien, dit-elle avec douceur en me montrant mon volume de poésies sur son guéridon. J'ai tout lu, mais les vers se laissent relire.

– Non, pas ceux-ci! ils sont médiocres.

– Ils sont jeunes, ce n'est pas la même chose. N'avons-nous pas fait hier le panégyrique de la jeunesse?

– Il y a jeunesse et jeunesse, celle qui attend l'amour et celle qui l'éprouve. La première parle beaucoup pour ne rien dire, la seconde ne dit rien et comprend l'infini.

– Voyons toujours le rêve de la première!

– Soit! On pourra s'en moquer, n'est-ce pas?

– Non! je prends l'enfant sous ma protection. J'ai lu, dans les dix lignes de la préface, que l'auteur n'avait que vingt ans. A propos, croyez-vous qu'il les ait encore?

– Le livre est daté de 1832; mais c'est égal, si vous voulez que l'auteur n'ait pas vieilli…

– Quel âge avez-vous donc, vous?

– Je n'en sais rien; j'ai l'âge que Votre Majesté voudra.

Je retrouvais le courage de plaisanter, parce que je voyais Obernay m'écouter d'une oreille. Quand il crut s'être convaincu que je n'avais que des riens à échanger avec cette femme réputée par lui frivole, il n'écouta plus; mais alors je ne trouvai plus rien à dire, l'émotion me prit à la gorge, et je sentis qu'il me serait impossible de lire une page. Alida s'en aperçut bien, et, reprenant le livre:

– Je vois, dit-elle, que vous méprisez beaucoup mon petit poète; moi, sans l'admirer précisément, je l'aimais. Puisque vous faites si peu de cas de l'ingénuité romanesque, je ne vous le rendrai pas, je vous en avertis. Est-ce que vous le connaissez, ce garçon-là?

– Il est anonyme.

– Ce n'est pas une raison.

– C'est vrai. Je peux parler de lui sans le compromettre et vous dire ce qu'il est devenu. Il est resté anonyme et ne fait plus de vers.

– Ah! mon Dieu! est-ce qu'il est devenu savant? dit-elle en baissant la voix et comme pénétrée d'effroi.

– Vous détestez donc bien la science? repris-je en baissant la voix aussi. Oh! ne vous gênez pas, je ne sais rien au monde!

– Vous avez bien raison; mais je ne peux rien dire ici. Nous parlerons de cela demain à la promenade.

– Nous parlerons! je ne crois pas!

– Pourquoi? Voyons, dit-elle en s'efforçant de faire envoler en paroles l'émotion qui m'accablait et qu'elle ne voulait plus subir en dépit d'elle-même, pourquoi ne nous sommes-nous rien dit aujourd'hui? Moi, je suis taciturne, mais c'est par timidité. Une ignorante qui a vécu dix ans avec des oracles a dû prendre l'habitude de se taire; mais vous? Allons, puisque vous n'êtes en train ni de lire ni de causer, vous devriez me faire un peu de musique… Non? Je vous en prie!

Madame de Valvèdre, je l'ai su plus tard, était une séduisante enfant qu'il fallait toujours occuper et distraire pour l'arracher à une mélancolie profonde. Elle sentait si bien ce besoin, qu'elle allait quêtant les soins et les attentions avec une naïveté désoeuvrée qui la faisait paraître tantôt coquette, tantôt voluptueuse. Elle n'était ni l'un ni l'autre. L'ennui et le besoin d'émotions étaient les mobiles de toute sa conduite, dirai-je aussi de ses attachements?.. Je ne sus pas résister à sa prière et j'obtins seulement la permission de faire de la musique à distance. Placé au bout de la galerie, je fis chanter mon hautbois comme une voix de la nuit. Le bruit des cascades de la montagne, la magie du clair de lune aidèrent au prestige; Alida fut vivement émue, les fiancés eux-mêmes m'écoutèrent avec intérêt. Quand je rentrai, le bon Obernay m'accabla d'éloges; la candide Paule aussi se fit la complice de mon succès. Madame de Valvèdre ne me dit rien; elle dit aux autres à demi-voix – mais je l'entendis bien – que j'avais le talent le plus sympathique qu'elle eût encore rencontré.

Que se passa-t-il durant les deux jours qui suivirent? Je n'eus pas la hardiesse de me déclarer et je fus compris; je tremblais d'être repoussé si je parlais. Mon ingénuité était grande: on lisait clairement dans mon coeur, et on se laissait adorer.

Le troisième jour, Obernay me prit à l'écart après le départ des fusées.

– Je suis inquiet et je pars, me dit-il; le signal que je viens d'expliquer à ces dames comme n'annonçant rien de fâcheux était presque un signal de détresse. Valvèdre est en péril; il ne peut ni monter ni descendre, et le temps menace. Pour rien au monde, il ne faut inquiéter Paule ni avertir Alida; elles voudraient me suivre, ce qui rendrait tout impossible. Je viens d'inventer une migraine, et je suis censé me retirer pour dormir; mais je me mets en route sur l'heure avec les guides, qui, par mon ordre, sont toujours prêts. Je marcherai toute la nuit, et, demain, j'espère rejoindre l'expédition dans l'après-midi. Tu le sauras, s'il m'est possible de t'envoyer une fusée dans la soirée. Si tu ne vois rien, il n'y aura rien à dire, rien à faire; tu t'armeras de courage en te disant que ce n'est pas une preuve de désastre, mais que la provision de pièces d'artifice est épuisée ou endommagée, ou bien encore que nous sommes dans un pli de terrain qui ne nous permet pas d'être vus d'ici. Quoi qu'il arrive, reste auprès de ces deux femmes jusqu'à mon retour, ou jusqu'à celui de Valvèdre… ou jusqu'à une nouvelle quelconque…

– Je vois, lui dis-je, que tu n'es pas sûr de revenir! Je veux t'accompagner!

– N'y songe pas, tu ne ferais que me retarder et compliquer mes préoccupations. Tu es nécessaire ici. Au nom de l'amitié, je te demande de me remplacer, de protèger ma fiancée, de soutenir son courage au besoin… de lui donner patience, si, comme je l'espère, il ne s'agit que de quelques jours d'absence, enfin d'aider madame de Valvèdre à rejoindre ses enfants, si…

– Allons, ne croyons pas au malheur! Pars vite, c'est ton devoir; je reste, puisque c'est le mien.

Il fut convenu que, le lendemain matin, j'expliquerais l'absence d'Henri en disant qu'il avait reçu un message de M. de Valvèdre, lequel l'envoyait faire des observations sur une montagne voisine; que, pour la suite, j'inventerais au besoin d'autres prétextes de son absence en m'inspirant des circonstances qui pourraient se présenter.

J'entrais donc dans le poëme de l'amour heureux sous les plus funèbres auspices. J'avoue que je m'inquiétais médiocrement de M. de Valvèdre. Il suivait sa destinée, qui était de préférer la science à l'amour ou tout au moins au bonheur domestique; il y risquait, par conséquent, son honneur conjugal et sa vie. Soit! c'était son droit, et je ne voyais pas pourquoi je l'aurais plaint ou épargné; mais Obernay m'était un grave sujet d'effroi et de tristesse. J'eus beaucoup de peine à paraître calme en expliquant son départ. Heureusement, mes compagnes furent aisément dupes. Alida était plutôt portée à se plaindre des périlleuses excursions de son mari qu'à s'en tounnenter. Il était facile de voir qu'elle était humiliée d'avoir perdu l'ascendant qui l'avait retenu plusieurs années dans son ménage. Elle ne paraissait plus en souffrir pour son propre compte, mais elle en rougissait devant le inonde. Quant à Paule, elle croyait si religieusement à la confiance et à la sincérité d'Obernay, qu'elle combattit bravement un premier mouvement d'inquiétude en disant:

– Non, non! Henri ne m'eût pas trompée. Si mon frère était en danger, il me l'eût dit. Il n'eût pas douté de mon courage, il n'eût laissé à nul autre que moi le soin de soutenir celui de ma belle-soeur.

Le temps était brouillé, on ne sortit pas ce jour-là. Paule travailla dans sa chambre; malgré l'air humide et froid, Alida passa l'après-midi assise sur la galerie, disant qu'elle étouffait dans ces pièces écrasées par un plancher bas. J'étais à ses côtés, et ne pouvais douter qu'elle ne se prêtât au tête-à-tête; j'eusse été enivré la veille de tant de bontés, mais j'étais mortellement triste en songeant à Obernay, et je faisais de vains efforts pour me sentir heureux. Elle s'en aperçut, et, sans songer à deviner la vérité, elle attribua mon abattement à la passion contenue par la crainte. Elle me pressa de questions imprudentes et cruelles, et ce que je n'eusse pas osé lui dire dans l'ivresse de l'espérance, elle me l'arracha dans la fièvre de l'angoisse; mais ce furent des aveux amers et remplis de ces injustes reproches qui trahissent le désir plus que la tendresse. Pourquoi voulait-elle lire dans mon coeur troublé, si le sien, qui paraissait calme, n'avait à m'offrir qu'une pitié stérile?

Elle ne fut pas blessée de mes reproches.

– Écoutez, me dit-elle, j'ai provoqué cet abandon de votre part, vous allez savoir pourquoi, et, si vous m'en savez mauvais gré, je croirai que vous n'êtes pas digne de ma confiance. Depuis le premier jour où nous nous sommes vus, vous avez pris vis-à-vis de moi une attitude douloureuse, impossible. On m'a souvent reproché d'être coquette; on s'est bien trompé, puisque la chose que je crains et que je hais le plus, c'est de faire souffrir. J'ai inspiré plusieurs fois, je ne sais pourquoi ni comment, des passions subites, je devrais plutôt dire des fantaisies ardentes, offensantes même… Il en est pourtant que j'ai dû plaindre, ne pouvant les partager. La vôtre…

– Tenez, m'écriai-je, ne parlez pas de moi: vous me calomniez, ne pouvant me comprendre! Il est possible que vous soyez douce et bonne, mais vous n'avez jamais aimé!

– Si fait, reprit-elle: j'ai aimé… mon mari! mais ne parlons pas d'amour, il n'est pas question de cela. Ce n'est pas de l'amour que vous avez pour moi! Oh! restez là, et laissez-moi tout vous dire. Vous subissez une très-vive émotion auprès de moi, je le vois bien. Votre imagination s'est exaltée, et vous me diriez que vous êtes capable de tout pour m'obtenir, que je ne vous contredirais pas. Chez les hommes, ces sortes de vouloirs sont aveugles; mais croyez-vous que la force de votre désir vous crée un mérite quelconque? dites, le croyez-vous? Si vous le croyez, pourquoi refuseriez-vous à M. Moserwald un droit égal à ma bienveillance?

Elle me faisait horriblement souffrir. Elle avait raison dans son dire; mais n'avais-je pas raison, moi aussi, de trouver cette froide sagesse bien tardive après trois jours de confiance perfide et de muet encouragement? Je m'en plaignis avec énergie; j'étais outré et prêt à tout briser, dusse-je me briser moi-même.

Elle ne s'offensa de rien. Elle avait de l'expérience et peut-être l'habitude de scènes semblables.

 

– Tenez, reprit-elle quand j'eus exhalé mon dépit et ma douleur, vous êtes malheureux dans ce moment-ci; mais je suis plus à plaindre que vous, et c'est pour toute la vie… Je sens que je ne guérirai jamais du mal que vous me faites, tandis que vous…

– Expliquez-vous! m'écriai-je en serrant ses mains dans les miennes avec violence. Pourquoi souffririez-vous à cause de moi?

– Parce que j'ai un rêve, un idéal que vous contristez, que vous brisez affreusement! Depuis que j'existe, j'aspire à l'amitié, à l'amour vrai; je peux dire ce mot-là, si celui d'amitié vous révolte. Je cherche une affection à la fois ardente et pure, une préférence absolue, exclusive, de mon âme pour un être qui la comprenne et qui consente à la remplir sans la déchirer. On ne m'a jamais offert qu'une amitié pédante et despotique, ou une passion insensée, pleine d'égoïsme ou d'exigences blessantes. En vous voyant… oh! je peux bien vous le dire, à présent que vous l'avez déjà méprisée et refoulée en moi, j'ai senti pour vous une sympathie étrange… perfide, à coup sûr! J'ai rêvé, j'ai cru me sentir aimée; mais, dès le lendemain, vous me haïssiez, vous m'outragiez… Et puis vous vous repentiez aussitôt, vous demandiez pardon avec des larmes, j'ai recommencé à croire. Vous étiez si jeune et vous paraissiez si naïf! Trois jours se sont passés, et… voyez comme je suis coquette et rusée! je me suis sentie heureuse et je vous le dis! Il me semblait avoir enfin rencontré mon ami, mon frère… mon soutien dans une vie dont vous ne pouvez deviner les souffrances et les amertumes!.. Je m'endormais tranquille, insensée. Je me disais «C'est peut-être enfin lui qui est là!» Mais, aujourd'hui, je vous ai vu sombre et chargé d'ennuis à mes côtés. La peur m'a prise, et j'ai voulu savoir… A présent, je sais, et me voilà tranquille, mais morne comme le chagrin sans remède et sans espoir. C'est une dernière illusion qui s'envole, et je rentre dans le calme de la mort.

Je me sentis vaincu, mais aussi j'étais brisé. Je n'avais pas prévu les suites de ma passion, ou du moins je n'avais rêvé qu'une succession de joies ou de douleurs terribles, auxquelles je m'étais vaillamment soumis. Alida me montrait un autre avenir tout à fait inconnu et plus effrayant encore. Elle m'imposait la tâche d'adoucir son existence brisée et de lui donner un peu de repos et de bonheur au prix de tout mon bonheur et de tout mon repos. Si elle voulait sincèrement m'éloigner d'elle, c'était le plus habile expédient possible. Épouvanté, je gardai un cruel silence en baissant la tête.

– Eh bien, reprit-elle avec une douceur qui n'était pas sans mélange de dédain, vous voyez! j'ai bien compris, et j'ai bien fait de vouloir comprendre: vous ne m'aimez pas, et l'idée de remplir envers moi un devoir de coeur vous écrase comme une condamnation à mort! Je trouve cela tout simple et très-juste, ajouta-t-elle en me tendant la main avec un doux et froid sourire, et, comme vous êtes trop sincère pour essayer de jouer la comédie, je vois que je peux vous estimer encore. Restons amis. Je ne vous crains plus, et vous pouvez cesser de vous craindre vous-même. Vous aurez la vie triomphante et facile des hommes qui ne cherchent que le plaisir. Vous êtes dans le réel et dans le vrai, n'en soyez pas humilié. L'anonyme ne fait plus de vers, m'avez-vous dit: il a bien raison, puisque la poésie l'a quitté! Il lui reste une honnête mission à remplir, celle de ne tromper personne.

C'était là une sorte d'appel à mon honneur, et l'idée ne me vint pas que je pusse être indigne même de la froide estime accordée comme un pis-aller. Je n'essayai ni de me justifier ni de m'excuser. Je restai muet et sombre. Alida me quitta, et bientôt je l'entendis causer avec Paule sur un ton de tranquillité apparente.

Mon coeur se brisa tout à coup. C'en était donc fait pour toujours de cette vie ardente à laquelle j'étais né depuis si peu de jours, et qui me semblait déjà l'habitude normale, le but, la destinée de tout mon être? Non! cela ne se pouvait pas! Tout ce qu'Alida m'avait dit pour refouler ma passion, pour me faire rougir de mes aspirations violentes, ne servait qu'à en raviver l'intensité.

– Égoïste, soit! me disais-je; l'amour peut-il être autre chose qu'une expansion de personnalité irrésistible? Si elle m'en fait un crime, c'est qu'elle ne partage pas mon trouble. Eh bien, je ne saurais m'en offenser. J'ai manqué d'initiative, j'ai été maladroit: je n'ai su ni parler ni me taire à propos. Cette femme exquise, blasée sur les hommages rendus à sa beauté, m'a pris pour un enfant sans coeur et sans force morale, capable de l'abandonner au lendemain de sa défaite. C'est à moi de lui prouver maintenant que je suis un homme, un homme positif en amour. Il est vrai, mais susceptible de dévouement, de reconnaissance et de fidélité. Donnons-lui confiance en acceptant à titre d'épreuve tous les sacrifices qu'il lui plaira de m'imposer. C'est à moi de la persuader peu à peu, de fasciner sa raison, d'attendrir son coeur et de lui faire partager le délire qui me possède.

Je me jurai de ne pas être hypocrite, de ne me laisser arracher aucune promesse de vertu irréalisable, et de faire simplement accepter ma soumission comme une marque de respectueuse patience. J'écrivis quelques mots au crayon sur une page de carnet:

«Vous avez mille fois raison; je n'étais pas digne de vous. Je le deviendrai, si vous ne m'abandonnez pas au désespoir.»

Je rentrai chez elle sous le prétexte de reprendre un livre, je lui glissai le billet presque sous les yeux de Paule, et je retournai sur la galerie, où la réponse ne se fit pas attendre. Elle vint me l'apporter elle-même en me tendant la main avec un regard et un sourire ineffables.

– Nous essayerons! me dit-elle.

Et elle s'enfuit en rougissant.

J'étais trop jeune pour suspecter la sincérité de cette femme, et en cela j'étais plus clairvoyant que ne l'eût été l'expérience, car cette femme était sincère. Elle avait besoin d'aimer, elle aimait, et elle cherchait le moyen de concilier le sentiment de sa fierté avec les élans de son coeur avide d'émotions. Elle se réfugiait dans un mezzo termine où la vertu n'eût pas vu bien clair, mais où la pudeur alarmée pouvait s'endormir quelque temps. Elle m'aidait à la tromper, et nous nous trompions l'un l'autre en nous persuadant que la loyauté la plus stricte présidait à ce contrat perfide et boiteux. Tout cela m'entraînait dans un abîme. Je débutais dans l'amour par une sorte de parjure; car, en me vouant à une vertu de passage dont j'étais avide de me dépouiller, j'étais plus coupable que je ne l'avais été jusque-là en m'abandonnant à une passion sans frein, mais sans arrière-pensée.

Il ne me fut pas permis de m'en apercevoir suffisamment pour m'en préserver. A partir de ce moment, Alida, exaltée par une reconnaissance que j'étais loin de mériter, m'enivra de séductions invincibles. Elle se fit tendre, naïve, confiante jusqu'à la folie, simple jusqu'à l'enfantillage, pour me dédommager des privations qu'elle m'imposait. Sa grâce et son abandon lui créèrent des périls inouïs avec lesquels elle se joua comme si elle pouvait les ignorer. Sans doute, il y a un grand charme dans ces souffrances de l'amour contenu qui attend et qui espère. Elle en exaspéra pour moi les délices et les angoisses. Elle fut passionnément coquette avec moi, ne s'en cachant plus et disant que cela était permis à une femme qui aimait éperdument et qui voulait donner à son amant tout le bonheur conciliable avec sa pudeur et ses devoirs: étrange sophisme, où elle puisait effectivement pour son compte tout le bonheur dont elle était susceptible, mais dont les âcres jouissances détérioraient mon âme, annulaient ma conscience et flétrissaient ma foi!

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