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Le Speronare

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Comme ceci est une accusation mortelle que je porte contre une créature humaine, je jure devant Dieu et devant les hommes que mon récit est exact, et que je ne retranche ni n'ajoute rien aux faits qui se sont passés devant moi.

Le marquis était mort; la flamme faisait des progrès effrayants; les secousses ébranlaient le palais à faire croire à chaque instant qu'il allait s'écrouler. L'instinct de la conservation se réveilla en moi; je me traînai hors des décombres qui m'environnaient de tous côtés, je gagnai un escalier que je descendis, comme en un rêve, sans en toucher les marches en quelque sorte. Derrière moi l'escalier s'abîma. Sous le vestibule, je me trouvai face à face avec Cantarello; je jetai un cri; il voulut me prendre par-dessous le bras pour m'entraîner, je m'élançai dans la rue en criant au secours. Les rues étaient pleines de fuyards; je me mêlai à la foule, je me perdis dans ses flots, et je fus poussée par elle et avec elle sur la grande place. J'avais perdu Cantarello de vue, c'était la seule chose que je voulais pour le moment.

Le jour s'écoula au milieu de transes effroyables, puis la nuit vint. La plupart des maisons de Messine étaient en flammes, et l'incendie éclairait les rues et les places d'un jour sombre et effrayant. Cependant, comme avec la nuit un peu de tranquillité était revenue, on comptait les morts par leur absence; on cherchait les vivants; quiconque avait un père, une mère, un frère ou un ami, l'appelait par son nom. Moi, je n'avais personne; ma mère était à Taormine. J'étais assise en silence, ma tête sur mes deux genoux, et revoyant sans cesse l'effroyable scène à laquelle j'avais assisté dans la journée, quand tout à coup j'entendis mon nom prononcé avec un accent de crainte indicible. Je levai la tête, je vis un homme qui courait de groupe en groupe comme un insensé: c'était Luigi. Je me levai, je prononçai son nom; il me reconnut, poussa un cri de joie, bondit jusqu'à moi, me prit dans ses bras et m'emporta comme un enfant. Je me laissai faire; je jetai mes bras autour de son cou, et je fermai les yeux. Tout autour de nous j'entendis des cris de terreur; à travers mes paupières je voyais des lueurs rougeâtres, parfois je sentais la chaleur des flammes; enfin, après une demi-heure environ, le mouvement qui m'emportait se ralentit, puis s'arrêta tout à fait. Je rouvris les yeux; nous étions hors de la ville; Luigi, écrasé de fatigue, était tombé sur un genou et me soutenait sur l'autre. A l'horizon, Messine brûlait et s'écroulait avec d'immenses gémissements. J'étais donc sauvée, j'étais dans les bras de Luigi, j'étais hors de la puissance de cet infâme Cantarello, je le croyais du moins!

Je me relevai vivement: – Je puis marcher, dis-je à Luigi; fuyons, fuyons!

Luigi avait repris haleine; il était aussi ardent à m'emmener que moi à fuir: il me passa son bras autour du corps pour me soutenir, et nous reprîmes notre course. En arrivant à Contessi, nous vîmes un homme qui chassait hors du village à demi écroulé cinq ou six mulets. Luigi s'approcha de lui, lui proposa de lui en acheter un qui était tout sellé; le prix fut arrêté à l'instant. Le mulet payé, Luigi monta dessus; je m'élançai en croupe. Au point du jour, nous arrivâmes à Taormine.

Je courus chez ma mère; elle me croyait perdue, pauvre femme! Je lui dis que le marquis était tué, le palais consumé; je lui dis que je serais morte vingt fois sans Luigi; je me jetai à ses pieds, et lui jurai que je mourrais plutôt que d'appartenir à Cantarello.

Elle m'aimait: elle céda. Luigi entra, elle l'appela son fils, et il fut convenu que le lendemain je deviendrais sa femme.

Ce qui avait surtout rendu ma mère plus facile, c'est que j'avais tout perdu par l'événement qui avait causé la mort du marquis. La position que j'occupais chez lui était au-dessus de celle des serviteurs ordinaires; aussi n'avais-je pas d'appointements fixes. De temps en temps seulement le marquis me faisait quelque cadeau d'argent, que j'envoyais aussitôt à ma mère; puis, outre cela, comme je l'ai dit, il s'était réservé de me doter. Cette dot, je le savais, devait être de 10 000 ducats, mais rien ne constatait cette intention; le marquis n'avait point fait de testament. Cette somme, toute promise qu'elle fût, n'était point une dette. La famille ignorait cette promesse, et pour rien au monde je n'aurais voulu la faire valoir auprès d'elle comme un droit. J'avais donc réellement tout perdu à la mort du marquis, et ma mère, qui avait refusé si opiniâtrement de m'unir à Luigi, était à cette heure, au fond de l'âme, je crois, fort contente qu'il n'eût point changé de sentiments à mon égard, ce qui pouvait fort bien arriver de la part de Cantarello. D'ailleurs elle m'aimait réellement, et elle avait vu mon éloignement pour lui se changer en une insurmontable aversion, elle m'avait entendue lui jurer avec un profond accent de vérité que je mourrais plutôt que d'appartenir à cet homme. Cantarello eût donc été là pour me réclamer, qu'elle m'aurait, je crois, laissée à cette heure libre de choisir entre lui et son rival.

La journée se passa à accomplir, chacun de notre côté, nos devoirs de religion. Le prêtre fut invité à se tenir prêt pour le lendemain, dix heures du matin; nos parents et nos amis furent prévenus que nous devions recevoir la bénédiction nuptiale à cette heure. Quant à Luigi, il n'avait plus depuis longtemps ni père ni mère, et il ne lui restait après eux aucun parent assez proche pour qu'il eût cru devoir le faire prévenir.

C'étaient de tristes auspices pour un mariage. Quoique le tremblement de terre se fît sentir moins vivement à Taormine, assise comme elle est sur un roc, qu'à Messine et à Catane, la ville cependant n'était point exempte de secousses, qui de moment en moment pouvaient devenir plus violentes. Cependant Dieu nous garda pour cette fois, et le jour parut sans qu'il fût survenu un accident sérieux.

Dix heures sonnèrent; nous nous rendîmes à l'église, accompagnés de presque tout le village. En entrant, il me sembla voir un homme caché derrière un pilier, dans la partie la plus sombre et la plus reculée de la chapelle. Si simple et si naturelle que fût la présence d'un curieux de plus, soit instinct, soit pressentiment, à partir de ce moment mes yeux ne se détachèrent plus de cet homme.

La messe commença; mais, à l'instant où nous nous agenouillâmes devant l'autel, l'homme se détacha du pilier, s'avança vers nous, et, se plaçant entre le prêtre et moi:

– Ce mariage ne peut pas s'achever, dit-il.

– Cantarello! s'écria Luigi en portant la main à sa poche pour y chercher son couteau. Je lui saisis le bras avec force, quoique je me sentisse pâlir moi-même.

– Ne troublez pas la cérémonie divine, dit le prêtre, et, qui que vous soyez, retirez-vous.

– Ce mariage ne peut s'achever! répéta, d'une voix plus haute et plus impérieuse encore, Cantarello.

– Et pourquoi? demanda le prêtre.

– Parce que cette femme est la mienne, reprit Cantarello en me désignant du doigt.

– Moi! la femme de cet homme! m'écriai-je; il est fou!

– C'est vous, Teresa, qui êtes folle, reprit froidement Cantarello, ou plutôt qui avez volontairement perdu la mémoire. Ne vous souvenez-vous plus que le marquis de San-Floridio nous avait, depuis longtemps, fiancés l'un à l'autre, et que, la veille même du tremblement de terre, c'est-à-dire le 4 à minuit, nous avons été mariés dans sa chapelle, où il a voulu nous servir de témoin lui-même; mariés par son propre chapelain?

Je jetai un cri de terreur, car je savais que le marquis et le chapelain étaient morts tous deux, et que ni l'un ni l'autre par conséquent ne pouvait porter témoignage en ma faveur.

– Avez-vous commis ce sacrilège, ma fille? demanda avec un dernier air de doute le prêtre en s'avançant vers moi.

– Mon père, m'écriai-je, par tout ce qu'il y a de plus sacré au monde, je vous affirme…

– Et moi, dit Cantarello en étendant la main vers l'autel, je vous affirme…

– Pas de parjure, m'écriai-je, pas de parjure! N'avez-vous point déjà assez de crimes dont il vous faut répondre devant Dieu?

Cantarello tressaillit et me regarda fixement, comme s'il eût voulu lire jusqu'au fond de mon âme; mais cette fois, au lieu de me troubler, son regard me donna une force nouvelle, car dans son regard je voyais apparaître un sentiment de terreur. Je profitai de ce moment d'hésitation.

– Mon père, dis-je au prêtre, cet homme est un pauvre fou qui m'a aimée, et je ne puis attribuer le crime dont il a voulu se rendre coupable aujourd'hui qu'à l'excès de son amour. Laissez-moi lui parler, je vous prie, tout bas, près de l'autel, mais en face de vous tous, et j'espère qu'il se repentira et qu'il avouera la vérité.

Cantarello éclata de rire.

– La vérité, s'écria-t-il, je l'ai dite, et il n'y a pas de puissance au monde qui puisse me faire dire autre chose.

– Silence, répondis-je, et suivez-moi.

Dieu me donnait une force inouïe, inconnue, et dont je ne me serais jamais crue capable. Le prêtre était descendu de l'autel; je fis signe à Cantarello de me suivre: il me suivit. Tous les assistants formaient autour de nous un large cercle; Luigi seul se tenait en avant, la main sur son couteau, et ne nous perdant pas des yeux.

– Teresa, me dit Cantarello à voix basse et m'adressant la parole le premier, comme s'il eût craint ce que j'allais dire, pourquoi avez-vous manqué à la parole que vous avez donnée au marquis de San-Floridio? Pourquoi m'avez-vous forcé de recourir à ce moyen?

– Parce que, lui répondis-je en le regardant fixement à mon tour, parce que je ne voulais pas être la femme d'un voleur ni d'un assassin.

Cantarello devint pâle comme la mort; mais cependant, à l'exception de cette pâleur, rien n'indiqua que le coup dont je venais de le frapper eût porté si avant.

– D'un voleur et d'un assassin! répéta-t-il en riant; vous m'expliquerez ces paroles, je l'espère?

 

– Je n'ai qu'une seule explication à vous donner, répondis-je; j'étais dans la chambre voisine, et à travers une fente de la muraille j'ai tout vu.

– Et qu'avez-vous vu? me demanda Cantarello.

– Je vous ai vu entrer dans la chambre du marquis au moment où il venait d'être blessé par la chute d'une poutre; je vous ai vu vous précipiter sur lui, je vous ai vu l'étrangler avec la cordelière de sa robe de chambre; je vous ai vu forcer le secrétaire et tout prendre, or et billets; puis tirer la paillasse du lit, renverser secrétaire, chaises et canapé, et y mettre le feu avec un tison du poêle. C'est moi qui ai jeté le cri qui vous a fait lever la tête; et quand vous m'avez rencontrée en bas, sous le vestibule, et que je vous ai fui, vous avez cru que j'étais pâle d'effroi, n'est-ce pas? C'était d'horreur.

– Le conte n'est point mal imaginé, reprit Cantarello. Et sans doute vous espérez qu'on le croira?

– Oui; car ce n'est point un conte, mais une terrible réalité.

– Mais la preuve?

– Comment! la preuve?

– Oui, il faudra donner la preuve. Le palais est en feu, le cadavre est consumé, le secrétaire qui contenait cet or prétendu et ces billets supposés est réduit en cendres. Oui, la preuve! la preuve!

Sans doute ce fut Dieu qui m'inspira.

– Vous ignorez donc ce qui s'est passé? lui demandai-je.

– Que s'est-il passé?

– Après votre départ, après que vous eûtes quitté la ville pour aller cacher votre vol dans quelque retraite sûre, les domestiques du marquis se sont réunis, et, dans un moment de tranquillité, sont montés à sa chambre. Le cadavre a été retrouvé intact, déposé dans la chapelle, et la trace de la strangulation peut sans doute encore se voir autour de son cou. Le secrétaire est en cendres, oui; les billets sont brûlés, oui; mais l'or se fond et ne se consume pas. Les domestiques savaient que ce secrétaire était plein d'or; on cherchera les lingots, et les lingots seront absents. Alors, moi, je dirai où ils doivent se trouver, et peut-être, en cherchant bien dans les caves ou dans les jardins de votre maison de Catane, on les trouvera.

Cantarello poussa une espèce de rugissement sourd que moi seule je pus entendre, et je vis qu'il hésitait s'il ne me poignarderait pas tout de suite, au risque de ce qui pourrait en résulter.

– Si vous faites un mouvement, lui dis-en en reculant d'un pas, j'appelle au secours, et vous êtes perdu. Voyez plutôt.

En effet, Luigi et trois autres jeunes gens de nos parents et de nos amis se tenaient tout prêts à s'élancer sur Cantarello au premier signe que je ferais. Cantarello jeta sur eux un regard de côté, vit ces dispositions hostiles, et parut réfléchir un instant.

– Et si je me retire, si je quitte la Sicile, si je vous laisse être heureuse avec votre Luigi?

– Alors je me tairai.

– Qui m'en répondra?

– Mon serment.

– Et votre mari lui-même ignorera ce qui s'est passé?

– Tant que vous nous laisserez tranquilles et que vous ne tenterez pas de troubler notre bonheur.

– Jurez, alors.

J'étendis la main vers l'autel.

– O mon Dieu! dis-je à mi-voix, recevez le serment que je fais de ne jamais dire à âme vivante au monde ce que j'ai vu au palais San-Floridio pendant la journée du 5. Écoutez le serment que je fais au meurtrier et au voleur de cacher son crime à tout le monde, comme si j'étais sa complice, et de ne jamais, ni directement ni indirectement, le révéler à personne.

– Même en confession.

– Même en confession; à moins, ajoutai-je, que lui-même ne me dégage de mon serment par quelque persécution nouvelle.

– Jurez par le sang du Christ!

– Par le sang du Christ! je le jure.

– Mon père, dit Cantarello en descendant des marches de l'autel et en s'adressant au prêtre, je suis un pauvre pécheur, pardonnez-moi et priez pour moi; j'avais menti, cette femme est libre.

Puis, ces paroles prononcées du même ton que si le repentir seul les avait fait sortir de sa bouche, Cantarello passa près du groupe de jeunes gens; Luigi et l'intendant échangèrent un regard, l'un de mépris et l'autre de menace; puis, s'enveloppant de son manteau, Cantarello gagna la porte d'un pas ferme et disparut.

La cérémonie nuptiale, si étrangement et si inopinément interrompue, s'acheva alors sans autre incident.

En rentrant à la maison, Luigi m'interrogea sur ce qui s'était passé entre moi et Cantarello, et me demanda par quelle puissance j'avais pu le faire obéir ainsi; mais je lui répondis que, comme il avait pu le voir, j'avais fait un serment, et que ce serment était celui de me taire. Luigi n'insista point davantage, il savait qu'aucune prière ne pouvait me faire manquer à une promesse si solennellement faite, et je ne m'aperçus jamais qu'il eût gardé de mon refus un mauvais souvenir.

Nous allâmes demeurer dans la maison de Luigi. C'était une jolie petite maison isolée au milieu d'une vigne, à trois quarts de lieue de Paterno, de l'autre côté de la Giavetta, et sur la route de Censorbi. Quant à Cantarello, il avait quitté, disait-on, la Sicile, et personne ne l'avait revu depuis le jour où il était entré dans l'église de Taormine. Rien n'avait transpiré, au reste, ni de l'assassinat, ni du vol, et nul ne soupçonnait que le marquis de San-Floridio n'eût pas été tué accidentellement.

Pendant trois ans, nous fûmes, Luigi et moi, les créatures les plus heureuses de la terre; le seul chagrin que nous eussions éprouvé était la perte de notre premier enfant; mais Dieu nous en avait envoyé un second plein de force et de santé, et nous commencions à oublier cette première perte, quelque douloureuse qu'elle fût. Notre enfant était en nourrice à Feminamorta, petit village situé à deux lieues à peu près de notre maison, et, tous les dimanches, ou nous allions le voir, ou sa nourrice nous l'amenait.

Une nuit, c'était la nuit du 2 au 3 décembre 1787, on frappa violemment à notre porte; Luigi se leva et demanda qui frappait:

– Ouvrez, dit une voix; je viens de Feminamorta, et je suis envoyé par la nourrice de votre enfant. – Je poussai un cri de terreur, car un messager envoyé à cette heure ne présageait rien de bon.

Luigi ouvrit. Un homme vêtu en paysan était debout sur le seuil.

– Que voulez-vous? demanda Luigi. Notre enfant serait-il malade?

– Il a été surpris aujourd'hui à cinq heures par des convulsions, dit le paysan, et la nourrice vous fait dire que, si vous n'accourez pas bien vite, elle a peur que le pauvre innocent ne trépasse sans que vous ayez la consolation de l'embrasser.

– Et un médecin! criai-je, un médecin! ne devrions-nous pas aller chercher un médecin à Paterno?

– C'est inutile, répondit le paysan, cela ne ferait que vous retarder, et celui du village est près de lui.

Et, comme si le paysan eût été pressé lui-même, il reprit en courant le chemin de Feminamorta.

– Si vous arrivez avant nous, cria Luigi au messager, annoncez à la nourrice que nous vous suivons.

– Oui, dit le paysan dont la voix commençait à se perdre dans l'éloignement.

Nous nous habillâmes à la hâte et tout en pleurant; puis, fermant la porte derrière nous, nous prîmes à notre tour la route de Feminamorta; mais, à moitié chemin à peu près, et comme nous traversions un endroit resserré par des rochers, quatre hommes masqués s'élancèrent sur nous, nous renversèrent, nous lièrent les mains, et nous mirent un bâillon dans la bouche et un bandeau sur les yeux. Puis, ayant fait avancer une litière portée à dos de mulets, ils nous firent entrer dedans, Luigi et moi, fermèrent à clef les portières et les volets, et se remirent aussitôt en chemin au grand trot des mules. Nous marchâmes ainsi quatre ou cinq heures à peu près, puis nous nous arrêtâmes; un instant après, la porte de notre litière s'ouvrit, et nous sentîmes, à la fraîcheur qui venait jusqu'à nous, que nous devions être dans quelque grotte; alors on nous débâillonna.

– Où sommes-nous et où nous menez-vous? m'écriai-je aussitôt, tandis que de son côté Luigi faisait à peu près la même question.

– Buvez et mangez, dit une voix qui nous était parfaitement inconnue, tandis qu'on nous déliait les mains, en nous laissant les jambes enchaînées; buvez et mangez, et ne vous occupez pas d'autre chose.

J'arrachai le bandeau qui me couvrait les yeux. Comme je l'avais prévu, nous étions dans une caverne, deux hommes masqués se tenaient chacun à une portière, un pistolet à la main, tandis que deux autres nous tendaient du vin et du pain.

Luigi repoussa le vin et le pain qu'on lui offrait, et fit un mouvement pour délier la corde qui retenait ses jambes; un des hommes lui appuya un pistolet sur la poitrine.

– Encore un mouvement pareil, lui dit-il, et tu es mort.

Je suppliai Luigi de ne faire aucune résistance.

On nous présenta de nouveau du pain et du vin.

– Je n'ai pas faim, je n'ai pas soif, dit Luigi.

– Ni moi non plus, ajoutai-je.

– Comme vous voudrez, nous dit l'homme qui nous avait déjà parlé, et dont la voix nous était inconnue; mais alors vous trouverez bon qu'on vous lie les mains, qu'on vous bâillonne et qu'on vous bande les yeux de nouveau.

– Faites ce que vous voulez, dis-je, nous sommes en votre puissance.

– Infâmes scélérats! murmura Luigi.

– Au nom du ciel! m'écriai-je, au nom du ciel! Luigi, pas de résistance, tu vois bien que ces messieurs ne veulent pas nous tuer. Ayons patience, et peut-être qu'ils auront pitié de nous.

A cette espérance, exprimée avec l'accent de l'angoisse, un seul éclat de rire répondit; mais à cet éclat de rire je tressaillis jusqu'au fond de l'âme. Je le reconnaissais pour l'avoir déjà entendu dans l'église de Taormine. Sans aucun doute nous étions au pouvoir de Cantarello, et il était au nombre des quatre hommes masqués qui nous escortaient.

Je tendis les mains et j'avançai la tête avec soumission. Il n'en fut pas de même de Luigi; une lutte s'engagea entre lui et l'homme qui voulait le garrotter, mais les trois autres vinrent au secours de leur compagnon, et il fut de nouveau lié et bâillonné de force, puis on lui banda les yeux, et l'on referma sur nous les portières et les volets de la litière.

Je ne puis dire combien d'heures nous restâmes ainsi, car il est impossible de mesurer le temps dans une pareille situation. Seulement, il est probable que nous passâmes la journée cachés dans cette grotte, nos conducteurs n'osant sans doute marcher que la nuit. Je ne sais ce qu'éprouvait Luigi; mais, pour moi, je sentais que la fièvre me brûlait, et que j'avais une faim et surtout une soif extrêmes. Enfin notre litière s'ouvrit de nouveau, cette fois on ne nous délia point; on se contenta de nous ôter le bâillon de la bouche. A peine pus-je parler, que je demandai à boire: on approcha un verre de ma bouche; je le vidai d'un trait, et aussitôt je sentis qu'on me rebâillonnait comme auparavant.

Je n'avais pas pris le temps de goûter la liqueur qu'on m'avait donnée, et qui ressemblait fort à du vin, quoiqu'elle eût un goût étrange et que je ne connaissais pas; mais, quelle que fût cette liqueur, je sentis au bout d'un instant qu'elle rafraîchissait ma poitrine. Il y a plus, bientôt j'éprouvai un calme que je croyais impossible dans une situation pareille à la mienne. Ce calme même n'était pas exempt d'un certain charme. Je crus, tout bandés que fussent mes yeux, voir passer devant moi des fantômes lumineux qui me saluaient avec un doux sourire; peu à peu je tombai dans un état d'apathie qui n'était ni le sommeil ni la veille. Il me semblait que des airs oubliés depuis ma jeunesse bruissaient à mes oreilles; de temps en temps je voyais de grandes lueurs qui traversaient comme des éclairs l'obscurité de la nuit, et j'apercevais alors des palais richement éclairés ou de belles prairies toutes couvertes de fleurs. Bientôt je crus sentir qu'on me prenait et qu'on m'emportait sous un berceau de chèvrefeuille et de lauriers roses, qu'on me couchait sur un banc de gazon, et que je voyais au-dessus de ma tête un beau ciel tout étoilé. Alors je me mettais à rire de la frayeur que j'avais eue lorsque je m'étais crue prisonnière; puis je revoyais mon enfant, qui accourait en jouant vers moi; seulement ce n'était pas celui qui vivait encore, chose étrange! C'était celui qui était mort. Je le pris dans mes bras, je l'interrogeai sur son absence, et il m'expliqua qu'un matin il s'était réveillé avec des ailes d'ange et était remonté vers le ciel; mais alors il m'avait vu tant pleurer, qu'il avait prié Dieu de permettre qu'il redescendît sur la terre. Enfin tous ces objets devinrent peu à peu moins distincts, et finirent par se confondre ensemble et disparaître dans la nuit. Je tombai alors, presque sans transition, dans un sommeil lourd, profond, obscur et sans rêves.

 

Quand je me réveillai, nous étions dans le caveau où nous sommes encore aujourd'hui, moi libre, Luigi scellé à la muraille par une chaîne. Une table était dressée entre nous; sur cette table était une lampe, quelques provisions de bouche, du vin, de l'eau, des verres, et contre la muraille un reste de feu qui avait servi à river les fers de Luigi.

Luigi était assis, la tête sur les deux genoux, et plongé dans une si profonde douleur, que je me réveillai, me levai et allai à lui sans qu'il m'entendît. Un sanglot, qui s'échappa malgré moi de ma poitrine, le tira de son accablement. Il leva la tête, et nous nous jetâmes dans les bras l'un de l'autre.

C'était la première fois depuis notre enlèvement que nous pouvions échanger nos pensées. Comme moi, quoiqu'il n'eût pas précisément reconnu Cantarello, il était convaincu que nous étions ses victimes; comme à moi, on lui avait donné une boisson narcotique qui lui avait fait perdre tout sentiment, et il venait de se réveiller seulement lorsque je me réveillai moi-même.

Le premier jour nous ne voulûmes pas manger. Luigi était sombre et muet; j'étais assise et je pleurais près de lui. Bientôt, cependant, notre douleur s'adoucit de ce que nous étions ensemble. Enfin le besoin se fit sentir si violemment, que nous mangeâmes, puis le sommeil vint à son tour. La vie continuait pour nous, moins la liberté, moins la lumière.

Luigi avait une montre: pendant notre voyage, elle s'était arrêtée à minuit ou à midi; il la remonta; elle ne nous indiquait pas l'heure réelle; mais elle nous faisait du moins une heure fictive à l'aide de laquelle nous pouvions mesurer le temps.

Nous avions été enlevés dans la nuit du mardi au mercredi. Nous calculâmes que nous nous étions réveillés le jeudi matin. Au bout de vingt-quatre heures, nous fîmes une ligne sur le mur avec un charbon. Un jour devait être écoulé; nous étions à vendredi. Vingt-quatre heures après, nous tirâmes une seconde ligne pareille; nous étions à samedi. Au bout du même temps, nous tirâmes encore une ligne qui dépassait en longueur les deux premières; cette ligne indiquait le dimanche.

Nous passâmes en prières tout le saint jour de Seigneur.

Huit jours s'écoulèrent ainsi. Au bout de huit jours, nous entendîmes des pas qui semblaient venir d'un long corridor; ces pas se rapprochèrent de plus en plus; notre porte s'ouvrit. Un homme enveloppé d'un grand manteau parut, tenant une lanterne à la main: c'était Cantarello.

Je tenais Luigi dans mes bras; je le sentais frémir de colère. Cantarello s'approcha de nous, et je sentit tous les muscles de Luigi successivement se contracter et se tendre. Je compris que, si Cantarello s'approchait à la portée de sa chaîne, il bondirait sur lui comme un tigre, et qu'il y aurait une lutte mortelle entre ces deux hommes. Il me vint alors une pensée que j'aurais crue impossible, c'est que je pouvais devenir encore plus malheureuse que je ne l'étais. Je lui criai donc de ne pas s'approcher. Il comprit la cause de ma crainte; sans me répondre, il releva son manteau et me montra qu'il était armé. Deux pistolets étaient passés à sa ceinture, et une épée était pendue à son côté.

Il déposa sur la table des provisions nouvelles; ces provisions se composaient, comme les premières, de pain, de viandes fumées, de vin, d'eau et d'huile. L'huile surtout nous était précieuse; elle entretenait la lumière de notre lampe. Je m'aperçus alors que la lumière était un des premiers besoins de la vie.

Cantarello sortit et referma la porte sans que je lui eusse adressé d'autres paroles que celles qui avaient pour but de l'empêcher de s'approcher de Luigi, et sans qu'il eût répondu par un autre geste que par celui qui indiquait qu'il avait des armes. Ce fut alors seulement que, certaine par sa présence même d'être relevée de mon serment, qui ne m'engageait que s'il tenait lui-même la promesse qu'il avait faite de s'éloigner de nous, je racontai tout à Luigi. Lorsque j'eus fini, Luigi poussa un profond soupir.

– Il a voulu s'assurer notre silence, dit-il. Nous sommes ici pour le reste de notre vie.

Un éclat de rire affirmatif retentit derrière la porte. Cantarello s'était arrêté là, avait écouté et avait tout entendu. Nous comprîmes que nous n'avions plus d'espoir qu'en Dieu et en nous-mêmes.

Nous commençâmes alors à faire une inspection plus détaillée de notre cachot. C'est une espèce de cave de dix pas de large sur douze de long, sans autre issue que la porte. Nous sondâmes les murs: partout il nous parurent pleins. J'allai à la porte, je l'examinai; elle était de chêne et retenue par une double serrure. Il y avait peu de chances de fuite; d'ailleurs, Luigi était enchaîné par le milieu du corps et par un pied.

Néanmoins, pendant un an à peu près, l'espoir ne nous abandonna point tout à fait; pendant un an nous rêvâmes tous les moyens possibles de fuir. Chaque semaine, exactement, Cantarello reparaissait et nous apportait nos provisions hebdomadaires; chose étrange, peu à peu nous nous étions habitués à sa visite, et, soit résignation, soit besoin d'être distraits un instant de notre solitude, nous avions fini par attendre le moment où il devait venir avec une certaine impatience. D'ailleurs, l'espoir, qui ne s'éteint jamais, nous faisait toujours croire qu'à la visite prochaine Cantarello aurait pitié de nous. Mais le temps s'écoulait, Cantarello reparaissait avec la même figure sombre et impassible, et s'éloignait le plus souvent sans échanger avec nous une seule parole. Nous continuions à tracer les jours sur la muraille.

Une seconde année s'écoula ainsi. Notre existence était devenue toute machinale; nous restions des heures entières comme anéantis, et, pareils aux animaux, nous ne sortions de cet anéantissement que lorsque le besoin de boire ou de manger nous tirait de notre torpeur. La seule chose qui nous préoccupât sérieusement, c'est que notre lampe ne s'éteignît, et ne nous laissât dans l'obscurité; tout le reste nous était indifférent.

Un jour, au lieu de monter sa montre, Luigi la brisa contre la muraille; à partir de ce jour nous cessâmes de mesurer les heures, et le temps cessa d'exister pour nous: il était tombé dans l'éternité.

Cependant, comme j'avais remarqué que Cantarello venait régulièrement tous les huits jours, chaque fois qu'il venait, je faisais une marque sur la muraille et cela remplaçait à peu près notre montre; mais je me lassai à mon tour de ce calcul inutile, et je cessai de marquer les visites de notre geôlier.

Un temps indéfini s'écoula: ce durent être plusieurs années. Je devins enceinte.

Ce fut une sensation bien joyeuse et bien pénible à la fois. Devenir mère dans un cachot, donner la vie à un être humain sans lui donner le jour ni la lumière, voir l'enfant de ses entrailles, une pauvre créature innocente qui n'est point née encore, condamnée au supplice qui vous tue!

Pour notre enfant nous revînmes à Dieu, que nous avions presque oublié. Nous l'avions tant prié pour nous, sans qu'il nous répondît, que nous avions fini par croire qu'il ne nous entendait pas; mais nous allions le prier pour notre enfant, et il nous semblait que notre voix devait percer les entrailles de la terre.

Je ne dis rien à Cantarello. J'avais peur, je ne sais pourquoi, que cette nouvelle ne lui inspirât quelque sombre projet contre nous ou contre notre enfant. Un jour il me trouva assise sur mon lit et allaitant la pauvre petite créature.

A cette vue il tressaillît, et il me sembla que sa sombre figure s'adoucissait. Je me jetai à ses pieds.

– Promettez-moi que mon enfant n'est point enseveli pour toujours dans ce cachot, lui dis-je, et je vous pardonne.

Il hésita un instant, puis, passant la main sur son front:

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