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Le Speronare

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– Je vous le promets! dit-il.

A la visite suivante il m'apporta tout ce qu'il fallait pour habiller mon enfant.

Cependant je dépérissais à vue d'oeil. Un jour, Cantarello me me regarda avec une expression de pitié que je ne lui avais pas encore vue.

– Jamais, me dit-il, vous n'aurez la force d'allaiter cet enfant.

– Ah! répondis-je, vous avez raison, et je sens que je m'éteins. C'est l'air qui me manque.

– Voulez-vous sortir avec moi? demanda Cantarello. Je tressaillis.

– Sortir! Et Luigi, et mon enfant?

– Ils resteront ici pour me répondre de votre silence.

– Jamais! répondis-je, jamais!

Cantarello reprit en silence sa lanterne, qu'il avait posée sur la table, et sortit.

Je ne sais combien d'heures nous restâmes sans parler, Luigi et moi.

– Tu as eu tort, me dit enfin Luigi.

– Mais pourquoi sortir? répondis-je.

– Tu aurais vu où nous sommes, tu aurais remarqué où il te conduisait. Tu aurais pu trouver quelque moyen de révéler notre existence et d'appeler à nous la pitié des hommes. Tu as eu tort, te dis-je.

– C'est bien, lui répondis-je; s'il m'en parle encore, j'accepterai.

Et nous retombâmes dans notre silence habituel. Les huit jours s'écoulèrent. Cantarello reparut; outre nos provisions habituelles, il portait un assez gros paquet.

– Voici des habits d'homme, dit-il; quand vous serez décidée à sortir, mettez-les, je saurai ce que cela veut dire, et je vous emmènerai.

Je ne répondis rien; mais, à la visite suivante, Cantarello me trouva vêtue en homme.

– Venez, me dit-il.

– Un instant, m'écriai-je, vous me jurez que vous me ramènerez ici.

– Dans une heure vous y serez.

– Je vous suis.

Cantarello marcha devant moi, ferma la première porte, et nous nous trouvâmes dans un corridor. Dans ce corridor était une seconde porte qu'il ouvrit et qu'il ferma encore, puis nous montâmes dix ou douze marches, et nous nous trouvâmes en face d'une troisième porte.

Cantarello se retourna vers moi, tira un mouchoir de sa poche et me banda les yeux. Je me laissai faire comme un enfant; je me sentais tellement en la puissance de cet homme, qu'une observation même me semblait inutile.

Lorsque j'eus les yeux bandés, il ouvrit la porte, et il me sembla que je passais dans une autre atmosphère. Nous fîmes quarante pas sur des dalles, quelques-unes retentissaient comme si elles recouvraient des caveaux, et je jugeai que nous étions dans une église. Puis Cantarello lâcha ma main et ouvrit une autre porte.

Cette fois je jugeai, par l'impression de l'air, que nous étions enfin sortis, et du caveau et de l'église, et sans donner le temps à Cantarello de me découvrir les yeux, sans songer aux suites que pouvait avoir mon impatience, j'arrachai le mouchoir!

Je tombai à genoux, tant le monde me parut beau! Il pouvait être quatre heures du matin, le petit jour commençait à poindre; les étoiles s'effaçaient peu à peu du ciel, le soleil apparaissait derrière une petite chaîne de collines; j'avais devant moi un horizon immense: à ma gauche des ruines, à ma droite des prairies et un fleuve; devant moi une ville, derrière cette ville la mer.

Je remerciai Dieu de m'avoir permis de revoir toutes ces belles choses, qui, malgré le crépuscule dans lequel elles m'apparaissaient, ne laissaient pas de m'éblouir au point de me forcer à fermer les yeux, tant mes regards s'étaient affaiblis dans mon caveau. Pendant ma prière, Cantarello referma la porte. Comme je l'avais pensé, c'était celle d'une église. Au reste cette église m'était tout à fait inconnue, et j'ignorais parfaitement où je me trouvais.

N'importe, je n'oubliai aucun détail; et ce me fut chose facile, car le paysage tout entier se reflétait dans mon âme comme dans un miroir.

Nous attendîmes que le jour fût tout à fait levé, puis nous nous acheminâmes vers un village. Sur la route nous rencontrâmes deux ou trois personnes qui saluèrent Cantarello d'un air de connaissance. En arrivant au village, nous entrâmes dans la troisième maison à droite. Il y avait au fond de la chambre et près d'un lit une vieille femme qui filait; près de la fenêtre, une jeune femme, de mon âge à peu près, était occupée à tricoter; un enfant de deux à trois ans se roulait à terre.

Les femmes paraissaient habituées à voir Cantarello; pourtant je remarquai que pas une seule fois elles ne l'appelèrent par son nom. Ma présence les étonna. Malgré mes habits, la jeune femme reconnut mon sexe, et fit à demi-voix quelques plaisanteries à mon conducteur. C'est un jeune prêtre, répondit-il d'un ton sévère; un jeune prêtre de mes parents qui s'ennuie au séminaire, et que, de temps en temps, pour le distraire, je fais sortir avec moi.

Quant à moi, je devais paraître comme abrutie à ceux qui me regardaient. Mille idées confuses se pressaient dans mon esprit; je me demandais si je ne devais pas crier au secours, à l'aide, raconter tout, accuser Cantarello comme voleur, comme assassin. Puis je m'arrêtais, en songeant que tout le monde paraissait le connaître et le vénérer, tandis que moi j'étais inconnue; on me prendrait pour quelque folle échappée de sa loge, et l'on ne ferait pas attention à moi; ou, dans le cas contraire, Cantarello pouvait fuir, repasser par l'église, égorger mon enfant et mon mari. Il l'avait dit, mon enfant et mon mari répondaient de moi. D'ailleurs, où et comment les retrouverais-je? La porte par laquelle nous étions entrés dans l'église ne pouvait-elle être si secrète et si bien cachée qu'il fût impossible de la découvrir? Je résolus d'attendre, de me concerter avec Luigi, et d'arrêter sans précipitation ce que nous devions faire.

Au bout d'un instant, Cantarello prit congé des deux femmes, passa son bras sous le mien, descendit par une petite ruelle jusqu'au bord d'un fleuve, suivit pendant un quart de lieue son cours, qui nous rapprochait de l'église; puis, par un détour, il me ramena sous le porche par lequel j'étais sortie, me banda les yeux et rouvrit la porte, qu'il referma derrière nous. Je comptai de nouveau quarante pas. Alors la seconde porte s'ouvrit; je sentis l'impression froide et humide du souterrain, je descendis les douze marches de l'escalier intérieur; nous arrivâmes à la troisième porte, puis à la quatrième; elle cria à son tour sur ses gonds. Enfin Cantarello me poussa, les yeux toujours bandés, dans le caveau, et referma la porte derrière moi. J'arrachai vivement le bandeau, et je me retrouvai en face de Luigi et de mon enfant.

Je voulais raconter aussitôt à Luigi tout ce que j'avais vu, mais il me fit, en portant un doigt à sa bouche, signe que Cantarello pouvait écouter derrière la porte, et entendre ce que nous dirions. J'allai m'asseoir sur le matelas qui me servait de lit, et je donnai le sein à mon enfant.

Luigi ne s'était pas trompé: au bout d'une heure à peu près, nous entendîmes des pas qui s'éloignaient doucement. Ennuyé de notre silence, Cantarello, sans doute, s'était décidé à partir. Cependant nous ne nous crûmes pas encore en sûreté, malgré ces apparences de solitude; nous attendîmes quelques heures encore; puis, ces quelques heures écoulées, je m'approchai de Luigi, et, à voix basse, je lui racontai tout ce que j'avais vu, sans omettre un détail, sans oublier une circonstance.

Luigi réfléchit un instant; puis, me faisant à son tour quelques questions auxquelles je répondis affirmativement:

– Je sais où nous sommes, dit-il; ces ruines sont celles de l'Épipoli, ce fleuve, c'est l'Anapus; cette ville, c'est Syracuse; enfin, cette chapelle, c'est celle du marquis de San-Floridio.

– O mon Dieu! m'écriai-je, en me rappelant cette vieille histoire d'un marquis de San-Floridio qui, du temps des Espagnols, avait passé dix ans dans un souterrain, souterrain si bien caché que ses ennemis les plus acharnés n'avaient pu le découvrir.

– Oui, c'est cela, dit Luigi, comprenant ma pensée; oui, nous sommes dans le caveau du marquis Francesco, et aussi bien cachés aux yeux des hommes que si nous étions déjà dans notre tombe.

Je compris alors combien il était heureux que je n'eusse pas cédé à ce mouvement qui m'avait portée à appeler au secours.

– Eh bien! me demanda Luigi après un long silence, as-tu conçu quelque espérance? as-tu formé quelque projet?

– Écoute, lui dis-je. Parmi ces deux femmes, il y en avait une, la plus jeune, qui me regardait avec intérêt; c'est à elle qu'il faudrait parvenir à faire savoir qui nous sommes et où nous sommes.

– Et comment cela?

J'allai à la table et je pris deux feuilles de papier blanc dans lesquelles étaient enveloppés quelques fruits.

– Il faut, dis-je à Luigi, mettre à part et cacher tout le papier que désormais nous pourrons nous procurer; j'écrirai dessus toute notre malheureuse histoire, et, un jour où je sortirai, je la glisserai dans la main de la jeune femme.

– Mais si malgré tout cela on ne retrouve pas l'entrée du caveau, si Cantarello arrêté se tait, et si, Cantarello se taisant, nous restons ensevelis dans ce tombeau?

– Ne vaut-il mieux pas mourir que de vivre ainsi?

– Et notre enfant? dit Luigi.

Je jetai un cri et me précipitai sur mon enfant. Dieu me pardonne! je l'avais oublié, et c'était son père qui s'en était souvenu.

Il fut convenu cependant que je suivrais le plan que j'avais proposé; seulement, je ne devais oublier rien de ce qui pourrait guider les recherches. Puis nous laissâmes de nouveau couler le temps, mais cette fois avec plus d'impatience, car, si éloignée qu'elle fût, il y avait une lueur d'espérance à l'horizon.

Cependant, pour ne point éveiller les soupçons de Cantarello, il fallait, si ardent qu'il fût, cacher le désir que j'avais de sortir une seconde fois; lui, de son côté, semblait avoir oublié ce qu'il m'avait offert. Quatre mois s'écoulèrent sans que j'en ouvrisse la bouche; mais je retombais dans un marasme tel que, me voyant un jour couchée sans mouvement et pâle comme une morte, il me dit le premier:

 

– Si dans huit jours vous voulez sortir, tenez-vous prête; je vous emmènerai.

J'eus la force de ne point laisser voir la joie que j'éprouvai à cette proposition, et je me contentai de lui faire signe de la tête que j'obéirais.

Pendant le temps qui s'était écoulé, nous avions mis de côté tout le papier que nous avions pu recueillir, et il y en avait déjà assez pour écrire l'histoire détaillée de tous nos malheurs.

Le jour venu, Cantarello me trouva prête. Comme la première fois, il marcha devant moi jusqu'à la seconde porte, et là, comme à la première sortie, il me banda les yeux; puis tout se passa comme tout s'était déjà passé. A la porte de l'église, j'ôtai mon bandeau.

Nous sortions à peu près à la même heure que la première fois; c'était le même spectacle, et cependant, chose étrange! déjà je le trouvais moins beau.

Nous nous acheminâmes vers le village; nous entrâmes dans la même maison. Les deux femmes y étaient encore, l'une filant, l'autre tricotant. Sur une table étaient un encrier et des plumes. Je m'appuyai contre cette table, et je glissai une plume dans ma poche. Pendant ce temps, Cantarello parlait à voix basse avec la jeune femme. C'était de moi encore qu'il était question, car elle me regardait en parlant. J'entendis qu'elle lui disait: – Il paraît qu'il ne s'habitue pas au séminaire, votre jeune parent, car il est encore plus pâle et plus triste que la première fois que vous nous l'avez amené. – Quant à la vieille femme, elle ne disait pas un mot, elle ne levait pas la tête de son rouet; elle paraissait idiote.

Au bout de dix minutes à peu près, Cantarello, comme la première fois, mit mon bras sous le sien, reprit la même route, et descendit aux bords du petit fleuve. Tout en suivant ce chemin, je dis à Cantarello que je voudrais bien avoir aussi des aiguilles et du coton pour tricoter, et il me promit qu'il m'en apporterait.

Tout en revenant vers la chapelle, je m'aperçus que nous devions être à la fin de l'automne; les moissons étaient faites, ainsi que les vendanges. Je compris alors pourquoi Cantarello avait été quatre mois sans me parler de sortir. Il attendait que les travailleurs eussent quitté les champs.

A la porte de la chapelle, il me banda de nouveau les yeux. Je rentrai conduite par lui, et sans faire la moindre résistance. Je comptai de nouveau les quarante pas, et nous nous arrêtâmes. Je compris pendant cette pause que Cantarello fouillait à sa poche pour en tirer la clef. J'entendis qu'il cherchait contre la muraille l'ouverture de la serrure. Je songeai qu'il devait alors avoir le dos tourné. Je levai vivement mon bandeau, et je l'abaissai aussitôt. Ce ne fut qu'une seconde, mais cette seconde me suffit. Nous étions dans la chapelle à gauche de l'autel. La porte doit se trouver entre les deux pilastres.

C'est là qu'il faudra chercher cette entrée, chercher jusqu'à ce qu'on la trouve, car c'est là précisément et positivement qu'elle est.

Cantarello ne vit rien. Les deux portes s'ouvrirent successivement devant nous, et, la troisième refermée derrière moi, je me retrouvai dans notre cachot.

Luigi et moi, nous observâmes le même silence que la première fois, et ce ne fut que lorsque je jugeai qu'il était impossible que Cantarello fût encore là, que je tirai la plume de ma poche et que je la montrai à Luigi. Il me fit signe de la cacher, et je la glissai sous le matelas.

Puis j'allai m'asseoir près de lui, et, comme la première fois, je lui racontai les moindres détails de ma sortie. C'était une circonstance précieuse que la découverte que j'avais faite de la porte secrète qui donnait dans l'église, et, avec des renseignements aussi exacts que ceux que je pouvais donner maintenant, il était certain qu'on finirait par découvrir la serrure, et qu'une fois la serrure découverte, on parviendrait jusqu'à nous.

Je laissai un jour se passer à peu près avant d'essayer d'écrire; alors je pris un des gobelets d'étain, je délayai dans de l'eau un peu de ce noir qui était resté à la muraille depuis le jour où on y avait fait du feu, je pris ma plume, je la trempai dans ce mélange, et je m'aperçus avec joie qu'il pouvait parfaitement me tenir lieu d'encre.

Le même jour, je commençai à écrire, sous l'invocation de Dieu et de la Madone, ce manuscrit, qui contient le récit exact de nos malheureuses aventures, et la bien humble et bien pressante prière, à tout chrétien dans les mains duquel il tomberait, de venir le plus tôt possible à notre secours.

Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, ainsi soit-il.

Une croix était dessinée au-dessous de ces mots, puis le manuscrit continuait; seulement, la forme du récit était changée: elle était au présent au lieu d'être au passé. Ce n'étaient plus des souvenirs de dix, de huit, de six, de quatre ou de deux ans; c'étaient des notes journalières, des impressions momentanées, jetées sur le papier à l'heure même où elles venaient d'être ressenties.

Aujourd'hui Cantarello est venu comme d'habitude; outre les provisions ordinaires, il a apporté le coton et les aiguilles à tricoter qu'il m'avait promis; le manuscrit et la plume étaient cachés, les deux gobelets étaient propres et rincés sur la table, il ne s'est aperçu de rien. O mon Dieu! protégez-nous.

Trois semaines sont passées, et Cantarello ne parle pas de me faire sortir. Aurait-il des soupçons? Impossible. Aujourd'hui il est resté plus longtemps que d'habitude, et m'a regardée en face; je me suis sentie rougir, comme s'il avait pu lire mon espérance sur mon front; alors j'ai pris mon enfant dans mes bras, et je l'ai bercé en chantant, tant j'étais troublée.

– Ah! vous chantez, a-t-il dit; vous ne vous trouvez donc pas si mal ici que je le croyais?

– C'est la première fois que cela m'arrive depuis que je suis ici.

– Savez-vous depuis combien de temps vous êtes dans ce souterrain? a demandé Cantarello.

– Non, ai-je répondu; les deux ou trois premières années, j'ai compté les jours; mais j'ai vu que c'était inutile, et j'ai cessé de prendre cette peine.

– Depuis près de huit ans, a dit Cantarello.

J'ai poussé un soupir, Luigi a fait entendre un rugissement de colère. Cantarello s'est retourné, a regardé Luigi avec mépris, et a haussé les épaules; puis, sans parler de me faire sortir, il s'est retiré.

Ainsi il y a huit ans que nous sommes enfermés dans ce caveau. O mon Dieu! mon Dieu! vous l'avez entendu de sa propre bouche; il y a huit ans! Et qu'avons-nous fait pour souffrir ainsi? Rien; vous le savez bien, mon Dieu!

Sainte Madone du Rosaire, priez pour nous!

Oh! écoutez-moi, écoutez, vous dont je ne sais pas le nom; vous, mon seul espoir; vous qui, femme comme moi, mère comme moi, devez avoir pitié de mes souffrances; écoutez, écoutez!

Cantarello sort d'ici. Deux mois et demi s'étaient écoulés sans qu'il parlât de rien; enfin, aujourd'hui, il m'a offert de sortir dans huit jours; j'ai accepté. Dans huit jours il viendra me prendre; dans huit jours mon sort sera entre vos mains; vos yeux, vos paroles, toute votre personne a paru me porter de l'intérêt. – Ma soeur en Jésus-Christ, ne m'abandonnez pas!

Vous trouverez toute cette histoire chez vous après mon départ. Sur mon salut éternel, sur la tombe de ma mère, sur la tête de mon enfant! c'est la vérité pure, c'est ce que je dirai à Dieu quand Dieu m'appellera à lui, et à chacune de mes paroles l'ange qui accompagnera mon âme au pied de son trône dira en pleurant de pitié:

– Seigneur, c'est vrai!

Écoutez donc: aussitôt que vous aurez trouvé ce manuscrit, vous irez chez le juge, et vous lui direz qu'à un quart de lieue de chez lui, il y a trois malheureux qui gémissent ensevelis depuis huit ans: un mari, une femme, un enfant. Si Cantarello est votre parent, votre allié ou votre ami, ne dites au juge rien autre chose que cela, et sur la madone! je vous jure qu'une fois hors d'ici, pas un mot d'accusation ne sortira de ma bouche; je vous jure sur cette croix que je trace, et que Dieu me punisse dans mon enfant si je manque à cette sainte promesse!

Vous ne lui direz donc rien autre chose que ceci: – Il y a près d'ici trois créatures humaines plus malheureuses que jamais aucune créature ne l'a été; nous pouvons les sauver: prenez des leviers, des pinces; il y a quatre portes, quatre portes massives à enfoncer avant d'arriver à eux. Venez, je sais où ils sont, venez. – Et s'il hésitait, vous tomberiez à ses genoux comme je tombe aux vôtres, et vous le supplieriez comme je vous supplie.

Alors il viendra, car quel est l'homme, quel est le juge qui refuserait de sauver trois de ses semblables, surtout lorsqu'ils sont innocents? Il viendra, vous marcherez devant lui et vous le conduirez droit à l'église.

Vous ouvrirez la porte, vous conduirez le juge à la chapelle à droite, celle où il y a au-dessus de l'autel un saint Sébastien tout percé de flèches; lorsque vous serez arrivés à l'autel, écoutez bien, il y a deux pilastres à gauche. La porte doit être pratiquée entre ces deux pilastres. Peut-être ne la verrez-vous point d'abord, car elle est admirablement cachée, à ce qu'il m'a paru; peut-être, en frappant contre le mur, le mur ne trahira-t-il aucune issue; car, comprenez bien, c'est le mur même qui forme l'entrée du souterrain; mais l'entrée est là, soyez-en sûre, ne vous laissez pas rebuter. Si elle échappait d'abord à vos recherches, allumez une torche, approchez-la de la muraille, je vous dis que vous finirez par trouver quelque serrure imperceptible, quelque gerçure invisible, ce sera cela. Frappez, frappez: peut-être vous entendrons-nous, nous saurons que vous êtes là, cela nous donnera l'espoir du courage. Vous saurez que nous sommes derrière à vous entendre, à prier pour vous, oui, pour vous, pour le juge, pour tous nos libérateurs quels qu'ils soient; oui, je prierai pour eux tous les jours de ma vie comme je prie en ce moment.

C'est bien clair, n'est-ce pas, tout ce que je vous dis là? Dans l'église des marquis de San-Floridio, la chapelle à droite, celle de Saint Sébastien, entre les deux pilastres. Oh! mon Dieu, mon Dieu! je tremble tellement en vous écrivant, ma libératrice, que je ne sais pas si vous pourrez me lire.

Je voudrais savoir comment vous vous appelez, pour répéter cent fois votre nom dans mes prières. Mais Dieu, qui sait tout, sait que c'est pour vous que je prie, et c'est tout ce qu'il faut.

Oh! mon Dieu! il vient d'arriver ce qui n'était jamais arrivé depuis que nous sommes ici. Cantarello est venu deux jours de suite. Avait-il été suivi? Se doutait-il de quelque chose? Quelqu'un a-t-il quelque soupçon de notre existence et cherche-il à nous découvrir? Oh! quel que soit cet être secourable, cet être humain, secourez-le, Seigneur, venez-lui en aide!

Cantarello était entré au moment où nous nous y attendions le moins. Heureusement le papier était caché. Il est entré et à regardé de tous côtés, a frappé contre tous les murs; puis, bien assuré que chaque chose était dans le même état:

– Je suis revenu, a-t-il dit en se retournant vers moi, parce que j'avais oublié de vous dire, je crois, que, si vous vouliez, je vous ferais sortir à ma première visite.

– Je vous remercie, lui répondis-je, vous me l'aviez dit.

– Ah! je vous l'avais dit, reprit Cantarello d'un air distrait, très bien; alors, j'ai pris en revenant une peine inutile.

Puis il regarda encore autour de lui, sonda la muraille en deux ou trois endroits, et sortit. Nous l'entendîmes s'éloigner et fermer l'autre porte. Dix minutes environ après son départ, une espèce de détonation se fit entendre comme celle d'un coup de pistolet ou d'un coup de fusil. Est-ce un signal qu'on nous donne, et, comme nous l'espérons, quelqu'un veillerait-il pour nous?

Depuis quatre ou cinq jours, rien de nouveau ne s'est passé; autant qu'il m'est permis de me fier à mon calcul, c'est demain que Cantarello va venir me prendre. Je n'ajouterai probablement rien à ce récit d'ici à demain, rien qu'une nouvelle supplication que je vous adresse pour que vous ne nous abandonniez pas à notre désespoir.

O âme charitable, ayez pitié de nous!

O mon Dieu! mon Dieu! que s'est-il passé? Ou je me trompe (et il est impossible que je me trompe de deux jours), ou le jour est passé où Cantarello devait venir, et Cantarello n'est pas venu. J'en juge d'ailleurs par nos provisions, qu'il renouvelait tous les huit jours; elles sont épuisées, et il ne vient pas. Mon Dieu! étions-nous donc réservés à quelque chose de pire qu'à ce que nous avions souffert jusqu'à présent? Mon Dieu! je n'ose pas même dire à vous ce dont j'ai peur, tant je crains que l'écho de cet abîme ne me réponde: Oui!

 

Oh! mon Dieu, serions-nous destinés à mourir de faim?

Le temps se passe, le temps se passe, et il ne vient pas, et aucun bruit ne se fait entendre. Mon Dieu! Nous consentons à rester ici éternellement, à ne jamais revoir la lumière du ciel. Mais il avait promis de faire sortir mon enfant, mon pauvre enfant!

Où est-il, cet homme que je ne voyais jamais qu'avec effroi, et que maintenant j'attends comme un dieu sauveur? Est-il malade? Seigneur, rendez-lui la santé. Est-il mort sans avoir eu le temps de confier à personne l'horrible secret de notre tombe? Oh! mon enfant! mon pauvre enfant!

Heureusement il a mon lait, et souffre moins que nous; mais, sans nourriture, mon lait va se tarir; il ne nous reste plus qu'un seul morceau de pain, un seul. Luigi dit qu'il n'a pas faim, et me le donne. Oh! mon Dieu! soyez témoin que je le prends pour mon enfant, pour mon enfant à qui je donnerai mon sang quand je n'aurai plus de lait.

Oh! quelque chose de pire! quelque chose de plus affreux encore! l'huile est épuisée, notre lampe va s'éteindre; l'obscurité du tombeau précédera la mort; notre lampe, c'était la lumière, c'était la vie; l'obscurité, ce sera la mort, plus la douleur.

Oh! maintenant, puisqu'il n'y a plus d'espoir pour nos corps, qui que vous soyez qui descendrez dans cet effroyable abîme, priez… Dieu! la lampe s'éteint… Priez pour nos âmes!

Le manuscrit se terminait là; les quatre derniers mots étaient écrits dans une autre direction que les lignes précédentes, ils avaient dû être tracés dans l'obscurité. Ce qui s'était passé depuis, nul ne le savait que Dieu, seulement l'agonie devait avoir été horrible.

Le morceau de pain abandonné par Luigi avait dû prolonger la vie de Teresa de près de deux jours, car le médecin reconnut qu'il y avait eu trente-cinq ou quarante heures d'intervalle à peu près entre la mort du mari et la mort de la femme. Cette prolongation de la vie de la mère avait prolongé la vie de l'enfant; de là venait que de ces trois malheureuses créatures la plus faible seule avait survécu.

La lecture du manuscrit s'était faite dans le caveau même témoin de l'agonie de Teresa et de Luigi: il ne laissait aucun doute sur ni aucune obscurité sur tous les événements qui s'étaient passés; et, lorsque don Ferdinand y eut ajouté sa déposition, toutes choses devinrent claires et intelligibles aux yeux de tous.

A son retour dans le village, don Ferdinand trouva l'enfant déjà mieux; il envoya aussitôt un messager à Feminamorta pour s'informer de ce qu'était devenu le premier enfant de Luigi et de Teresa, et il apprit qu'il était toujours chez les braves gens à qui il avait été confié; sa pension, au reste, avait été exactement payée par une main inconnue, sans doute par Cantarello; Don Ferdinand déclara qu'à l'avenir c'était sa famille qui se chargeait du sort de ces deux malheureux orphelins, ainsi que des frais funéraires de Luigi et de Teresa, pour lesquels il fonda un obit perpétuel.

Puis, lorsqu'il eut pensé à la vie des uns et à la mort des autres, don Ferdinand songea qu'il lui était bien permis de s'occuper un peu de son bonheur à lui; il revint à Syracuse avec le juge, le médecin et Peppino, et, tandis que ces trois derniers racontaient au marquis de San-Floridio tout ce qui s'était passé dans la chapelle de Belvédère, don Ferdinand prenait sa mère à part, et lui racontait tout ce qui s'était passé dans le couvent des Ursulines de Catane. La bonne marquise leva les mains au ciel, et déclara en pleurant que c'était la main de Dieu qui avait conduit tout cela, et que ce serait fâcher le Seigneur que d'aller contre ses volontés. Comme il est facile de le penser, don Ferdinand se garda bien de la contredire.

Aussitôt qu'elle sut le marquis seul, la marquise lui fit demander un rendez-vous; le moment était bon, le marquis se promenait en long et en large dans sa chambre, répétant que son fils s'était conduit à la fois avec la valeur d'Achille et la prudence d'Ulysse. La marquise lui exposa combien il serait fâcheux qu'une race qui promettait de reprendre, grâce à ce jeune héros, un nouvel éclat, s'arrêtât à lui et s'éteignît avec lui. Le marquis demanda à s'a femme l'explication de ces paroles, et la marquise déclara en pleurant que don Ferdinand, chez qui les événements survenus depuis un mois avaient provoqué un élan de pitié inattendu, était décidé à se faire moine. Le marquis de San-Floridio éprouva une telle douleur en apprenant cette détermination, que l'a marquise se hâta d'ajouter qu'il y aurait un moyen de parer le coup: c'était de lui accorder pour femme la jeune comtesse de Terra-Nova, qui était sur le point de prononcer ses voeux au couvent de Ursulines de Catane, et de laquelle don Ferdinand était amoureux comme un fou. Le marquis déclara à l'instant que la chose lui paraissait à la fois non seulement on ne peut plus facile, mais encore on ne peut plus sortable, te comte de Terra-Nova étant non seulement un de ses meilleurs amis, mais encore un des plus grands noms de la Sicile. On fit, en conséquence, venir don Ferdinand, qui, ainsi que l'avait prévu sa mère, consentit, moyennant cette condition, à ne pas se faire bénédictin. Le marquis lâcha, en se grattant l'oreille, quelques mots de doute sur la dot de Carmela, laquelle dot, si ses souvenirs ne le trompaient pas, devait être assez médiocre, la famille de Terra-Nova ayant été à peu près ruinée pendant les troubles successifs de la Sicile. Mais sur ce point don Ferdinand interrompit son père, en lui disant que Carmela avait un parent inconnu qui lui faisait don de soixante mille ducats. Dans un pays où le droit d'aînesse existait, c'était un fort joli douaire pour une fille, et pour une fille qui avait un frère aîné surtout; aussi le marquis ne fit-il aucune objection, et, comme il était un de ces hommes qui n'aiment pas que les affaires traînent en longueur, il ordonna de mettre les chevaux à la litière, et se rendit le jour même chez le comte de Terra-Nova.

Le comte aimait fort sa fille; il ne l'avait mise au couvent que pour ne point être forcé de rogner en sa faveur le patrimoine de son fils, qui, étant destiné à soutenir le nom et l'honneur de la famille, avait besoin, pour arriver à ce but, de tout ce que la famille possédait. Il déclara donc que, de sa part, il ne voyait aucun empêchement à ce mariage, si ce n'était que Carmela ne pouvait avoir de dot; mais à ceci le comte répondit en souriant que la chose le regardait. Séance tenante, parole fut donc échangée entre ces deux hommes qui ne savaient pas ce que c'était de manquer à leur parole.

Le marquis revint à Syracuse. Don Ferdinand l'attendait avec une impatience dont on peut se faire une idée, et tout en l'attendant, et pour ne point perdre de temps il avait fait seller son meilleur cheval. En apprenant que tout était arrangé selon ses désirs, il embrassa le marquis, il embrassa la marquise, descendit les escaliers comme un fou, sauta sur son cheval, et s'élança au galop sur la route de Catane. Son père et sa mère le virent de leur fenêtre disparaître dans un tourbillon de poussière.

– Le malheureux enfant! s'écria la marquise, il va se rompre le cou.

– Il n'y a point de danger, répondit le marquis; mon fils monte à cheval comme Bellérophon.

Quatre heures après, don Ferdinand était à Catane. Il va sans dire que la supérieure pensa s'évanouir de surprise et Carmela de joie.

Trois semaines après, les jeunes gens étaient unis à la cathédrale de Syracuse, don Ferdinand n'ayant point voulu que la cérémonie se fît à la chapelle des marquis de San-Floridio, de peur que le sang qu'il avait vu coagulé sur les dalles ne lui portât malheur.

On enleva le carreau marqué d'une croix, qui était au pied du lit de Cantarello, et l'on y trouva les soixante mille ducats.

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