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Le vicomte de Bragelonne, Tome II.

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Chapitre CVI – Monsieur est jaloux de Guiche

Monsieur entra brusquement comme les gens qui ont une bonne intention et qui croient faire plaisir, ou comme ceux qui espèrent surprendre quelque secret, triste aubaine des jaloux.

Madame, enivrée par les premières mesures de la musique, dansait comme une folle, laissant là son dîner commencé.

Son danseur était M. de Guiche, les bras en l'air, les yeux à demi fermés, le genou en terre, comme ces danseurs espagnols aux regards voluptueux, au geste caressant.

La princesse tournait autour de lui avec le même sourire et la même séduction provocante.

Montalais admirait. La Vallière, assise dans un coin, regardait toute rêveuse.

Il est impossible d'exprimer l'effet que produisit sur ces gens heureux la présence de Monsieur. Il serait tout aussi impossible d'exprimer l'effet que produisit sur Philippe la vue de ces gens heureux.

Le comte de Guiche n'eut pas la force de se relever; Madame demeura au milieu de son pas et de son attitude, sans pouvoir articuler un mot.

Le chevalier de Lorraine, adossé au chambranle de la porte, souriait comme un homme plongé dans la plus naïve admiration.

La pâleur du prince, le tremblement convulsif de ses mains et de ses jambes furent les premiers symptômes qui frappèrent les assistants. Un profond silence succéda au bruit de la danse.

Le chevalier de Lorraine profita de cet intervalle pour venir saluer respectivement Madame et de Guiche; en affectant de les confondre dans ses révérences, comme les deux maîtres de la maison.

Monsieur, s'approchant à son tour:

– Je suis enchanté, dit-il d'une voix rauque; j'arrivais ici croyant vous trouver malade et triste, je vous vois livrée à de nouveaux plaisirs; en vérité, c'est heureux! Ma maison est la plus joyeuse de l'univers.

Se retournant vers de Guiche:

– Comte, dit-il, je ne vous savais pas si brave danseur.

Puis, revenant à sa femme:

– Soyez meilleure pour moi, dit-il avec une amertume qui voilait sa colère; chaque fois qu'on se réjouira chez vous, invitez-moi… Je suis un prince fort abandonné.

De Guiche avait repris toute son assurance, et, avec une fierté naturelle qui lui allait bien:

– Monseigneur, dit-il, sait bien que toute ma vie est à son service; quand il s'agira de la donner, je suis prêt; pour aujourd'hui il ne s'agit que de danser aux violons, je danse.

– Et vous avez raison, dit froidement le prince. Et puis, Madame, continua-t-il, vous ne remarquez pas que vos dames m'enlèvent mes amis: M. de Guiche n'est pas à vous, madame, il est à moi. Si vous voulez dîner sans moi, vous avez vos dames. Quand je dîne seul, j'ai mes gentilshommes; ne me dépouillez pas tout à fait.

Madame sentit le reproche et la leçon.

La rougeur monta soudain jusqu'à ses yeux.

– Monsieur, répliqua-t-elle, j'ignorais, en venant à la cour de France, que les princesses de mon rang dussent être considérées comme les femmes de Turquie. J'ignorais qu'il fût défendu de voir des hommes; mais, puisque telle est votre volonté, je m'y conformerai; ne vous gênez point si vous voulez faire griller mes fenêtres.

Cette riposte, qui fit sourire Montalais et de Guiche, ramena dans le coeur du prince la colère, dont une bonne partie venait de s'évaporer en paroles.

– Très bien! dit-il d'un ton concentré, voilà comme on me respecte chez moi!

– Monseigneur! monseigneur! murmura le chevalier à l'oreille de Monsieur, de façon que tout le monde remarquât bien qu'il le modérait.

– Venez! répliqua le duc pour toute réponse, en l'entraînant et en pirouettant par un mouvement brusque, au risque de heurter Madame.

Le chevalier suivit son maître jusque dans l'appartement, où le prince ne fut pas plutôt assis, qu'il donna un libre cours à sa fureur.

Le chevalier levait les yeux au ciel, joignait les mains et ne disait mot.

– Ton avis? s'écria Monsieur.

– Sur quoi, monseigneur?

– Sur tout ce qui se passe ici.

– Oh! monseigneur, c'est grave.

– C'est odieux! la vie ne peut se passer ainsi.

– Voyez, comme c'est malheureux! dit le chevalier. Nous espérions avoir la tranquillité après le départ de ce fou de Buckingham.

– Et c'est pire!

– Je ne dis pas cela, monseigneur.

– Non, mais je le dis, moi, car Buckingham n'eût jamais osé faire le quart de ce que nous avons vu.

– Quoi donc?

– Se cacher pour danser, feindre une indisposition pour dîner tête à tête.

– Oh! monseigneur, non! non!

– Si! si! cria le prince en s'excitant lui-même comme les enfants volontaires; mais je n'endurerai pas cela plus longtemps, il faut qu'on sache ce qui se passe.

– Monseigneur, un éclat…

– Pardieu! dois-je me gêner quand on se gêne si peu avec moi?

Attends moi ici, chevalier, attends-moi!

Le prince disparut dans la chambre voisine, et s'informa de l'huissier si la reine mère était revenue de la chapelle.

Anne d'Autriche était heureuse: la paix revenue au foyer de sa famille, tout un peuple charmé par la présence d'un souverain jeune et bien disposé pour les grandes choses, les revenus de l'État agrandis, la paix extérieure assurée, tout lui présageait un avenir tranquille.

Elle se reprenait parfois au souvenir de ce pauvre jeune homme qu'elle avait reçu en mère et chassé en marâtre.

Un soupir achevait sa pensée. Tout à coup le duc d'Orléans entra chez elle.

– Ma mère, s'écria-t-il en fermant vivement les portières, les choses ne peuvent subsister ainsi.

Anne d'Autriche leva sur lui ses beaux yeux, et, avec une inaltérable douceur:

– De quelle chose voulez-vous parler? dit-elle.

– Je veux parler de Madame.

– Votre femme?

– Oui, ma mère.

– Je gage que ce fou de Buckingham lui aura écrit quelque lettre d'adieu.

– Ah bien! oui, ma mère, est-ce qu'il s'agit de Buckingham!

– Et de qui donc alors? Car ce pauvre garçon était bien à tort le point de mire de votre jalousie, et je croyais…

– Ma mère, Madame a déjà remplacé M. de Buckingham.

– Philippe, que dites-vous? Vous prononcez là des paroles légères.

– Non pas, non pas. Madame a si bien fait que je suis encore jaloux.

– Et de qui, bon Dieu?

– Quoi! vous n'avez pas remarqué?

– Non.

– Vous n'avez pas vu que M. de Guiche est toujours chez elle, toujours avec elle?

La reine frappa ses deux mains l'une contre l'autre et se mit à rire.

– Philippe, dit-elle, ce n'est pas un défaut que vous avez là; c'est une maladie.

– Défaut ou maladie, madame, j'en souffre.

– Et vous prétendez qu'on guérisse un mal qui existe seulement dans votre imagination? Vous voulez qu'on vous approuve, jaloux, quand il n'y a aucun fondement à votre jalousie?

– Allons, voilà que vous allez recommencer pour celui-ci ce que vous disiez pour celui-là.

– C'est que, mon fils, dit sèchement la reine, ce que vous faisiez pour celui-là, vous le recommencez pour celui-ci.

Le prince s'inclina un peu piqué.

– Et si je cite des faits, dit-il, croirez-vous?

– Mon fils, pour toute autre chose que la jalousie, je vous croirais sans l'allégation des faits; mais, pour la jalousie, je ne vous promets rien.

– Alors, c'est comme si Votre Majesté m'ordonnait de me taire et me renvoyait hors de cause.

– Nullement; vous êtes mon fils, je vous dois toute l'indulgence d'une mère.

– Oh! dites votre pensée: vous me devez toute l'indulgence que mérite un fou.

– N'exagérez pas, Philippe, et prenez garde de me représenter votre femme comme un esprit dépravé…

– Mais les faits!

– J'écoute.

– Ce matin, on faisait de la musique chez Madame, à dix heures.

– C'est innocent.

– M. de Guiche causait seul avec elle… Ah! j'oublie de vous dire que, depuis huit jours, il ne la quitte pas plus que son ombre.

– Mon ami, s'ils faisaient mal, ils se cacheraient.

– Bon! s'écria le duc; je vous attendais là. Retenez bien ce que vous venez de dire. Ce matin, dis-je, je les surpris, et témoignai vivement mon mécontentement.

– Soyez sûr que cela suffira; c'est peut-être même un peu vif. Ces jeunes femmes sont ombrageuses. Leur reprocher le mal qu'elles n'ont pas fait, c'est parfois leur dire qu'elles pourraient le faire.

– Bien, bien, attendez. Retenez aussi ce que vous venez de dire, Madame: «La leçon de ce matin eût dû suffire, et, s'ils faisaient mal, ils se cacheraient.»

– Je l'ai dit.

– Or, tantôt, me repentant de cette vivacité du matin et sachant que Guiche boudait chez lui, j'allai chez Madame. Devinez ce que j'y trouvai? D'autres musiques, des danses, et Guiche; on l'y cachait.

Anne d'Autriche fronça le sourcil.

– C'est imprudent, dit-elle. Qu'a dit Madame?

– Rien.

– Et Guiche?

– De même… Si fait… il a balbutié quelques impertinences.

– Que concluez-vous, Philippe?

– Que j'étais joué, que Buckingham n'était qu'un prétexte, et que le vrai coupable, c'est Guiche.

Anne haussa les épaules.

– Après?

– Je veux que Guiche sorte de chez moi comme Buckingham, et je le demanderai au roi, à moins que…

– À moins que?

– Vous ne fassiez vous-même la commission, madame, vous qui êtes si spirituelle et si bonne.

– Je ne la ferai point.

– Quoi, ma mère!

– Écoutez, Philippe, je ne suis pas tous les jours disposée à faire aux gens de mauvais compliments; j'ai de l'autorité sur cette jeunesse, mais je ne saurais m'en prévaloir sans la perdre; d'ailleurs, rien ne prouve que M. de Guiche soit coupable.

– Il m'a déplu.

– Cela vous regarde.

– Bien, je sais ce que je ferai, dit le prince impétueusement.

Anne le regarda inquiète.

– Et que ferez-vous? dit-elle.

 

– Je le ferai noyer dans mon bassin la première fois que je le trouverai chez moi.

Et, cette férocité lancée, le prince attendit un effet d'effroi.

La reine fut impassible.

– Faites, dit-elle.

Philippe était faible comme une femme, il se mit à hurler.

– On me trahit, personne ne m'aime: voilà ma mère qui passe à mes ennemis!

– Votre mère y voit plus loin que vous et ne se soucie pas de vous conseiller, puisque vous ne l'écoutez pas.

– J'irai au roi.

– J'allais vous le proposer. J'attends Sa Majesté ici, c'est l'heure de sa visite; expliquez-vous.

Elle n'avait pas fini, que Philippe entendit la porte de l'antichambre s'ouvrir bruyamment.

La peur le prit. On distinguait le pas du roi, dont les semelles craquaient sur les tapis.

Le duc s'enfuit par une petite porte, laissant la reine aux prises.

Anne d'Autriche se mit à rire, et riait encore lorsque le roi entra.

Il venait, très affectueusement, savoir des nouvelles de la santé, déjà chancelante, de la reine mère. Il venait lui annoncer aussi que tous les préparatifs pour le voyage de Fontainebleau étaient terminés.

La voyant rire, il sentit diminuer son inquiétude et l'interrogea lui-même en riant.

Anne d'Autriche lui prit la main, et, d'une voix pleine d'enjouement;

– Savez-vous, dit-elle, que je suis fière d'être Espagnole.

– Pourquoi, madame?

– Parce que les Espagnoles valent mieux au moins que les

Anglaises.

– Expliquez-vous.

– Depuis que vous êtes marié, vous n'avez pas un seul reproche à faire à la reine?

– Non, certes.

– Et voilà un certain temps que vous êtes marié. Votre frère, au contraire, est marié depuis quinze jours…

– Eh bien?

– Il se plaint de Madame pour la seconde fois.

– Quoi! encore Buckingham?

– Non, un autre.

– Qui?

– Guiche.

– Ah çà! mais c'est donc une coquette que Madame?

– Je le crains.

– Mon pauvre frère! dit le roi en riant.

– Vous excusez la coquetterie, à ce que je vois?

– Chez Madame, oui; Madame n'est pas coquette au fond.

– Soit; mais votre frère en perdra la tête.

– Que demande-t-il?

– Il veut faire noyer Guiche.

– C'est violent.

– Ne riez pas, il est exaspéré. Avisez à quelque moyen.

– Pour sauver Guiche, volontiers.

– Oh! si votre frère vous entendait, il conspirerait contre vous comme faisait votre oncle, Monsieur, contre le roi votre père.

– Non. Philippe m'aime trop et je l'aime trop de mon côté; nous vivrons bons amis. Le résumé de la requête?

– C'est que vous empêchiez Madame d'être coquette et Guiche d'être aimable.

– Rien que cela? Mon frère se fait une bien haute idée du pouvoir royal… corriger une femme! Passe encore pour un homme.

– Comment vous y prendrez-vous?

– Avec un mot dit à Guiche, qui est un garçon d'esprit, je le persuaderai.

– Mais Madame?

– C'est plus difficile; un mot ne suffira pas; je composerai une homélie, je la prêcherai.

– Cela presse.

– Oh! j'y mettrai toute la diligence possible. Nous avons répétition de ballet cette après-dînée.

– Vous prêcherez en dansant?

– Oui, madame.

– Vous promettez de convertir?

– J'extirperai l'hérésie par la conviction ou par le feu.

– À la bonne heure! Ne me mêlez point dans tout cela, Madame ne me le pardonnerait de sa vie; et, belle-mère, je dois vivre avec ma bru.

– Madame, ce sera le roi qui prendra tout sur lui. Voyons, je réfléchis.

– À quoi?

– Il serait peut-être mieux que j'allasse trouver Madame chez elle?

– C'est un peu solennel.

– Oui, mais la solennité ne messied pas aux prédicateurs, et puis le violon du ballet mangerait la moitié de mes arguments. En outre, il s'agit d'empêcher quelque violence de mon frère… Mieux vaut un peu de précipitation… Madame est-elle chez elle?

– Je le crois.

– L'exposition des griefs, s'il vous plaît.

– En deux mots, voici: Musique perpétuelle… assiduité de Guiche… soupçons de cachotteries et de complots…

– Les preuves?

– Aucune.

– Bien; je me rends chez Madame.

Et le roi se prit à regarder, dans les glaces, sa toilette qui était riche et son visage qui resplendissait comme ses diamants.

– On éloigne bien un peu Monsieur? dit-il.

– Oh! le feu et l'eau ne se fuient pas avec plus d'acharnement.

– Il suffit. Ma mère, je vous baise les mains… les plus belles mains de France.

– Réussissez, Sire… Soyez le pacificateur du ménage.

– Je n'emploie pas d'ambassadeur, répliqua Louis. C'est vous dire que je réussirai.

Il sortit en riant et s'épousseta soigneusement tout le long du chemin.

Chapitre CVII – Le médiateur

Quand le roi parut chez Madame, tous les courtisans, que la nouvelle d'une scène conjugale avait disséminés autour des appartements, commencèrent à concevoir les plus graves inquiétudes.

Il se formait aussi de ce côté un orage dont le chevalier de Lorraine, au milieu des groupes, analysait avec joie tous les éléments, grossissant les plus faibles et manoeuvrant, selon ses mauvais desseins, les plus forts, afin de produire les plus méchants effets possibles.

Ainsi que l'avait annoncé Anne d'Autriche, la présence du roi donna un caractère solennel à l'événement.

Ce n'était pas une petite affaire, en 1662, que le mécontentement de Monsieur contre Madame, et l'intervention du roi dans les affaires privées de Monsieur.

Aussi vit-on les plus hardis, qui entouraient le comte de Guiche dès le premier moment, s'éloigner de lui avec une sorte d'épouvante; et le comte lui-même, gagné par la panique générale, se retirer chez lui tout seul.

Le roi entra chez Madame en saluant, comme il avait toujours l'habitude de le faire. Les dames d'honneur étaient rangées en file sur son passage dans la galerie.

Si fort préoccupée que fût Sa Majesté, elle donna un coup d'oeil de maître à ces deux rangs de jeunes et charmantes femmes qui baissaient modestement les yeux.

Toutes étaient rouges de sentir sur elles le regard du roi. Une seule, dont les longs cheveux se roulaient en boucles soyeuses sur la plus belle peau du monde, une seule était pâle et se soutenait à peine, malgré les coups de coude de sa compagne.

C'était La Vallière, que Montalais étayait de la sorte en lui soufflant tout bas le courage dont elle-même était si abondamment pourvue.

Le roi ne put s'empêcher de se retourner. Tous les fronts, qui déjà s'étaient relevés, se baissèrent de nouveau; mais la seule tête blonde demeura immobile, comme si elle eût épuisé tout ce qui lui restait de force et d'intelligence.

En entrant chez Madame, Louis trouva sa belle-soeur à demi couchée sur les coussins de son cabinet. Elle se souleva et fit une révérence profonde en balbutiant quelques remerciements sur l'honneur qu'elle recevait.

Puis elle se rassit, vaincue par une faiblesse, affectée sans doute, car un coloris charmant animait ses joues, et ses yeux, encore rouges de quelques larmes répandues récemment, n'avaient que plus de feu.

Quand le roi fut assis et qu'il eut remarqué, avec cette sûreté d'observation qui le caractérisait, le désordre de la chambre et celui, non moins grand, du visage de Madame, il prit un air enjoué.

– Ma soeur, dit-il, à quelle heure vous plaît-il que nous répétions le ballet aujourd'hui?

Madame, secouant lentement et languissamment sa tête charmante:

– Ah! Sire, dit-elle, veuillez m'excuser pour cette répétition; j'allais faire prévenir Votre Majesté que je ne saurais aujourd'hui.

– Comment! dit le roi avec une surprise modérée; ma soeur, seriez-vous indisposée?

– Oui, Sire.

– Je vais faire appeler vos médecins, alors.

– Non, car les médecins ne peuvent rien à mon mal.

– Vous m'effrayez!

– Sire, je veux demander à Votre Majesté la permission de m'en retourner en Angleterre.

Le roi fit un mouvement.

– En Angleterre! Dites-vous bien ce que vous voulez dire, madame?

– Je le dis à contrecoeur, Sire, répliqua la petite-fille de

Henri IV avec résolution.

Et elle fit étinceler ses beaux yeux noirs.

– Oui, je regrette de faire à Votre Majesté des confidences de ce genre; mais je me trouve trop malheureuse à la cour de Votre Majesté; je veux retourner dans ma famille.

– Madame! Madame!

Et le roi s'approcha.

– Écoutez, Sire, continua la jeune femme en prenant peu à peu sur son interlocuteur l'ascendant que lui donnaient sa beauté, sa nerveuse nature; je suis accoutumée à souffrir. Jeune encore, j'ai été humiliée, j'ai été dédaignée. Oh! ne me démentez pas, Sire, dit-elle avec un sourire.

Le roi rougit.

– Alors, dis-je, j'ai pu croire que Dieu m'avait fait naître pour cela, moi, fille d'un roi puissant; mais, puisqu'il avait frappé la vie dans mon père, il pouvait bien frapper en moi l'orgueil. J'ai bien souffert, j'ai bien fait souffrir ma mère; mais j'ai juré que, si jamais Dieu me rendait une position indépendante, fût-ce celle de l'ouvrière du peuple qui gagne son pain avec son travail, je ne souffrirais plus la moindre humiliation. Ce jour est arrivé; j'ai recouvré la fortune due à mon rang, à ma naissance; j'ai remonté jusqu'aux degrés du trône; j'ai cru que, m'alliant à un prince français, je trouverais en lui un parent, un ami, un égal; mais je m'aperçois que je n'ai trouvé qu'un maître, et je me révolte, Sire. Ma mère n'en saura rien, vous que je respecte et que… j'aime…

Le roi tressaillit; nulle voix n'avait ainsi chatouillé son oreille.

– Vous, dis-je, Sire, qui savez tout, puisque vous venez ici, vous me comprendrez peut-être. Si vous ne fussiez pas venu, j'allais à vous. C'est l'autorisation de partir librement que je veux. J'abandonne à votre délicatesse, à vous, l'homme par excellence, de me disculper et de me protéger.

– Ma soeur! ma soeur! balbutia le roi courbé par cette rude attaque, avez vous bien réfléchi à l'énorme difficulté du projet que vous formez?

– Sire, je ne réfléchis pas, je sens. Attaquée, je repousse d'instinct l'attaque; voilà tout.

– Mais que vous a-t-on fait? Voyons.

La princesse venait, on le voit, par cette manoeuvre particulière aux femmes, d'éviter tout reproche et d'en formuler un plus grave, d'accusée elle devenait accusatrice. C'est un signe infaillible de culpabilité; mais de ce mal évident, les femmes, même les moins adroites, savent toujours tirer parti pour vaincre.

Le roi ne s'aperçut pas qu'il était venu chez elle pour lui dire:

«Qu'avez vous fait à mon frère?»

Et qu'il se réduisait à dire:

– Que vous a-t-on fait?

– Ce qu'on m'a fait? répliqua Madame. Oh! il faut être femme pour le comprendre, Sire: on m'a fait pleurer.

Et d'un doigt qui n'avait pas son égal en finesse et en blancheur nacrée, elle montrait des yeux brillants noyés dans le fluide, et elle recommençait à pleurer.

– Ma soeur, je vous en supplie, dit le roi en s'avançant pour lui prendre une main qu'elle lui abandonna moite et palpitante.

– Sire, on m'a tout d'abord privée de la présence d'un ami de mon frère. Milord de Buckingham était pour moi un hôte agréable, enjoué, un compatriote qui connaissait mes habitudes, je dirai presque un compagnon, tant nous avons passé de jours ensemble avec nos autres amis sur mes belles eaux de Saint-James.

– Mais, ma soeur, Villiers était amoureux de vous?

– Prétexte! Que fait cela, dit-elle sérieusement, que M. de Buckingham ait été ou non amoureux de moi? Est-ce donc dangereux pour moi, un homme amoureux?.. Ah! Sire, il ne suffit pas qu'un homme vous aime.

Et elle sourit si tendrement, si finement, que le roi sentit son coeur battre et défaillir dans sa poitrine.

– Enfin, si mon frère était jaloux? interrompit le roi.

– Bien, j'y consens, voilà une raison; et l'on a chassé

M. de Buckingham.

– Chassé!.. Oh! non.

– Expulsé, évincé, congédié, si vous aimez mieux, Sire; un des premiers gentilshommes de l'Europe s'est vu forcé de quitter la cour du roi de France, de Louis XIV, comme un manant, à propos d'une oeillade ou d'un bouquet. C'est bien peu digne de la cour la plus galante… Pardon, Sire, j'oubliais qu'en parlant ainsi j'attentais à votre souverain pouvoir.

– Ma foi! non, ma soeur, ce n'est pas moi qui ai congédié

M. de Buckingham… Il me plaisait fort.

– Ce n'est pas vous? dit habilement Madame. Ah! tant mieux!

Et elle accentua ce tant mieux comme si elle eût, à la place de ce mot, prononcé celui de tant pis.

Il y eut un silence de quelques minutes.

Elle reprit:

– M. de Buckingham parti… je sais à présent pourquoi et par qui… je croyais avoir recouvré la tranquillité… Point… Voilà que Monsieur trouve un autre prétexte; voilà que…

 

– Voilà que, dit le roi avec enjouement, un autre se présente. Et c'est naturel; vous êtes belle, madame; on vous aimera toujours.

– Alors, s'écria la princesse, je ferai la solitude autour de moi. Oh! c'est bien ce qu'on veut, c'est bien ce qu'on me prépare; mais, non, je préfère retourner à Londres. Là, on me connaît, on m'apprécie. J'aurai mes amis sans craindre que l'on ose les nommer mes amants. Fi! c'est un indigne soupçon de la part d'un gentilhomme! Oh! Monsieur a tout perdu dans mon esprit depuis que je le vois, depuis qu'il s'est révélé à moi, comme le tyran d'une femme.

– Là! là! mon frère n'est coupable que de vous aimer.

– M'aimer! Monsieur m'aimer? Ah! Sire…

Et elle rit aux éclats.

– Monsieur n'aimera jamais une femme, dit-elle; Monsieur s'aime trop lui-même; non, malheureusement pour moi, Monsieur est de la pire espèce des jaloux: jaloux sans amour.

– Avouez cependant, dit le roi, qui commençait à s'animer dans cet entretien varié, brûlant, avouez que Guiche vous aime.

– Ah! Sire, je n'en sais rien.

– Vous devez le voir. Un homme qui aime se trahit.

– M. de Guiche ne s'est pas trahi.

– Ma soeur, ma soeur, vous défendez M. de Guiche.

– Moi! par exemple! moi? Oh! Sire, il ne manquerait plus à mon infortune qu'un soupçon de vous.

– Non, madame, non, reprit vivement le roi. Ne vous affligez pas.

Oh! vous pleurez! Je vous en conjure, calmez-vous.

Elle pleurait cependant, de grosses larmes coulaient sur ses mains. Le roi prit une de ses mains et but une de ses larmes.

Elle le regarda si tristement et si tendrement, qu'il en fut frappé au coeur.

– Vous n'avez rien pour Guiche? dit-il plus inquiet qu'il ne convenait à son rôle de médiateur.

– Mais rien, rien.

– Alors je puis rassurer mon frère.

– Eh! Sire, rien ne le rassurera. Ne croyez donc pas qu'il soit jaloux. Monsieur a reçu de mauvais conseils, et Monsieur est d'un caractère inquiet.

– On peut l'être lorsqu'il s'agit de vous.

Madame baissa les yeux et se tut. Le roi fit comme elle. Il lui tenait toujours la main.

Ce silence d'une minute dura un siècle.

Madame retira doucement sa main. Elle était sûre désormais du triomphe. Le champ de bataille était à elle.

– Monsieur se plaint, dit timidement le roi, que vous préférez à son entretien, à sa société, des sociétés particulières.

– Sire, Monsieur passe sa vie à regarder sa figure dans un miroir et à comploter des méchancetés contre les femmes avec M. le chevalier de Lorraine.

– Oh! vous allez un peu loin.

– Je dis ce qui est. Observez, vous verrez, Sire, si j'ai raison.

– J'observerai. Mais, en attendant, quelle satisfaction donner à mon frère?

– Mon départ.

– Vous répétez ce mot! s'écria imprudemment le roi, comme si depuis dix minutes un changement tel eût été produit, que Madame en eût toutes ses idées retournées.

– Sire, je ne puis plus être heureuse ici, dit-elle. M. de Guiche gêne Monsieur. Le fera-t-on partir aussi?

– S'il le faut, pourquoi pas? répondit en souriant Louis XIV.

– Eh bien! après M. de Guiche?.. que je regretterai, du reste, je vous en préviens, Sire.

– Ah! vous le regretterez?

– Sans doute; il est aimable, il a pour moi de l'amitié, il me distrait.

– Ah! si Monsieur vous entendait! fit le roi piqué. Savez-vous que je ne me chargerais point de vous raccommoder et que je ne le tenterais même pas?

– Sire, à l'heure qu'il est, pouvez-vous empêcher Monsieur d'être jaloux du premier venu? Je sais bien que M. de Guiche n'est pas le premier venu.

– Encore! Je vous préviens qu'en bon frère je vais prendre

M. de Guiche en horreur.

– Ah! Sire, dit Madame, ne prenez, je vous en supplie, ni les sympathies ni les haines de Monsieur. Restez le roi; mieux vaudra pour vous et pour tout le monde.

– Vous êtes une adorable railleuse, madame, et je comprends que ceux mêmes que vous raillez vous adorent.

– Et voilà pourquoi, vous, Sire, que j'eusse pris pour mon défenseur, vous allez vous joindre à ceux qui me persécutent, dit Madame.

– Moi, votre persécuteur? Dieu m'en garde!

– Alors, continua-t-elle languissamment, accordez-moi ma demande.

– Que demandez-vous?

– À retourner en Angleterre.

– Oh! cela, jamais! jamais! s'écria Louis XIV.

– Je suis donc prisonnière?

– En France, oui.

– Que faut-il que je fasse alors?

– Eh bien! ma soeur, je vais vous le dire.

– J'écoute Votre Majesté en humble servante.

– Au lieu de vous livrer à des intimités un peu inconséquentes, au lieu de nous alarmer par votre isolement, montrez-vous à nous toujours, ne nous quittez pas, vivons en famille. Certes, M. de Guiche est aimable; mais, enfin, si nous n'avons pas son esprit…

– Oh! Sire, vous savez bien que vous faites le modeste.

– Non, je vous jure. On peut être roi et sentir soi-même que l'on a moins de chance de plaire que tel ou tel gentilhomme.

– Je jure bien que vous ne croyez pas un seul mot de ce que vous dites là, Sire.

Le roi regarda Madame tendrement.

– Voulez-vous me promettre une chose? dit-il.

– Laquelle?

– C'est de ne plus perdre dans votre cabinet, avec des étrangers, le temps que vous nous devez. Voulez-vous que nous fassions contre l'ennemi commun une alliance offensive et défensive?

– Une alliance avec vous, Sire?

– Pourquoi pas? N'êtes-vous pas une puissance?

– Mais vous, Sire, êtes-vous un allié bien fidèle?

– Vous verrez, madame.

– Et de quel jour datera cette alliance?

– D'aujourd'hui.

– Je rédigerai le traité?

– Très bien!

– Et vous le signerez?

– Aveuglément.

– Oh! alors, Sire, je vous promets merveille; vous êtes l'astre de la cour, quand vous me paraîtrez…

– Eh bien?

– Tout resplendira.

– Oh! madame, madame, dit Louis XIV, vous savez bien que toute lumière vient de vous, et que, si je prends le soleil pour devise, ce n'est qu'un emblème.

– Sire, vous flattez votre alliée; donc, vous voulez la tromper, dit Madame en menaçant le roi de son doigt mutin.

– Comment! vous croyez que je vous trompe, lorsque je vous assure de mon affection?

– Oui.

– Et qui vous fait douter?

– Une chose.

– Une seule?

– Oui.

– Laquelle? Je serai bien malheureux si je ne triomphe pas d'une seule chose.

– Cette chose n'est point en votre pouvoir, Sire, pas même au pouvoir de Dieu.

– Et quelle est cette chose?

– Le passé.

– Madame, je ne comprends pas, dit le roi, justement parce qu'il avait trop bien compris.

La princesse lui prit la main.

– Sire, dit-elle, j'ai eu le malheur de vous déplaire si longtemps, que j'ai presque le droit de me demander aujourd'hui comment vous avez pu m'accepter comme belle-soeur.

– Me déplaire! vous m'avez déplu?

– Allons, ne le niez pas.

– Permettez.

– Non, non, je me rappelle.

– Notre alliance date d'aujourd'hui, s'écria le roi avec une chaleur qui n'était pas feinte; vous ne vous souvenez donc plus du passé, ni moi non plus, mais je me souviens du présent. Je l'ai sous les yeux, le voici; regardez.

Et il mena la princesse devant une glace, où elle se vit rougissante et belle à, faire succomber un saint.

– C'est égal, murmura-t-elle, ce ne sera point là une bien vaillante alliance.

– Faut-il jurer? demanda le roi, enivré par la tournure voluptueuse qu'avait prise tout cet entretien.

– Oh! je ne refuse pas un bon serment, dit Madame. C'est toujours un semblant de sûreté.

Le roi s'agenouilla sur un carreau et prit la main de Madame.

Elle, avec un sourire qu'un peintre ne rendrait point et qu'un poète ne pourrait qu'imaginer, lui donna ses deux mains dans lesquelles il cacha son front brûlant.

Ni l'un ni l'autre ne put trouver une parole.

Le roi sentit que Madame retirait ses mains en lui effleurant les joues.

Il se releva aussitôt et sortit de l'appartement.

Les courtisans remarquèrent sa rougeur, et en conclurent que la scène avait été orageuse.

Mais le chevalier de Lorraine se hâta de dire:

– Oh! non, messieurs, rassurez-vous. Quand Sa Majesté est en colère, elle est pâle.

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