Le Comte de Foix

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Frédéric Soulié

LE COMTE DE FOIX

©2020 Librorium Editions

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Librorium Editions

I

À quelques centaines de pas du bourg de Mirepoix, de l’autre côté du Llers, torrent qui traverse dans presque toute sa longueur la riche vallée qui s’étend de ce bourg jusqu’à la ville de Pamiers, s’élève une colline qui domine non seulement le cours de cette petite rivière, mais encore le chemin qui la borde et qui va vers Castelnaudary. Aux deux tiers à peu près de cette colline commençait un château, dont les ruines existent encore.

Adossé au flanc de la montagne, il montait avec elle, atteignait son sommet, et le dépassait par quatre grandes tours que l’on apercevait à plusieurs lieues de distance.

Cette manière de poser les redoutables forteresses où s’enfermaient les puissants châtelains de cette époque, faisait intérieurement de ces vastes constructions quelque chose d’assez bizarre pour que nous croyions devoir l’expliquer à nos lecteurs.

Les premières constructions qui servaient d’enceinte générale au château, s’étendaient d’abord parallèlement à la colline sur une façade de près de trois cents pieds, et montaient à une hauteur prodigieuse ; puis elles allaient rejoindre, par des constructions latérales, la colline, gardant au sommet le même niveau, mais diminuant de hauteur absolue à mesure que leur base s’élevait avec la pente du terrain, de façon qu’arrivée à la petite plate-forme sur laquelle se dressaient les quatre tours dont nous avons parlé, cette enceinte n’avait plus qu’une élévation d’une vingtaine de pieds. On comprend que de cette façon une très grande étendue de terrain en plan, rapidement incliné, fût enfermée dans cette enceinte.

Aussi, lorsqu’on entrait du côté de la façade, c’est-à-dire du côté où les murs étaient le plus élevés et descendaient par conséquent le plus bas sur le penchant de la colline, on trouvait après la poterne, garnie d’une double herse, un vaste champ au milieu duquel était tracé un chemin tortueux bordé de vieux chênes et de frênes énormes. De chaque côté de cette allée s’élevaient une demi-douzaine de maisonnettes, de granges, d’étables, où logeaient les serviteurs du seigneur féodal, chargés des soins du bétail : le reste était demeuré agreste et inculte, à l’exception d’une étendue assez grande qui avait été nivelée et battue pour servir à la fois aux jeux et aux exercices des habitants du château.

Le rez-de-chaussée des constructions d’enceinte était réservé à d’immenses écuries pour les chevaux du Seigneur, de ses hommes d’armes et des visiteurs qui pouvaient se présenter, quelque nombreuse que pût être leur suite.

L’allée qui traversait en tournant ce vaste espace conduisait à une seconde construction qui le traversait dans toute sa largeur, et allait s’appuyer par ses deux extrémités aux murs latéraux.

Mais la base de cette construction se trouvant de beaucoup plus élevée que celle de la première, le rez-de-chaussée en était à peu près à la hauteur du second étage des bâtiments extérieurs.

Cet immense rez-de-chaussée offrait au centre un énorme pavillon carré d’où s’étendaient à droite une immense salle d’armes, et à gauche une chapelle qui, de nos jours, serait une église plus que suffisante pour un village de quelque importance. Un escalier qui occupait une partie de ce pavillon conduisait aux étages supérieurs occupés par ceux qui dépendaient plus immédiatement du suzerain, et parmi lesquels il faut compter non seulement l’argentier, l’armurier, le fauconnier et autres, mais encore les hommes d’armes qui, à cette époque, se rangeaient sous une bannière seigneuriale pour combattre à sa solde, et qui possédaient en propre leurs chevaux, leurs armes, et quelquefois deux ou trois hommes à leur service et qu’ils engageaient avec eux.

Lorsqu’on avait traversé ce bâtiment, on retrouvait un nouvel espace libre, mais plus soigné et garni de fleurs et de quelques arbres fruitiers, et au bout de cet espace, de nouvelles constructions qui gravissaient le rocher nu, et qui étaient ce qu’on pouvait appeler véritablement le château. Là, on avait taillé en quelques endroits les salles dans le roc lui-même ; on montait dans un labyrinthe d’escaliers qui, au sommet, s’ouvraient tout à coup sur une cour pleine encore d’une végétation puissante, et autour de laquelle on trouvait d’autres bâtiments ; on montait encore et l’on atteignait des terrasses naturelles aboutissant aux étages les plus élevés de l’enceinte extérieure, et du rez-de-chaussée du dernier de ce bloc de bâtiments entassés les uns sur les autres, on était de plain-pied avec la terrasse qui régnait au sommet de la grande enceinte. Mais ce n’était pas tout, et, après toutes ces constructions, on arrivait à la plate-forme au milieu de laquelle s’élevaient les quatre tours parfaitement isolées et qui étaient la citadelle de ce château.

Là, on avait creusé un fossé qui, quoique privé d’eau, n’en était pas moins un obstacle difficile à franchir pour les assaillants qui fussent arrivés jusqu’à cet endroit ; car un seul pont-levis, fermé par une porte étroite et basse, donnait entrée dans cette citadelle.

Dans cet endroit, étaient renfermés dans d’immenses caves et dans les salles qui unissaient les tours les unes aux autres, tous les moyens d’une défense désespérée, des projectiles de toutes sortes, des outres d’huile, des masses de résine pour inonder les assiégeants de matières brûlantes, une immense quantité de blé et de seigle, des viandes salées, du vin, du bois en monceaux énormes, et enfin, dans l’endroit le plus secret de l’une des tours, l’or, les bijoux et les armures précieuses.

Un pareil château, situé sur une hauteur qui n’était commandée par nulle autre, semblerait difficile à prendre, même de nos jours, avec les puissants moyens que l’artillerie nous a donnés ; on doit donc penser de quelle importance il était à une époque où ce n’était qu’en faisant combattre pour ainsi dire les machines de guerre et les murailles corps à corps, qu’on parvenait à ébranler ces puissantes forteresses.

Indépendamment de sa propre force, ce château tenait de sa position un immense avantage, car il commandait, comme nous l’avons dit, le chemin qui menait de Castelnaudary au bourg de Mirepoix et de là à Foix. Toute la riche vallée qui s’étendait à ses pieds était également dans ses dépendances, et il suffisait d’un seul mot du suzerain pour que vingt cavaliers, sortis du château, pussent enlever en une heure ou deux les nombreux troupeaux qui paissaient dans la plaine. Pendant ce temps les faucheurs avaient bientôt fait de tondre les prés les plus riches pour la nourriture des chevaux du maître, et le voyageur, dont la tournure promettait un butin, si minime qu’il fût, n’avait guère de chance de s’échapper lorsqu’il avait excité de loin la convoitise de quelques hommes d’armes du châtelain.

En face des murs, il existait un bac pour traverser le torrent qui coulait au pied de la colline.

Durant l’hiver et au printemps, c’était le seul moyen de communication qui existât du bourg au château, communication qui n’était pas sans danger lorsque le torrent roulait dans toute sa force.

Souvent les moines du couvent de Saint-Maurice, situé dans la plaine, avaient proposé aux seigneurs du château de remplacer ce bac par un pont construit à leurs frais ; mais comme le droit de péage de ce bac était un des meilleurs revenus du châtelain, jamais il n’y avait voulu consentir, attendu qu’ils y mettaient pour condition que le droit serait perçu à leur profit.

En été, le torrent presque desséché rendait ce bac inutile ; mais les voyageurs, les marchands, n’en devaient pas moins le droit, quoiqu’ils ne fissent pas usage du radeau demeuré à sec sur le sable, et cela avait nécessité, de la part des seigneurs, une surveillance perpétuelle et, en conséquence, l’établissement, au bord du torrent, d’une petite tour qui servait de demeure au conducteur du bac et à sa famille, composée d’une fille de seize ans à peine, et de deux garçons de vingt et de vingt-deux ans, alertes, vigoureux, et qui de jour comme de nuit étaient aux aguets de ceux qui eussent voulu frauder le droit de passage.

Ce château était celui du sire de Terride.

Et le sire de Terride était l’un des plus redoutables suzerains du Languedoc.

II

Durant une soirée du mois de mai 1217, où le Llers était grossi par les neiges, que les premières chaleurs avaient fait fondre sur les montagnes, un bruit de cor appela du côté du bourg le bac que Robin et Gauthier, les deux fils du gardien du passage, venaient d’amarrer solidement au pied de la tour ; ne pensant pas qu’à pareille heure personne osât s’exposer à passer le torrent, les deux fils et le père étaient allés à un rendez-vous qui leur avait été assigné le matin même, et la garde de la tour avait été confiée à Guillelmète.

Celle-ci entendit le bruit du cor ; elle se mit à une des hautes fenêtres de la tour, et, ayant sans doute reconnu à l’appel celui qui l’avait fait, elle cria de manière à être entendue de l’autre côté du Llers :

— Il est trop tard, sir Guy de Lévis, vous ne passerez point ce soir, car je suis seule dans la tour.

— Eh ! ma mie, lui dit celui à qui elle s’adressait, et qu’on apercevait à travers le crépuscule de l’autre côté de la rive, je t’ai vu conduire le bac de ce côté par de plus grandes eaux que celles qui nous séparent ; et, si tu ne veux pas que je passe, c’est pure mauvaise volonté de ta part.

 

— Ce n’est point mauvaise volonté, c’est l’ordre de mon père et de mes frères qui m’empêche de vous servir.

— Tu es bien obéissante aujourd’hui, Guillelmète ; dis-moi donc si c’est par ordre de ton père et de tes frères que tu vas le soir te promener dans les oseraies de la rive avec le Maure Ben-Oued.

— C’est un mensonge, dit Guillelmète ; je suis une fille chrétienne, et je suis ne point faite pour aimer un homme qui est de la couleur de Satan, dont il est sans doute un des suppôts.

— Bah ! bah ! fit Guy de Lévis, il n’est peut-être pas si noir qu’il est diable ; car il m’a semblé qu’un jour, après avoir lutté avec un de mes bons Bourguignons, la sueur qui coulait de son front emportait une bonne partie de sa noirceur, et je ne suis pas bien sûr de ne pas avoir vu un jour quelque peu de son teint de pain d’épice demeurer sur tes lèvres roses.

— Vous êtes toujours le même, sire Guy ; vous êtes tellement préoccupé d’amour pour la demoiselle de notre château, que vous voyez tout le monde amoureux.

— Et cela, reprit Guy, malgré la couleur sous laquelle se cache celui dont je te dirai le vrai nom, au risque que le vent l’emporte jusqu’au château, si tu ne viens pas chercher moi et ma suite.

— Vous seul, dit Guillelmète, et tout au plus un page et un écuyer avec vous.

— Va, va, dit Guy, la suite que j’amène n’est point de celles qui font peur aux jeunes filles, et peut-être trouveras-tu dans les bagages qui m’accompagnent telles choses qui te rendront plus gracieuse.

Le sire Guy de Lévis, celui qu’on appelait le maréchal de la Foi, était aussi renommé par sa libéralité que par sa bravoure ; et, soit qu’elle fût séduite par l’espoir de quelque riche présent, soit qu’elle craignît de voir divulguer le secret dont lui avait parlé le vaillant croisé de l’armée de Simon de Montfort, Guillelmète descendit de la tour, détacha le bac, et fut bientôt de l’autre côté de la rivière.

À peine la barque avait-elle tourné le bord, que le sieur Guy de Lévis s’élança près de Guillelmète et dit à un écuyer :

— Maintenant fais entrer ici les mulets et les marchands.

Un coup de croc vigoureusement donné par Guillelmète éloigna la barque du rivage, et elle lui dit :

— Non, messire, tous ces hommes n’entreront pas ; ce n’est point en si nombreuse compagnie que vous avez coutume de venir faire vos visites ; et nous, pauvres Provençaux, nous sommes trop habitués aux trahisons des Français pour que je consente à recevoir tous ces hommes et tous ces chevaux dans le bac.

— Hé ! Roland ! s’écria le sire de Lévis à un écuyer qui se tenait sur le rivage, jette dans la barque un des ballots qui chargent nos roussins, et que Guillelmète s’imagine cacher des armes dangereuses.

Roland exécuta ce que lui avait dit son maître, et Guy de Lévis, défaisant lui-même ce ballot avec la pointe de son poignard, lui montra qu’il était rempli de gants cousus d’or, d’écharpes de soie, d’étoffes de pourpre et de santal.

Pendant que la jeune fille, courbée sur le ballot, considérait attentivement ces ajustements splendides, Guy leva un moment le poignard sur elle comme s’il allait l’en frapper ; mais il s’arrêta au moment où elle se relevait, tenant une écharpe vermeille, en disant d’un ton dont la tristesse contrastait avec le plaisir qu’elle semblait éprouver à contempler ces parures :

— Oui, oui, ce sont là des armes dangereuses avec lesquelles vous avez obtenu dans ce château un accès que ne vous eussent jamais donné tous vos hommes d’armes et toutes vos machines de guerre ; oui, ce sera pour la comtesse Signis et pour sa fille Ermessinde des armes plus dangereuses que ne l’eussent été pour le vieux sire de Terride vos heaumes de Pavie et vos velours d’Utrecht.

Guy considéra un moment la jeune fille, et, lui prenant l’écharpe des mains, il lui dit avec un sourire flatteur :

— Ce n’est point lorsque nous les portons que ces armes sont dangereuses, c’est lorsqu’elles sont au cou d’une jeune fille aux yeux noirs et flamboyants comme les tiens.

En lui disant cela, il lui passa et lui noua l’écharpe autour du cou, tandis que Guillelmète répondait d’un air embarrassé, mais ravi :

— De pareilles parures ne sont pas faites pour une fille comme moi.

— Je prétends que tu la gardes, lui dit Guy de Lévis, en retenant les mains de la jeune fille, qui feignait de vouloir détacher l’écharpe.

Et tout aussitôt le chevalier, en saisissant les deux bouts, les tira violemment et serra le nœud autour du cou de la pauvre fille avec tant de rapidité, qu’elle ne put laisser échapper qu’un cri étouffé, et qu’au moment où elle portait les mains à son cou pour se débarrasser de cet horrible lien, Guy la précipita dans le torrent.

— Hâtons-nous maintenant, dit le chevalier aux hommes qui l’attendaient sur la rive, le passage est à nous.

Pendant que les mulets et les hommes entraient dans le bac, celui qu’on avait appelé Roland dit au sire de Lévis :

— En vérité, quand je vous ai vu lever le poignard sur cette jeune fille, j’ai craint que vous ne manquassiez au serment que vous avez fait à l’abbé de Saint-Maurice, de ne point répandre de sang pour entrer dans le château.

— Le saint légat Pierre de Bénévent m’eût absout de ce péché, si j’avais été forcé de le commettre, dit le chevalier ; mais un coup de poignard n’eût peut-être pas étouffé le cri d’alarme qu’eût pu jeter cette fille avant de mourir, et qui eût averti les archers de la poterne ; et, en agissant ainsi, j’ai assuré le succès de mon entreprise, et j’ai tenu ma parole.

— Dieu soit loué ! dit Roland en se signant, Dieu soit loué, qui vous a inspiré ce salutaire stratagème ; cela prouve qu’il protège toujours les efforts de ceux qui se sont dévoués à servir sa cause.

Ces paroles appelèrent un nuage de tristesse sur le front du chevalier, qui ne répondit point à son écuyer, mais qui sembla peu persuadé de la vérité de ses réflexions. Un moment après, ils touchèrent à l’autre rive du Llers, et, grâce à deux voyages rapidement faits, il y eut bientôt au pied du château une vingtaine de chevaux et autant d’hommes, qui commencèrent à gravir lentement le sentier étroit et difficile qui conduisait du chemin public à la poterne de l’enceinte extérieure de Terride.

III

Arrivés à la poterne du mur extérieur, le sire Guy de Lévis ne se présenta point d’abord seul comme il avait fait au bac, mais il ne demanda point à faire entrer ses hommes, et dit seulement au gardien :

— Crédo, voici une prise que j’apporte en offrande au château de Terride. Ce sont de riches parures et de bonnes étoffes que ces marchands aragonais portaient jusqu’à Toulouse, et dont la plus large part, quand les comtesses auront pris la plus riche, sera distribuée à tous ceux du château.

— Y a-t-il des pourpoints de buffle pour mettre sous nos armures ? dit celui qu’on avait appelé Crédo ; car les nôtres sont si bien usés, que l’acier nous tient à la peau.

— Il y a tout ce qui peut plaire à des hommes et à des femmes ; car j’ai déjà paré de ma plus belle écharpe la jolie Guillelmète, qui nous a fait passer le bac.

— Vous avez eu tort, sire chevalier, dit Crédo ; déjà cette jeune fille a assez de vanité de sa beauté pour ne pas lui donner celle qu’elle peut tirer de sa parure. Mais il m’importe peu qu’elle soit ce qu’elle voudra, depuis qu’elle s’est mise en amour avec ce Sarrazin qui habite ici.

— Je monte au château, dit le sire de Guy, et je vais envoyer, de la part du sire de Terride, l’ordre de laisser pénétrer ici mes hommes et leurs charges.

— C’est comme si je le tenais, dit Crédo ; vous allez le demander à la comtesse Signis, car depuis longtemps le comte ne donne plus d’ordre, et la comtesse le donnera dès qu’elle entendra parler de parures. Entrez donc tout de suite, et comme je suppose que vous et vos gens passerez la nuit au château, je vais baisser la herse et fermer la poterne.

Guy de Lévis demeura pour voir entrer tous ses équipages, et leur désigna lui-même une vaste grange isolée dans le préau où ils pourraient aller décharger les roussins et se reposer.

Au moment où la porte s’allait fermer derrière le dernier mulet, un homme se glissa rapidement, et ce ne fut que lorsqu’il fut dans l’intérieur que Crédo s’aperçut que c’était ce qu’on appelait en général un bourdonnier.

— Eh, quel est ce drôle ? s’écria Crédo ; est-ce un de vos gens, sire Guy, qui ose se présenter ici le bourdon au poing ? s’il est à vous, il ment à la trêve que vous avez conclue avec le sire de Terride, et qui dit que nul Français portant croix ou bourdon, ou aucun autre signe de la croisade, n’entrera au château ; s’il n’est pas à vous, ce que je crois, car sa robe trempée prouve qu’il a passé le torrent à la nage, et non avec votre compagnie, je vais lui prouver comment on reçoit ceux de son espèce dans ce château quand ils ne sont pas couverts par la trêve de leur seigneur.

— Je ne suis ni un Français ni un croisé, dit l’étranger, je suis un simple romieu (on appelait ainsi les pèlerins qui faisaient ou avaient fait le voyage de Rome).

— Viens-tu de la sainte ville ou bien y vas-tu ? dit le sire de Lévis avec une vivacité qui prouvait que pour lui la différence pouvait être grande.

— J’y vais, messire, dit le pèlerin.

— Alors qu’il entre, dit Guy de Lévis en s’éloignant pour gagner la partie du château habitée par le sire de Terride.

Pendant le temps que Crédo fermait la poterne, quelques archers avaient entouré le nouveau venu et lui demandaient des nouvelles des pays qu’il avait traversés. Le pèlerin sembla attendre que les hommes du sire de Lévis se fussent éloignés, et s’adressant à Crédo qui était venu se joindre à ses camarades, il leur dit alors :

— Il vous sied bien en vérité de vous enquérir des nouvelles du dehors, lorsque vous ignorez même celles qui sont enfermées dans ces murs.

— Nous ne les savons que trop, dit Crédo, nous savons très bien que cet impénétrable château, le seul peut-être de la Languedoc, qui ne fût pas tombé au pouvoir des croisés par les armes, leur va tomber en partage par le mariage.

» Oh ! damné soit le jour où le sire de Terride permit à la comtesse Signis et à sa fille d’aller à la cour d’amour de Saverdun, c’est là qu’elles ont vu le sire de Lévis et se sont prises d’amour pour les fêtes et les pas d’armes, les parures et les galanteries.

» Si tu nous veux dire que ce mariage est prochain, et que peut-être ce sont des présents de noces qui viennent d’entrer, nous le savons.

— Beaux présents de noces en effet, dit le pèlerin, et comme il convient qu’un traître en apporte à des lâches. Ce sont des casques, des cuirasses dont se revêtent les prétendus marchands que tu as reçus, Crédo.

— Dis-tu vrai ? s’écria celui-ci.

— Va écouter à la porte de leur grange, et tu entendras un murmure de fer.

— Trahison ! nous sommes perdus, dit Crédo.

— Depuis quand donc les Provençaux se disent-ils perdus lorsqu’ils tiennent enfermés leurs ennemis armés dans la même enceinte qu’eux ?

— Depuis qu’ils ne sont que six contre vingt, six couverts d’armures dont les courroies sont pourries et se détachent au premier coup d’épée.

— Eh bien, dit le pèlerin, mettez entre eux et vous des pierres et des portes, que les coups d’épée ne puissent détacher si aisément que vos armures, et puisque les loups tiennent les chiens enfermés, que les chiens enferment à leur tour le renard dans une autre cage, et nous verrons qui sera le maître.

» Et maintenant venez tous, si vous voulez savoir des nouvelles.

Aussitôt le pèlerin se mit à gravir l’allée de chênes qui menait à la première ligne de bâtiments ; il s’arrêta devant la porte de la chapelle, elle était déserte, la salle d’armes l’était également ; nul pas ne se faisait entendre dans les étages supérieurs.

— En êtes-vous là ? dit le pèlerin.

— Nous en sommes là, dit Crédo d’un air mortifié.

— Où en sont donc ceux de là-haut ? dit l’étranger d’un ton sombre.

Un ricanement de mauvais augure fut la seule réponse de Crédo.

Alors le pèlerin ferma derrière lui les portes et en assura les barres de fer.

Les archers voulurent s’y opposer, mais Crédo les arrêta en leur disant :

— Laissez faire, ou je me trompe fort, ou celui-là a le droit d’agir ainsi.

Pendant qu’il prenait ces précautions, Crédo vit briller sous sa large robe le bout d’une haute épée et les mailles d’une amure, et voulant vérifier le soupçon qu’il avait conçu, il s’approcha de lui pour lui parler ; mais le pèlerin, croyant qu’il voulait s’opposer à son dessein, l’arrêta par ces mots :

 

— N’aie pas peur, Crédo, nous n’avons pas affaire à des prêtres.

Celui-ci tressaillit à cette parole ; et pour qu’on puisse comprendre à quoi ce mot pouvait faire allusion, il est nécessaire de raconter la circonstance qui avait valu à cet homme le nom qu’il portait.

Plus de vingt ans avant le jour où commence cette histoire, cet homme appartenait comme serf à l’abbaye de Saint-Maurice, où il était chasseur et avait mérité le surnom de Tueur de loups. C’était l’époque où l’hérésie des parfaits et des insabbatés s’introduisait dans les campagnes.

Or Macrou (c’était le nom de cet homme), avait été accusé d’aller écouter dans les bois les prédications des sectaires vaudois. Mais ce n’était pas encore le temps où l’on procédait à l’extirpation de l’hérésie par le massacre et l’incendie, et l’abbé de Saint-Maurice fit comparaître Macrou devant lui. Ce fut pour le manant une horrible peur ; car on ne parlait pas moins que d’oubliettes toutes hérissées d’aciers tranchants et où on jetait les hérétiques.

Sur le conseil d’un jongleur, le pauvre Macrou, qui se voyait déjà enfermé dans les profonds cachots du couvent, renferma toute sa défense en un mot, et ce mot était Credo.

Ainsi, quand l’abbé lui demanda s’il croyait aux doctrines des parfaits :

— Credo, répondit Macrou.

— Tu ne crois donc pas à la sainte Trinité ?

— Credo fut la réponse de Macrou.

Et il n’en fit aucune autre, soit qu’on l’interrogeât dans un sens ou dans un autre, sur la vérité du catholicisme ou sur les erreurs de l’hérésie.

Enfin, le prieur, qui s’était chargé de l’interroger, outré de cette façon de répondre, lui dit d’une voix de tonnerre :

— Tu crois donc parler à un imbécile !

— Credo, repartit Macrou.

L’abbé, comme le dit la chronique, était plus gabeur que dévot, et il détestait sincèrement son prieur qui tâchait à le pousser dehors pour prendre sa place.

À cette réponse il éclata de rire, et tous les moines en firent autant, tandis que l’abbé s’écriait :

— Cet homme croit aux vraies vérités ; qu’on le laisse libre.

Le nom de Crédo en resta à Macrou ; mais comme il savait que la haine du prieur ne lui pardonnerait jamais la gaieté qu’il avait excitée, il quitta clandestinement les terres des moines, et se rendit au sire de Terride.

Ce fut l’occasion d’un procès célèbre, dans lequel les moines gagnèrent, par jugement de l’archevêque de Narbonne, le droit de faire la culture du raisin blanc dans les vignes du coteau de Terride, qui était le plus renommé du pays.

On fut étonné de ne pas voir le sire de Terride appeler de ce jugement, qui lui enlevait une si large part d’un de ses meilleurs revenus. Mais on comprit bientôt son obéissance ; car l’année d’ensuite il fit arracher tous les ceps blancs, et les fit remplacer par du raisin noir, ce à quoi les moines n’eurent rien à dire, le cas n’ayant pas été prévu.

Ces circonstances, indépendamment de la force et du courage de Crédo, avaient donné dans le pays un certain renom à cet homme ; et s’il était étonné de l’allusion faite par l’étranger à la peur qu’il avait éprouvée, c’est que ce mot lui avait souvent été adressé par quelqu’un dont le souvenir était depuis longtemps oublié dans ce pays, lorsque celui-là voulait l’entraîner à quelque joyeuse escapade.

Cependant ils arrivèrent tous, suivant le pèlerin, jusqu’à l’entrée du manoir.

Pour que nos lecteurs puissent comprendre la scène qui s’y passa, il est nécessaire de leur expliquer comment était disposée la salle où entra le pèlerin.

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