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Histoire de la Guerre de Trente Ans

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Un profond silence régnait dans Prague, quand les Saxons parurent le lendemain devant ses murs. Nuls préparatifs de défense; pas un coup de canon tiré des remparts, qui annonçât quelque résistance des habitants. Les troupes se virent au contraire entourées d'une foule de spectateurs, que la curiosité avait attirés hors de la ville pour considérer l'armée saxonne, et la paisible familiarité avec laquelle ils s'approchaient ressemblait beaucoup plus à une salutation amicale qu'à une réception ennemie. Par le rapport unanime de ces gens, on apprit que la ville était dégarnie de soldats et que le gouvernement s'était enfui à Budweiss. Ce défaut de résistance, inattendu, inexplicable, excita d'autant plus la défiance d'Arnheim, que l'approche rapide des secours de Silésie n'était pas un secret pour lui, et que l'armée saxonne était trop peu pourvue de matériel de siége et beaucoup trop faible en nombre pour assaillir une si grande ville. Craignant une embuscade, il redoublait de vigilance, et il flotta dans cette crainte, jusqu'au moment où le maître d'hôtel du duc de Friedland, qu'il découvrit dans la foule, lui confirma cette incroyable nouvelle. «La ville est à nous sans coup férir,» s'écria-t-il alors, au comble de l'étonnement, en s'adressant à ses officiers, et, sur-le-champ, il la fit sommer par un trompette.

La bourgeoisie de Prague, honteusement délaissée par ses défenseurs, avait pris depuis longtemps sa résolution, et il ne s'agissait plus que de garantir la liberté et la propriété par une capitulation avantageuse. Aussitôt qu'elle fut signée par le général saxon, au nom de son maître, on lui ouvrit les portes sans résistance, et, le 11 novembre 1631, l'armée fit son entrée triomphante. L'électeur lui-même arriva bientôt après, pour recevoir en personne l'hommage de ses nouveaux protégés, car c'était seulement à ce titre que les trois villes de Prague s'étaient rendues à lui: leur union avec la monarchie autrichienne ne devait pas être rompue par cette soumission. Autant les catholiques avaient redouté avec excès les représailles des Saxons, autant la modération de l'électeur et la bonne discipline des troupes les surprirent agréablement. Dans cette occasion, le feld-maréchal d'Arnheim fit paraître d'une façon toute particulière son dévouement au duc de Friedland. Non content d'avoir épargné dans la marche toutes ses propriétés, il mit encore des gardes à son palais, afin que rien n'en fût détourné. Les catholiques de la ville jouirent de la plus complète liberté de conscience, et, de toutes les églises qu'ils avaient enlevées aux protestants, quatre seulement furent rendues à ces derniers. Les jésuites seuls, à qui la voix publique imputait toutes les persécutions souffertes, furent exclus de cette tolérance et durent s'éloigner du royaume.

Jean-Georges, même victorieux, ne démentit pas l'humble soumission que lui inspirait le nom de l'empereur, et ce qu'un général, comme Tilly ou Wallenstein, se serait permis infailliblement contre lui à Dresde, il s'en abstint à Prague contre Ferdinand. Il distingua soigneusement l'ennemi, auquel il faisait la guerre, du chef de l'Empire, auquel il devait le respect. Il s'interdit de toucher aux meubles de celui-ci, tandis qu'il s'appropriait sans scrupule, comme étant de bonne prise, les canons de celui-là et les faisait emmener à Dresde. Il ne prit point son logement dans le palais impérial, mais à l'hôtel de Lichtenstein: trop discret pour occuper les appartements de celui à qui il enlevait un royaume. Si ce trait nous était rapporté d'un grand homme et d'un héros, il nous transporterait, à juste titre, d'admiration. Le caractère du prince chez qui nous le rencontrons nous autorise à douter si nous devons honorer, dans cette retenue, la belle victoire de la modestie, ou plutôt compatir à la pusillanimité de l'esprit faible, que le succès même n'enhardit point et que la liberté ne peut affranchir de ses chaînes accoutumées.

La prise de Prague, que suivit bientôt la soumission de la plupart des villes, produisit dans le royaume un grand et rapide changement. Beaucoup de nobles protestants, qui avaient erré jusqu'alors en proie à la misère, reparurent dans leur patrie, et le comte de Thurn, le fameux auteur de la révolte de Bohême, eut la gloire, avant sa mort, de se montrer en vainqueur sur l'ancien théâtre de son crime et de sa condamnation. Il fit son entrée triomphale par le même pont où les têtes de ses partisans, placées sur des piques, offraient à ses yeux l'affreux spectacle du sort qui l'avait menacé lui-même, et son premier soin fut d'éloigner ces objets sinistres. Les exilés se mirent aussitôt en possession de leurs biens, dont les propriétaires actuels avaient pris la fuite. Sans s'inquiéter de savoir qui rembourserait à ceux-ci les sommes qu'ils avaient dépensées, les anciens maîtres reprirent tout ce qui leur avait appartenu, même ceux qui avaient touché le prix de la vente; et plusieurs d'entre eux eurent lieu de louer la bonne administration des précédents régisseurs. Dans l'intervalle, les champs et les troupeaux avaient parfaitement fructifié dans la seconde main. Les meubles les plus précieux décoraient les appartements; les caves, qu'ils avaient laissées vides, étaient richement fournies, les écuries peuplées, les magasins remplis. Mais, se défiant d'un bonheur qui fondait sur eux d'une manière si imprévue, ils se hâtèrent de revendre ces possessions incertaines et de changer en biens meubles leur richesse immobilière.

La présence des Saxons ranima le courage de tout ce qui dans le royaume avait le cœur protestant, et, dans les campagnes, comme dans la capitale, on voyait la foule courir aux églises évangéliques, nouvellement ouvertes. Un grand nombre, que la crainte avait seule maintenus dans l'obéissance au pape, s'attachèrent alors publiquement à la nouvelle doctrine, et plusieurs catholiques récemment convertis abjurèrent avec joie une confession forcée pour suivre leur ancienne croyance. Toute la tolérance que montrait le nouveau gouvernement ne put empêcher l'explosion de l'indignation légitime, que ce peuple persécuté fit sentir aux oppresseurs de sa liberté la plus sainte. Il fit un usage terrible de ses droits reconquis, et, dans plusieurs lieux, sa haine d'une religion imposée par la force ne put s'éteindre que dans le sang de ceux qui l'avaient prêchée.

Cependant, les secours que les généraux de l'empereur, Gœtz et Tiefenbach, amenaient de Silésie, étaient arrivés en Bohême, où quelques régiments du comte Tilly vinrent les joindre du haut Palatinat. Pour dissiper ces forces, avant qu'elles eussent le temps de s'accroître, Arnheim marcha de Prague contre elles avec une partie de l'armée et attaqua courageusement leurs lignes près de Nimbourg, sur l'Elbe. Après un combat fort animé, il délogea enfin les ennemis, non sans perdre beaucoup de monde, de leur camp fortifié, et, par la violence de son feu, il les contraignit de repasser l'Elbe et de couper le pont qui les avait amenés sur l'autre rive. Mais il ne put empêcher les Impériaux de lui faire éprouver des pertes dans plusieurs petites rencontres, ni les Croates de pousser leurs courses jusqu'aux portes de Prague. Quoi qu'on pût se promettre de ce brillant début de la campagne des Saxons en Bohême, la suite ne justifia nullement l'attente de Gustave-Adolphe. Au lieu de poursuivre avec une force irrésistible les avantages obtenus, de s'ouvrir, à travers la Bohême vaincue, un chemin jusqu'à l'armée suédoise, et d'attaquer, de concert avec elle, le centre de la puissance impériale, ils s'affaiblirent dans une petite guerre continuelle, où l'avantage ne fut pas toujours de leur côté, et perdirent sans fruit le temps que réclamait une plus grande entreprise. Mais la conduite ultérieure de Jean-Georges découvrit les motifs qui l'avaient empêché de mettre à profit ses avantages contre l'empereur et de seconder par une opportune activité les projets du roi de Suède.

La plus grande partie de la Bohême était maintenant perdue pour l'empereur, et les Saxons étaient, de ce côté, en marche sur l'Autriche, tandis que Gustave-Adolphe s'ouvrait un chemin à travers la Franconie, la Souabe et la Bavière, vers les provinces héréditaires de Ferdinand. Une longue guerre avait consumé la puissance de la monarchie autrichienne, épuisé ses domaines, diminué ses armées. Elle n'était plus, la gloire de ses triomphes, la confiance en ses forces invincibles, la subordination, cette bonne discipline des troupes, qui donnait en campagne au général suédois son adversaire une supériorité si décidée. Les alliés de l'empereur étaient désarmés, ou le danger qui les assaillait eux-mêmes avait ébranlé leur fidélité. Maximilien de Bavière, le plus puissant soutien de l'Autriche, semblait céder, lui aussi, aux séduisantes invitations à la neutralité; l'alliance suspecte de ce prince avec la France avait depuis longtemps rempli d'alarmes l'empereur. Les évêques de Würtzbourg et de Bamberg, l'électeur de Mayence, le duc de Lorraine, étaient chassés de leurs États, ou du moins dangereusement menacés; Trèves était sur le point de se mettre sous la protection française. La vaillance des Hollandais occupait, dans les Pays-Bas, les armes de l'Espagne, tandis que Gustave-Adolphe les repoussait du Rhin; la Pologne était encore enchaînée par sa trêve avec lui. Ragotzy, prince de Transylvanie, successeur de Bethlen Gabor et héritier de son esprit turbulent, menaçait les frontières de la Hongrie. La Porte elle-même faisait d'inquiétants préparatifs, afin de profiter du moment favorable. La plupart des membres protestants de l'Empire, enhardis par les victoires de leur défenseur, avaient pris ouvertement et activement parti contre l'empereur. Toutes les ressources, que l'insolence d'un Tilly ou d'un Wallenstein s'était créées dans ces contrées par de violentes extorsions, étaient désormais taries; toutes ces places de recrutement, ces magasins, ces lieux de refuge, étaient perdus pour l'empereur, et la guerre ne pouvait plus, comme auparavant, se soutenir aux dépens d'autrui. Pour achever sa détresse, une dangereuse révolte éclate dans le pays au-dessus de l'Ens; le prosélytisme inopportun du gouvernement arme les paysans protestants, et le fanatisme agite ses torches, tandis que l'ennemi assiége déjà les portes de l'Empire. Après une si longue prospérité, après une si brillante suite de victoires, après de si magnifiques conquêtes, après tant de sang inutilement répandu, le monarque d'Autriche se voit, pour la deuxième fois, poussé vers le même abîme où il semblait près de s'engloutir au début de son règne. Si la Bavière embrassait la neutralité, si l'électeur de Saxe résistait aux séductions, et si la France se décidait à attaquer la puissance espagnole à la fois dans les Pays-Bas, en Italie et en Catalogne, le pompeux édifice de la grandeur autrichienne s'écroulait; les couronnes alliées se partageaient ses dépouilles, et le corps politique de l'Allemagne se voyait à la veille d'une complète révolution.

 

Tout l'enchaînement de ces malheurs commença avec la bataille de Breitenfeld, dont l'issue malheureuse rendit manifeste la décadence, depuis longtemps décidée, de la puissance autrichienne que l'éclat prestigieux d'un grand nom avait seul dissimulée. Si l'on remontait aux causes qui donnaient aux armes des Suédois une si redoutable supériorité, on les trouvait surtout dans le pouvoir illimité de leur chef, qui réunissait en un seul point toutes les forces de son parti, et, n'étant gêné dans ses entreprises par aucune autorité supérieure, maître absolu de chaque moment favorable, faisait servir tous les moyens à son but et ne recevait de lois que de lui-même. Mais, depuis la destitution de Wallenstein et la défaite de Tilly, on voyait du côté de l'empereur et de la Ligue absolument tout le contraire. Les généraux manquaient d'autorité sur les troupes et de la liberté d'action si nécessaire; les soldats manquaient d'obéissance et de discipline, les corps détachés d'ensemble dans leurs opérations, les membres de l'Empire de bonne volonté, les chefs de concorde, de promptitude dans les résolutions et de fermeté dans l'exécution. Ce ne fut pas leur puissance supérieure, ce fut seulement l'usage mieux entendu qu'ils firent de leurs forces qui donna aux ennemis de l'empereur une si décisive prépondérance. La Ligue et l'empereur ne manquaient pas de ressources, mais seulement d'un homme qui eût le talent et le pouvoir de les employer. Lors même que Tilly n'eût jamais perdu sa gloire, la défiance qu'inspirait la Bavière ne permettait pas, cependant, de remettre le sort de la monarchie dans les mains d'un homme qui ne dissimula jamais son attachement pour la maison de Bavière. Le plus pressant besoin de Ferdinand était donc un général qui eût assez d'expérience pour former et conduire une armée et qui consacrât ses services à l'Autriche avec un aveugle dévouement.

C'était le choix de ce général qui occupait maintenant le conseil secret de l'empereur et qui en divisait les membres. Pour opposer un roi à un roi, et pour enflammer le courage des troupes par la présence de leur maître, Ferdinand, dans le premier feu de la passion, s'offrait à commander lui-même son armée; mais il n'était pas difficile de renverser une résolution que le seul désespoir inspirait et que faisait tomber un instant de tranquille réflexion. Ce que défendait à l'empereur sa dignité et le fardeau du gouvernement, les circonstances le permettaient à son fils, jeune homme capable et courageux, sur qui les sujets autrichiens portaient leurs regards avec une joyeuse espérance. Appelé par sa naissance même à défendre une monarchie dont il portait déjà deux couronnes, Ferdinand III, roi de Bohême et de Hongrie, unissait à la dignité naturelle d'héritier présomptif l'estime des armées et tout l'amour des peuples, dont l'assistance lui était si indispensable pour la conduite de la guerre. Le souverain futur, cher à la nation, pouvait seul hasarder d'imposer de nouvelles charges à des sujets accablés; il semblait qu'il fût seul capable, par sa présence au milieu de l'armée, d'étouffer la funeste jalousie des chefs et de ramener, par le pouvoir de son nom, à l'ancienne rigueur la discipline relâchée. Si le jeune homme manquait encore de cette indispensable maturité de jugement, de cette prudence, de cette connaissance de la guerre, qui ne s'acquiert que par l'usage, on pouvait suppléer à ce défaut par un bon choix de conseillers et d'auxiliaires, revêtus, sous son nom, de l'autorité la plus étendue.

Autant étaient spécieux les motifs par lesquels une partie des ministres soutenait cette proposition, aussi grandes étaient les difficultés qu'y opposait la défiance, peut-être aussi la jalousie de l'empereur, et l'état désespéré des affaires. Combien n'était-il pas périlleux de confier le sort de la monarchie tout entière à un jeune homme qui avait lui-même un si grand besoin de guides étrangers! Quelle témérité d'opposer au plus grand général du siècle un débutant, qui n'avait prouvé encore par aucune entreprise qu'il fût capable de remplir ce poste important; dont le nom, que jamais encore la gloire n'avait proclamé, était beaucoup trop faible pour garantir d'avance la victoire aux troupes découragées! Quelle nouvelle charge encore, pour le sujet, d'entretenir l'état somptueux qui convenait à un général couronné, état que les préjugés de l'époque rendaient inséparable de sa présence aux armées! Quel danger enfin pour le prince lui-même d'ouvrir sa carrière politique par un office qui le rendait le fléau de son peuple et l'oppresseur des pays sur lesquels il devait régner un jour!

D'ailleurs, il ne suffisait pas de chercher un général pour l'armée, il fallait aussi trouver une armée pour le général. Depuis la déposition de Wallenstein, l'empereur s'était défendu avec le secours de la Ligue et de la Bavière plus qu'avec ses propres forces, et c'est précisément à cette dépendance d'amis équivoques qu'on voulait se dérober par la création d'un général à soi. Mais, sans la force toute-puissante de l'or et sans le nom magique d'un chef victorieux, était-il possible de faire sortir une armée qui pût rivaliser en discipline, en esprit belliqueux, en habileté, avec les bandes aguerries du conquérant suédois? Dans l'Europe entière, il n'y avait qu'un seul homme qui eût accompli un tel prodige, et cet homme unique, on lui avait fait un mortel affront.

Enfin le moment était venu, qui offrait à l'orgueil offensé de Friedland une satisfaction sans égale. Le sort s'était lui-même déclaré son vengeur, et une suite non interrompue de revers, qui avait fondu sur l'Autriche depuis le jour de sa destitution, avait arraché à l'empereur lui-même l'aveu que, en lui ôtant ce général, on lui avait coupé son bras droit. Chaque défaite de ses troupes rouvrait cette blessure; chaque place perdue reprochait au monarque trompé sa faiblesse et son ingratitude: heureux encore s'il n'avait fait que perdre dans le général offensé un chef pour ses armées, un défenseur pour ses États! mais il trouvait en lui un ennemi, et le plus dangereux de tous, parce que c'était contre l'atteinte d'un traître qu'il était le moins défendu.

Éloigné du théâtre de la guerre, et condamné à une oisiveté qui faisait son supplice, tandis que ses rivaux cueillaient des lauriers dans le champ de la gloire, l'orgueilleux Friedland avait contemplé les révolutions de la fortune avec une feinte insouciance, et caché sous le faste éblouissant d'un héros de théâtre les sombres projets de son esprit toujours en travail. Dévoré par une passion brûlante, tandis que son visage serein feignait le calme et le repos, il mûrissait en silence ses terribles desseins, enfants de la vengeance et de l'ambition, et s'approchait lentement, mais sûrement, de son but. Tout ce qu'il était devenu grâce à l'empereur était effacé de son souvenir; ce qu'il avait fait pour l'empereur était seul gravé en traits de feu dans sa mémoire. Dans sa soif inextinguible de grandeur et de puissance, il était charmé de trouver chez Ferdinand une ingratitude qui semblait annuler sa dette et l'affranchir de toute obligation envers l'auteur de sa fortune. Les projets de son ambition lui paraissaient maintenant excusés et justifiés: ils prenaient l'apparence d'une légitime représaille. Autant se resserrait le cercle de son activité extérieure, autant s'agrandissait le monde de ses espérances, et son imagination exaltée s'égarait dans des projets immenses, que, dans toute autre tête que la sienne, le seul délire eût pu enfanter. Son mérite l'avait porté aussi haut que l'homme se puisse élever par ses propres forces. La fortune ne lui avait rien refusé de tout ce qu'un particulier et un citoyen peut atteindre sans sortir des limites du devoir. Jusqu'au moment de sa destitution, ses prétentions n'avaient éprouvé aucune résistance, son ambition n'avait rencontré aucune limite; le coup qui le terrassa, à la diète de Ratisbonne, lui montra la différence de la puissance propre et originelle à la puissance déléguée, et la distance du sujet au souverain. Arraché par cette catastrophe imprévue à l'ivresse de sa grandeur dominatrice, il compara le pouvoir qu'il avait possédé avec celui par lequel on lui avait ravi le sien, et son ambition observa le degré qu'il avait encore à franchir sur l'échelle de la fortune. Ce fut seulement lorsqu'il eut senti, avec une douloureuse réalité, le poids de l'autorité suprême, qu'il étendit vers elle ses mains avides: la spoliation qu'on lui avait fait éprouver le rendit spoliateur. Si aucune offense ne l'avait provoqué, il aurait décrit docilement son orbite autour de la majesté du trône, satisfait de la gloire d'être son plus brillant satellite: ce ne fut qu'après avoir été poussé violemment hors de sa carrière, qu'il troubla le système auquel il appartenait et se précipita sur son soleil pour l'écraser.

Gustave-Adolphe poursuivait sa marche victorieuse dans le nord de l'Allemagne; les places tombaient l'une après l'autre en son pouvoir, et l'élite des forces impériales venait de succomber près de Leipzig. Le bruit de ces défaites parvint bientôt aux oreilles de Wallenstein, qui, plongé à Prague dans l'obscurité de la vie privée, contemplait de loin paisiblement les tempêtes de la guerre. Ce qui remplissait d'alarmes le cœur de tous les catholiques lui présageait, à lui, fortune et grandeur; pour lui seul travaillait Gustave-Adolphe. Dès qu'il vit que ce monarque commençait à se faire respecter par ses exploits, le duc de Friedland ne perdit pas un moment pour rechercher son amitié et faire cause commune avec cet heureux ennemi de l'Autriche. Le comte de Thurn exilé, qui avait depuis longtemps consacré ses services au roi de Suède, se chargea de lui présenter les félicitations de Wallenstein et de lui proposer avec le duc une étroite alliance. Wallenstein lui demandait quinze mille hommes, et, avec ce secours, joint aux troupes qu'il s'engageait à lever lui-même, il voulait conquérir la Bohême et la Moravie, surprendre Vienne et chasser jusqu'en Italie l'empereur son maître. Quoique l'étrangeté de cette proposition et l'exagération de ces promesses excitassent vivement la défiance de Gustave-Adolphe, il se connaissait trop bien en mérite pour repousser froidement un ami de cette importance. Mais, lorsque Wallenstein, encouragé par le favorable accueil fait à cette première tentative, renouvela sa proposition après la bataille de Breitenfeld et réclama une déclaration positive, le prudent monarque jugea périlleux de compromettre sa gloire avec les chimériques projets de cet esprit téméraire, et de confier un si grand nombre de soldats à la loyauté d'un homme qui s'annonçait comme un traître. Il s'excusa sur la faiblesse de son armée, qui souffrirait dans ses expéditions en Allemagne par une si forte réduction, et il manqua peut-être, par une trop grande prudence, l'occasion de terminer la guerre au plus vite. Dans la suite, il essaya, mais trop tard, de renouer les négociations rompues; le moment favorable était passé, et l'orgueil de Wallenstein ne lui pardonna jamais ce dédain.

Mais ce refus du roi ne fit vraisemblablement que hâter la rupture que la trempe de ces deux caractères rendait inévitable. Nés l'un et l'autre pour donner des lois et non pour en recevoir, ils n'auraient jamais pu rester unis dans une entreprise qui exigeait plus que toute autre de la condescendance et des sacrifices réciproques. Wallenstein n'était rien lorsqu'il n'était pas tout. Il fallait ou qu'il n'agît point du tout, ou qu'il agît avec une liberté absolue. Gustave-Adolphe avait une haine non moins sincère pour tout assujettissement, et peu s'en fallut qu'il ne rompît sa liaison si avantageuse avec la cour de France, parce que les prétentions de cette puissance enchaînaient son génie indépendant. L'un était perdu pour un parti qu'il n'eût pu diriger, l'autre était bien moins fait encore pour se laisser mener à la lisière. Les prétentions impérieuses de cet allié, déjà si importunes au duc de Friedland dans leurs opérations communes, lui seraient devenues insupportables lorsqu'il aurait fallu partager les dépouilles. Le fier monarque pouvait descendre à recevoir contre l'empereur l'appui d'un sujet rebelle, et récompenser ce service important avec une générosité royale; mais il ne pouvait jamais perdre de vue sa propre majesté et celle de tous les rois, jusqu'à garantir le prix que l'ambition effrénée de Friedland osait mettre à ses secours; jamais il n'aurait payé d'une couronne une profitable trahison. Ainsi donc, l'Europe entière eût-elle gardé le silence, du moment que Wallenstein portait la main sur le sceptre de Bohême, il devait rencontrer une opposition redoutable chez Gustave-Adolphe, l'homme de toute l'Europe qui pouvait d'ailleurs le mieux donner force à un pareil veto. Une fois devenu dictateur de l'Allemagne par le secours de Wallenstein, il pouvait tourner aussi ses armes contre cet auxiliaire même et se tenir pour affranchi envers un traître de tous les devoirs de la reconnaissance. Auprès d'un tel allié, il n'y avait donc pas de place pour Wallenstein; et vraisemblablement c'est à cela qu'il faisait allusion, et non à ses vues supposées sur le trône impérial, lorsqu'il s'écria, après la mort du roi: «C'est un bonheur pour moi et pour lui qu'il ne soit plus. C'était trop pour l'Empire d'Allemagne de deux chefs comme nous.»

 

Son premier essai de vengeance contre la maison d'Autriche avait échoué; mais sa résolution était inébranlable, et le changement ne porta que sur le choix des moyens. Ce qui ne lui avait pas réussi auprès du roi de Suède, il espéra l'obtenir, avec moins de difficulté et plus d'avantages, de l'électeur de Saxe: il était sûr de le mener à son gré, tout autant qu'il désespérait de gouverner Gustave-Adolphe. Sans cesse en communication avec Arnheim, son ancien ami, il travailla dès ce moment à une alliance avec la Saxe, par laquelle il espérait se rendre également redoutable à l'empereur et au roi de Suède. Il pouvait se promettre qu'un projet dont la réussite enlèverait au monarque suédois son influence en Allemagne, trouverait auprès de Jean-Georges un accès d'autant plus facile que le caractère jaloux de ce prince était irrité du pouvoir de Gustave-Adolphe, et que son affection, d'ailleurs faible pour lui, était bien refroidie par l'accroissement des prétentions du roi. Si Wallenstein réussissait à séparer la Saxe de l'alliance suédoise et à former avec elle un troisième parti dans l'Empire, l'issue de la guerre était dans sa main, et, du même coup, il tirait vengeance de l'empereur, il punissait le roi de Suède d'avoir dédaigné son amitié, et il fondait sur la ruine de tous deux l'édifice de sa propre grandeur.

Mais, par quelque chemin qu'il poursuivît son but, il ne pouvait réussir à l'atteindre sans l'appui d'une armée qui lui fût entièrement dévouée. Cette armée ne pouvait être levée si secrètement que la cour impériale ne conçût des soupçons et que le projet ne fût déjoué dès sa naissance. Cette armée ne devait pas connaître avant le temps sa destination criminelle, car il était difficile d'espérer qu'elle voulût obéir à l'appel d'un traître et servir contre son légitime souverain. Il fallait donc que Wallenstein fît ses levées publiquement, sous l'autorité impériale, et qu'il reçût légalement, de l'empereur lui-même, un pouvoir illimité sur ces troupes. Mais cela pouvait-il se faire, à moins qu'on ne lui restituât le généralat dont on l'avait dépouillé et qu'on ne lui remît, d'une manière absolue, la conduite de la guerre? Cependant, ni son orgueil ni son intérêt ne lui permettaient de se pousser lui-même à ce poste et de solliciter, comme un suppliant, de la faveur impériale, une autorité limitée, quand il s'agissait de l'arracher illimitée à la frayeur du monarque. Pour pouvoir dicter les conditions auxquelles il se chargerait du commandement, il fallait qu'il attendît que son maître le pressât de l'accepter. C'était le conseil que lui donnait Arnheim, et ce fut le but qu'il poursuivit avec une profonde politique et une infatigable activité.

Persuadé que l'extrême nécessité pourrait seule vaincre l'irrésolution de l'empereur, et rendre impuissante l'opposition de la Bavière et de l'Espagne, ses deux plus ardents adversaires, il s'appliqua dès lors à favoriser les progrès de l'ennemi et à augmenter la détresse de son maître. Ce fut très-probablement sur son invitation et par ses encouragements que les Saxons, déjà en marche pour la Lusace et la Silésie, se tournèrent vers la Bohême et inondèrent de leurs troupes ce pays sans défense; les rapides conquêtes qu'ils y firent ne furent pas moins son ouvrage. Par ses craintes affectées, il étouffa toute pensée de résistance, et, par sa retraite précipitée, livra la capitale au vainqueur. Dans une conférence qu'il eut avec le général saxon, à Kaunitz, et dont une négociation de paix lui fournit le prétexte, il mit vraisemblablement le sceau à la conjuration, et la conquête de la Bohême fut le premier fruit de cette entrevue. En même temps qu'il concourait de tout son pouvoir à accumuler les malheurs sur l'Autriche, et qu'il y était puissamment secondé par les rapides progrès des Suédois sur le Rhin, il faisait retentir, à Vienne, par la voix de ses partisans volontaires ou achetés, les plaintes les plus violentes sur les malheurs publics; il faisait représenter la destitution de l'ancien général comme la seule cause des revers. «Wallenstein n'eût pas laissé les choses en venir là, s'il fût resté au timon,» s'écriaient alors mille voix, et, même dans le conseil secret de l'empereur, cette opinion trouvait de zélés partisans.

Il n'était pas besoin de leurs assauts répétés pour ouvrir les yeux du malheureux monarque sur les mérites de son général et sur l'imprudence commise. Sa dépendance de la Ligue et de la Bavière lui avait été bientôt insupportable; mais cette dépendance même ne lui avait pas permis de montrer sa défiance et d'irriter l'électeur en rappelant le duc de Friedland. Mais, à présent que le danger croissait de jour en jour, et que la faiblesse de l'assistance bavaroise devenait toujours plus visible, il n'hésita pas plus longtemps à prêter l'oreille aux amis de Wallenstein et à peser mûrement leurs propositions relatives au rappel de ce général. Les immenses richesses qu'il possédait, la considération générale dont il jouissait, la rapidité avec laquelle, six années auparavant, il avait mis en campagne une armée de quarante mille hommes, la faible dépense avec laquelle il avait entretenu des troupes si nombreuses, ses exploits à la tête de cette armée, enfin le zèle et la fidélité, qu'il avait montrés pour la gloire de l'empereur, étaient toujours présents à la pensée du monarque et lui représentaient le duc comme l'instrument le plus propre à rétablir l'équilibre des armes entre les puissances belligérantes, à sauver l'Autriche et à maintenir debout la religion catholique. Si vivement que l'orgueil impérial sentît l'humiliation de faire l'aveu si peu équivoque de la précipitation passée et de la détresse présente; si douloureux qu'il fût pour Ferdinand d'abaisser aux prières la hauteur de sa dignité souveraine; quelque suspecte que fût la fidélité d'un homme si grièvement offensé et si implacable; enfin si hautement et si énergiquement que les ministres espagnols et l'électeur de Bavière fissent connaître leur mécontentement de cette démarche: l'urgente nécessité triompha de toute autre considération, et les amis du duc furent chargés de sonder ses dispositions et de lui faire entrevoir de loin la possibilité de son rétablissement.

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