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Le mystère de la chambre jaune

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XVIII
Rouletabille a dessiné un cercle entre les deux bosses de son front

Extrait du carnet de Joseph Rouletabille (suite).

Nous nous quittâmes sur le seuil de nos chambres après une mélancolique poignée de mains. Jétais heureux davoir fait naître quelque soupçon de son erreur dans cette cervelle originale, extrêmement intelligente, mais antiméthodique. Je ne me couchai point. Jattendis le petit jour et je descendis devant le château. Jen fis le tour en examinant toutes les traces qui pouvaient en venir ou y aboutir. Mais elles étaient si mêlées et si confuses que je ne pus rien en tirer. Du reste, je tiens ici à faire remarquer que je nai point coutume dattacher une importance exagérée aux signes extérieurs que laisse le passage dun crime. Cette méthode, qui consiste à conclure au criminel daprès les traces de pas, est tout à fait primitive. Il y a beaucoup de traces de pas qui sont identiques, et cest tout juste sil faut leur demander une première indication quon ne saurait, en aucun cas, considérer comme une preuve.

Quoi quil en soit, dans le grand désarroi de mon esprit, je men étais donc allé dans la cour dhonneur et métais penché sur les traces, sur toutes les traces qui étaient là, leur demandant cette première indication dont javais tant besoin pour maccrocher à quelque chose de «raisonnable», à quelque chose qui me permît de «raisonner» sur les événements de la «galerie inexplicable». Comment raisonner? … Comment raisonner?

… Ah! raisonner par le bon bout! Je massieds, désespéré, sur une pierre de la cour dhonneur déserte… Quest-ce que je fais, depuis plus dune heure, sinon la plus basse besogne du plus ordinaire policier… Je vais quérir lerreur comme le premier inspecteur venu, sur la trace de quelques pas «qui me feront dire ce quils voudront»!

Je me trouve plus abject, plus bas dans léchelle des intelligences que ces agents de la Sûreté imaginés par les romanciers modernes, agents qui ont acquis leur méthode dans la lecture des romans dEdgar Poe ou de Conan Doyle. Ah! Agents littéraires… qui bâtissez des montagnes de stupidité avec un pas sur le sable, avec le dessin dune main sur le mur! «À toi, Frédéric Larsan, à toi, lagent littéraire! … Tu as trop lu Conan Doyle, mon vieux! … Sherlock Holmes te fera faire des bêtises, des bêtises de raisonnement plus énormes que celles quon lit dans les livres… Elles te feront arrêter un innocent… Avec ta méthode à la Conan Doyle, tu as su convaincre le juge dinstruction, le chef de la Sûreté… tout le monde… Tu attends une dernière preuve… une dernière! … Dis donc une première, malheureux! … «Tout ce que vous offrent les sens ne saurait être une preuve…» Moi aussi, je me suis penché sur «les traces sensibles», mais pour leur demander uniquement dentrer dans le cercle quavait dessiné ma raison. Ah! bien des fois, le cercle fut si étroit, si étroit… Mais si étroit était-il, il était immense, «puisquil ne contenait que de la vérité»! … Oui, oui, je le jure, les traces sensibles nont jamais été que mes servantes… elles nont point été mes maîtresses… Elles nont point fait de moi cette chose monstrueuse, plus terrible quun homme sans yeux: un homme qui voit mal! Et voilà pourquoi je triompherai de ton erreur et de ta cogitation animale, ô Frédéric Larsan!»

Eh quoi! eh quoi! parce que, pour la première fois, cette nuit, dans la galerie inexplicable, il sest produit un événement qui «semble» ne point rentrer dans le cercle tracé par ma raison, voilà que je divague, voilà que je me penche, le nez sur la terre, comme un porc qui cherche, au hasard, dans la fange, lordure qui le nourrira… Allons! Rouletabille, mon ami, relève la tête… il est impossible que lévénement de la galerie inexplicable soit sorti du cercle tracé par ta raison… Tu le sais! Tu le sais! Alors, relève la tête… presse de tes deux mains les bosses de ton front, et rappelle-toi que, lorsque tu as tracé le cercle, tu as pris, pour le dessiner dans ton cerveau comme on trace sur le papier une figure géométrique, tu as pris ta raison par le bon bout!

Eh bien, marche maintenant… et remonte dans la «galerie inexplicableen tappuyant sur le bon bout de ta raison» comme Frédéric Larsan sappuie sur sa canne, et tu auras vite prouvé que le grand Fred nest quun sot.

Joseph ROULETABILLE 30 octobre, midi.

Ainsi ai-je pensé… ainsi ai-je agi… la tête en feu, je suis remonté dans la galerie et voilà que, sans y avoir rien trouvé de plus que ce que jy ai vu cette nuit, le bon bout de ma raison ma montré une chose si formidable que jai besoin de «me retenir à lui» pour ne pas tomber.

Ah! Il va me falloir de la force, cependant, pour découvrir maintenant les traces sensibles qui vont entrer, qui doivent entrer dans le cercle plus large que jai dessiné là, entre les deux bosses de mon front!

Joseph ROULETABILLE 30 octobre, minuit.

XIX
Rouletabille moffre à déjeuner à lauberge du «Donjon»

Ce nest que plus tard que Rouletabille me remit ce carnet où lhistoire du phénomène de la «galerie inexplicable» avait été retracée tout au long, par lui, le matin même qui suivit cette nuit énigmatique. Le jour où je le rejoignis au Glandier dans sa chambre, il me raconta, par le plus grand détail, tout ce que vous connaissez maintenant, y compris lemploi de son temps pendant les quelques heures quil était allé passer, cette semaine-là, à Paris, où, du reste, il ne devait rien apprendre qui le servît.

Lévénement de la «galerie inexplicable» était survenu dans la nuit du 29 au 30 octobre, cest-à-dire trois jours avant mon retour au château, puisque nous étions le 2 novembre. «Cest donc le 2 novembre» que je reviens au Glandier, appelé par la dépêche de mon ami et apportant les revolvers.

Je suis dans la chambre de Rouletabille; il vient de terminer son récit.

Pendant quil parlait, il navait point cessé de caresser la convexité des verres du binocle quil avait trouvé sur le guéridon et je comprenais, à la joie quil prenait à manipuler ces verres de presbyte, que ceux-ci devaient constituer une de ces «marques sensibles destinées à entrer dans le cercle tracé par le bon bout de sa raison». Cette façon bizarre, unique, quil avait de sexprimer en usant de termes merveilleusement adéquats à sa pensée ne me surprenait plus; mais souvent il fallait connaître sa pensée pour comprendre les termes et ce nétait point toujours facile que de pénétrer la pensée de Joseph Rouletabille. La pensée de cet enfant était une des choses les plus curieuses que javais jamais eu à observer. Rouletabille se promenait dans la vie avec cette pensée sans se douter de létonnement – disons le mot – de lahurissement quil rencontrait sur son chemin. Les gens tournaient la tête vers cette pensée, la regardaient passer, séloigner, comme on sarrête pour considérer plus longtemps une silhouette originale que lon a croisée sur sa route. Et comme on se dit: «Doù vient-il, celui-là! Où va-t-il?» on se disait: «Doù vient la pensée de Joseph Rouletabille et où va-t-elle?» Jai avoué quil ne se doutait point de la couleur originale de sa pensée; aussi ne la gênait-elle nullement pour se promener, comme tout le monde, dans la vie. De même, un individu qui ne se doute point de sa mise excentrique est-il tout à fait à son aise, quel que soit le milieu quil traverse. Cest donc avec une simplicité naturelle que cet enfant, irresponsable de son cerveau supernaturel, exprimait des choses formidables «par leur logique raccourcie», tellement raccourcie que nous nen pouvions, nous autres, comprendre la forme quautant quà nos yeux émerveillés il voulait bien la détendre et la présenter de face dans sa position normale.

Joseph Rouletabille me demanda ce que je pensais du récit quil venait de me faire. Je lui répondis que sa question membarrassait fort, à quoi il me répliqua dessayer, à mon tour, de prendre ma raison par le bon bout.

«Eh bien, fis-je, il me semble que le point de départ de mon raisonnement doit être celui-ci: il ne fait point de doute que lassassin que vous poursuiviez a été à un moment de cette poursuite dans la galerie.»

Et je marrêtai…

«En partant si bien, sexclama-t-il, vous ne devriez point être arrêté si tôt. Voyons, un petit effort.

– Je vais essayer. Du moment où il était dans la galerie et où il en a disparu, alors quil na pu passer ni par une porte ni par une fenêtre, il faut quil se soit échappé par une autre ouverture.»

Joseph Rouletabille me considéra avec pitié, sourit négligemment et nhésita pas plus longtemps à me confier que je raisonnais toujours «comme une savate».

«Que dis-je? comme une savate! Vous raisonnez comme Frédéric Larsan!»

Car Joseph Rouletabille passait par des périodes alternatives dadmiration et de dédain pour Frédéric Larsan; tantôt il sécriait: «Il est vraiment fort!»; tantôt il gémissait: «Quelle brute!», selon que – et je lavais bien remarqué – selon que les découvertes de Frédéric Larsan venaient corroborer son raisonnement à lui ou quelles le contredisaient. Cétait un des petits côtés du noble caractère de cet enfant étrange.

Nous nous étions levés et il mentraîna dans le parc. Comme nous nous trouvions dans la cour dhonneur, nous dirigeant vers la sortie, un bruit de volets rejetés contre le mur nous fit tourner la tête, et nous vîmes au premier étage de laile gauche du château, à la fenêtre, une figure écarlate et entièrement rasée que je ne connaissais point.

«Tiens! murmura Rouletabille, Arthur Rance!»

Il baissa la tête, hâta sa marche et je lentendis qui disait entre ses dents:

«Il était donc cette nuit au château? … Quest-il venu y faire?»

Quand nous fûmes assez éloignés du château, je lui demandai qui était cet Arthur Rance et comment il lavait connu. Alors il me rappela son récit du matin même, me faisant souvenir que M. Arthur-W. Rance était cet américain de Philadelphie avec qui il avait si copieusement trinqué à la réception de lÉlysée.

 

«Mais ne devait-il point quitter la France presque immédiatement? demandai-je.

– Sans doute; aussi vous me voyez tout étonné de le trouver encore, non seulement en France, mais encore, mais surtout au Glandier. Il nest point arrivé ce matin; il nest point arrivé cette nuit; il sera donc arrivé avant dîner et je ne lai point vu. Comment se fait-il que les concierges ne maient point averti?»

Je fis remarquer à mon ami quà propos des concierges, il ne mavait point encore dit comment il sy était pris pour les faire remettre en liberté.

Nous approchions justement de la loge; le père et la mère Bernier nous regardaient venir. Un bon sourire éclairait leur face prospère. Ils semblaient navoir gardé aucun mauvais souvenir de leur détention préventive. Mon jeune ami leur demanda à quelle heure était arrivé Arthur Rance. Ils lui répondirent quils ignoraient que M. Arthur Rance fût au château. Il avait dû sy présenter dans la soirée de la veille, mais ils navaient pas eu à lui ouvrir la grille, attendu que M. Arthur Rance, qui était, paraît-il, un grand marcheur et qui ne voulait point quon allât le chercher en voiture, avait coutume de descendre à la gare du petit bourg de Saint-Michel; de là, il sacheminait à travers la forêt jusquau château. Il arrivait au parc par la grotte de Sainte-Geneviève, descendait dans cette grotte, enjambait un petit grillage et se trouvait dans le parc.

À mesure que les concierges parlaient, je voyais le visage de Rouletabille sassombrir, manifester un certain mécontentement et, à nen point douter, un mécontentement contre lui-même. Évidemment, il était un peu vexé que, ayant tant travaillé sur place, ayant étudié les êtres et les choses du Glandier avec un soin méticuleux, il en fût encore à apprendre «quArthur Rance avait coutume de venir au château».

Morose, il demanda des explications.

«Vous dites que M. Arthur Rance a coutume de venir au château…

Mais, quand y est-il donc venu pour la dernière fois?

– Nous ne saurions vous dire exactement, répondit M. Bernier – cétait le nom du concierge – attendu que nous ne pouvions rien savoir pendant quon nous tenait en prison, et puis parce que, si ce monsieur, quand il vient au château, ne passe pas par notre grille, il ny passe pas non plus quand il le quitte…

– Enfin, savez-vous quand il y est venu pour la première fois?

– Oh! oui, monsieur… il y a neuf ans! …

– Il est donc venu en France, il y a neuf ans, répondit Rouletabille; et, cette fois-ci, à votre connaissance, combien de fois est-il venu au Glandier?

– Trois fois.

– Quand est-il venu au Glandier pour la dernière fois, à «votre connaissance», avant aujourdhui.

– Une huitaine de jours avant lattentat de la «Chambre Jaune».

Rouletabille demanda encore, cette fois-ci, particulièrement à la femme:

«Dans la rainure du parquet?

– Dans la rainure du parquet, répondit-elle.

– Merci, fit Rouletabille, et préparez-vous pour ce soir.»

Il prononça cette dernière phrase, un doigt sur la bouche, pour recommander le silence et la discrétion.

Nous sortîmes du parc et nous dirigeâmes vers lauberge du «Donjon».

«Vous allez quelquefois manger à cette auberge?

– Quelquefois.

– Mais vous prenez aussi vos repas au château?

– Oui, Larsan et moi nous nous faisons servir tantôt dans lune de nos chambres, tantôt dans lautre.

– M. Stangerson ne vous a jamais invité à sa table?

– Jamais.

– Votre présence chez lui ne le lasse pas?

– Je nen sais rien, mais en tout cas il fait comme si nous ne le gênions pas.

– Il ne vous interroge jamais?

– Jamais! Il est resté dans cet état desprit du monsieur qui était derrière la porte de la «Chambre Jaune», pendant quon assassinait sa fille, qui a défoncé la porte et qui na point trouvé lassassin. Il est persuadé que, du moment quil na pu, «sur le fait», rien découvrir, nous ne pourrons à plus forte raison rien découvrir non plus, nous autres… Mais il sest fait un devoir, «depuis lhypothèse de Larsan», de ne point contrarier nos illusions.»

Rouletabille se replongea dans ses réflexions. Il en sortit enfin pour mapprendre comment il avait libéré les deux concierges.

«Je suis allé, dernièrement, trouver M. Stangerson avec une feuille de papier. Je lui ai dit décrire sur cette feuille ces mots: «Je mengage, quoi quils puissent dire, à garder à mon service mes deux fidèles serviteurs, Bernier et sa femme», et de signer. Je lui expliquai quavec cette phrase je serais en mesure de faire parler le concierge et sa femme et je lui affirmai que jétais sûr quils nétaient pour rien dans le crime. Ce fut, dailleurs, toujours mon opinion. Le juge dinstruction présenta cette feuille signée aux Bernier qui, alors, parlèrent. Ils dirent ce que jétais certain quils diraient, dès quon leur enlèverait la crainte de perdre leur place. Ils racontèrent quils braconnaient sur les propriétés de M. Stangerson et que cétait par un soir de braconnage quils se trouvèrent non loin du pavillon au moment du drame. Les quelques lapins quils acquéraient ainsi, au détriment de M. Stangerson, étaient vendus par eux au patron de lauberge du «Donjon» qui sen servait pour sa clientèle ou qui les écoulait sur Paris. Cétait la vérité, je lavais devinée dès le premier jour. Souvenez-vous de cette phrase avec laquelle jentrai dans lauberge du «Donjon»: «Il va falloir manger du saignant maintenant!» Cette phrase, je lavais entendue le matin même, quand nous arrivâmes devant la grille du parc, et vous laviez entendue, vous aussi, mais vous ny aviez point attaché dimportance. Vous savez quau moment où nous allions atteindre cette grille, nous nous sommes arrêtés à regarder un instant un homme qui, devant le mur du parc, faisait les cent pas en consultant, à chaque instant, sa montre. Cet homme, cétait Frédéric Larsan qui, déjà, travaillait. Or, derrière nous, le patron de lauberge sur son seuil disait à quelquun qui se trouvait à lintérieur de lauberge: «Maintenant, il va falloir manger du saignant!»

«Pourquoi ce «maintenant»? Quand on est comme moi à la recherche de la plus mystérieuse vérité, on ne laisse rien échapper, ni de ce que lon voit, ni de ce que lon entend. Il faut, à toutes choses, trouver un sens. Nous arrivions dans un petit pays qui venait dêtre bouleversé par un crime. La logique me conduisait à soupçonner toute phrase prononcée comme pouvant se rapporter à lévénement du jour. «Maintenant», pour moi, signifiait: «Depuis lattentat.» Dès le début de mon enquête, je cherchai donc à trouver une corrélation entre cette phrase et le drame. Nous allâmes déjeuner au «Donjon». Je répétai tout de go la phrase et je vis, à la surprise et à lennui du père Mathieu, que je navais pas, quant à lui, exagéré limportance de cette phrase. Javais appris, à ce moment, larrestation des concierges. Le père Mathieu nous parla de ces gens comme on parle de vrais amis… Que lon regrette… Liaison fatale des idées… je me dis: «Maintenant que les concierges sont arrêtés, «il va falloir manger du saignant.» Plus de concierges, plus de gibier! Comment ai-je été conduit à cette idée précise de «gibier»! La haine exprimée par le père Mathieu pour le garde de M. Stangerson, haine, prétendait-il, partagée par les concierges, me mena tout doucement à lidée de braconnage… Or, comme, de toute évidence, les concierges ne pouvaient être dans leur lit au moment du drame, pourquoi étaient- ils dehors cette nuit-là? Pour le drame? Je nétais point disposé à le croire, car déjà je pensais, pour des raisons que je vous dirai plus tard, que lassassin navait pas de complice et que tout ce drame cachait un mystère entre Mlle Stangerson et lassassin, mystère dans lequel les concierges navaient que faire. Lhistoire du braconnage expliquait tout, relativement aux concierges. Je ladmis en principe et je recherchai une preuve chez eux, dans leur loge. Je pénétrai dans leur maisonnette, comme vous le savez, et découvris sous leur lit des lacets et du fil de laiton. «Parbleu! pensai-je, parbleu! voilà bien pourquoi ils étaient, la nuit, dans le parc.» Je ne métonnai point quils se fussent tus devant le juge et que, sous le coup dune aussi grave accusation que celle dune complicité dans le crime, ils naient point répondu tout de suite en avouant le braconnage. Le braconnage les sauvait de la cour dassisses, mais les faisait mettre à la porte du château, et, comme ils étaient parfaitement sûrs de leur innocence sur le fait crime, ils espéraient bien que celle-ci serait vite découverte et que lon continuerait à ignorer le fait braconnage. Il leur serait toujours loisible de parler à temps! Je leur ai fait hâter leur confession par lengagement signé de M. Stangerson, que je leur apportais. Ils donnèrent toutes preuves nécessaires, furent mis en liberté et conçurent pour moi une vive reconnaissance. Pourquoi ne les avais-je point fait délivrer plus tôt? Parce que je nétais point sûr alors quil ny avait dans leur cas que du braconnage. Je voulais les laisser venir, et étudier le terrain. Ma conviction ne devint que plus certaine, à mesure que les jours sécoulaient. Au lendemain de la «galerie inexplicable», comme javais besoin de gens dévoués ici, je résolus de me les attacher immédiatement en faisant cesser leur captivité. Et voilà!»

Ainsi sexprima Joseph Rouletabille, et je ne pus que métonner encore de la simplicité de raisonnement qui lavait conduit à la vérité dans cette affaire de la complicité des concierges. Certes, laffaire était minime, mais je pensai à part moi que le jeune homme, un de ces jours, ne manquerait point de nous expliquer, avec la même simplicité, la formidable nuit de la «Chambre Jaune» et celle de la «galerie inexplicable».

Nous étions arrivés à lauberge du «Donjon». Nous entrâmes.

Cette fois, nous ne vîmes point lhôte, mais ce fut lhôtesse qui nous accueillit avec un bon sourire heureux. Jai déjà décrit la salle où nous nous trouvions, et jai donné un aperçu de la charmante femme blonde aux yeux doux qui se mit immédiatement à notre disposition pour le déjeuner.

«Comment va le père Mathieu? demanda Rouletabille.

– Guère mieux, monsieur, guère mieux; il est toujours au lit.

– Ses rhumatismes ne le quittent donc pas?

– Eh non! Jai encore été obligée, la nuit dernière, de lui faire une piqûre de morphine. Il ny a que cette drogue-là qui calme ses douleurs.»

Elle parlait dune voix douce; tout, en elle, exprimait la douceur. Cétait vraiment une belle femme, un peu indolente, aux grands yeux cernés, des yeux damoureuse. Le père Mathieu, quand il navait pas de rhumatismes, devait être un heureux gaillard. Mais elle, était-elle heureuse avec ce rhumatisant bourru? La scène à laquelle nous avions précédemment assisté ne pouvait nous le faire croire, et cependant, il y avait, dans toute lattitude de cette femme, quelque chose qui ne dénotait point le désespoir. Elle disparut dans sa cuisine pour préparer notre repas, nous laissant sur la table une bouteille dexcellent cidre. Rouletabille nous en versa dans des bols, bourra sa pipe, lalluma, et, tranquillement, mexpliqua enfin la raison qui lavait déterminé à me faire venir au Glandier avec des revolvers.

«Oui, dit-il, en suivant dun oeil contemplatif les volutes de la fumée quil tirait de sa bouffarde, oui, cher ami, jattends, ce soir, lassassin.»

Il y eut un petit silence que je neus garde dinterrompre, et il reprit:

«Hier soir, au moment où jallais me mettre au lit, M. Robert Darzac frappa à la porte de ma chambre. Je lui ouvris, et il me confia quil était dans la nécessité de se rendre, le lendemain matin, cest-à-dire ce matin même, à Paris. La raison qui le déterminait à ce voyage était à la fois péremptoire et mystérieuse, péremptoire puisquil lui était impossible de ne pas faire ce voyage, et mystérieuse puisquil lui était aussi impossible de men dévoiler le but.«Je pars, et cependant, ajouta- t-il, je donnerais la moitié de ma vie pour ne pas quitter en ce moment Mlle Stangerson.» Il ne me cacha point quil la croyait encore une fois en danger.«Il surviendrait quelque chose la nuit prochaine que je ne men étonnerais guère, avoua-t-il, et cependant il faut que je mabsente. Je ne pourrai être de retour au Glandier quaprès-demain matin.»

«Je lui demandai des explications, et voici tout ce quil mexpliqua. Cette idée dun danger pressant lui venait uniquement de la coïncidence qui existait entre ses absences et les attentats dont Mlle Stangerson était lobjet. La nuit de la «galerie inexplicable», il avait dû quitter le Glandier; la nuit de la «Chambre Jaune», il naurait pu être au Glandier et, de fait, nous savons quil ny était pas. Du moins nous le savons officiellement, daprès ses déclarations. Pour que, chargé dune idée pareille, il sabsentât à nouveau aujourdhui, il fallait quil obéît à une volonté plus forte que la sienne. Cest ce que je pensais et cest ce que je lui dis. Il me répondit: «Peut- être!» Je demandai si cette volonté plus forte que la sienne était celle de Mlle Stangerson; il me jura que non et que la décision de son départ avait été prise par lui, en dehors de toute instruction de Mlle Stangerson. Bref, il me répéta quil ne croyait à la possibilité dun nouvel attentat quà cause de cette extraordinaire coïncidence quil avait remarquée «et que le juge dinstruction, du reste, lui avait fait remarquer». «Sil arrivait quelque chose à Mlle Stangerson, dit-il, ce serait terrible et pour elle et pour moi; pour elle, qui sera une fois de plus entre la vie et la mort; pour moi, qui ne pourrai la défendre en cas dattaque et qui serai ensuite dans la nécessité de ne point dire où jai passé la nuit. Or, je me rends parfaitement compte des soupçons qui pèsent sur moi. Le juge dinstruction et M. Frédéric Larsan – ce dernier ma suivi à la piste, la dernière fois que je me suis rendu à Paris, et jai eu toutes les peines du monde à men débarrasser – ne sont pas loin de me croire coupable.—Que ne dites-vous, mécriai-je tout à coup, le nom de lassassin, puisque vous le connaissez?» M. Darzac parut extrêmement troublé de mon exclamation. Il me répliqua, dune voix hésitante: «Moi! Je connais le nom de lassassin? Qui me laurait appris?» Je repartis aussitôt: «Mlle Stangerson!» Alors, il devint tellement pâle que je crus quil allait se trouver mal, et je vis que javais frappé juste: Mlle Stangerson et lui savent le nom de lassassin! Quand il fut un peu remis, il me dit: «Je vais vous quitter, monsieur. Depuis que vous êtes ici, jai pu apprécier votre exceptionnelle intelligence et votre ingéniosité sans égale. Voici le service que je réclame de vous. Peut-être ai-je tort de craindre un attentat la nuit prochaine; mais, comme il faut tout prévoir, je compte sur vous pour rendre cet attentat impossible… Prenez toutes dispositions quil faudra pour isoler, pour garder Mlle Stangerson. Faites quon ne puisse entrer dans la chambre de Mlle Stangerson. Veillez autour de cette chambre comme un bon chien de garde. Ne dormez pas. Ne vous accordez point une seconde de repos. Lhomme que nous redoutons est dune astuce prodigieuse, qui na peut-être encore jamais été égalée au monde. Cette astuce même la sauvera si vous veillez; car il est impossible quil ne sache point que vous veillez, à cause de cette astuce même; et, sil sait que vous veillez, il ne tentera rien. —Avez-vous parlé de ces choses à M. Stangerson?—Non!—Pourquoi?—Parce que je ne veux point, monsieur, que M. Stangerson me dise ce que vous mavez dit tout à lheure: Vous connaissez le nom de lassassin!» Si, vous, vous êtes étonné de ce que je viens vous dire: «Lassassin va peut-être venir demain!», quel serait létonnement de M. Stangerson, si je lui répétais la même chose! Il nadmettra peut- être point que mon sinistre pronostic ne soit basé que sur des coïncidences quil finirait, sans doute, lui aussi, par trouver étranges… Je vous dis tout cela, monsieur Rouletabille, parce que jai une grande… une grande confiance en vous… Je sais que, vous, vous ne me soupçonnez pas! …»

 

«Le pauvre homme, continua Rouletabille, me répondait comme il pouvait, à hue et à dia. Il souffrait. Jeus pitié de lui, dautant plus que je me rendais parfaitement compte quil se ferait tuer plutôt que de me dire qui était lassassin comme Mlle Stangerson se fera plutôt assassiner que de dénoncer lhomme de la «Chambre Jaune» et de la «galerie inexplicable». Lhomme doit la tenir, ou doit les tenir tous deux, dune manière terrible, «et ils ne doivent rien tant redouter que de voir M. Stangerson apprendre que sa fille est «tenue «par son assassin.» Je fis comprendre à M. Darzac quil sétait suffisamment expliqué et quil pouvait se taire puisquil ne pouvait plus rien mapprendre. Je lui promis de veiller et de ne me point coucher de la nuit. Il insista pour que jorganisasse une véritable barrière infranchissable autour de la chambre de Mlle Stangerson, autour du boudoir où couchaient les deux gardes et autour du salon où couchait, depuis la «galerie inexplicable», M. Stangerson; bref, autour de tout lappartement. Non seulement je compris, à cette insistance, que M. Darzac me demandait de rendre impossible larrivée à la chambre de Mlle Stangerson, mais encore de rendre cette arrivée si «visiblement» impossible, que lhomme fût rebuté tout de suite et disparût sans laisser de trace. Cest ainsi que jexpliquai, à part moi, la phrase finale dont il me salua: «Quand je serai parti, vous pourrez parler de «vos» soupçons pour cette nuit à M. Stangerson, au père Jacques, à Frédéric Larsan, à tout le monde au château et organiser ainsi, jusquà mon retour, une surveillance dont, aux yeux de tous, vous aurez eu seul lidée.»

«Il sen alla, le pauvre, le pauvre homme, ne sachant plus guère ce quil disait, devant mon silence et mes yeux qui lui «criaient» que javais deviné les trois quarts de son secret. Oui, oui, vraiment, il devait être tout à fait désemparé pour être venu à moi dans un moment pareil et pour abandonner Mlle Stangerson, quand il avait dans la tête cette idée terrible de la «coïncidence…»

«Quand il fut parti, je réfléchis. Je réfléchis à ceci, quil fallait être plus astucieux que lastuce même, de telle sorte que lhomme, sil devait aller, cette nuit, dans la chambre de Mlle Stangerson, ne se doutât point une seconde quon pouvait soupçonner sa venue. Certes! lempêcher de pénétrer, même par la mort, mais le laisser avancer suffisamment pour que, mort ou vivant, on pût voir nettement sa figure! Car il fallait en finir, il fallait libérer Mlle Stangerson de cet assassinat latent!

«Oui, mon ami, déclara Rouletabille, après avoir posé sa pipe sur la table et vidé son verre, il faut que je voie, dune façon bien distincte, sa figure, histoire dêtre sûr quelle entre dans le cercle que jai tracé avec le bon bout de ma raison.»

À ce moment, apportant lomelette au lard traditionnelle, lhôtesse fit sa réapparition. Rouletabille lutina un peu MmeMathieu et celle-ci se montra de lhumeur la plus charmante.

«Elle est beaucoup plus gaie, me dit-il, quand le père Mathieu est cloué au lit par ses rhumatismes que lorsque le père Mathieu est ingambe!»

Mais je nétais ni aux jeux de Rouletabille, ni aux sourires de lhôtesse; jétais tout entier aux dernières paroles de mon jeune ami et à létrange démarche de M. Robert Darzac.

Quand il eut fini son omelette et que nous fûmes seuls à nouveau, Rouletabille reprit le cours de ses confidences:

«Quand je vous ai envoyé ma dépêche ce matin, à la première heure, jen étais resté, me dit-il, à la parole de M. Darzac: «Lassassin viendra peut-être la nuit prochaine.» Maintenant, je peux vous dire quil viendra «sûrement». Oui, je lattends.

– Et quest-ce qui vous a donné cette certitude? Ne serait-ce point par hasard…

– Taisez-vous, minterrompit en souriant Rouletabille, taisez- vous, vous allez dire une bêtise. Je suis sûr que lassassin viendra depuis ce matin, dix heures et demie, cest-à-dire avant votre arrivée, et par conséquent avant que nous nayons aperçu Arthur Rance à la fenêtre de la cour dhonneur…

– Ah! ah! fis-je… vraiment… mais encore, pourquoi en étiez- vous sûr dès dix heures et demie?

– Parce que, à dix heures et demie, jai eu la preuve que Mlle Stangerson faisait autant defforts pour permettre à lassassin de pénétrer dans sa chambre, cette nuit, que M. Robert Darzac avait pris, en sadressant à moi, de précautions pour quil ny entrât pas… – Oh! oh! mécriai-je, est-ce bien possible! …»

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