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Le mystère de la chambre jaune

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Et plus bas:

«Ne mavez-vous pas dit que Mlle Stangerson adorait M. Robert Darzac?

– Je vous lai dit parce que cest la vérité!

– Alors, vous ne trouvez pas bizarre…

– Tout est bizarre, dans cette affaire, mon ami, mais croyez bien que le bizarre que vous, vous connaissez nest rien à côté du bizarre qui vous attend! …

– Il faudrait admettre, dis-je encore, que Mlle Stangerson «et son assassin» aient entre eux des relations au moins épistolaires?

– Admettez-le! mon ami, admettez-le! … Vous ne risquez rien! … Je vous ai rapporté lhistoire de la lettre sur la table de Mlle Stangerson, lettre laissée par lassassin la nuit de la «galerie inexplicable», lettre disparue… dans la poche de Mlle Stangerson… Qui pourrait prétendre que, «dans cette lettre, lassassin ne sommait pas Mlle Stangerson de lui donner un prochain rendez-vous effectif», et enfin quil na pas fait savoir à Mlle Stangerson, «aussitôt quil a été sûr du départ de M. Darzac», que ce rendez-vous devait être pour la nuit qui vient?»

Et mon ami ricana silencieusement. Il y avait des moments où je me demandais sil ne se payait point ma tête.

La porte de lauberge souvrit. Rouletabille fut debout, si subitement, quon eût pu croire quil venait de subir sur son siège une décharge électrique.

«Mr Arthur Rance!» sécria-t-il.

M. Arthur Rance était devant nous, et, flegmatiquement, saluait.

XX
Un geste de Mlle Stangerson

«Vous me reconnaissez, monsieur? demanda Rouletabille au gentleman.

– Parfaitement, répondit Arthur Rance. Jai reconnu en vous le petit garçon du buffet. (Visage cramoisi de colère de Rouletabille à ce titre de petit garçon.) Et je suis descendu de ma chambre pour venir vous serrer la main. Vous êtes un joyeux petit garçon.»

Main tendue de laméricain; Rouletabille se déride, serre la main en riant, me présente, présente Mr Arthur-William Rance, linvite à partager notre repas.

«Non, merci. Je déjeune avec M. Stangerson.»

Arthur Rance parle parfaitement notre langue, presque sans accent.

«Je croyais, monsieur, ne plus avoir le plaisir de vous revoir; ne deviez-vous pas quitter notre pays le lendemain ou le surlendemain de la réception à lÉlysée?»

Rouletabille et moi, en apparence indifférents à cette conversation de rencontre, prêtons une oreille fort attentive à chaque parole de lAméricain.

La face rose violacée de lhomme, ses paupières lourdes, certains tics nerveux, tout démontre, tout prouve lalcoolique. Comment ce triste individu est-il le commensal de M. Stangerson? Comment peut-il être intime avec lillustre professeur?

Je devais apprendre, quelques jours plus tard, de Frédéric Larsan – lequel avait, comme nous, été surpris et intrigué par la présence de lAméricain au château, et sétait documenté – que M. Rance nétait devenu alcoolique que depuis une quinzaine dannées, cest-à-dire depuis le départ de Philadelphie du professeur et de sa fille. À lépoque où les Stangerson habitaient lAmérique, ils avaient connu et beaucoup fréquenté Arthur Rance, qui était un des phrénologues les plus distingués du Nouveau Monde. Il avait su, grâce à des expériences nouvelles et ingénieuses, faire franchir un pas immense à la science de Gall et de Lavater. Enfin, il faut retenir à lactif dArthur Rance et pour lexplication de cette intimité avec laquelle il était reçu au Glandier, que le savant américain avait rendu un jour un grand service à Mlle Stangerson, en arrêtant, au péril de sa vie, les chevaux emballés de sa voiture. Il était même probable quà la suite de cet événement une certaine amitié avait lié momentanément Arthur Rance et la fille du professeur; mais rien ne faisait supposer, dans tout ceci, la moindre histoire damour.

Où Frédéric Larsan avait-il puisé ses renseignements? Il ne me le dit point; mais il paraissait à peu près sûr de ce quil avançait.

Si, au moment où Arthur Rance nous vint rejoindre à lauberge du «Donjon», nous avions connu ces détails, il est probable que sa présence au château nous eût moins intrigués, mais ils nauraient fait, en tout cas, «quaugmenter lintérêt» que nous portions à ce nouveau personnage. Laméricain devait avoir dans les quarante- cinq ans. Il répondit dune façon très naturelle à la question de Rouletabille:

«Quand jai appris lattentat, jai retardé mon retour en Amérique; je voulais massurer, avant de partir, que Mlle Stangerson nétait point mortellement atteinte, et je ne men irai que lorsquelle sera tout à fait rétablie.»

Arthur Rance prit alors la direction de la conversation, évitant de répondre à certaines questions de Rouletabille, nous faisant part, sans que nous ly invitions, de ses idées personnelles sur le drame, idées qui nétaient point éloignées, à ce que jai pu comprendre, des idées de Frédéric Larsan lui-même, cest-à-dire que lAméricain pensait, lui aussi, que M. Robert Darzac «devait être pour quelque chose dans laffaire». Il ne le nomma point, mais il ne fallait point être grand clerc pour saisir ce qui était au fond de son argumentation. Il nous dit quil connaissait les efforts faits par le jeune Rouletabille pour arriver à démêler lécheveau embrouillé du drame de la «Chambre Jaune». Il nous rapporta que M. Stangerson lavait mis au courant des événements qui sétaient déroulés dans la «galerie inexplicable». On devinait, en écoutant Arthur Rance, quil expliquait tout par Robert Darzac. À plusieurs reprises, il regretta que M. Darzac fût «justement absent du château» quand il sy passait daussi mystérieux drames, et nous sûmes ce que parler veut dire. Enfin, il émit cette opinion que M. Darzac avait été «très bien inspiré, très habile», en installant lui-même sur les lieux M. Joseph Rouletabille, qui ne manquerait point – un jour ou lautre – de découvrir lassassin. Il prononça cette dernière phrase avec une ironie visible, se leva, nous salua, et sortit.

Rouletabille, à travers la fenêtre, le regarda séloigner et dit:

«Drôle de corps!»

Je lui demandai:

«Croyez-vous quil passera la nuit au Glandier?»

À ma stupéfaction, le jeune reporter répondit «que cela lui était tout à fait indifférent».

Je passerai sur lemploi de notre après-midi. Quil vous suffise de savoir que nous allâmes nous promener dans les bois, que Rouletabille me conduisit à la grotte de Sainte-Geneviève et que, tout ce temps, mon ami affecta de me parler de toute autre chose que de ce qui le préoccupait. Ainsi le soir arriva. Jétais tout étonné de voir le reporter ne prendre aucune de ces dispositions auxquelles je mattendais. Je lui en fis la remarque, quand, la nuit venue, nous nous trouvâmes dans sa chambre. Il me répondit que toutes ses dispositions étaient déjà prises et que lassassin ne pouvait, cette fois, lui échapper. Comme jémettais quelque doute, lui rappelant la disparition de lhomme dans la galerie, et faisant entendre que le même fait pourrait se renouveler, il répliqua: «Quil lespérait bien, et que cest tout ce quil désirait cette nuit-là.» Je ninsistai point, sachant par expérience combien mon insistance eût été vaine et déplacée. Il me confia que, depuis le commencement du jour, par son soin et ceux des concierges, le château était surveillé de telle sorte que personne ne pût en approcher sans quil en fût averti; et que, dans le cas où personne ne viendrait du dehors, il était bien tranquille sur tout ce qui pouvait concerner «ceux du dedans».

Il était alors six heures et demie, à la montre quil tira de son gousset; il se leva, me fit signe de le suivre et, sans prendre aucune précaution, sans essayer même datténuer le bruit de ses pas, sans me recommander le silence, il me conduisit à travers la galerie; nous atteignîmes la galerie droite, et nous la suivîmes jusquau palier de lescalier que nous traversâmes. Nous avons alors continué notre marche dans la galerie, «aile gauche», passant devant lappartement du professeur Stangerson. À lextrémité de cette galerie, avant darriver au donjon, se trouvait une pièce qui était la chambre occupée par Arthur Rance. Nous savions cela parce que nous avions vu, à midi, lAméricain à la fenêtre de cette chambre qui donnait sur la cour dhonneur. La porte de cette chambre était dans le travers de la galerie, puisque la chambre barrait et terminait la galerie de ce côté. En somme, la porte de cette chambre était juste en face de la fenêtre «est «qui se trouvait à lextrémité de lautre galerie droite, aile droite, là où, précédemment, Rouletabille avait placé le père Jacques. Quand on tournait le dos à cette porte, cest-à-dire quand on sortait de cette chambre, «on voyait toute la galerie» en enfilade: aile gauche, palier et aile droite. Il ny avait, naturellement, que la galerie tournante de laile droite que lon ne voyait point.

 
«Cette galerie tournante, dit Rouletabille, je me la réserve.
Vous, quand je vous en prierai, vous viendrez vous installer ici.»
 

Et il me fit entrer dans un petit cabinet noir triangulaire, pris sur la galerie et situé de biais à gauche de la porte de la chambre dArthur Rance. De ce recoin, je pouvais voir tout ce qui se passait dans la galerie aussi facilement que si javais été devant la porte dArthur Rance et je pouvais également surveiller la porte même de lAméricain. La porte de ce cabinet, qui devait être mon lieu dobservation, était garnie de carreaux non dépolis. Il faisait clair dans la galerie où toutes les lampes étaient allumées; il faisait noir dans le cabinet. Cétait là un poste de choix pour un espion.

Car que faisais-je, là, sinon un métier despion? de bas policier? Jy répugnais certainement; et, outre mes instincts naturels, ny avait-il pas la dignité de ma profession qui sopposait à un pareil avatar? En vérité, si mon bâtonnier me voyait! si lon apprenait ma conduite, au Palais, que dirait le Conseil de lOrdre? Rouletabille, lui, ne soupçonnait même pas quil pouvait me venir à lidée de lui refuser le service quil me demandait, et, de fait, je ne le lui refusai point: dabord parce que jeusse craint de passer à ses yeux pour un lâche; ensuite parce que je réfléchis que je pouvais toujours prétendre quil métait loisible de chercher partout la vérité en amateur; enfin, parce quil était trop tard pour me tirer de là. Que navais-je eu ces scrupules plus tôt? Pourquoi ne les avais-je pas eus? Parce que ma curiosité était plus forte que tout. Encore, je pouvais dire que jallais contribuer à sauver la vie dune femme; et il nest point de règlements professionnels qui puissent interdire un aussi généreux dessein.

 

Nous revînmes à travers la galerie. Comme nous arrivions en face de lappartement de Mlle Stangerson, la porte du salon souvrit, poussée par le maître dhôtel qui faisait le service du dîner (M. Stangerson dînait avec sa fille dans le salon du premier étage, depuis trois jours), et, comme la porte était restée entrouverte, nous vîmes parfaitement Mlle Stangerson qui, profitant de labsence du domestique et de ce que son père était baissé, ramassant un objet quelle venait de faire tomber, «versait hâtivement le contenu dune fiole dans le verre de M. Stangerson».

XXI
À laffût

Ce geste, qui me bouleversa, ne parut point émouvoir extrêmement Rouletabille. Nous nous retrouvâmes dans sa chambre, et, ne me parlant même point de la scène que nous venions de surprendre, il me donna ses dernières instructions pour la nuit. Nous allions dabord dîner. Après dîner, je devais entrer dans le cabinet noir et, là, jattendrais tout le temps quil faudrait «pour voir quelque chose».

«Si vous «voyez» avant moi, mexpliqua mon ami, il faudra mavertir. Vous verrez avant moi si lhomme arrive dans la galerie droite par tout autre chemin que la galerie tournante, puisque vous découvrez toute la galerie droite et que moi je ne puis voir que la galerie tournante. Pour mavertir, vous naurez quà dénouer lembrasse du rideau de la fenêtre de la galerie droite qui se trouve la plus proche du cabinet noir. Le rideau tombera de lui-même, voilant la fenêtre et faisant immédiatement un carré dombre là où il y avait un carré de lumière, puisque la galerie est éclairée. Pour faire ce geste, vous navez quà allonger la main hors du cabinet noir. Moi, dans la galerie tournante qui fait angle droit avec la galerie droite, japerçois, par les fenêtres de la galerie tournante, tous les carrés de lumière que font les fenêtres de la galerie droite. Quand le carré lumineux qui nous occupe deviendra obscur, je saurai ce que cela veut dire.

– Et alors?

– Alors, vous me verrez apparaître au coin de la galerie tournante.

– Et quest-ce que je ferai?

– Vous marcherez aussitôt vers moi, derrière lhomme, mais je serai déjà sur lhomme et jaurai vu si sa figure entre dans mon cercle…

– Celui qui est «tracé par le bon bout de la raison», terminai-je en esquissant un sourire.

– Pourquoi souriez-vous? Cest bien inutile… Enfin, profitez, pour vous réjouir, des quelques instants qui vous restent, car je vous jure que tout à lheure vous nen aurez plus loccasion.

– Et si lhomme échappe?

– Tant mieux! fit flegmatiquement Rouletabille. Je ne tiens pas à le prendre; il pourra séchapper en dégringolant lescalier et par le vestibule du rez-de-chaussée… et cela avant que vous nayez atteint le palier, puisque vous êtes au fond de la galerie. Moi, je le laisserai partir après avoir vu sa figure. Cest tout ce quil me faut: voir sa figure. Je saurai bien marranger ensuite pour quil soit mort pour Mlle Stangerson, même sil reste vivant. Si je le prends vivant, Mlle Stangerson et M. Robert Darzac ne me le pardonneront peut-être jamais! Et je tiens à leur estime; ce sont de braves gens. Quand je vois Mlle Stangerson verser un narcotique dans le verre de son père, pour que son père, cette nuit, ne soit pas réveillé par la conversation quelle doit avoir avec son assassin, vous devez comprendre que sa reconnaissance pour moi aurait des limites si jamenais à son père, les poings liés et la bouche ouverte, lhomme de la «Chambre Jaune» et de la «galerie inexplicable»! Cest peut-être un grand bonheur que, la nuit de la «galerie inexplicable», lhomme se soit évanoui comme par enchantement! Je lai compris cette nuit-là à la physionomie soudain rayonnante de Mlle Stangerson quand elle eut appris quil avait échappé. Et jai compris que, pour sauver la malheureuse, il fallait moins prendre lhomme que le rendre muet, de quelque façon que ce fut. Mais tuer un homme! tuer un homme! ce nest pas une petite affaire. Et puis, ça ne me regarde pas… à moins quil ne men donne loccasion! … Dun autre côté, le rendre muet sans que la dame me fasse de confidences… cest une besogne qui consiste dabord à deviner tout avec rien! … Heureusement, mon ami, jai deviné… ou plutôt non, jai raisonné… et je ne demande à lhomme de ce soir de ne mapporter que la figure sensible qui doit entrer…

– Dans le cercle…

– Parfaitement. et sa figure ne me surprendra pas! …

– Mais je croyais que vous aviez déjà vu sa figure, le soir où vous avez sauté dans la chambre…

– Mal… la bougie était par terre… et puis, toute cette barbe…

– Ce soir, il nen aura donc plus?

– Je crois pouvoir affirmer quil en aura… Mais la galerie est claire, et puis, maintenant, je sais… ou du moins mon cerveau sait… alors mes yeux verront…

– Sil ne sagit que de le voir et de le laisser échapper… pourquoi nous être armés?

– Parce que, mon cher, si lhomme de la «Chambre Jaune» et de la «galerie inexplicable» sait que je sais, il est capable de tout! Alors, il faudra nous défendre.

– Et vous êtes sûr quil viendra ce soir? …

– Aussi sûr que vous êtes là! … Mlle Stangerson, à dix heures et demie, ce matin, le plus habilement du monde, sest arrangée pour être sans gardes-malades cette nuit; elle leur a donné congé pour vingt-quatre heures, sous des prétextes plausibles, et na voulu, pour veiller auprès delle, pendant leur absence, que son cher père, qui couchera dans le boudoir de sa fille et qui accepte cette nouvelle fonction avec une joie reconnaissante. La coïncidence du départ de M. Darzac (après les paroles quil ma dites) et des précautions exceptionnelles de Mlle Stangerson, pour faire autour delle de la solitude, ne permet aucun doute. La venue de lassassin, que Darzac redoute, Mlle Stangerson la prépare!

– Cest effroyable!

– Oui.

– Et le geste que nous lui avons vu faire, cest le geste qui va endormir son père?

– Oui.

– En somme, pour laffaire de cette nuit, nous ne sommes que deux?

– Quatre; le concierge et sa femme veillent à tout hasard… Je crois leur veille inutile, «avant»… Mais le concierge pourra mêtre utile «après, si on tue»!

– Vous croyez donc quon va tuer?

– On tuera sil le veut!

– Pourquoi navoir pas averti le père Jacques? Vous ne vous servez plus de lui, aujourdhui?

– Non», me répondit Rouletabille dun ton brusque.

Je gardai quelque temps le silence; puis, désireux de connaître le fond de la pensée de Rouletabille, je lui demandai à brûle- pourpoint:

«Pourquoi ne pas avertir Arthur Rance? Il pourrait nous être dun grand secours…

– Ah ça! fit Rouletabille avec méchante humeur… Vous voulez donc mettre tout le monde dans les secrets de Mlle Stangerson! … Allons dîner… cest lheure… Ce soir nous dînons chez Frédéric Larsan… à moins quil ne soit encore pendu aux trousses de Robert Darzac… Il ne le lâche pas dune semelle. Mais, bah! sil nest pas là en ce moment, je suis bien sûr quil sera là cette nuit! … En voilà un que je vais rouler!»

À ce moment, nous entendîmes du bruit dans la chambre à côté.

«Ce doit être lui, dit Rouletabille.

– Joubliais de vous demander, fis-je: quand nous serons devant le policier, pas une allusion à lexpédition de cette nuit, nest- ce pas?

– Évidemment; nous opérons seuls, pour notre compte personnel.

– Et toute la gloire sera pour nous?»

Rouletabille, ricanant, ajouta:

«Tu las dit, bouffi!»

Nous dînâmes avec Frédéric Larsan, dans sa chambre. Nous le trouvâmes chez lui… Il nous dit quil venait darriver et nous invita à nous mettre à table. Le dîner se passa dans la meilleure humeur du monde, et je neus point de peine à comprendre quil fallait lattribuer à la quasi-certitude où Rouletabille et Frédéric Larsan, lun et lautre, et chacun de son côté, étaient de tenir enfin la vérité. Rouletabille confia au grand Fred que jétais venu le voir de mon propre mouvement et quil mavait retenu pour que je laidasse dans un grand travail quil devait livrer, cette nuit même, à LÉpoque. Je devais repartir, dit-il, pour Paris, par le train donze heures, emportant sa «copie», qui était une sorte de feuilleton où le jeune reporter retraçait les principaux épisodes des mystères du Glandier. Larsan sourit à cette explication comme un homme qui nen est point dupe, mais qui se garde, par politesse, démettre la moindre réflexion sur des choses qui ne le regardent pas. Avec mille précautions dans le langage et jusque dans les intonations, Larsan et Rouletabille sentretinrent assez longtemps de la présence au château de M. Arthur-W. Rance, de son passé en Amérique quils eussent voulu connaître mieux, du moins quant aux relations quil avait eues avec les Stangerson. À un moment, Larsan, qui me parut soudain souffrant, dit avec effort:

«Je crois, monsieur Rouletabille, que nous navons plus grandchose à faire au Glandier, et mest avis que nous ny coucherons plus de nombreux soirs.

– Cest aussi mon avis, monsieur Fred.

– Vous croyez donc, mon ami, que laffaire est finie?

– Je crois, en effet, quelle est finie et quelle na plus rien à nous apprendre, répliqua Rouletabille.

– Avez-vous un coupable? demanda Larsan.

– Et vous?

– Oui.

– Moi aussi, dit Rouletabille.

– Serait-ce le même?

– Je ne crois pas, si vous navez pas changé didée», dit le jeune reporter.

Et il ajouta avec force:

«M. Darzac est un honnête homme!

– Vous en êtes sûr? demanda Larsan. Eh bien, moi, je suis sûr du contraire… Cest donc la bataille?

– Oui, la bataille. Et je vous battrai, monsieur Frédéric Larsan.

– La jeunesse ne doute de rien», termina le grand Fred en riant et en me serrant la main.

Rouletabille répondit comme un écho:

«De rien!»

Mais soudain, Larsan, qui sétait levé pour nous souhaiter le bonsoir, porta les deux mains à sa poitrine et trébucha. Il dut sappuyer à Rouletabille pour ne pas tomber. Il était devenu extrêmement pâle.

«Oh! oh! fit-il, quest-ce que jai là? Est-ce que je serais empoisonné?»

Et il nous regardait dun oeil hagard… En vain, nous linterrogions, il ne nous répondait plus… Il sétait affaissé dans un fauteuil et nous ne pûmes en tirer un mot. Nous étions extrêmement inquiets, et pour lui, et pour nous, car nous avions mangé de tous les plats auxquels avait touché Frédéric Larsan. Nous nous empressions autour de lui. Maintenant, il ne semblait plus souffrir, mais sa tête lourde avait roulé sur son épaule et ses paupières appesanties nous cachaient son regard. Rouletabille se pencha sur sa poitrine et ausculta son coeur…

Quand il se releva, mon ami avait une figure aussi calme que je la lui avais vue tout à lheure bouleversée. Il me dit:

«Il dort!»

Et il mentraîna dans sa chambre, après avoir refermé la porte de la chambre de Larsan.

«Le narcotique? demandai-je… Mlle Stangerson veut donc endormir tout le monde, ce soir? …

– Peut-être… me répondit Rouletabille en songeant à autre chose.

– Mais nous! … nous! exclamai-je. Qui me dit que nous navons pas avalé un pareil narcotique?

– Vous sentez-vous indisposé? me demanda Rouletabille avec sang- froid.

– Non, aucunement!

– Avez-vous envie de dormir?

– En aucune façon…

– Eh bien, mon ami, fumez cet excellent cigare.»

Et il me passa un havane de premier choix que M. Darzac lui avait offert; quant à lui, il alluma sa bouffarde, son éternelle bouffarde.

Nous restâmes ainsi dans cette chambre jusquà dix heures, sans quun mot fût prononcé. Plongé dans un fauteuil, Rouletabille fumait sans discontinuer, le front soucieux et le regard lointain. À dix heures, il se déchaussa, me fit un signe et je compris que je devais, comme lui, retirer mes chaussures. Quand nous fûmes sur nos chaussettes, Rouletabille dit, si bas que je devinai plutôt le mot que je ne lentendis:

«Revolver!»

Je sortis mon revolver de la poche de mon veston.

«Armez! fit-il encore.

Jarmai.

Alors il se dirigea vers la porte de sa chambre, louvrit avec des précautions infinies; la porte ne cria pas. Nous fûmes dans la galerie tournante. Rouletabille me fit un nouveau signe. Je compris que je devais prendre mon poste dans le cabinet noir. Comme je méloignais déjà de lui, Rouletabille me rejoignit «et membrassa», et puis je vis quavec les mêmes précautions il retournait dans sa chambre. Étonné de ce baiser et un peu inquiet, jarrivai dans la galerie droite que je longeai sans encombre; je traversai le palier et continuai mon chemin dans la galerie, aile gauche, jusquau cabinet noir. Avant dentrer dans le cabinet noir, je regardai de près lembrasse du rideau de la fenêtre… Je navais, en effet, quà la toucher du doigt pour que le lourd rideau retombât dun seul coup, «cachant à Rouletabille le carré de lumière»: signal convenu. Le bruit dun pas marrêta devant la porte dArthur Rance. «Il nétait donc pas encore couché!» Mais comment était-il encore au château, nayant pas dîné avec M. Stangerson et sa fille? Du moins, je ne lavais pas vu à table, dans le moment que nous avions saisi le geste de Mlle Stangerson.

 

Je me retirai dans mon cabinet noir. Je my trouvais parfaitement. Je voyais toute la galerie en enfilade, galerie éclairée comme en plein jour. Évidemment, rien de ce qui allait sy passer ne pouvait méchapper. Mais quest-ce qui allait sy passer? Peut- être quelque chose de très grave. Nouveau souvenir inquiétant du baiser de Rouletabille. On nembrasse ainsi ses amis que dans les grandes occasions ou quand ils vont courir un danger! Je courais donc un danger?

Mon poing se crispa sur la crosse de mon revolver, et jattendis.

Je ne suis pas un héros, mais je ne suis pas un lâche.

Jattendis une heure environ; pendant cette heure je ne remarquai rien danormal. Dehors, la pluie, qui sétait mise à tomber violemment vers neuf heures du soir, avait cessé.

Mon ami mavait dit que rien ne se passerait probablement avant minuit ou une heure du matin. Cependant il nétait pas plus donze heures et demie quand la porte de la chambre dArthur Rance souvrit. Jen entendis le faible grincement sur ses gonds. On eût dit quelle était poussée de lintérieur avec la plus grande précaution. La porte resta ouverte un instant qui me parut très long. Comme cette porte était ouverte, dans la galerie, cest-à- dire poussée hors la chambre, je ne pus voir, ni ce qui se passait dans la chambre, ni ce qui se passait derrière la porte. À ce moment, je remarquai un bruit bizarre qui se répétait pour la troisième fois, qui venait du parc, et auquel je navais pas attaché plus dimportance quon na coutume den attacher au miaulement des chats qui errent, la nuit, sur les gouttières. Mais, cette troisième fois, le miaulement était si pur et si «spécial» que je me rappelai ce que javais entendu raconter du cri de la «Bête du Bon Dieu». Comme ce cri avait accompagné, jusquà ce jour, tous les drames qui sétaient déroulés au Glandier, je ne pus mempêcher, à cette réflexion, davoir un frisson. Aussitôt je vis apparaître, au delà de la porte, et refermant la porte, un homme. Je ne pus dabord le reconnaître, car il me tournait le dos et il était penché sur un ballot assez volumineux. Lhomme, ayant refermé la porte, et portant le ballot, se retourna vers le cabinet noir, et alors je vis qui il était. Celui qui sortait, à cette heure, de la chambre dArthur Rance «était le garde». Cétait «lhomme vert». Il avait ce costume que je lui avais vu sur la route, en face de lauberge du «Donjon», le premier jour où jétais venu au Glandier, et quil portait encore le matin même quand, sortant du château, nous lavions rencontré, Rouletabille et moi. Aucun doute, cétait le garde. Je le vis fort distinctement. Il avait une figure qui me parut exprimer une certaine anxiété. Comme le cri de la «Bête du Bon Dieu» retentissait au dehors pour la quatrième fois, il déposa son ballot dans la galerie et sapprocha de la seconde fenêtre, en comptant les fenêtres à partir du cabinet noir. Je ne risquai aucun mouvement, car je craignais de trahir ma présence.

Quand il fut à cette fenêtre, il colla son front contre les vitraux dépolis, et regarda la nuit du parc. Il resta là une demi- minute. La nuit était claire, par intermittences, illuminée par une lune éclatante qui, soudain, disparaissait sous un gros nuage. «Lhomme vert» leva le bras à deux reprises, fit des signes que je ne comprenais point; puis, séloignant de la fenêtre, reprit son ballot et se dirigea, suivant la galerie, vers le palier.

Rouletabille mavait dit: «Quand vous verrez quelque chose, dénouez lembrasse.» Je voyais quelque chose. Était-ce cette chose que Rouletabille attendait? Ceci nétait point mon affaire et je navais quà exécuter la consigne qui mavait été donnée. Je dénouai lembrasse. Mon coeur battait à se rompre. Lhomme atteignit le palier, mais à ma grande stupéfaction, comme je mattendais à le voir continuer son chemin dans la galerie, aile droite, je laperçus qui descendait lescalier conduisant au vestibule.

Que faire? Stupidement, je regardais le lourd rideau qui était retombé sur la fenêtre. Le signal avait été donné, et je ne voyais pas apparaître Rouletabille au coin de la galerie tournante. Rien ne vint; personne napparut. Jétais perplexe. Une demi-heure sécoula qui me parut un siècle. «Que faire maintenant, même si je voyais autre chose?» Le signal avait été donné, je ne pouvais le donner une seconde fois… Dun autre côté, maventurer dans la galerie en ce moment pouvait déranger tous les plans de Rouletabille. Après tout, je navais rien à me reprocher, et, sil sétait passé quelque chose que nattendait point mon ami, celui- ci navait quà sen prendre à lui-même. Ne pouvant plus être daucun réel secours davertissement pour lui, je risquai le tout pour le tout: je sortis du cabinet, et, toujours sur mes chaussettes, mesurant mes pas et écoutant le silence, je men fus vers la galerie tournante.

Personne dans la galerie tournante. Jallai à la porte de la chambre de Rouletabille. Jécoutai. Rien. Je frappai bien doucement. Rien. Je tournai le bouton, la porte souvrit. Jétais dans la chambre. Rouletabille était étendu, tout de son long, sur le parquet.

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