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Le mystère de la chambre jaune

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Dans une pièce voisine de la chambre de Mlle Stangerson, il avait écouté linterrogatoire et venait le rapporter à notre ami avec une grande exactitude, une grande mémoire, et une docilité qui me surprit encore. Grâce aux notes hâtives quil avait prises au crayon, il put reproduire presque textuellement les demandes et les réponses. En vérité, M. Darzac avait lair dêtre le secrétaire de mon jeune ami et agissait en tout comme quelquun qui na rien à lui refuser; mieux encore, quelquun «qui aurait travaillé pour lui».

Le fait de la «fenêtre fermée» frappa beaucoup le reporter comme il avait frappé le juge dinstruction. En outre, Rouletabille demanda à M. Darzac de lui répéter encore lemploi du temps de M. et Mlle Stangerson le jour du drame, tel que Mlle Stangerson et M. Stangerson lavaient établi devant le juge. La circonstance du dîner dans le laboratoire sembla lintéresser au plus haut point et il se fit redire deux fois, pour en être plus sûr, que, seul, le garde savait que le professeur et sa fille dînaient dans le laboratoire, et de quelle sorte le garde lavait su.

Quand M. Darzac se fut tu, je dis:

«Voilà un interrogatoire qui ne fait pas avancer beaucoup le problème.

– Il le recule, obtempéra M. Darzac.

– Il léclaire», fit, pensif, Rouletabille.

IX
Reporter et policier

Nous retournâmes tous trois du côté du pavillon. À une centaine de mètres du bâtiment, le reporter nous arrêta, et, nous montrant un petit bosquet sur notre droite, il nous dit:

«Voilà doù est parti lassassin pour entrer dans le pavillon.»

Comme il y avait dautres bosquets de cette sorte entre les grands chênes, je demandai pourquoi lassassin avait choisi celui-ci plutôt que les autres; Rouletabille me répondit en me désignant le sentier qui passait tout près de ce bosquet et qui conduisait à la porte du pavillon.

«Ce sentier est garni de graviers, comme vous voyez, fit-il. Il faut que lhomme ait passé par là pour aller au pavillon, puisquon ne trouve pas la trace de ses pas du_voyage aller_, sur la terre molle. Cet homme na point dailes. Il a marché; mais il a marché sur le gravier qui a roulé sous sa chaussure sans en conserver lempreinte: ce gravier, en effet, a été roulé par beaucoup dautres pieds puisque le sentier est le plus direct qui aille du pavillon au château. Quant au bosquet, formé de ces sortes de plantes qui ne meurent point pendant la mauvaise saison – lauriers et fusains – il a fourni à lassassin un abri suffisant en attendant que le moment fût venu, pour celui-ci, de se diriger vers le pavillon. Cest, caché dans ce bosquet, que lhomme a vu sortir M. et Mlle Stangerson, puis le père Jacques. On a répandu du gravier jusquà la fenêtre – presque – du vestibule. Une empreinte des pas de lhomme, parallèle au mur, empreinte que nous remarquions tout à lheure, et que jai déjà vue, prouve qu«il» na eu à faire quune enjambée pour se trouver en face de la fenêtre du vestibule, laissée ouverte par le père Jacques. Lhomme se hissa alors sur les poignets, et pénétra dans le vestibule.

– Après tout, cest bien possible! fis-je…

– Après tout, quoi? après tout, quoi? … sécria Rouletabille, soudain pris dune colère que javais bien innocemment déchaînée… Pourquoi dites-vous: après tout, cest bien possible!…»

Je le suppliai de ne point se fâcher, mais il létait déjà beaucoup trop pour mécouter, et il déclara quil admirait le doute prudent avec lequel certaines gens (moi) abordaient de loin les problèmes les plus simples, ne se risquant jamais à dire: «ceci est»ou «ceci nest pas», de telle sorte que leur intelligence aboutissait tout juste au même résultat qui aurait été obtenu si la nature avait oublié de garnir leur boîte crânienne dun peu de matière grise. Comme je paraissais vexé, mon jeune ami me prit par le bras et maccorda «quil navait point dit cela pour moi, attendu quil mavait en particulière estime».

«Mais enfin! reprit-il, il est quelquefois criminel de ne point, quand on le peut, raisonner à coup sûr! … Si je ne raisonne point, comme je le fais, avec ce gravier, il me faudra raisonner avec un ballon! Mon cher, la science de laérostation dirigeable nest point encore assez développée pour que je puisse faire entrer, dans le jeu de mes cogitations, lassassin qui tombe du ciel! Ne dites donc point quune chose est possible, quand il est impossible quelle soit autrement. Nous savons, maintenant, comment lhomme est entré par la fenêtre, et nous savons aussi à quel moment il est entré. Il y est entré pendant la promenade de cinq heures. Le fait de la présence de la femme de chambre qui vient de faire la Chambre Jaune, dans le laboratoire, au moment du retour du professeur et de sa fille, à une heure et demie, nous permet daffirmer quà une heure et demie, lassassin nétait pas dans la chambre, sous le lit, à moins quil ny ait complicité de la femme de chambre. Quen dites-vous, Monsieur Robert Darzac?»

M. Darzac secoua la tête, déclara quil était sûr de la fidélité de la femme de chambre de Mlle Stangerson, et que cétait une fort honnête et fort dévouée domestique.

«Et puis, à cinq heures, M. Stangerson est entré dans la chambre pour chercher le chapeau de sa fille! ajouta-t-il…

– Il y a encore cela! fit Rouletabille.

– Lhomme est donc entré, dans le moment que vous dites, par cette fenêtre, fis-je, je ladmets, mais pourquoi a-t-il refermé la fenêtre, ce qui devait, nécessairement, attirer lattention de ceux qui lavaient ouverte?

– il se peut que la fenêtre nait point été refermée «tout de suite», me répondit le jeune reporter. Mais, sil a refermé la fenêtre, il la refermée à cause du coude que fait le sentier garni de gravier, à vingt-cinq mètres du pavillon, et à cause des trois chênes qui sélèvent à cet endroit.

– Que voulez-vous dire?» demanda M. Robert Darzac qui nous avait suivis, et qui écoutait Rouletabille avec une attention presque haletante.

«Je vous lexpliquerai plus tard, monsieur, quand jen jugerai le moment venu; mais je ne crois pas avoir prononcé de paroles plus importantes sur cette affaire, si mon hypothèse se justifie.

– Et quelle est votre hypothèse?

– Vous ne la saurez jamais si elle ne se révèle point être la vérité. Cest une hypothèse beaucoup trop grave, voyez-vous, pour que je la livre tant quelle ne sera quhypothèse.

– Avez-vous, au moins, quelque idée de lassassin?

– Non, monsieur, je ne sais pas qui est lassassin, mais ne craignez rien, monsieur Robert Darzac_, je le saurai_.» Je dus constater que M. Robert Darzac était très ému; et je soupçonnai que laffirmation de Rouletabille nétait point pour lui plaire. Alors, pourquoi, sil craignait réellement quon découvrît lassassin (je questionnais ici ma propre pensée), pourquoi aidait-il le reporter à le retrouver? Mon jeune ami sembla avoir reçu la même impression que moi, et il dit brutalement:

«Cela ne vous déplaît pas, monsieur Robert Darzac, que je découvre lassassin?

– Ah! je voudrais le tuer de ma main! sécria le fiancé de Mlle Stangerson, avec un élan qui me stupéfia.

– Je vous crois! fit gravement Rouletabille, mais vous navez pas répondu à ma question.»

Nous passions près du bosquet, dont le jeune reporter nous avait parlé à linstant; jy entrai et lui montrai les traces évidentes du passage dun homme qui sétait caché là. Rouletabille, une fois de plus, avait raison.

«Mais oui! fit-il, mais oui! … Nous avons affaire à un individu en chair et en os, qui ne dispose pas dautres moyens que les nôtres, et il faudra bien que tout sarrange!»

Ce disant, il me demanda la semelle de papier quil mavait confiée et lappliqua sur une empreinte très nette, derrière le bosquet. Puis il se releva en disant: «Parbleu!»

Je croyais quil allait, maintenant, suivre à la piste «les pas de la fuite de lassassin», depuis la fenêtre du vestibule, mais il nous entraîna assez loin vers la gauche, en nous déclarant que cétait inutile de se mettre le nez sur cette fange, et quil était sûr, maintenant, de tout le chemin de la fuite de lassassin.

«Il est allé jusquau bout du mur, à cinquante mètres de là, et puis il a sauté la haie et le fossé; tenez, juste en face ce petit sentier qui conduit à létang. Cest le chemin le plus rapide pour sortir de la propriété et aller à létang.

– Comment savez-vous quil est allé à létang?

– Parce que Frédéric Larsan nen a pas quitté les bords depuis ce matin. Il doit y avoir là de fort curieux indices.»

Quelques minutes plus tard, nous étions près de létang.

Cétait une petite nappe deau marécageuse, entourée de roseaux, et sur laquelle flottaient encore quelques pauvres feuilles mortes de nénuphar. Le grand Fred nous vit peut-être venir, mais il est probable que nous lintéressions peu, car il ne fit guère attention à nous et continua de remuer, du bout de sa canne, quelque chose que nous ne voyions pas…

«Tenez, fit Rouletabille, voilà à nouveau les pas de la fuite de lhomme; ils tournent létang ici, reviennent et disparaissent enfin, près de létang, juste devant ce sentier qui conduit à la grande route dÉpinay. Lhomme a continué sa fuite vers Paris…

– Qui vous le fait croire, interrompis-je, puisquil ny a plus les pas de lhomme sur le sentier? …

– Ce qui me le fait croire? Mais ces pas-là, ces pas que jattendais! sécria-t-il, en désignant lempreinte très nette dune «chaussure élégante»… Voyez! …»

Et il interpella Frédéric Larsan.

– Monsieur Fred, cria-t-il… «ces pas élégants» sur la route sont bien là depuis la découverte du crime?

– Oui, jeune homme; oui, ils ont été relevés soigneusement, répondit Fred sans lever la tête. Vous voyez, il y a les pas qui viennent, et les pas qui repartent…

– Et cet homme avait une bicyclette!» sécria le reporter…

Ici, après avoir regardé les empreintes de la bicyclette qui suivaient, aller et retour, les pas élégants, je crus pouvoir intervenir.

 

«La bicyclette explique la disparition des pas grossiers de lassassin, fis-je. Lassassin, aux pas grossiers, est monté à bicyclette… Son complice, «lhomme aux pas élégants», était venu lattendre au bord de létang, avec la bicyclette. On peut supposer que lassassin agissait pour le compte de lhomme aux pas élégants?

– Non! non! répliqua Rouletabille avec un étrange sourire… Jattendais ces pas-là depuis le commencement de laffaire. Je les ai, je ne vous les abandonne pas. Ce sont les pas de lassassin!

– Et les autres pas, les pas grossiers, quen faites-vous?

– Ce sont encore les pas de lassassin.

– Alors, il y en a deux?

–Non! Il ny en a quun, et il na pas eu de complice…

– Très fort! très fort! cria de sa place Frédéric Larsan.

– Tenez, continua le jeune reporter, en nous montrant la terre remuée par des talons grossiers; lhomme sest assis là et a enlevé les godillots quil avait mis pour tromper la justice, et puis, les emportant sans doute avec lui, il sest relevé avec ses pieds à lui et, tranquillement, a regagné, au pas, la grande route, en tenant sa bicyclette à la main. Il ne pouvait se risquer, sur ce très mauvais sentier, à courir à bicyclette. Du reste, ce qui le prouve, cest la marque légère et hésitante de la bécane sur le sentier, malgré la mollesse du sol. Sil y avait eu un homme sur cette bicyclette, les roues fussent entrées profondément dans le sol… Non, non, il ny avait là quun seul homme: Lassassin, à pied!

– Bravo! Bravo!» fit encore le grand Fred…

Et, tout à coup, celui-ci vint à nous, se planta devant M. Robert Darzac et lui dit:

«Si nous avions une bicyclette ici… nous pourrions démontrer la justesse du raisonnement de ce jeune homme, monsieur Robert Darzac… Vous ne savez pas sil sen trouve une au château?

– Non! répondit M. Darzac, il ny en a pas; jai emporté la mienne, il y a quatre jours, à Paris, la dernière fois que je suis venu au château avant le crime.

– Cest dommage!» répliqua Fred sur le ton dune extrême froideur.

Et, se retournant vers Rouletabille:

«Si cela continue, dit-il, vous verrez que nous aboutirons tous les deux aux mêmes conclusions. Avez-vous une idée sur la façon dont lassassin est sorti de la «Chambre Jaune»?

– Oui, fit mon ami, une idée…

– Moi aussi, continua Fred, et ce doit être la même. Il ny a pas deux façons de raisonner dans cette affaire. Jattends, pour mexpliquer devant le juge, larrivée de mon chef.

– Ah! Le chef de la Sûreté va venir?

– Oui, cet après-midi, pour la confrontation dans le laboratoire, devant le juge dinstruction, de tous ceux qui ont joué ou pu jouer un rôle dans le drame. Ce sera très intéressant. Il est malheureux que vous ne puissiez y assister.

– Jy assisterai, affirma Rouletabille.

– Vraiment… vous êtes extraordinaire… pour votre âge! répliqua le policier sur un ton non dénué dune certaine ironie… Vous feriez un merveilleux policier… si vous aviez un peu plus de méthode… Si vous obéissiez moins à votre instinct et aux bosses de votre front. Cest une chose que jai déjà observée plusieurs fois, monsieur Rouletabille: vous raisonnez trop… Vous ne vous laissez pas assez conduire par votre observation… Que dites-vous du mouchoir plein de sang et de la main rouge sur le mur? Vous avez vu, vous, la main rouge sur le mur; moi, je nai vu que le mouchoir… Dites…

– Bah! fit Rouletabille, un peu interloqué, lassassin a été blessé à la main par le revolver de Mlle Stangerson!

– Ah! observation brutale, instinctive… Prenez garde, vous êtes trop «directement» logique, monsieur Rouletabille; la logique vous jouera un mauvais tour si vous la brutalisez ainsi. Il est de nombreuses circonstances dans lesquelles il faut la traiter en douceur, «la prendre de loin»… Monsieur Rouletabille, vous avez raison quand vous parlez du revolver de Mlle Stangerson. Il est certain que «la victime» a tiré. Mais vous avez tort quand vous dites quelle a blessé lassassin à la main…

– Je suis sûr!» sécria Rouletabille…

Fred, imperturbable, linterrompit:

«Défaut dobservation! … défaut dobservation! …

Lexamen du mouchoir, les innombrables petites taches rondes, écarlates, impressions de gouttes que je retrouve sur la trace des pas, au moment même où le pas pose à terre, me prouvent que lassassin na pas été blessé. «Lassassin, monsieur Rouletabille, a saigné du nez! …»

Le grand Fred était sérieux. Je ne pus retenir, cependant, une exclamation.

Le reporter regardait Fred qui regardait sérieusement le reporter.

Et Fred tira aussitôt une conclusion:

«Lhomme qui saignait du nez dans sa main et dans son mouchoir, a essuyé sa main sur le mur. La chose est fort importante, ajouta-t- il, car lassassin na pas besoin dêtre blessé à la main pour être lassassin!»

Rouletabille sembla réfléchir profondément, et dit:

«Il y a quelque chose, monsieur Frédéric Larsan, qui est beaucoup plus grave que le fait de brutaliser la logique, cest cette disposition desprit propre à certains policiers qui leur fait, en toute bonne foi, «plier en douceur cette logique aux nécessités de leurs conceptions». Vous avez votre idée, déjà, sur lassassin, monsieur Fred, ne le niez pas… et il ne faut pas que votre assassin ait été blessé à la main, sans quoi votre idée tomberait delle-même… Et vous avez cherché, et vous avez trouvé autre chose. Cest un système bien dangereux, monsieur Fred, bien dangereux, que celui qui consiste à partir de lidée que lon se fait de lassassin pour arriver aux preuves dont on a besoin! … Cela pourrait vous mener loin… Prenez garde à lerreur judiciaire, Monsieur Fred; elle vous guette! …»

Et, ricanant un peu, les mains dans les poches, légèrement goguenard, Rouletabille, de ses petits yeux malins, fixa le grand Fred.

Frédéric Larsan considéra en silence ce gamin qui prétendait être plus fort que lui; il haussa les épaules, nous salua, et sen alla, à grandes enjambées, frappant la pierre du chemin de sa grande canne.

Rouletabille le regardait séloigner; puis le jeune reporter se retourna vers nous, la figure joyeuse et déjà triomphante:

«Je le battrai! nous jeta-t-il… Je battrai le grand Fred, si fort soit-il; je les battrai tous… Rouletabille est plus fort queux tous! … Et le grand Fred, lillustre, le fameux, limmense Fred… lunique Fred raisonne comme une savate! … comme une savate! … comme une savate!»

Et il esquissa un entrechat; mais il sarrêta subitement dans sa chorégraphie… Mes yeux allèrent où allaient ses yeux; ils étaient attachés sur M. Robert Darzac qui, la face décomposée, regardait sur le sentier, la marque de ses pas, à côté de la marque «du pas élégant». IL NY AVAIT PAS DE DIFFÉRENCE!

Nous crûmes quil allait défaillir; ses yeux, agrandis par lépouvante, nous fuirent un instant, cependant que sa main droite tiraillait dun mouvement spasmodique le collier de barbe qui entourait son honnête et douce et désespérée figure. Enfin, il se ressaisit, nous salua, nous dit dune voix changée, quil était dans la nécessité de rentrer au château et partit.

«Diable!» fit Rouletabille.

Le reporter, lui aussi, avait lair consterné. Il tira de son portefeuille un morceau de papier blanc, comme je le lui avais vu faire précédemment, et découpa avec ses ciseaux les contours de «pieds élégants» de lassassin, dont le modèle était là, sur la terre. Et puis il transporta cette nouvelle semelle de papier sur les empreintes de la bottine de M. Darzac. Ladaptation était parfaite et Rouletabille se releva en répétant: «Diable»!

Je nosais pas prononcer une parole, tant jimaginais que ce qui se passait, dans ce moment, dans les bosses de Rouletabille était grave.

Il dit:

«Je crois pourtant que M. Robert Darzac est un honnête homme…»

Et il mentraîna vers lauberge du «Donjon», que nous apercevions à un kilomètre de là, sur la route, à côté dun petit bouquet darbres.

X
«Maintenant, il va falloir manger du saignant»

Lauberge du «Donjon» navait pas grande apparence; mais jaime ces masures aux poutres noircies par le temps et la fumée de lâtre, ces auberges de lépoque des diligences, bâtisses branlantes qui ne seront bientôt plus quun souvenir. Elles tiennent au passé, elles se rattachent à lhistoire, elles continuent quelque chose et elles font penser aux vieux contes de la Route, quand il y avait, sur la route, des aventures.

Je vis tout de suite que lauberge du «Donjon» avait bien ses deux siècles et même peut-être davantage. Pierraille et plâtras sétaient détachés çà et là de la forte armature de bois dont les X et les V supportaient encore gaillardement le toit vétuste. Celui-ci avait glissé légèrement sur ses appuis, comme glisse la casquette sur le front dun ivrogne. Au-dessus de la porte dentrée, une enseigne de fer gémissait sous le vent dautomne. Un artiste de lendroit y avait peint une sorte de tour surmontée dun toit pointu et dune lanterne comme on en voyait au donjon du château du Glandier. Sous cette enseigne, sur le seuil, un homme, de mine assez rébarbative, semblait plongé dans des pensées assez sombres, sil fallait en croire les plis de son front et le méchant rapprochement de ses sourcils touffus.

Quand nous fûmes tout près de lui, il daigna nous voir et nous demanda dune façon peu engageante si nous avions besoin de quelque chose. Cétait, à nen pas douter, lhôte peu aimable de cette charmante demeure. Comme nous manifestions lespoir quil voudrait bien nous servir à déjeuner, il nous avoua quil navait aucune provision et quil serait fort embarrassé de nous satisfaire; et, ce disant, il nous regardait dun oeil dont je ne parvenais pas à mexpliquer la méfiance.

«Vous pouvez nous faire accueil, lui dit Rouletabille, nous ne sommes pas de la police.

– je ne crains pas la police, répondit lhomme; je ne crains personne.»

Déjà je faisais comprendre par un signe à mon ami que nous serions bien inspirés de ne pas insister, mais mon ami, qui tenait évidemment à entrer dans cette auberge, se glissa sous lépaule de lhomme et fut dans la salle.

«Venez, dit-il, il fait très bon ici.»

De fait, un grand feu de bois flambait dans la cheminée. Nous nous en approchâmes et tendîmes nos mains à la chaleur du foyer, car, ce matin-là, on sentait déjà venir lhiver. La pièce était assez grande; deux épaisses tables de bois, quelques escabeaux, un comptoir, où salignaient des bouteilles de sirop et dalcool, la garnissaient. Trois fenêtres donnaient sur la route. Une chromo- réclame, sur le mur, vantait, sous les traits dune jeune Parisienne levant effrontément son verre, les vertus apéritives dun nouveau vermouth. Sur la tablette de la haute cheminée, laubergiste avait disposé un grand nombre de pots et de cruches en grès et en faïence.

«Voilà une belle cheminée pour faire rôtir un poulet, dit Rouletabille.

– Nous navons point de poulet, fit lhôte; pas même un méchant lapin.

Je sais, répliqua mon ami, dune voix goguenarde qui me surprit, je sais que, maintenant, il va falloir manger du saignant.»

Javoue que je ne comprenais rien à la phrase de Rouletabille. Pourquoi disait-il à cet homme: «Maintenant, il va falloir manger du saignant…?» Et pourquoi laubergiste, aussitôt quil eut entendu cette phrase, laissa-t-il échapper un juron quil étouffa aussitôt et se mit-il à notre disposition aussi docilement que M. Robert Darzac lui-même quand il eut entendu ces mots fatidiques: «Le presbytère na rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat…?» Décidément, mon ami avait le don de se faire comprendre des gens avec des phrases tout à fait incompréhensibles. Je lui en fis lobservation et il voulut bien sourire. Jeusse préféré quil daignât me donner quelque explication, mais il avait mis un doigt sur sa bouche, ce qui signifiait évidemment que non seulement il sinterdisait de parler, mais encore quil me recommandait le silence. Entre temps, lhomme, poussant une petite porte, avait crié quon lui apportât une demi-douzaine doeufs et «le morceau de faux filet». La commission fut bientôt faite par une jeune femme fort accorte, aux admirables cheveux blonds et dont les beaux grands yeux doux nous regardèrent avec curiosité.

Laubergiste lui dit dune voix rude:

«Va-ten! Et si lhomme vert sen vient, que je ne te voie pas!»

Et elle disparut, Rouletabille sempara des oeufs quon lui apporta dans un bol et de la viande quon lui servit sur un plat, plaça le tout précautionneusement à côté de lui, dans la cheminée, décrocha une poêle et un gril pendus dans lâtre et commença de battre notre omelette en attendant quil fît griller notre bifteck. Il commanda encore à lhomme deux bonnes bouteilles de cidre et semblait soccuper aussi peu de son hôte que son hôte soccupait de lui. Lhomme tantôt le couvait des yeux et tantôt me regardait avec un air danxiété quil essayait en vain de dissimuler. Il nous laissa faire notre cuisine et mit notre couvert auprès dune fenêtre.

 

Tout à coup je lentendis qui murmurait:

«Ah! le voilà!» Et, la figure changée, nexprimant plus quune haine atroce, il alla se coller contre la fenêtre, regardant la route. Je neus point besoin davertir Rouletabille. Le jeune homme avait déjà lâché son omelette et rejoignait lhôte à la fenêtre. Jy fus avec lui.

Un homme, tout habillé de velours vert, la tête prise dans une casquette ronde de même couleur, savançait, à pas tranquilles sur la route, en fumant sa pipe. Il portait un fusil en bandoulière et montrait dans ses mouvements une aisance presque aristocratique. Cet homme pouvait avoir quarante-cinq ans. Les cheveux et la moustache étaient gris-sel. Il était remarquablement beau. Il portait binocle. Quand il passa près de lauberge, il parut hésiter, se demandant sil entrerait, jeta un regard de notre côté, lâcha quelques bouffées de sa pipe et dun même pas nonchalant reprit sa promenade.

Rouletabille et moi nous regardâmes lhôte. Ses yeux fulgurants, ses poings fermés, sa bouche frémissante, nous renseignaient sur les sentiments tumultueux qui lagitaient.

«Il a bien fait de ne pas entrer aujourdhui! siffla-t-il.

– Quel est cet homme? demanda Rouletabille, en retournant à son omelette.

– «Lhomme vert!» gronda laubergiste… Vous ne le connaissez pas? Tant mieux pour vous. Cest pas une connaissance à faire… Eh ben, cest lgarde à M. Stangerson.

– Vous ne paraissez pas laimer beaucoup? demanda le reporter en versant son omelette dans la poêle.

– Personne ne laime dans le pays, monsieur; et puis cest un fier, qui a dû avoir de la fortune autrefois; et il ne pardonne à personne de sêtre vu forcé, pour vivre, de devenir domestique. Car un garde, cest un larbin comme un autre! nest-ce pas? Ma parole! on dirait que cest lui qui est le maître du Glandier, que toutes les terres et tous les bois lui appartiennent. Il ne permettrait pas à un pauvre de déjeuner dun morceau de pain sur lherbe, «sur son herbe»!

– Il vient quelquefois ici?

– Il vient trop. Mais je lui ferai bien comprendre que sa figure ne me revient pas. Il y a seulement un mois, il ne membêtait pas! Lauberge du «Donjon» navait jamais existé pour lui! … Il navait pas le temps! Fallait-il pas quil fasse sa cour à lhôtesse des «Trois Lys», à Saint-Michel. Maintenant quil y a eu de la brouille dans les amours, il cherche à passer le temps ailleurs… Coureur de filles, trousseur de jupes, mauvais gars… Y a pas un honnête homme qui puisse le supporter, cet homme-là… Tenez, les concierges du château ne pouvaient pas le voir en peinture, «lhomme vert! …»

– Les concierges du château sont donc dhonnêtes gens, monsieur laubergiste?

– Appelez-moi donc père Mathieu; cest mon nom… Eh ben, aussi vrai que je mappelle Mathieu, oui msieur, jles crois honnêtes.

– On les a pourtant arrêtés.

– Què-que ça prouve? Mais je ne veux pas me mêler des affaires du prochain…

– Et quest-ce que vous pensez de lassassinat?

– De lassassinat de cette pauvre mademoiselle? Une brave fille, allez, et quon aimait bien dans le pays. Cque jen pense?

– Oui, ce que vous en pensez.

– Rien… et bien des choses… Mais ça ne regarde personne.

– Pas même moi?» insista Rouletabille.

Laubergiste le regarda de côté, grogna, et dit:

«Pas même vous…»

Lomelette était prête; nous nous mîmes à table et nous mangions en silence, quand la porte dentrée fut poussée et une vieille femme, habillée de haillons, appuyée sur un bâton, la tête branlante, les cheveux blancs qui pendaient en mèches folles sur le front encrassé, se montra sur le seuil.

«Ah! vous vlà, la mère Agenoux! Y a longtemps quon ne vous a vue, fit notre hôte.

– Jai été bien malade, toute prête à mourir, dit la vieille. Si quelquefois vous aviez des restes pour la «Bête du Bon Dieu»…?

Et elle pénétra dans lauberge, suivie dun chat si énorme que je ne soupçonnais pas quil pût en exister de cette taille. La bête nous regarda et fit entendre un miaulement si désespéré que je me sentis frissonner. Je navais jamais entendu un cri aussi lugubre.

Comme sil avait été attiré par ce cri, un homme entra, derrière la vieille. Cétait «lhomme vert». Il nous salua dun geste de la main à sa casquette et sassit à la table voisine de la nôtre.

«Donnez-moi un verre de cidre, père Mathieu.»

Quand «lhomme vert» était entré, le père Mathieu avait eu un mouvement violent de tout son être vers le nouveau venu; mais, visiblement, il se dompta et répondit:

«Y a plus de cidre, jai donné les dernières bouteilles à ces messieurs.

– Alors donnez-moi un verre de vin blanc, fit «lhomme vert» sans marquer le moindre étonnement.

– Y a plus de vin blanc, y a plus rien!»

Le père Mathieu répéta, dune voix sourde:

«Y a plus rien!

– Comment va Mme Mathieu?»

Laubergiste, à cette question de «lhomme vert», serra les poings, se retourna vers lui, la figure si mauvaise que je crus quil allait frapper, et puis il dit:

«Elle va bien, merci.»

Ainsi, la jeune femme aux grands yeux doux que nous avions vue tout à lheure était lépouse de ce rustre répugnant et brutal, et dont tous les défauts physiques semblaient dominés par ce défaut moral: La jalousie.

Claquant la porte, laubergiste quitta la pièce. La mère Agenoux était toujours là debout, appuyée sur son bâton et le chat au bas de ses jupes.

«Lhomme vert» lui demanda:

«Vous avez été malade, mère Agenoux, quon ne vous a pas vue depuis bientôt huit jours?

– Oui, msieur lgarde. Je ne me suis levée que trois fois pour aller prier sainte Geneviève, notre bonne patronne, et lreste du temps, jai été étendue sur mon grabat. Il ny a eu pour me soigner que la «Bête du Bon Dieu!»

– Elle ne vous a pas quittée?

– Ni jour ni nuit.

– Vous en êtes sûre?

– Comme du paradis.

– Alors, comment ça se fait-il, mère Agenoux, quon nait entendu que le cri de la «Bête du BonDieu» toute la nuit du crime?»

La mère Agenoux alla se planter face au garde, et frappa le plancher de son bâton:

«Je nen sais rien de rien. Mais, voulez-vous que jvous dise? Il ny a pas deux bêtes au monde qui ont ce cri-là… Eh bien, moi aussi, la nuit du crime, jai entendu, au dehors, le cri de la «Bête du Bon Dieu»; et pourtant elle était sur mes genoux, msieur le garde, et elle na pas miaulé une seule fois, je vous le jure. Je msuis signée, quand jai entendu ça, comme si jentendais ldiable!»

Je regardais le garde pendant quil posait cette dernière question, et je me trompe fort si je nai pas surpris sur ses lèvres un mauvais sourire goguenard.

À ce moment, le bruit dune querelle aiguë parvint jusquà nous. Nous crûmes même percevoir des coups sourds, comme si lon battait, comme si lon assommait quelquun. «Lhomme vert» se leva et courut résolument à la porte, à côté de lâtre, mais celle-ci souvrit et laubergiste, apparaissant, dit au garde:

«Ne vous effrayez pas, msieur le garde; cest ma femme qua mal aux dents!»

Et il ricana.

«Tenez, mère Agenoux, vlà du mou pour votchat.»

Il tendit à la vieille un paquet; la vieille sen empara avidement et sortit, toujours suivie de son chat.

«Lhomme vert» demanda:

«Vous ne voulez rien me servir?»

Le père Mathieu ne retint plus lexpression de sa haine:

«Y a rien pour vous! Y a rien pour vous! Allez-vous-en! …»

«Lhomme vert», tranquillement, bourra sa pipe, lalluma, nous salua et sortit. Il nétait pas plutôt sur le seuil que Mathieu lui claquait la porte dans le dos et, se retournant vers nous, les yeux injectés de sang, la bouche écumante, nous sifflait, le poing tendu vers cette porte qui venait de se fermer sur lhomme quil détestait:

«Je ne sais pas qui vous êtes, vous qui venez me dire: «Maintenant va falloir manger du saignant.» Mais si ça vous intéresse: lassassin, le vlà!»

Aussitôt quil eût ainsi parlé, le père Mathieu nous quitta.

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