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Le mystère de la chambre jaune

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XIV
«Jattends lassassin, ce soir»

«Il faut, me dit Rouletabille, que je vous conduise sur les lieux pour que vous puissiez comprendre ou plutôt pour que vous soyez persuadé quil est impossible de comprendre. Je crois, quant à moi, avoir trouvé ce que tout le monde cherche encore: la façon dont lassassin est sorti de la «Chambre Jaune»… sans complicité daucune sorte et sans que M. Stangerson y soit pour quelque chose. Tant que je ne serai point sûr de la personnalité de lassassin, je ne saurais dire quelle est mon hypothèse, mais je crois cette hypothèse juste et, dans tous les cas, elle est tout à fait naturelle, je veux dire tout à fait simple. Quant à ce qui sest passé il y a trois nuits, ici, dans le château même, cela ma semblé pendant vingt-quatre heures dépasser toute faculté dimagination. Et encore lhypothèse qui, maintenant, sélève du fond de mon moi est-elle si absurde, celle-là, que je préfère presque les ténèbres de linexplicable.

Sur quoi, le jeune reporter minvita à sortir; il me fit faire le tour du château. Sous nos pieds craquaient les feuilles mortes; cest le seul bruit que jentendais. On eût dit que le château était abandonné. Ces vieilles pierres, cette eau stagnante dans les fossés qui entouraient le donjon, cette terre désolée recouverte de la dépouille du dernier été, le squelette noir des arbres, tout concourait à donner à ce triste endroit, hanté par un mystère farouche, laspect le plus funèbre. Comme nous contournions le donjon, nous rencontrâmes «lhomme vert», le garde, qui ne nous salua point et qui passa près de nous, comme si nous nexistions pas. Il était tel que je lavais vu pour la première fois, à travers les vitres de lauberge du père Mathieu; il avait toujours son fusil en bandoulière, sa pipe à la bouche et son binocle sur le nez.

«Drôle doiseau! me dit tout bas Rouletabille.

– Lui avez-vous parlé? demandai-je.

– Oui, mais il ny a rien à en tirer… il répond par grognements, hausse les épaules et sen va. Il habite à lordinaire au premier étage du donjon, une vaste pièce qui servait autrefois doratoire. Il vit là en ours, ne sort quavec son fusil. Il nest aimable quavec les filles. Sous prétexte de courir après les braconniers, il se relève souvent la nuit; mais je le soupçonne davoir des rendez-vous galants. La femme de chambre de Mlle Stangerson, Sylvie, est sa maîtresse. En ce moment, il est très amoureux de la femme du père Mathieu, laubergiste; mais le père Mathieu surveille de près son épouse, et je crois bien que cest la presque impossibilité où «lhomme vert» se trouve dapprocher MmeMathieu qui le rend encore plus sombre et taciturne. Cest un beau gars, bien soigné de sa personne, presque élégant… les femmes, à quatre lieues à la ronde, en raffolent.»

Après avoir dépassé le donjon qui se trouve à lextrémité de laile gauche, nous passâmes sur les derrières du château. Rouletabille me dit en me montrant une fenêtre que je reconnus pour être lune de celles qui donnent sur les appartements de Mlle Stangerson.

«Si vous étiez passé par ici il y a deux nuits, à une heure du matin, vous auriez vu votre serviteur au haut dune échelle sapprêtant à pénétrer dans le château, par cette fenêtre!»

Comme jexprimais quelque stupéfaction de cette gymnastique nocturne, il me pria de montrer beaucoup dattention à la disposition extérieure du château, après quoi nous revînmes dans le bâtiment.

«Il faut maintenant, dit mon ami, que je vous fasse visiter le premier étage, aile droite. Cest là que jhabite.

Pour bien faire comprendre léconomie des lieux, je mets sous les yeux du lecteurs un plan du premier étage de cette aile droite, plan dessiné par Rouletabille au lendemain de lextraordinaire phénomène que vous allez connaître dans tous ses détails:

_1. __Endroitoù Rouletabille plaça Frédéric Larsan._ _2. __Endroit où Rouletabille plaça le père Jacques._ _3. __Endroit où Rouletabille plaça M. Stangerson._ _4. __Fenêtre par laquelle entra Rouletabille._ _5. __Fenêtre trouvée ouverte par Rouletabille quand il sort de sa chambre. Il la referme. Toutes les autres fenêtres et portes sont fermées._ _6. __Terrasse surmontant une pièce en encorbellement au rez-de- chaussée._

Rouletabille me fit signe de monter derrière lui lescalier monumental double qui, à la hauteur du premier étage, formait palier. De ce palier on se rendait directement dans laile droite ou dans laile gauche du château par une galerie qui y venait aboutir. La galerie, haute et large, sétendait sur toute la longueur du bâtiment et prenait jour sur la façade du château exposée au nord. Les chambres dont les fenêtres donnaient sur le midi avaient leurs portes sur cette galerie. Le professeur Stangerson habitait laile gauche du château. Mlle Stangerson avait son appartement dans laile droite. Nous entrâmes dans la galerie, aile droite. Un tapis étroit, jeté sur le parquet ciré, qui luisait comme une glace, étouffait le bruit de nos pas. Rouletabille me disait à voix basse, de marcher avec précaution parce que nous passions devant la chambre de Mlle Stangerson. Il mexpliqua que lappartement de Mlle Stangerson se composait de sa chambre, dune antichambre, dune petite salle de bain, dun boudoir et dun salon. On pouvait, naturellement, passer de lune de ces pièces dans lautre sans quil fût nécessaire de passer par la galerie. Le salon et lantichambre étaient les seules pièces de lappartement qui eussent une porte sur la galerie. La galerie se continuait, toute droite, jusquà lextrémité est du bâtiment où elle avait jour sur lextérieur par une haute fenêtre (fenêtre 2 du plan). Vers les deux tiers de sa longueur, cette galerie se rencontrait à angle droit avec une autre galerie qui tournait avec laile droite du château.

Pour la clarté de ce récit, nous appellerons la galerie qui va de lescalier jusquà la fenêtre à lest, «la galerie droite» et le bout de galerie qui tourne avec laile droite et qui vient aboutir à la galerie droite, à angle droit, «la galerie tournante». Cest au carrefour de ces deux galeries que se trouvait la chambre de Rouletabille, touchant à celle de Frédéric Larsan. Les portes de ces deux chambres donnaient sur la galerie tournante, tandis que les portes de lappartement de Mlle Stangerson donnaient sur la galerie droite (voir le plan).

Rouletabille poussa la porte de sa chambre, me fit entrer et referma la porte sur nous, poussant le verrou. Je navais pas encore eu le temps de jeter un coup doeil sur son installation quil poussait un cri de surprise en me montrant, sur un guéridon, un binocle.

«Quest-ce que cest que cela? se demandait-il; quest-ce que ce binocle est venu faire sur mon guéridon?»

Jaurais été bien en peine de lui répondre.

«À moins que, fit-il, à moins que… à moins que… à moins que ce binocle ne soit «ce que je cherche»… et que… et que… et que ce soit un binocle de presbyte! …»

Il se jetait littéralement sur le binocle; ses doigts caressaient la convexité des verres… et alors il me regarda dune façon effrayante.

«Oh! … oh!»

Et il répétait: Oh! … oh! comme si sa pensée lavait tout à coup rendu fou…

Il se leva, me mit la main sur lépaule, ricana comme un insensé et me dit:

«Ce binocle me rendra fou! car la chose est possible, voyez-vous, «mathématiquement parlant»; mais «humainement parlant» elle est impossible… ou alors… ou alors… ou alors…»

On frappa deux petits coups à la porte de la chambre, Rouletabille entrouvrit la porte; une figure passa. Je reconnus la concierge que javais vue passer devant moi quand on lavait amenée au pavillon pour linterrogatoire et jen fus étonné, car je croyais toujours cette femme sous les verrous. Cette femme dit à voix très basse:

«Dans la rainure du parquet!»

Rouletabille répondit: «Merci!» et la figure sen alla. Il se retourna vers moi après avoir soigneusement refermé la porte. Et il prononça des mots incompréhensibles avec un air hagard.

«Puisque la chose est «mathématiquement» possible, pourquoi ne la serait-elle pas «humainement! … Mais si la chose est «humainement» possible, laffaire est formidable!»

Jinterrompis Rouletabille dans son soliloque:

«Les concierges sont donc en liberté, maintenant? demandai-je.

– Oui, me répondit Rouletabille, je les ai fait remettre en liberté. Jai besoin de gens sûrs. La femme mest tout à fait dévouée et le concierge se ferait tuer pour moi… Et, puisque le binocle a des verres pour presbyte, je vais certainement avoir besoin de gens dévoués qui se feraient tuer pour moi!

– Oh! oh! fis-je, vous ne souriez pas, mon ami… Et quand faudra-t-il se faire tuer?

– Mais, ce soir! car il faut que je vous dise, mon cher, jattends lassassin ce soir!

– Oh! oh! oh! oh! … Vous attendez lassassin ce soir… Vraiment, vraiment, vous attendez lassassin ce soir… mais vous connaissez donc lassassin?

– Oh! oh! oh! Maintenant, il se peut que je le connaisse. Je serais un fou daffirmer catégoriquement que je le connais, car lidée mathématique que jai de lassassin donne des résultats si effrayants, si monstrueux, que jespère quil est encore possible que je me trompe! Oh! Je lespère de toutes mes forces…

– Comment, puisque vous ne connaissiez pas, il y a cinq minutes, lassassin, pouvez-vous dire que vous attendez lassassin ce soir?

– Parce que je sais quil doit venir.» __ – Rouletabille bourra une pipe, lentement, lentement et lalluma.

Ceci me présageait un récit des plus captivants. À ce moment quelquun marcha dans le couloir, passant devant notre porte. Rouletabille écouta. Les pas séloignèrent.

«Est-ce que Frédéric Larsan est dans sa chambre? Fis-je, en montrant la cloison.

– Non, me répondit mon ami, il nest pas là; il a dû partir ce matin pour Paris; il est toujours sur la piste de Darzac! … M. Darzac est parti lui aussi ce matin pour Paris. Tout cela se terminera très mal… Je prévois larrestation de M. Darzac avant huit jours. Le pire est que tout semble se liguer contre le malheureux: les événements, les choses, les gens… Il nest pas une heure qui sécoule qui napporte contre M. Darzac une accusation nouvelle… Le juge dinstruction en est accablé et aveuglé… Du reste, je comprends que lon soit aveuglé! … On le serait à moins…

 

– Frédéric Larsan nest pourtant pas un novice.

– Jai cru, fit Rouletabille avec une moue légèrement méprisante, que Fred était beaucoup plus fort que cela… Évidemment, ce nest pas le premier venu… Jai même eu beaucoup dadmiration pour lui quand je ne connaissais pas sa méthode de travail. Elle est déplorable… Il doit sa réputation uniquement à son habileté; mais il manque de philosophie; la mathématique de ses conceptions est bien pauvre…»

Je regardai Rouletabille et ne pus mempêcher de sourire en entendant ce gamin de dix-huit ans traiter denfant un garçon dune cinquantaine dannées qui avait fait ses preuves comme le plus fin limier de la police dEurope…

«Vous souriez, me fit Rouletabille… Vous avez tort! … Je vous jure que je le roulerai… et dune façon retentissante… mais il faut que je me presse, car il a une avance colossale sur moi, avance que lui a donnée M. Robert Darzac et que M. Robert Darzac va augmenter encore ce soir… Songez donc: chaque fois que lassassin vient au château, M. Robert Darzac, par une fatalité étrange, sabsente et se refuse à donner lemploi de son temps!

– Chaque fois que lassassin vient au château! mécriai-je… Il y est donc revenu…

– Oui, pendant cette fameuse nuit où sest produit le phénomène…»

Jallais donc connaître ce fameux phénomène auquel Rouletabille faisait allusion depuis une demi-heure sans me lexpliquer. Mais javais appris à ne jamais presser Rouletabille dans ses narrations… Il parlait quand la fantaisie lui en prenait ou quand il le jugeait utile, et se préoccupait beaucoup moins de ma curiosité que de faire un résumé complet pour lui-même dun événement capital qui lintéressait.

Enfin, par petites phrases rapides, il mapprit des choses qui me plongèrent dans un état voisin de labrutissement, car, en vérité, les phénomènes de cette science encore inconnue quest lhypnotisme, par exemple, ne sont point plus inexplicables que _cette disparition de la matière de lassassin au moment où ils étaient quatre à la toucher. Je parle de lhypnotisme comme je parlerais de lélectricité dont nous ignorons la nature, et dont nous connaissons si peu les lois, parce que, dans le moment, laffaire me parut ne pouvoir sexpliquer que par de linexplicable, cest-à-dire par un événement en dehors des lois naturelles connues. Et cependant, si javais eu la cervelle de Rouletabille, jaurais eu, comme lui, «le pressentiment de lexplication naturelle»: car le plus curieux dans tous les mystères du Glandier a bien été «la façon naturelledont Rouletabille les expliqua». _Mais qui donc eût pu et pourrait encore se vanter davoir la cervelle de Rouletabille? Les bosses originales et inharmoniques de son front, je ne les ai jamais rencontrées sur aucun autre front, si ce nest – mais bien moins apparentes – sur le front de Frédéric Larsan, et encore fallait- il bien regarder le front du célèbre policier pour en deviner le dessin, tandis que les bosses de Rouletabille sautaient – si jose me servir de cette expression un peu forte – sautaient aux yeux.

Jai, parmi les papiers qui me furent remis par le jeune homme après laffaire, un carnet où jai trouvé un compte rendu complet du «phénomène de la disparition de la matière de lassassin», et des réflexions quil inspira à mon ami. Il est préférable, je crois, de vous soumettre ce compte rendu que de continuer à reproduire ma conversation avec Rouletabille, car jaurais peur, dans une pareille histoire, dajouter un mot qui ne fût point lexpression de la plus stricte vérité.

XV
Traquenard

Extrait du carnet de Joseph Rouletabille.

La nuit dernière, nuit du 29 au 30 octobre, écrit Joseph Rouletabille, je me réveille vers une heure du matin. Insomnie ou bruit du dehors? Le cri de la «Bête du Bon Dieu» retentit avec une résonance sinistre, au fond du parc. Je me lève; jouvre ma fenêtre. Vent froid et pluie; ténèbres opaques, silence. Je referme ma fenêtre. La nuit est encore déchirée par la bizarre clameur. Je passe rapidement un pantalon, un veston. Il fait un temps à ne pas mettre un chat dehors; qui donc, cette nuit, imite, si près du château, le miaulement du chat de la mère Agenoux? Je prends un gros gourdin, la seule arme dont je dispose, et, sans faire aucun bruit, jouvre ma porte.

Me voici dans la galerie; une lampe à réflecteur léclaire parfaitement; la flamme de cette lampe vacille comme sous laction dun courant dair. Je sens le courant dair. Je me retourne. Derrière moi, une fenêtre est ouverte, celle qui se trouve à lextrémité de ce bout de galerie sur laquelle donnent nos chambres, à Frédéric Larsan et à moi, galerie que jappellerai «galerie tournante»pour la distinguer de la «galerie droite», sur laquelle donne lappartement de Mlle Stangerson. Ces deux galeries se croisent à angle droit. Qui donc a laissé cette fenêtre ouverte, ou qui vient de louvrir? Je vais à la fenêtre; je me penche au dehors. À un mètre environ sous cette fenêtre, il y a une terrasse qui sert de toit à une petite pièce en encorbellement qui se trouve au rez-de-chaussée. On peut, au besoin, sauter de la fenêtre sur la terrasse, et de là, se laisser glisser dans la cour dhonneur du château. Celui qui aurait suivi ce chemin ne devait évidemment pas avoir sur lui la clef de la porte du vestibule. Mais pourquoi mimaginer cette scène de gymnastique nocturne? À cause dune fenêtre ouverte? Il ny a peut-être là que la négligence dun domestique. Je referme la fenêtre en souriant de la facilité avec laquelle je bâtis des drames avec une fenêtre ouverte. Nouveau cri de la «Bête du Bon Dieu» dans la nuit. Et puis, le silence; la pluie a cessé de frapper les vitres. Tout dort dans le château. Je marche avec des précautions infinies sur le tapis de la galerie. Arrivé au coin de la galerie droite, javance la tête et y jette un prudent regard. Dans cette galerie, une autre lampe à réflecteur donne une lumière éclairant parfaitement les quelques objets qui sy trouvent, trois fauteuils et quelques tableaux pendus aux murs. Quest-ce que je fais là? Jamais le château na été aussi calme. Tout y repose. Quel est cet instinct qui me pousse vers la chambre de Mlle Stangerson? Quest- ce qui me conduit vers la chambre de Mlle Stangerson? Pourquoi cette voix qui crie au fond de mon être: «Va jusquà la chambre de Mlle Stangerson!» Je baisse les yeux sur le tapis que je foule et «je vois que mes pas, vers la chambre de Mlle Stangerson, sont conduits par des pas qui y sont déjà allés». Oui, sur ce tapis, des traces de pas ont apporté la boue du dehors et je suis ces pas qui me conduisent à la chambre de Mlle Stangerson. Horreur! Horreur! Ce sont «les pas élégants» que je reconnais, «les pas de lassassin!» Il est venu du dehors, par cette nuit abominable. Si lon peut descendre de la galerie par la fenêtre, grâce à la terrasse, on peut aussi y entrer.

Lassassin est là, dans le château, car les pas ne sont pas revenus». Il sest introduit dans le château par cette fenêtre ouverte à lextrémité de la galerie tournante; il est passé devant la chambre de Frédéric Larsan, devant la mienne, a tourné à droite, dans la galerie droite, et est entré dans la chambre de Mlle Stangerson. Je suis devant la porte de lappartement de Mlle Stangerson, devant la porte de lantichambre: elle est entrouverte, je la pousse sans faire entendre le moindre bruit. Je me trouve dans lantichambre et là, sous la porte de la chambre même, je vois une barre de lumière. Jécoute. Rien! Aucun bruit, pas même celui dune respiration. Ah! savoir ce qui se passe dans le silence qui est derrière cette porte! Mes yeux sur la serrure mapprennent que cette serrure est fermée à clef, et la clef est en dedans. Et dire que lassassin est peut-être là! Quil doit être là! Séchappera-t-il encore, cette fois? Tout dépend de moi! Du sang-froid et, surtout, pas une fausse manoeuvre! «Il faut voir dans cette chambre.» Y entrerai-je par le salon de Mlle Stangerson? il me faudrait ensuite traverser le boudoir, et lassassin se sauverait alors par la porte de la galerie, la porte devant laquelle je suis en ce moment.

«Pour moi, ce soir, il ny a pas encore eu crime», car rien nexpliquerait le silence du boudoir! Dans le boudoir, deux gardes-malades sont installées pour passer la nuit, jusquà la complète guérison de Mlle Stangerson.

Puisque je suis à peu près sûr que lassassin est là, pourquoi ne pas donner léveil tout de suite? Lassassin se sauvera peut-être, mais peut-être aurai-je sauvé Mlle Stangerson? Et si, par hasard, lassassin, ce soir, nétait pas un assassin?» La porte a été ouverte pour lui livrer passage: par qui? – et a été refermée: par qui? Il est entré, cette nuit, dans cette chambre dont la porte était certainement fermée à clef à lintérieur, «car Mlle Stangerson, tous les soirs, senferme avec ses gardes dans son appartement». Qui a tourné cette clef de la chambre pour laisser entrer lassassin? Les gardes? Deux domestiques fidèles, la vieille femme de chambre et sa fille Sylvie? Cest bien improbable. Du reste, elles couchent dans le boudoir, et Mlle Stangerson, très inquiète, très prudente, ma dit Robert Darzac, veille elle-même à sa Sûreté depuis quelle est assez bien portante pour faire quelques pas dans son appartement – dont je ne lai pas encore vue sortir. Cette inquiétude et cette prudence soudaines chez Mlle Stangerson, qui avaient frappé M. Darzac, mavaient également laissé à réfléchir. Lors du crime de la «Chambre Jaune», il ne fait point de doute que la malheureuse attendait lassassin. Lattendait-elle encore ce soir? Mais qui donc a tourné cette clef pour ouvrir «à lassassin qui est là»? Si cétait Mlle Stangerson «elle-même»? Car enfin elle peut redouter, elle doit redouter la venue de lassassin et avoir des raisons pour lui ouvrir la porte, «pour être forcée de lui ouvrir la porte!» Quel terrible rendez-vous est donc celui-ci? Rendez-vous de crime? À coup sûr, pas rendez-vous damour, car Mlle Stangerson adore M. Darzac, je le sais. Toutes ces réflexions traversent mon cerveau comme un éclair qui nilluminerait que des ténèbres. Ah! Savoir…

Sil y a tant de silence, derrière cette porte, cest sans doute quon y a besoin de silence! Mon intervention peut être la cause de plus de mal que de bien? Est-ce que je sais? Qui me dit que mon intervention ne déterminerait pas, dans la minute, un crime? Ah! voir et savoir, sans troubler le silence!

Je sors de lantichambre. Je vais à lescalier central, je le descends; me voici dans le vestibule; je cours le plus silencieusement possible vers la petite chambre au rez-de- chaussée, où couche, depuis lattentat du pavillon, le père Jacques.

«Je le trouve habillé», les yeux grands ouverts, presque hagards. Il ne semble point étonné de me voir; il me dit quil sest levé parce quil a entendu le cri de «la Bête du Bon Dieu», et quil a entendu des pas, dans le parc, des pas qui glissaient devant sa fenêtre. Alors, il a regardé à la fenêtre «et il a vu passer, tout à lheure, un fantôme noir». Je lui demande sil a une arme. Non, il na plus darme, depuis que le juge dinstruction lui a pris son revolver. Je lentraîne. Nous sortons dans le parc par une petite porte de derrière. Nous glissons le long du château jusquau point qui est juste au-dessous de la chambre de Mlle Stangerson. Là, je colle le père Jacques contre le mur, lui défends de bouger, et moi, profitant dun nuage qui recouvre en ce moment la lune, je mavance en face de la fenêtre, mais en dehors du carré de lumière qui en vient; «car la fenêtre est entrouverte». Par précaution? Pour pouvoir sortir plus vite par la fenêtre, si quelquun venait à entrer par une porte? Oh! oh! celui qui sautera par cette fenêtre aurait bien des chances de se rompre le cou! Qui me dit que lassassin na pas une corde? Il a dû tout prévoir… Ah! savoir ce qui se passe dans cette chambre! … connaître le silence de cette chambre! … Je retourne au père Jacques et je prononce un mot, à son oreille: «Échelle». Dès labord, jai bien pensé à larbre qui, huit jours auparavant ma déjà servi dobservatoire, mais jai aussitôt constaté que la fenêtre est entrouverte de telle sorte que je ne puis rien voir, cette fois-ci, en montant dans larbre, de ce qui se passe dans la chambre. Et puis non seulement je veux voir, mais pouvoir entendre et… agir…

Le père Jacques, très agité, presque tremblant, disparaît un instant et revient, sans échelle, me faisant, de loin, de grands signes avec ses bras pour que je le rejoigne au plus tôt. Quand je suis près de lui: «Venez!» me souffle-t-il.

 

Il me fait faire le tour du château par le donjon. Arrivé là, il me dit:

«Jétais allé chercher mon échelle dans la salle basse du donjon, qui nous sert de débarras, au jardinier et à moi; la porte du donjon était ouverte et léchelle ny était plus. En sortant, sous le clair de lune, voilà où je lai aperçue!»

Et il me montrait, à lautre extrémité du château, une échelle appuyée contre les «corbeaux»qui soutenaient la terrasse, au- dessous de la fenêtre que javais trouvée ouverte. La terrasse mavait empêché de voir léchelle… grâce à cette échelle, il était extrêmement facile de pénétrer dans la galerie tournante du premier étage, et je ne doutai plus que ce fût là le chemin pris par linconnu.

Nous courons à léchelle; mais, au moment de nous en emparer, le père Jacques me montre la porte entrouverte de la petite pièce du rez-de-chaussée qui est placée en encorbellement à lextrémité de cette aile droite du château, et qui a pour plafond cette terrasse dont jai parlé. Le père Jacques pousse un peu la porte, regarde à lintérieur, et me dit, dans un souffle.

«Il nest pas là!—Qui? —le garde!» La bouche encore une fois à mon oreille: «Vous savez bien que le garde couche dans cette pièce, depuis quon fait des réparations au donjon! …» et, du même geste significatif, il me montre la porte entrouverte, léchelle, la terrasse et la fenêtre, que jai tout à lheure refermée, de la galerie tournante.

Quelles furent mes pensées alors? Avais-je le temps davoir des pensées? Je «sentais», plus que je ne pensais…

Évidemment, sentais-je, «si le garde est là-haut dans la chambre» (je dis: «si», car je nai, en ce moment, en dehors de cette échelle, et de cette chambre du garde déserte, aucun indice qui me permette même de soupçonner le garde), sil y est, il a été obligé de passer par cette échelle et par cette fenêtre, car les pièces qui se trouvent derrière sa nouvelle chambre, étant occupées par le ménage du maître dhôtel et de la cuisinière, et par les cuisines, lui ferment le chemin du vestibule et de lescalier, à lintérieur du château… «si cest le garde qui a passé par là», il lui aura été facile, sous quelque prétexte, hier soir, daller dans la galerie et de veiller à ce que cette fenêtre soit simplement poussée à lintérieur, les panneaux joints, de telle sorte quil nait plus, de lextérieur, quà appuyer dessus pour que la fenêtre souvre et quil puisse sauter dans la galerie. Cette nécessité de la fenêtre non fermée à lintérieur restreint singulièrement le champ des recherches sur la personnalité de lassassin. Il faut que lassassin «soit de la maison»; à moins quil nait un complice, auquel je ne crois pas…; à moins… à moins que Mlle Stangerson «elle-même» ait veillé à ce que cette fenêtre ne soit point fermée de lintérieur… «Mais quel serait donc ce secret effroyable qui ferait que Mlle Stangerson serait dans la nécessité de supprimer les obstacles qui la séparent de son assassin?»

Jempoigne léchelle et nous voici repartis sur les derrières du château. La fenêtre de la chambre est toujours entrouverte; les rideaux sont tirés, mais ne se rejoignent point; ils laissent passer un grand rai de lumière, qui vient sallonger sur la pelouse à mes pieds. Sous la fenêtre de la chambre japplique mon échelle. Je suis à peu près sûr de navoir fait aucun bruit. «Et, pendant que le père Jacques reste au pied de léchelle», je gravis léchelle, moi, tout doucement, tout doucement, avec mon gourdin. Je retiens ma respiration; je lève et pose les pieds avec des précautions infinies. Soudain, un gros nuage, et une nouvelle averse. Chance. Mais, tout à coup, le cri sinistre de la «Bête du Bon Dieu» marrête au milieu de mon ascension. Il me semble que ce cri vient dêtre poussé derrière moi, à quelques mètres. Si ce cri était un signal! Si quelque complice de lhomme mavait vu, sur mon échelle. Ce cri appelle peut-être lhomme à la fenêtre! Peut- être! … Malheur, «lhomme est à la fenêtre! Je sens sa tête au- dessus de moi; jentends son souffle. Et moi, je ne puis le regarder; le plus petit mouvement de ma tête, et je suis perdu! Va-t-il me voir? Va-t-il, dans la nuit, baisser la tête? Non! … il sen va… il na rien vu… je le sens, plus que je ne lentends, marcher, à pas de loup, dans la chambre; et je gravis encore quelques échelons. Ma tête est à la hauteur de la pierre dappui de la fenêtre; mon front dépasse cette pierre; mes yeux, entre les rideaux, voient.

Lhomme est là, assis au petit bureau de Mlle Stangerson, et il écrit. Il me tourne le dos. Il a une bougie devant lui; mais, comme il est penché sur la flamme de cette bougie, la lumière projette des ombres qui me le déforment. Je ne vois quun dos monstrueux, courbé.

Chose stupéfiante: Mlle Stangerson nest pas là! Son lit nest pas défait. Où donc couche-t-elle, cette nuit? Sans doute dans la chambre à côté, avec ses femmes. Hypothèse. Joie de trouver lhomme seul. Tranquillité desprit pour préparer le traquenard.

Mais qui est donc cet homme qui écrit là, sous mes yeux, installé à ce bureau comme sil était chez lui? Sil ny avait point «les pas de lassassin» sur le tapis de la galerie, sil ny avait pas eu la fenêtre ouverte, sil ny avait pas eu, sous cette fenêtre, léchelle, je pourrais être amené à penser que cet homme a le droit dêtre là et quil sy trouve normalement à la suite de causes normales que je ne connais pas encore. Mais il ne fait point de doute que cet inconnu mystérieux est lhomme de la «Chambre Jaune», celui dont Mlle Stangerson est obligée, sans le dénoncer, de subir les coups assassins. Ah! voir sa figure! Le surprendre! Le prendre!

Si je saute dans la chambre en ce moment, «il» senfuit ou par lantichambre ou par la porte à droite qui donne sur le boudoir. Par là, traversant le salon, il arrive à la galerie et je le perds. Or, je le tiens; encore cinq minutes, et je le tiens, mieux que si je lavais dans une cage… Quest-ce quil fait là, solitaire, dans la chambre de Mlle Stangerson? Quécrit-il? À qui écrit-il? … Descente. Léchelle par terre. Le père Jacques me suit. Rentrons au château. Jenvoie le père Jacques éveiller M. Stangerson. Il doit mattendre chez M. Stangerson, et ne lui rien dire de précis avant mon arrivée. Moi, je vais aller éveiller Frédéric Larsan. Gros ennui pour moi. Jaurais voulu travailler seul et avoir toute laubaine de laffaire, au nez de Larsan endormi. Mais le père Jacques et M. Stangerson sont des vieillards et moi, je ne suis peut-être pas assez développé. Je manquerais peut-être de force… Larsan, lui, a lhabitude de lhomme que lon terrasse, que lon jette par terre, que lon relève, menottes aux poignets. Larsan mouvre, ahuri, les yeux gonflés de sommeil, prêt à menvoyer promener, ne croyant nullement à mes imaginations de petit reporter. Il faut que je lui affirme que «lhomme est là!»

«Cest bizarre, dit-il, je croyais lavoir quitté cet après-midi, à Paris!»

Il se vêt hâtivement et sarme dun revolver. Nous nous glissons dans la galerie.

Larsan me demande:

«Où est-il?

– Dans la chambre de Mlle Stangerson.

– Et Mlle Stangerson?

– Elle nest pas dans sa chambre!

– Allons-y!

– Ny allez pas! Lhomme, à la première alerte, se sauvera… il a trois chemins pour cela… la porte, la fenêtre, le boudoir où se trouvent les femmes…

– Je tirerai dessus…

– Et si vous le manquez? Si vous ne faites que le blesser? Il séchappera encore… Sans compter que, lui aussi, est certainement armé… Non, laissez-moi diriger lexpérience, et je réponds de tout…

– Comme vous voudrez», me dit-il avec assez de bonne grâce.

Alors, après mêtre assuré que toutes les fenêtres des deux galeries sont hermétiquement closes, je place Frédéric Larsan à lextrémité de la galerie tournante, devant cette fenêtre que jai trouvée ouverte et que jai refermée. Je dis à Fred:

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