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Le mystère de la chambre jaune

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Rouletabille retourna vers lâtre, et dit:



«Maintenant, nous allons griller notre bifteck. Comment trouvez- vous le cidre? Un peu dur, comme je laime.»



Ce jour-là, nous ne revîmes plus Mathieu et un grand silence régnait dans lauberge quand nous la quittâmes, après avoir laissé cinq francs sur notre table, en paiement de notre festin.



Rouletabille me fit aussitôt faire près dune lieue autour de la propriété du professeur Stangerson. Il sarrêta dix minutes, au coin dun petit chemin tout noir de suie, auprès des cabanes de charbonniers qui se trouvent dans la partie de la forêt de Sainte- Geneviève, qui touche à la route allant dÉpinay à Corbeil, et me confia que lassassin avait certainement passé par là, «vu létat des chaussures grossières», avant de pénétrer dans la propriété et daller se cacher dans le bosquet.



«Vous ne croyez donc pas que le garde a été dans laffaire? interrompis-je.



– Nous verrons cela plus tard, me répondit-il. Pour le moment, ce que laubergiste a dit de cet homme ne moccupe pas. Il en a parlé avec sa haine. Ce nest pas pour l«homme vert» que je vous ai emmené déjeuner au «Donjon».



Ayant ainsi parlé, Rouletabille, avec de grandes précautions, se glissa – et je me glissai derrière lui – jusquà la bâtisse, qui, près de la grille, servait de logement aux concierges, arrêtés le matin même. Il sintroduisit, avec une acrobatie que jadmirai, dans la maisonnette, par une lucarne de derrière restée ouverte, et en ressortit dix minutes plus tard en disant ce mot qui signifiait, dans sa bouche, tant de choses: «Parbleu!»



Dans le moment que nous allions reprendre le chemin du château, il y eut un grand mouvement à la grille. Une voiture arrivait, et, du château, on venait au-devant delle. Rouletabille me montra un homme qui en descendait:



«Voici le chef de la Sûreté; nous allons voir ce que Frédéric Larsan a dans le ventre, et sil est plus malin quun autre…»



Derrière la voiture du chef de la Sûreté, trois autres voitures suivaient, remplies de reporters qui voulurent, eux aussi, entrer dans le parc. Mais on mit à la grille deux gendarmes, avec défense de laisser passer. Le chef de la Sûreté calma leur impatience en prenant lengagement de donner, le soir même, à la presse, le plus de renseignements quil pourrait, sans gêner le cours de linstruction.



XI

Où Frédéric Larsan explique comment lassassin a pu sortir de la Chambre Jaune

Dans la masse de papiers, documents, mémoires, extraits de journaux, pièces de justice dont je dispose relativement au «Mystère de la Chambre Jaune», se trouve un morceau des plus intéressants. Cest la narration du fameux interrogatoire des intéressés qui eut lieu, cet après-midi-là, dans le laboratoire du professeur Stangerson, devant le chef de la Sûreté. Cette narration est due à la plume de M. Maleine, le greffier, qui, tout comme le juge dinstruction, faisait, à ses moments perdus, de la littérature. Ce morceau devait faire partie dun livre qui na jamais paru et qui devait sintituler:

Mes interrogatoires

. Il ma été donné par le greffier lui-même, quelque temps après le «dénouement inouï» de ce procès unique dans les fastes juridiques.



Le voici. Ce nest plus une sèche transcription de demandes et de réponses. Le greffier y relate souvent ses impressions personnelles.



La narration du greffier:



Depuis une heure, raconte le greffier, le juge dinstruction et moi, nous nous trouvions dans la «Chambre Jaune», avec lentrepreneur qui avait construit, sur les plans du professeur Stangerson, le pavillon. Lentrepreneur était venu avec un ouvrier. M. de Marquet avait fait nettoyer entièrement les murs, cest-à-dire quil avait fait enlever par louvrier tout le papier qui les décorait. Des coups de pioches et de pics, çà et là, nous avaient démontré linexistence dune ouverture quelconque. Le plancher et le plafond avaient été longuement sondés. Nous navions rien découvert. Il ny avait rien à découvrir. M. de Marquet paraissait enchanté et ne cessait de répéter:



«Quelle affaire! monsieur lentrepreneur, quelle affaire! Vous verrez que nous ne saurons jamais comment lassassin a pu sortir de cette chambre-là!»



Tout à coup, M. de Marquet, la figure rayonnante, parce quil ne comprenait pas, voulut bien se souvenir que son devoir était de chercher à comprendre, et il appela le brigadier de gendarmerie.



«Brigadier, fit-il, allez donc au château et priez M. Stangerson et M. Robert Darzac de venir me rejoindre dans le laboratoire, ainsi que le père Jacques, et faites-moi amener aussi, par vos hommes, les deux concierges.»



Cinq minutes plus tard, tout ce monde fut réuni dans le laboratoire. Le chef de la Sûreté, qui venait darriver au Glandier, nous rejoignit aussi dans ce moment. Jétais assis au bureau de M. Stangerson, prêt au travail, quand M. de Marquet nous tint ce petit discours, aussi original quinattendu:



«Si vous le voulez, messieurs, disait-il, puisque les interrogatoires ne donnent rien, nous allons abandonner, pour une fois, le vieux système des interrogatoires. Je ne vous ferai point venir devant moi à tour de rôle; non. Nous resterons tous ici: M. Stangerson, M. Robert Darzac, le père Jacques, les deux concierges, M. le chef de la Sûreté, M. le greffier et moi! Et nous serons là, tous, «au même titre»; les concierges voudront bien oublier un instant quils sont arrêtés. «Nous allons causer!» Je vous ai fait venir «pour causer». Nous sommes sur les lieux du crime; eh bien, de quoi causerions-nous si nous ne causions pas du crime? Parlons-en donc! Parlons-en! Avec abondance, avec intelligence, ou avec stupidité. Disons tout ce qui nous passera par la tête! Parlons sans méthode, puisque la méthode ne nous réussit point. Jadresse une fervente prière au dieu hasard, le hasard de nos conceptions! Commençons! …



Sur quoi, en passant devant moi, il me dit, à voix basse:



«Hein! croyez-vous, quelle scène! Auriez-vous imaginé ça, vous? Jen ferai un petit acte pour le Vaudeville.»



Et il se frottait les mains avec jubilation.



Je portai les yeux sur M. Stangerson. Lespoir que devait faire naître en lui le dernier bulletin des médecins qui avaient déclaré que Mlle Stangerson pourrait survivre à ses blessures, navait pas effacé de ce noble visage les marques de la plus grande douleur.



Cet homme avait cru sa fille morte, et il en était encore tout ravagé. Ses yeux bleus si doux et si clairs étaient alors dune infinie tristesse. Javais eu loccasion, plusieurs fois, dans des cérémonies publiques, de voir M. Stangerson. Javais été, dès labord, frappé par son regard, si pur quil semblait celui dun enfant: regard de rêve, regard sublime et immatériel de linventeur ou du fou.



Dans ces cérémonies, derrière lui ou à ses côtés, on voyait toujours sa fille, car ils ne se quittaient jamais, disait-on, partageant les mêmes travaux depuis de longues années. Cette vierge, qui avait alors trente-cinq ans et qui en paraissait à peine trente, consacrée tout entière à la science, soulevait encore ladmiration par son impériale beauté, restée intacte, sans une ride, victorieuse du temps et de lamour. Qui meût dit alors que je me trouverais, un jour prochain, au chevet de son lit, avec mes paperasses, et que je la verrais, presque expirante, nous raconter, avec effort, le plus monstrueux et le plus mystérieux attentat que jai ouï de ma carrière? Qui meût dit que je me trouverais, comme cet après-midi-là, en face dun père désespéré cherchant en vain à sexpliquer comment lassassin de sa fille avait pu lui échapper? À quoi sert donc le travail silencieux, au fond de la retraite obscure des bois, sil ne vous garantit point de ces grandes catastrophes de la vie et de la mort, réservées dordinaire à ceux dentre les hommes qui fréquentent les passions de la ville?



«Voyons! monsieur Stangerson, fit M. de Marquet, avec un peu dimportance; placez-vous exactement à lendroit où vous étiez quand Mlle Stangerson vous a quitté pour entrer dans sa chambre.»



M. Stangerson se leva et, se plaçant à cinquante centimètres de la porte de la «Chambre Jaune», il dit dune voix sans accent, sans couleur, dune voix que je qualifierai de morte:



«Je me trouvais ici. Vers onze heures, après avoir procédé, sur les fourneaux du laboratoire, à une courte expérience de chimie, javais fait glisser mon bureau jusquici, car le père Jacques, qui passa la soirée à nettoyer quelques-uns de mes appareils, avait besoin de toute la place qui se trouvait derrière moi. Ma fille travaillait au même bureau que moi. Quand elle se leva, après mavoir embrassé et souhaité le bonsoir au père Jacques, elle dut, pour entrer dans sa chambre, se glisser assez difficilement entre mon bureau et la porte. Cest vous dire que jétais bien près du lieu où le crime allait se commettre.



– Et ce bureau? interrompis-je, obéissant, en me mêlant à cette «conversation», aux désirs exprimés par mon chef, … et ce bureau, aussitôt que vous eûtes, monsieur Stangerson, entendu crier: «À lassassin!» et queurent éclaté les coups de revolver… ce bureau, quest-il devenu?»



Le père Jacques répondit:



«Nous lavons rejeté contre le mur, ici, à peu près où il est en ce moment, pour pouvoir nous précipiter à laise sur la porte, msieur le greffier…»



Je suivis mon raisonnement, auquel, du reste, je nattachais quune importance de faible hypothèse:



«Le bureau était si près de la chambre quun homme, sortant, courbé, de la chambre et se glissant sous le bureau, aurait pu passer inaperçu?



– Vous oubliez toujours, interrompit M. Stangerson, avec lassitude, que ma fille avait fermé sa porte à clef et au verrou,

que


la porte est restée fermée

, que nous sommes restés à lutter contre cette porte dès linstant où lassassinat commençait,

que nous étions déjà sur la porte alors que la lutte de lassassin et de ma pauvre enfant continuait, que les bruits de cette lutte nous parvenaient encore et que nous entendions râler ma malheureuse fille sous létreinte des doigts dont son cou a conservé la marque sanglante

. Si rapide quait été lattaque, nous avons été aussi rapides quelle et nous nous sommes trouvés immédiatement derrière cette porte qui nous séparait du drame.»

 



Je me levai et allai à la porte que jexaminai à nouveau avec le plus grand soin. Puis je me relevai et fis un geste de découragement.



«Imaginez, dis-je, que le panneau inférieur de cette porte ait pu être ouvert

sans que la porte ait été dans la nécessité de souvrir

, et le problème serait résolu! Mais, malheureusement, cette dernière hypothèse est inadmissible, après lexamen de la porte. Cest une solide et épaisse porte de chêne constituée de telle sorte quelle forme un bloc inséparable… Cest très visible, malgré les dégâts qui ont été causés par ceux qui lont enfoncée…



– Oh! fit le père Jacques… cest une vieille et solide porte du château quon a transportée ici… une porte comme on nen fait plus maintenant. Il nous a fallu cette barre de fer pour en avoir raison, à quatre… car la concierge sy était mise aussi, comme une brave femme quelle est, msieur ljuge! Cest tout de même malheureux de les voir en prison, à ctheure!»



Le père Jacques neut pas plutôt prononcé cette phrase de pitié et de protestation que les pleurs et les jérémiades des deux concierges recommencèrent. Je nai jamais vu de prévenus aussi larmoyants. Jen étais profondément dégoûté

1

1


  textuel



. Même en admettant leur innocence, je ne comprenais pas que deux êtres pussent à ce point manquer de caractère devant le malheur. Une nette attitude, dans de pareils moments, vaut mieux que toutes les larmes et que tous les désespoirs, lesquels, le plus souvent, sont feints et hypocrites.



«Eh! sécria M. de Marquet, encore une fois, assez de piailler comme ça! et dites-nous, dans votre intérêt, ce que vous faisiez, à lheure où lon assassinait votre maîtresse, sous les fenêtres du pavillon! Car vous étiez tout près du pavillon quand le père Jacques vous a rencontrés…



– Nous venions au secours!» gémirent-ils.



Et la femme, entre deux hoquets, glapit:



«Ah! si nous le tenions, lassassin, nous lui ferions passer le goût du pain! …»



Et nous ne pûmes, une fois de plus, leur tirer deux phrases sensées de suite. Ils continuèrent de nier avec acharnement, dattester le bon Dieu et tous les saints quils étaient dans leur lit quand ils avaient entendu un coup de revolver.



«Ce nest pas un, mais deux coups qui ont été tirés. Vous voyez bien que vous mentez. Si vous avez entendu lun, vous devez avoir entendu lautre!



– Mon Dieu! msieur le juge, nous navons entendu que le second.



Nous dormions encore bien sûr quand on a tiré le premier…



– Pour ça, on en a tiré deux! fit le père Jacques. Je suis sûr, moi, que toutes les cartouches de mon revolver étaient intactes; nous avons retrouvé deux cartouches brûlées, deux balles, et nous avons entendu deux coups de revolver, derrière la porte. Nest-ce pas, monsieur Stangerson?



– Oui, fit le professeur, deux coups de revolver, un coup sourd dabord, puis un coup éclatant.



– Pourquoi continuez-vous à mentir? sécria M. de Marquet, se retournant vers les concierges. Croyez-vous la police aussi bête que vous! Tout prouve que vous étiez dehors, près du pavillon, au moment du drame. Quy faisiez-vous? Vous ne voulez pas le dire? Votre silence atteste votre complicité! Et, quant à moi, fit-il, en se tournant vers M. Stangerson… quant à moi, je ne puis mexpliquer la fuite de lassassin que par laide apportée par ces deux complices. Aussitôt que la porte a été défoncée, pendant que vous, monsieur Stangerson, vous vous occupiez de votre malheureuse enfant, le concierge et sa femme facilitaient la fuite du misérable qui se glissait derrière eux, parvenait jusquà la fenêtre du vestibule et sautait dans le parc. Le concierge refermait la fenêtre et les volets derrière lui.

Car, enfin, ces volets ne se sont


pas fermés tout seuls!

 Voilà ce que jai trouvé… Si quelquun a imaginé autre chose, quil le dise! …



M. Stangerson intervint:



«Cest impossible! Je ne crois pas à la culpabilité ni à la complicité de mes concierges, bien que je ne comprenne pas ce quils faisaient dans le parc à cette heure avancée de la nuit. Je dis: cest impossible! parce que la concierge tenait la lampe et na pas bougé du seuil de la chambre; parce que, moi, sitôt la porte défoncée, je me mis à genoux près du corps de mon enfant,

et quil était impossible que lon sortît ou que lon entrât de cette chambre par cette porte sans enjamber le corps de ma fille et sans


me bousculer, moi!

 Cest impossible, parce que le père Jacques et le concierge nont eu quà jeter un regard dans cette chambre et sous le lit, comme je lai fait en entrant, pour voir quil ny avait plus personne, dans la chambre, que ma fille à lagonie.



– Que pensez-vous, vous, monsieur Darzac, qui navez encore rien dit?» demanda le juge.



M. Darzac répondit quil ne pensait rien.



«Et vous, monsieur le chef de la Sûreté?»



M. Dax, le chef de la Sûreté, avait jusqualors uniquement écouté et examiné les lieux. Il daigna enfin desserrer les dents:



«Il faudrait, en attendant que lon trouve le criminel, découvrir le mobile du crime. Cela nous avancerait un peu, fit-il.



– Monsieur le chef de la Sûreté, le crime apparaît bassement passionnel, répliqua M. de Marquet. Les traces laissées par lassassin, le mouchoir grossier et le béret ignoble nous portent à croire que lassassin nappartenait point à une classe de la société très élevée. Les concierges pourraient peut-être nous renseigner là dessus…»



Le chef de la Sûreté continua, se tournant vers M. Stangerson et sur ce ton froid qui est la marque, selon moi, des solides intelligences et des caractères fortement trempés.



«Mlle Stangerson ne devait-elle pas prochainement se marier?»



Le professeur regarda douloureusement M. Robert Darzac.



«Avec mon ami que jeusse été heureux dappeler mon fils… avec M. Robert Darzac…



– Mlle Stangerson va beaucoup mieux et se remettra rapidement de ses blessures. Cest un mariage simplement retardé, nest-ce pas, monsieur? insista le chef de la Sûreté.



– Je lespère.



– Comment! Vous nen êtes pas sûr?»



M. Stangerson se tut. M. Robert Darzac parut agité, ce que je vis à un tremblement de sa main sur sa chaîne de montre, car rien ne méchappe. M. Dax toussotta comme faisait M. de Marquet quand il était embarrassé.



«Vous comprendrez, monsieur Stangerson, dit-il, que, dans une affaire aussi embrouillée, nous ne pouvons rien négliger; que nous devons tout savoir, même la plus petite, la plus futile chose se rapportant à la victime… le renseignement, en apparence, le plus insignifiant… Quest-ce donc qui vous a fait croire que, dans la quasi-certitude, où nous sommes maintenant, que Mlle Stangerson vivra, ce mariage pourra ne pas avoir lieu? Vous avez dit: «jespère.» Cette espérance mapparaît comme un doute. Pourquoi doutez-vous?»



M. Stangerson fit un visible effort sur lui-même:



«Oui, monsieur, finit-il par dire. Vous avez raison. Il vaut mieux que vous sachiez une chose qui semblerait avoir de limportance si je vous la cachais. M. Robert Darzac sera, du reste, de mon avis.»



M. Darzac, dont la pâleur, à ce moment, me parut tout à fait anormale, fit signe quil était de lavis du professeur. Pour moi, si M. Darzac ne répondait que par signe, cest quil était incapable de prononcer un mot.



«Sachez donc, monsieur le chef de la Sûreté, continua M. Stangerson, que ma fille avait juré de ne jamais me quitter et tenait son serment malgré toutes mes prières, car jessayai plusieurs fois de la décider au mariage, comme cétait mon devoir. Nous connûmes M. Robert Darzac de longues années. M. Robert Darzac aime ma fille. Je pus croire, un moment, quil en était aimé, puisque jeus la joie récente dapprendre de la bouche même de ma fille quelle consentait enfin à un mariage que jappelais de tous mes voeux. Je suis dun grand âge, monsieur, et ce fut une heure bénie que celle où je connus enfin quaprès moi Mlle Stangerson aurait à ses côtés, pour laimer et continuer nos travaux communs, un être que jaime et que jestime pour son grand coeur et pour sa science. Or, monsieur le chef de la Sûreté, deux jours avant le crime, par je ne sais quel retour de sa volonté, ma fille ma déclaré quelle népouserait pas M. Robert Darzac.»



Il y eut ici un silence pesant. La minute était grave. M Dax reprit:



«Et Mlle Stangerson ne vous a donné aucune explication, ne vous a point dit pour quel motif? …



– Elle ma dit quelle était trop vieille maintenant pour se marier… quelle avait attendu trop longtemps… quelle avait bien réfléchi… quelle estimait et même quelle aimait M. Robert Darzac… mais quil valait mieux que les choses en restassent là… que lon continuerait le passé… quelle serait heureuse même de voir les liens de pure amitié qui nous attachaient à M. Robert Darzac nous unir dune façon encore plus étroite, mais quil fût bien entendu quon ne lui parlerait jamais plus de mariage.



– Voilà qui est étrange! murmura M Dax.



– Étrange»,répéta M. de Marquet.



M. Stangerson, avec un pâle et glacé sourire, dit:



«Ce nest point de ce côté, monsieur, que vous trouverez le mobile du crime.»



M Dax:



«En tout cas, fit-il dune voix impatiente, le mobile nest pas le vol!



– Oh! nous en sommes sûrs!», sécria le juge dinstruction.



À ce moment la porte du laboratoire souvrit et le brigadier de gendarmerie apporta une carte au juge dinstruction. M. de Marquet lut et poussa une sourde exclamation;puis:



«Ah! voilà qui est trop fort!



– Quest-ce? demanda le chef de la Sûreté.



– La carte dun petit reporter de

LÉpoque

, M. Joseph Rouletabille, et ces mots: «Lun des mobiles du crime a été le vol!»



Le chef de la Sûreté sourit:



«Ah! Ah! le jeune Rouletabille… jen ai déjà entendu parler… il passe pour ingénieux… Faites-le donc entrer, monsieur le juge dinstruction.»



Et lon fit entrer M. Joseph Rouletabille. Javais fait sa connaissance dans le train qui nous avait amenés, ce matin-là, à Épinay-sur-Orge. Il sétait introduit, presque malgré moi, dans notre compartiment et jaime mieux dire tout de suite que ses manières et sa désinvolture, et la prétention quil semblait avoir de comprendre quelque chose dans une affaire où la justice ne comprenait rien, me lavaient fait prendre en grippe. Je naime point les journalistes. Ce sont des esprits brouillons et entreprenants quil faut fuir comme la peste. Cette sorte de gens se croit tout permis et ne respecte rien. Quand on a eu le malheur de leur accorder quoi que ce soit et de se laisser approcher par eux, on est tout de suite débordé et il nest point dennuis que lon ne doive redouter. Celui-ci paraissait une vingtaine dannées à peine, et le toupet avec lequel il avait osé nous interroger et discuter avec nous me lavait rendu particulièrement odieux. Du reste, il avait une façon de sexprimer qui attestait quil se moquait outrageusement de nous. Je sais bien que le journal

LÉpoque

 est un organe influent avec lequel il faut savoir «composer», mais encore ce journal ferait bien de ne point prendre ses rédacteurs à la mamelle.



M. Joseph Rouletabille entra donc dans le laboratoire, nous salua et attendit que M. de Marquet lui demandât de sexpliquer.



«Vous prétendez, monsieur, dit celui-ci, que vous connaissez le mobile du crime, et que ce mobile, contre toute évidence, serait le vol?



– Non, monsieur le juge dinstruction, je nai point prétendu cela. Je ne dis pas que le mobile du crime a été le vol

et je ne le


crois pas.



– Alors, que signifie cette carte?



– Elle signifie que

lun des mobiles

 du crime a été le vol.



Quest-ce qui vous a renseigné?



– Ceci! si vous voulez bien maccompagner.»



Et le jeune homme nous pria de le suivre dans le vestibule, ce que nous fîmes. Là, il se dirigea du côté du lavatory et pria M. le juge dinstruction de se mettre à genoux à côté de lui. Ce lavatory recevait du jour par sa porte vitrée et, quand la porte était ouverte, la lumière qui y pénétrait était suffisante pour léclairer parfaitement. M. de Marquet et M Joseph Rouletabille sagenouillèrent sur le seuil. Le jeune homme montrait un endroit de la dalle.



«Les dalles du lavatory nont point été lavées par le père Jacques, fit-il, depuis un certain temps; cela se voit à la couche de poussière qui les recouvre. Or, voyez, à cet endroit, la marque de deux larges semelles et de cette cendre noire qui accompagne partout les pas de lassassin. Cette cendre nest point autre chose que la poussière de charbon qui couvre le sentier que lon doit traverser pour venir directement, à travers la forêt, dÉpinay au Glandier. Vous savez quà cet endroit il y a un petit hameau de charbonniers et quon y fabrique du charbon de bois en grande quantité. Voilà ce qua dû faire lassassin: il a pénétré ici laprès-midi quand il ny eut plus personne au pavillon, et il a perpétré son vol.

 



– Mais quel vol? Où voyez-vous le vol? Qui vous prouve le vol? nous écriâmes nous tous en même temps.



– Ce qui ma mis sur la trace du vol, continua le journaliste…



– Cest ceci! interrompit M. de Marquet, toujours à genoux.



– Évidemment», fit M. Rouletabille.



Et M. de Marquet expliqua quil y avait, en effet, sur la poussière des dalles, à côté de la trace des deux semelles, lempreinte fraîche dun lourd paquet rectangulaire, et quil était facile de distinguer la marque des ficelles qui lenserraient…



«Mais vous êtes donc venu ici, monsieur Rouletabille; javais pourtant ordonné au père Jacques de ne laisser entrer personne; il avait la garde du pavillon.



– Ne grondez pas le père Jacques, je suis venu ici avec M. Robert Darzac.



– Ah! vraiment…» sexclama M. de Marquet mécontent, et jetant un regard de côté à M. Darzac, lequel restait toujours silencieux.



«Quand jai vu la trace du paquet à côté de lempreinte des semelles, je nai plus douté du vol, reprit M. Rouletabille. Le voleur nétait pas venu avec un paquet… Il avait fait, ici, ce paquet, avec les objets volés sans doute, et il lavait déposé dans ce coin, dans le dessein de ly reprendre au moment de sa fuite;

il


avait déposé aussi, à côté de son paquet, ses lourdes chaussures;

 car, regardez, aucune trace de pas ne conduit à ces chaussures, et les semelles sont à côté lune de lautre, _comme des semelles au repos et vides de leurs pieds. _Ainsi comprendrait-on que lassassin, quand il senfuit de la «Chambre Jaune», na laissé aucune trace de ses pas dans le laboratoire ni dans le vestibule. Après avoir pénétré

avec ses chaussures

 dans la «Chambre Jaune», il les y a défaites, sans doute parce quelles le gênaient ou parce quil voulait faire le moins de bruit possible. La marque de son passage

aller

 à travers le vestibule et le laboratoire a été effacée par le lavage subséquent du père Jacques, ce qui nous mène à faire entrer lassassin dans le pavillon par la fenêtre ouverte du vestibule lors de la première absence du père Jacques, avant le lavage qui a eu lieu à cinq heure et demie!



«Lassassin, après quil eut défait ses chaussures, qui, certainement le gênaient, les a portées à la main dans le lavatory et les y a déposées du seuil, car, sur la poussière du lavatory, il ny a pas trace de pieds nus ou enfermés dans des chaussettes,

ou


encore dans dautres chaussures

. Il a donc déposé ses chaussures à côté de son paquet. Le vol était déjà, à ce moment, accompli. Puis lhomme retourne à la «Chambre Jaune» et sy glisse alors sous le lit où la trace de son corps est parfaitement visible sur le plancher et même sur la natte qui a été, à cet endroit, légèrement roulée et très froissée. Des brins de paille même, fraîchement arrachés, témoignent également du passage de lassassin sous le lit…



– Oui, oui, cela nous le savons… dit M. de Marquet.



– Ce retour sous le lit prouve que le vol, continua cet étonnant gamin de journaliste,

nétait point le seul mobile de la


venue de lhomme

. Ne me dites point quil sy serait aussitôt réfugié en apercevant, par la fenêtre du vestibule, soit le père Jacques, soit M. et Mlle Stangerson sapprêtant à rentrer dans le pavillon. Il était beaucoup plus facile pour lui de grimper au grenier, et, caché, dattendre une occasion de se sauver,

si son


dessein navait été que de fuir.

 Non! Non!

Il fallait que lassassin


fût dans la «Chambre Jaune»…



Ici, le chef de la Sûreté intervint:



«Ça nest pas mal du tout, cela, jeune homme! mes félicitations… et si nous ne savons pas encore comment lassassin est parti, nous suivons déjà, pas à pas, son entrée ici, et nous voyons ce quil y a fait: il a volé. Mais qua-t-il donc volé?



– Des choses extrêmement précieuses», répondit le reporter.



À ce moment, nous entendîmes un cri qui partait du laboratoire. Nous nous y précipitâmes, et nous y trouvâmes M. Stangerson qui, les yeux hagards, les membres agités, nous montrait une sorte de meuble-bibliothèque quil venait douvrir et qui nous apparut vide.



Au même instant, il se laissa aller dans le grand fauteuil qui était poussé devant le bureau et gémit:





«Encore une fois, je suis volé…»



Et puis une larme, une lourde larme, coula sur sa joue:





«Surtout, dit-il, quon ne dise pas un mot de ceci à ma fille…

Elle serait encore plus peinée que moi…»



Il poussa un profond soupir, et, sur le ton dune douleur que je noublierai jamais:



«Quimporte, après tout…

pourvu quelle vive! …



– Elle vivra! dit, dune voix étrangement touchante, Robert Darzac.



– Et nous vous retrouverons les objets volés, fit M Dax. Mais quy avait-il dans ce meuble?



– Vingt ans de ma vie, répondit sourdement lillustre professeur, ou plutôt de notre vie, à ma fille et à moi. Oui, nos plus précieux documents, les relations les plus secrètes sur nos expériences et sur nos travaux, depuis vingt ans, étaient enfermés là. Cétait une véritable sélection parmi tant de documents dont cette pièce est pleine. Cest une perte irréparable pour nous, et, jose dire, pour la science. Toutes les étapes par lesquelles jai dû passer pour arriver à la preuve décisive de lanéantissement de la matière, avaient été, par nous, soigneusement énoncées, étiquetées, annotées, illustrées de photographies et de dessins. Tout cela était rangé là. Le plan de trois nouveaux appareils, lun pour étudier la déperdition, sous linfluence de la lumière ultra-violette, des corps préalablement électrisés; lautre qui devait rendre visible la déperdition électrique sous laction des particules de matière dissociée contenue dans les gaz des flammes; un troisième, très ingénieux, nouvel électroscope condensateur différentiel; tout le recueil de nos courbes traduisant les propriétés fondamentales de la substance intermédiaire entre la matière pondérable et léther impondérable; vingt ans dexpériences sur la chimie intra-atomique et sur les équilibres ignorés de la matière; un manuscrit que je voulais faire paraître sous ce titre:

Les Métaux


qui souffrent

. Est-ce que je sais?est-ce que je sais? Lhomme qui est venu là maura tout pris… Ma fille et mon oeuvre… mon coeur et mon âme…



Et le grand Stangerson se prit à pleurer comme un enfant.



Nous lentourions en silence, émus par cette immense détresse. M. Robert Darzac, accoudé au fauteuil où le professeur était écroulé, essayait en vain de dissimuler ses larmes, ce qui faillit un instant me le rendre sympathique, malgré linstinctive répulsion que son attitude bizarre et son émoi souvent inexpliqué mavaient inspirée pour son énigmatique personnage.



M Joseph Rouletabille, seul, comme si son précieux temps et sa mission sur la terre ne lui permettaient point de sappesantir sur la misère humaine, sétait rapproché, fort calme, du meuble vide et, le montrant au chef de la Sûreté, rompait bientôt le religieux silence dont nous honorions le désespoir du grand Stangerson. Il nous donna quelques explications, dont nous navions que faire, sur la façon dont il avait été amené à croire à un vol, par la découverte simultanée quil avait faite des traces dont jai parlé plus haut dans le lavatory, et de la vacuité de ce meuble précieux dans le laboratoire. Il navait fait, nous disait-il, que passer dans le laboratoire; mais la première chose qui lavait frappé avait été la

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