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Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour

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Après la cérémonie, l'impératrice, conduite par le président, passa dans la salle des conférences, où le couvert de Sa Majesté avait été servi sous un dais magnifique en soie cramoisie. Des tables composant près de trois cents couverts, et servies par le restaurateur Robert, avaient été dressées dans les différentes salles du palais; au dîner succéda un bal brillant. Ce qu'il y avait de plus remarquable dans cette fête était un luxe inimaginable de fleurs et d'arbustes, que sans doute on n'avait pu rassembler qu'à grands frais, vu la rigueur de l'hiver. Les salles de Lucrèce et de la Réunion, où se formaient les quadrilles des danseurs, étaient comme un immense parterre de lauriers-roses, de lilas, de jonquilles, de lis et de jasmins.

CHAPITRE VI

Mon mariage avec mademoiselle Charvet.—Présentation de ma femme à madame Bonaparte.—Le général Bonaparte ouvrant les lettres adressées à son courrier.—Le général Bonaparte veut voir M. et madame Charvet.—M. Charvet suit madame Bonaparte à Plombières.—Établissement de M. Charvet et de sa famille à la Malmaison.—Madame Charvet, secrétaire intime de madame Bonaparte.—Mesdemoiselles Louise et Zoé Charvet, favorites de Joséphine.—Fantasmagorie à la Malmaison.—Jeux de Bonaparte et des dames de la Malmaison.—M. Charvet quitte la maison pour le château de Saint-Cloud.—Les anciens porteurs et frotteurs de la reine sont déplacés.—Incendie du château et mort de madame Charvet.—L'impératrice veut voir mademoiselle Charvet.—Elle veut lui servir de mère et lui donner un mari.—L'impératrice se plaint à M. Charvet de ne pas voir ses filles.—On promet une dot à ma femme.—Argent dissipé et manque de mémoire de l'impératrice Joséphine.—L'impératrice marie ma belle-sœur.—Recommandation bienveillante de l'impératrice.—Ma belle-sœur, mademoiselle Joséphine Tallien et mademoiselle Clémence Cabarus.—Madame Vigogne et les protégées de l'impératrice.—La jeune pensionnaire et le danger d'être brûlée.—Présence d'esprit de madame Vigogne.—Visite à l'impératrice.

Ce fut le 2 janvier 1805, justement un mois après le couronnement, que je formai, avec la fille aînée de M. Charvet, une union qui a fait jusqu'ici, et fera, j'espère, jusqu'à la fin, le bonheur de ma vie. J'ai promis au lecteur de lui parler fort peu de moi; et en effet de quel intérêt pourraient être pour lui les détails de ma vie privée qui ne se rapporteraient point au grand homme en vue duquel j'ai entrepris d'écrire mes Mémoires? Toutefois je demanderai ici la permission de revenir un peu sur cette époque la plus intéressante de toutes pour moi, et qui a décidé du reste de mon existence. Il n'est pas défendu sans doute à un homme qui recherche et retrace ses souvenirs de compter pour quelque chose ceux qui se rapportent le plus particulièrement à lui. D'ailleurs même dans les événemens les plus personnels de ma vie, il y a encore des circonstances auxquelles Leurs Majestés ne restèrent point étrangères, et que par conséquent il importe de connaître, si l'on veut se former un jugement complet sur le caractère de l'empereur et de l'impératrice.

La mère de ma femme avait été présentée à madame Bonaparte pendant la première campagne d'Italie, et elle lui avait plu; car madame Bonaparte, qui était si parfaitement bonne et qui de son côté avait aussi connu le malheur, savait compatir aux peines des autres. Elle promit d'intéresser le général au sort de mon beau-père, qui venait de perdre une place à la trésorerie. Pendant ce temps madame Charvet était en correspondance avec un ami de son mari, qui était, je crois, courrier du général Bonaparte. Celui-ci ouvrit et lut les lettres adressées à son courrier, et il demanda quelle était cette jeune femme qui écrivait avec tant d'esprit et de raison. En effet madame Charvet était bien digne de ce double éloge. L'ami de mon beau-père prit texte de cette question du général en chef pour lui raconter les malheurs de la famille. Le général dit qu'à son retour à Paris il voulait voir M. et madame Charvet. En conséquence ils lui furent présentés, et madame Bonaparte se réjouit d'apprendre que ses protégés étaient aussi devenus ceux de son époux. Il fut décidé que M. Charvet suivrait le général en Égypte. Mais arrivée à Toulon, madame Bonaparte demanda que mon beau-père l'accompagnât aux eaux de Plombières. J'ai raconté précédemment l'accident arrivé à Plombières, et la mission de M. Charvet envoyé à Saint-Germain, pour retirer mademoiselle Hortense de pension et la conduire à sa mère. De retour à Paris, M. Charvet en courut tous les environs, pour trouver une maison de campagne que le général avait chargé sa femme d'acheter en son absence. Quand madame Bonaparte se fut décidée pour la Malmaison, M. Charvet, sa femme et leurs trois enfans furent installés dans cette charmante résidence. Mon beau-père donna tous ses soins aux intérêts de la bienfaitrice de sa famille, et madame Charvet servait souvent de secrétaire intime à madame Bonaparte, pour sa correspondance.

Mademoiselle Louise, qui est devenue ma femme, et mademoiselle Zoé, sa sœur puînée, étaient les favorites de madame Bonaparte; surtout la seconde, qui passait plus de temps que Louise à la Malmaison. Les bontés de leur noble protectrice avaient rendu cette enfant si familière qu'elle tutoyait habituellement madame Bonaparte, à qui elle dit un jour: «Tu es bien heureuse, toi. Tu n'as pas de maman qui te gronde, quand tu déchires tes robes.»

Pendant une des campagnes que j'ai faites à la suite de l'empereur, j'écrivis un jour à ma femme pour lui demander quelques détails sur la vie qu'elle et sa sœur menaient à la Malmaison. Elle me répondit, entres autres choses (je transcris un passage de sa réponse): «Nous avions quelquefois des rôles dans des bouffonneries que je ne puis concevoir. Un soir le salon fut séparé en deux par une gaze derrière laquelle était un lit drapé à la grecque, et sur le lit un homme endormi et vêtu de grandes draperies blanches. Auprès du dormeur, madame Bonaparte et d'autres dames frappaient en mesure (et encore pas toujours) sur des vases de bronze; ce qui faisait une terrible musique. Pendant ce charivari, un de ces messieurs me tenait par le milieu du corps, élevée de terre, et je remuais mes bras et mes jambes en cadence. Le concert de ces dames réveillait le dormeur, qui ouvrait de grands yeux sur moi et semblait s'effrayer de mes gestes. Il se levait, et s'éloignait d'un pas rapide, suivi de mon frère qui marchait à quatre pattes, pour figurer, je pense, un chien que devait avoir cet étrange personnage. Comme j'étais alors tout enfant, je n'ai qu'une idée confuse de tout cela; mais la société de madame Bonaparte avait l'air de s'en amuser beaucoup.»

Quand le premier consul alla habiter Saint-Cloud; il dit à mon beau-père des choses flatteuses, et lui donna la conciergerie du château. C'était une place de confiance, et dont les détails et la responsabilité étaient considérables. M. Charvet fut chargé d'y organiser le service, et, par ordre du premier consul, il choisit parmi les anciens serviteurs de la reine pour les places de portiers, de frotteurs et de garçons de château. Ceux qui ne pouvaient pas servir eurent des pensions.

Quand le feu prit au château, en 1802, comme je l'ai raconté précédemment, madame Charvet, qui était grosse de plusieurs mois, eut une grande frayeur. On ne jugea pas à propos de la saigner. Elle fit une couche malheureuse, et mourut avant l'âge de trente ans. Louise était en pension depuis quelques années; son père la rappela près de lui pour tenir sa maison. Elle avait alors douze ans. Une de ses amies a bien voulu me donner communication d'une lettre que Louise lui adressa peu de temps après notre mariage, et dont j'ai fait l'extrait qui suit:

«À mon retour de ma pension, j'allai voir sa majesté l'impératrice (alors madame Bonaparte) aux Tuileries. J'étais en grand deuil. Elle m'attira sur ses genoux, me consola, dit qu'elle me servirait de mère et me trouverait un mari. Je pleurais, et je dis que je ne voulais pas me marier.—Non pas à présent, reprit Sa Majesté; mais cela te viendra, sois-en sûre. Je n'étais pourtant pas persuadée que cette envie dût me venir. Je reçus encore quelques caresses, et me retirai. Quand le premier consul était à Saint-Cloud, c'était chez mon père que se réunissaient tous les chefs des différens services. Car mon père est très aimé de la maison, dont il est le plus ancien. M. Constant, qui m'avait vue enfant à la Malmaison, me trouva assez raisonnable à Saint-Cloud pour me demander à mon père, avec l'approbation de Leurs Majestés. Il fut décidé que nous serions mariés après le couronnement. J'ai pris quatorze ans, quinze jours après notre mariage.

»Nous sommes toujours reçues, ma sœur et moi, par sa majesté l'impératrice avec une extrême bonté; et quand, dans la crainte de l'importuner, nous sommes quelque temps sans aller la voir, elle s'en plaint à mon père. Elle nous admet à sa toilette du matin. On la lace, on l'habille devant nous. Il n'y a dans sa chambre que ses femmes et quelques personnes de la maison, qui, comme nous, mettent au nombre de leurs plus doux momens ceux où elles peuvent voir cette princesse adorée. La causerie est presque toujours pleine de charme. Sa Majesté conte quelquefois des anecdotes qu'un mot d'une de nous deux lui rappelle.»

Sa majesté l'impératrice avait promis une dot à Louise; mais l'argent qu'elle avait destiné à cela avait été dépensé autrement, et ma femme n'eut que quelques petits bijoux, et deux ou trois pièces d'étoffe. M. Charvet était trop délicat pour rappeler à Sa Majesté sa promesse: or on n'avait rien d'elle sans cela; car elle ne savait pas plus économiser que refuser. L'empereur me demanda, peu de temps après mon mariage, ce que l'impératrice avait donné à ma femme; et sur ma réponse, il me parut on ne peut plus mécontent: sans doute parce que la somme qu'on lui avait demandée pour la dot de Louise avait reçu une autre destination. Sa majesté l'empereur eut à ce sujet la bonté de m'assurer que ce serait lui qui désormais s'occuperait de ma fortune, qu'il était content de mes services, et qu'il me le prouverait.

 

J'ai dit plus haut que la sœur puînée de ma femme était la favorite de sa majesté l'impératrice. Cependant elle n'en reçut pas, en se mariant, une plus riche dot que celle de Louise. Mais l'impératrice voulut voir le mari de ma belle-sœur, et lui dit avec un accent vraiment maternel: «Monsieur, je vous recommande ma fille, et vous prie de la rendre heureuse. Elle le mérite, et je vous en voudrais beaucoup, si vous ne saviez pas l'apprécier.» Quand ma belle-sœur, se sauvant de Compiègne avec sa belle-mère en 1814, alla faire ses couches à Évreux, l'impératrice, qui l'apprit, lui envoya son premier valet de chambre avec tout ce qu'elle crut nécessaire; à une jeune femme en cet état. Elle lui fit même faire des reproches de n'être pas descendue à Navarre.

Ma belle-sœur avait été élevée dans la même pension que mademoiselle Joséphine Tallien, filleule de l'impératrice, et qui depuis a épousé M. Pelet de la Lozère, et une autre fille de madame Tallien, mademoiselle Clémence Cabarus. La pension était dirigée par madame Vigogne, veuve du colonel de ce nom, et ancienne amie de l'impératrice, qui l'avait engagée à prendre un pensionnat, en lui promettant de lui procurer le plus d'élèves qu'elle pourrait. L'institution prospéra sous la direction de cette dame, qui était d'un esprit distingué et d'un ton parfait. Souvent elle amenait chez Sa Majesté l'impératrice les protégées de celle-ci, et les jeunes personnes qui avaient mérité cette récompense. C'était un moyen puissant d'exciter l'émulation de ces enfans que Sa Majesté comblait de caresses, et à qui elle faisait de petits présens. Un matin, que madame Vigogne était habillée pour aller chez l'impératrice, comme elle descendait son escalier pour monter en voiture, elle entendit des cris perçans dans une des classes. Elle s'y précipite, et voit une jeune fille dont les vêtemens étaient tout en flammes. Avec une présence d'esprit digne d'une mère, madame Vigogne enveloppe aussitôt l'enfant dans la longue queue de sa robe traînante, et le feu s'éteignit. Mais la courageuse institutrice eût les mains cruellement brûlées. Elle vint en cet état faire sa visite à sa majesté l'impératrice, et lui conta le fâcheux accident qui l'y avait mise. Sa Majesté, qui était si facilement émue de tout ce qui était beau et généreux, combla d'éloges son courage, et s'en montra touchée au point de pleurer d'admiration. Un des médecins de Sa Majesté fut chargé de donner les premiers soins à madame Vigogne et à sa jeune élève.

CHAPITRE VII

Portrait de l'impératrice Joséphine.—Lever de l'impératrice.—Détails de toilette.—Audiences de l'impératrice.—Réception des fournisseurs.—Déjeuner de l'impératrice.—Madame de La Rochefoucault première dame d'honneur.—L'impératrice au billard.—Promenades dans le parc fermé.—L'impératrice avec ses dames.—L'empereur venant surprendre l'impératrice au salon.—Dîner de l'impératrice.—L'empereur fait attendre.—Les princes et les ministres à la table de l'empereur.—L'impératrice et M. de Beaumont.—Partie de trictrac.—L'impératrice un jour de chasse.—Toutes les dames à la table de Leurs Majestés.—L'impératrice vient passer la nuit avec l'empereur.—Détails sur le réveil des augustes époux.—Goût de l'impératrice pour les bijoux.—Anecdote sur le premier mariage de l'impératrice.—Les poches de madame de Beauharnais.—Joyaux de l'impératrice Joséphine.—L'armoire aux bijoux de Marie-Antoinette trop petite pour contenir ceux de Joséphine.—Jalousie de Joséphine.—Mémoire de l'impératrice.—L'impératrice rétablit l'harmonie entre les frères de l'empereur.—Trait de bonté de l'impératrice Joséphine pour son valet de chambre.—Sévérité de l'empereur; il veut renvoyer M. Frère.—Le valet de chambre rentre en grâce.—Oubli d'un bienfait.—Générosité de l'impératrice.—Comment les valets de chambre de l'impératrice employaient leur temps.—Détails sur une première fille de M. de Beauharnais, premier mari de Joséphine.—L'impératrice lui fait épouser un préfet de l'empire.—Tendresse de l'impératrice pour Eugène et Hortense.—Détails sur la vice-reine (Auguste-Amélie de Bavière.)—Le portrait de famille.—L'impératrice me fait appeler pour voir ce portrait.—Amour de Joséphine pour ses petits-enfans.—Un mot sur le divorce.—Lettre du prince Eugène à sa femme.—Mes voyages à la Malmaison après le divorce.—Commissions de l'empereur pour l'impératrice Joséphine.—Mes adieux à l'impératrice.—Recommandations de cette princesse.—L'impératrice désire voir l'empereur.—Visite à Joséphine avant la campagne de Russie.—Visite à l'impératrice après cette campagne.—Lettres dont je suis chargé.—Conversation avec l'impératrice.—Ma femme va voir l'impératrice et lui montre mes lettres.—Détails sur le budget de l'impératrice après le divorce.—Conseil présidé par l'impératrice en robe de toile.—L'impératrice trompée par les marchands.—Politesse de l'impératrice.—Manière dont Joséphine punissait ses dames.—Magasin d'objets précieux appartenant à l'impératrice.—Partage entre ses enfans et les frères et sœurs de l'empereur.—M. Denon.—Le cabinet d'antiques de la Malmaison.—M. Denon et la collection de médailles de l'impératrice.—Visite de l'impératrice à l'empereur pendant que je faisais sa toilette.—Le maillot et la pétition.—L'orpheline sauvée de la Seine.—M. Fabien Pillet et sa femme chez l'impératrice.—Scène touchante.

L'impératrice Joséphine était d'une taille moyenne, modelée avec une rare perfection: elle avait dans les mouvemens une souplesse, une légèreté, qui donnaient à sa démarche quelque chose d'aérien, sans exclure néanmoins la majesté d'une souveraine. Sa physionomie expressive suivait toutes les impressions de son âme, sans jamais perdre de la douceur charmante qui en faisait le fond. Dans le plaisir comme dans la douleur, elle était belle à regarder: on souriait malgré soi en la voyant sourire… Si elle était triste, on l'était aussi. Jamais femme ne justifia mieux qu'elle cette expression, que les yeux sont le miroir de l'âme. Les siens, d'un bleu foncé, étaient presque toujours à demi fermés par ses longues paupières, légèrement arquées, et bordées des plus beaux cils du monde; et quand elle regardait ainsi, on se sentait entraîné vers elle par une puissance irrésistible. Il eût été difficile à l'impératrice de donner de la sévérité à ce séduisant regard; mais elle pouvait, et savait au besoin, le rendre imposant. Ses cheveux étaient fort beaux, longs et soyeux; leur teint châtain clair se mariait admirablement à celui de sa peau, éblouissante de finesse et de fraîcheur. Au commencement de sa suprême puissance, l'impératrice aimait encore à se coiffer le matin avec un madras rouge, qui lui donnait l'air de créole le plus piquant à voir.

Mais ce qui, plus que tout le reste, contribuait au charme dont l'impératrice était entourée, c'était le son ravissant de sa voix. Que de fois il est arrivé à moi, comme à bien d'autres, de nous arrêter tout d'un coup en entendant cette voix, uniquement pour jouir du plaisir de l'entendre! On ne pouvait peut-être pas dire que l'impératrice était une belle femme; mais sa figure, toute pleine de sentiment et de bonté, mais la grâce angélique répandue sur toute sa personne, en faisaient la femme la plus attrayante.

Pendant son séjour à Saint-Cloud, sa majesté l'impératrice se levait habituellement à neuf heures, et faisait sa première toilette, qui durait jusqu'à dix heures; alors elle passait dans un salon où se trouvaient réunies les personnes qui avaient sollicité et obtenu la faveur d'une audience. Quelquefois aussi à cette heure, et dans ce même salon, Sa Majesté recevait ses fournisseurs. À onze heures, lorsque l'empereur était absent, elle déjeunait avec sa première dame d'honneur et quelques autres dames. Madame de La Rochefoucault, première dame d'honneur de l'impératrice, était bossue et tellement petite, qu'il fallait, lorsqu'elle se mettait à table, ajouter au coussin de sa chaise meublante un autre coussin fort épais, en satin violet. Madame de La Rochefoucault savait racheter ses difformités physiques par son esprit, vif, brillant, mais un peu caustique, par le meilleur ton et les manières de cour les plus exquises.

Après le déjeuner, l'impératrice faisait une partie de billard; ou bien, lorsque le temps était beau, elle se promenait à pied dans les jardins ou dans le parc fermé. Cette récréation durait fort peu de temps, et Sa Majesté, rentrée bientôt dans ses appartemens, s'occupait à broder au métier, en causant avec ses dames, qui travaillaient, comme elle, à quelque ouvrage d'aiguille. Quand il arrivait qu'on n'était pas dérangé par des visites, entre deux et trois heures après midi, l'impératrice faisait en calèche découverte une promenade, au retour de laquelle avait lieu la grande toilette. Quelquefois l'empereur y assistait.

De temps en temps aussi, l'empereur venait surprendre Sa Majesté au salon. On était sûr alors de le trouver amusant, aimable et gai.

À six heures, le dîner était servi; mais le plus souvent l'empereur l'oubliait et le retardait indéfiniment. Il y a plus d'un exemple de dîners mangés ainsi à neuf et dix heures du soir. Leurs Majestés dînaient ensemble, seules ou en compagnie de quelques invités, princes de la famille impériale, ou ministres. Qu'il y eût concert, réception ou spectacle, à minuit tout le monde se retirait; alors l'impératrice, qui aimait beaucoup les longues veillées, jouait au trictrac avec un de messieurs les chambellans. Le plus ordinairement, c'était M. le comte de Beaumont qui avait cet honneur.

Les jours de chasse, l'impératrice et ses dames suivaient en calèche. Il y avait un costume pour cela. C'était une espèce d'amazone, de couleur verte, avec une toque ornée de plumes blanches. Toutes les dames qui suivaient la chasse dînaient avec Leurs Majestés.

Quand l'impératrice venait passer la nuit dans l'appartement de l'empereur, j'entrais le matin, comme de coutume, entre sept et huit heures; il était rare que je ne trouvasse point les augustes époux éveillés. L'empereur me demandait ordinairement du thé, ou une infusion de fleurs d'oranger, et se levait aussitôt. L'impératrice lui disait en souriant: «Tu te lèves déjà? reste encore un peu.—Eh bien, tu ne dors pas?» répondait Sa Majesté; alors, il la roulait dans sa couverture, lui donnait de petites tapes sur les joues et sur les épaules, en riant et l'embrassant.

Au bout de quelques minutes, l'impératrice se levait à son tour, passait une robe du matin, et lisait les journaux, ou descendait par le petit escalier de communication pour se rendre dans son appartement. Jamais elle ne quittait celui de Sa Majesté sans m'avoir adressé quelques mots qui témoignaient toujours la bonté, la bienveillance la plus touchante.

Élégante et simple dans sa mise, l'impératrice se soumettait avec regret à la nécessité des toilettes d'apparat; les bijoux seulement étaient fort de son goût; elles les avait toujours aimés; aussi l'empereur lui en donnait souvent et en grande quantité. C'était un bonheur pour elle de s'en parer, et encore plus de les montrer.

Un matin que ma femme était allée la voir à sa toilette, Sa Majesté lui conta que, nouvellement mariée à M. de Beauharnais, et enchantée des parures dont il lui avait fait présent, elle les emportait dans ses poches (on sait que les poches faisaient alors partie essentielle de l'habillement des femmes), et les montrait à ses jeunes amies. Comme l'impératrice parlait de ses poches, elle donna ordre à une de ses dames d'en aller chercher une paire pour les montrer à ma femme. La dame à laquelle s'adressait l'impératrice eut beaucoup de peine à réprimer une envie de rire qui la prit à cette singulière demande, et assura à Sa Majesté que rien de semblable n'existait plus dans sa lingerie. L'impératrice répondit, avec un air de regret, qu'elle en était fâchée, qu'elle aurait eu du plaisir à revoir une paire de ses anciennes poches. Les années avaient amené de grands changemens. Les joyaux de l'impératrice Joséphine n'auraient guère pu tenir dans les poches de madame de Beauharnais, quelque longues et profondes qu'elles eussent été. L'armoire aux bijoux qui avait appartenu à la reine Marie-Antoinette, et qui n'avait jamais été tout-à-fait pleine, était trop petite pour l'impératrice; et lorsqu'un jour elle voulut faire voir toutes ses parures à plusieurs dames qui en témoignaient le désir, il fallut faire dresser une grande table pour y déposer les écrins; et la table ne suffisant pas, on en couvrit plusieurs autres meubles.

Bonne à l'excès, tout le monde le sait, sensible au delà de toute expression, généreuse jusqu'à la prodigalité, l'impératrice faisait le bonheur de tout ce qui l'entourait; chérissant son époux avec une tendresse que rien n'a pu altérer, et qui était aussi vive à son dernier soupir qu'à l'époque où madame de Beauharnais et le général Bonaparte se firent l'aveu mutuel de leur amour, Joséphine fut long-temps la seule femme aimée de l'empereur, et elle méritait de l'être toujours. Pendant quelques années, combien fut touchant l'accord de ce ménage impérial! Plein d'attentions, d'égards, d'abandon pour Joséphine, l'empereur se plaisait à l'embrasser au cou, à la figure, en lui donnant des tapes et l'appelant ma grosse bête: tout cela ne l'empêchait pas, il est vrai, de lui faire quelques infidélités, mais sans manquer autrement à ses devoirs conjugaux. De son côté, l'impératrice l'adorait, se tourmentait pour chercher ce qui pouvait, lui plaire, pour deviner ses intentions, pour aller au devant de ses moindres désirs.

 

Au commencement, elle donna de la jalousie à son époux: prévenu assez fortement contre elle, pendant la campagne d'Égypte, par des rapports indiscrets, l'empereur eut avec l'impératrice, à son retour, des explications qui ne se terminaient pas toujours sans cris et sans violences; mais bientôt le calme renaquit et fut depuis très-rarement troublé. L'empereur ne pouvait résister à tant d'attraits et de douceur.

L'impératrice avait une mémoire prodigieuse que l'empereur savait mettre à contribution fort souvent; elle était excellente musicienne, jouait très bien de la harpe, et chantait avec goût. Elle avait un tact parfait, un sentiment exquis des convenances, le jugement le plus sain, le plus infaillible qu'il fût possible d'imaginer; d'une humeur toujours douce, toujours égale, aussi obligeante pour ses ennemis que pour ses amis, elle ramenait la paix partout où il y avait querelle ou discorde. Lorsque l'empereur se fâchait avec ses frères ou avec d'autres personnes, ce qui lui arrivait fréquemment, l'impératrice disait quelques mots, et tout s'arrangeait. Quand elle demandait une grâce, il était bien rare que l'empereur ne l'accordât pas, quelle que fût la gravité de la faute commise; je pourrais citer mille exemples de pardons ainsi sollicités et obtenus. Un fait qui m'est presque personnel prouvera suffisamment que l'intercession de cette bonne impératrice était toute-puissante.

Le premier valet de chambre de Sa Majesté s'était un peu échauffé à un déjeuner qu'il avait fait avec quelques amis; par la nature de son service, il était obligé d'assister aux repas, et de se tenir derrière l'impératrice pour prendre et donner des assiettes. Ce jour-là donc, animé par les vapeurs du champagne, il eut le malheur de laisser échapper quelques mots injurieux prononcés bien à demi-voix, mais que par un fâcheux hasard l'empereur entendit; Sa Majesté lança un regard foudroyant à M. Frère, qui sentit alors la gravité de sa faute, et quand on eut fini de dîner, l'ordre de renvoyer l'imprudent valet de chambre fut donné par l'empereur avec un ton qui ne laissait pas d'espoir, et ne permettait pas de réplique.

M. Frère était un excellent serviteur, un homme doux, honnête et probe. C'était la première faute de ce genre qu'on eût à lui reprocher, et par conséquent elle méritait de l'indulgence. On fit des démarches auprès de monsieur le grand maréchal qui refusa son intercession, connaissant bien l'inflexibilité de l'empereur. Plusieurs autres personnes que le pauvre disgracié alla prier de parler pour lui répondirent comme le grand maréchal; de sorte que M. Frère, au désespoir, vint nous faire ses adieux. J'osai me charger de sa cause: j'espérais qu'en choisissant le moment favorable, je parviendrais à faire revenir Sa Majesté. L'ordre de renvoi portait que M. Frère eût à quitter le palais dans les vingt-quatre heures; je lui conseillai de ne point obéir, mais de se tenir soigneusement caché dans sa chambre, ce qu'il fit. Le soir, au coucher, Sa Majesté me parla de ce qui s'était passé, témoignant beaucoup de colère; je jugeai que le silence était le meilleur parti à prendre, et j'attendis. Le lendemain, l'impératrice eut la bonté de me faire dire qu'elle assisterait à la toilette de son époux, et que si je croyais devoir aborder la question, elle me soutiendrait de tout son pouvoir. En effet, voyant l'empereur d'assez bonne humeur, je parlai de M. Frère, et peignant à Sa Majesté les regrets de ce pauvre homme, je lui exposai les raisons qui pouvaient faire excuser la légèreté de sa conduite. «Sire, dis-je, c'est un homme de bien qui n'a pas de fortune, et qui soutient une famille nombreuse. S'il vient à quitter le service de sa majesté l'impératrice, on ne croira pas que c'est pour une faute dont le vin est plus coupable que lui, et il sera perdu pour toujours.» À ces mots, comme à bien d'autres prières encore, l'empereur ne répondait que par des interruptions faites avec toute les apparences d'un éloignement prononcé pour le pardon que je sollicitais. Heureusement l'impératrice voulut bien se joindre à moi et dire à son époux avec sa voix si touchante et si expressive: «Mon ami, si tu veux lui pardonner, tu me feras plaisir.» Enhardi par ce puissant patronage, je recommençai mes sollicitations, auxquelles l'empereur répondit brusquement en s'adressant à l'impératrice et à moi: «Enfin, vous le voulez? Eh bien, qu'il reste donc.»

M. Frère me remercia de tout son cœur; il ne pouvait croire à la bonne nouvelle que je lui apportais. Quant à l'impératrice, elle fut heureuse de la joie que ressentait ce fidèle serviteur, qui lui a donné jusqu'à sa mort les marques du plus entier dévouement. On m'a assuré qu'en 1814, lors du départ de l'empereur pour l'île d'Elbe, M. Frère n'aurait pas été le dernier à blâmer ma conduite, dont il ne connaissait pas les motifs. Je ne veux pas le croire, car il me semble qu'à sa place, si j'avais pensé ne pouvoir défendre un ami absent, au moins j'aurais gardé le silence.

Comme je l'ai dit, l'impératrice était extrêmement généreuse. Elle répandait beaucoup d'aumônes; elle était ingénieuse à trouver les occasions d'en répandre: beaucoup d'émigrés ne vivaient que de ses bienfaits. Elle entretenait une correspondance très-active avec les sœurs de la charité qui soignaient les malades, et leur envoyait une foule de choses. Ses valets de chambre étaient chargés d'aller partout porter au pauvre des secours de son inépuisable bienfaisance. Une foule d'autres personnes recevaient aussi chaque jour de semblables missions, et toutes ces aumônes, tous ces dons multipliés et si largement répandus, recevaient un prix inestimable de la grâce avec laquelle ils étaient offerts, du discernement avec lequel ils étaient distribués. Je pourrais citer mille exemples de cette délicate générosité.

M. de Beauharnais avait eu, au temps de son mariage avec Joséphine, une fille naturelle nommée Adèle. L'impératrice la chérissait autant que si elle eût été sa propre fille. Elle prit le plus grand soin de son éducation, la dota généreusement et la maria avec un préfet de l'empire.

Si l'impératrice montrait autant de tendresse pour une fille qui n'était pas la sienne, il est impossible de se faire une véritable idée de son amour, de son dévouement pour la reine Hortense et le prince Eugène. Il est vrai de dire que ses enfans le lui rendaient bien, et que jamais il ne fut au monde une meilleure comme une plus heureuse mère. Elle était fière de ses deux enfans, elle en parlait toujours avec un enthousiasme qui paraîtra bien naturel à toutes les personnes qui ont connu la reine de Hollande et le vice-roi d'Italie. J'ai raconté comment, rendu orphelin dans le plus bas âge, par l'échafaud révolutionnaire, le jeune Beauharnais avait gagné le cœur du général Bonaparte en venant lui demander l'épée de son père. On sait aussi comment cette action donna au général l'envie de voir Joséphine, et ce qui résulta de cette entrevue. Lorsque madame de Beauharnais fut devenue l'épouse du général Bonaparte, Eugène entra dans la carrière militaire, et s'attacha aussitôt à la fortune de son beau-père, qui l'appela près de lui en Italie, en qualité d'aide-de-camp. Il était chef d'escadron dans les chasseurs de la garde consulaire, lorsqu'à l'immortelle bataille de Marengo, il partagea tous les dangers de celui qui avait tant de plaisir à le nommer son fils. Peu d'années après, le chef d'escadron était devenu vice-roi d'Italie, héritier présomptif de la couronne impériale, titre qu'à la vérité il ne conserva pas long-temps, et époux de la fille d'un roi.

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