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Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour

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Si les grâces sont le complément de la beauté, comme le goût est celui de l'esprit, les Françaises doivent remercier la nature qui les a si bien traitées; car, toute prévention à part, je suis obligée de dire que les femmes de notre nation se distinguent parmi toutes les autres.

Les différentes cours d'Allemagne que nous passâmes en revue pendant ce voyage nous fournirent les preuves de la justesse de cette observation; nous ne rencontrâmes pas une de ces princesses dont la tournure pût rivaliser avec celle de la moins élégante de nos ouvrières en modes.

Je suis persuadée que la princesse de ***, que nous nous honorons de compter à présent parmi nos compatriotes, et qui se met très-bien, rirait de tout son cœur, si elle revoyait la parure qu'elle portait le jour où elle fut présentée à l'empereur.

Nous retrouvâmes à Mayence la princesse M… que nous avions déjà vue un instant à Aix-la-Chapelle; passionnée pour M. de Caulaincourt, elle le suivait partout; ce qu'il y a de remarquable dans cette promenade sentimentale, c'est qu'elle traînait à sa suite son mari, qui l'accompagnait toujours. Elle oubliait tellement les convenances qu'au spectacle, placée sur le côté de la salle, elle passait toute la soirée entièrement tournée du côté opposé au théâtre, parce que M. de Caulaincourt s'y trouvait, oubliant tout-à-fait la scène et les acteurs.

En parlant de ceux-ci, je me rappelle un accès de colère de Napoléon, comme je ne lui en avais jamais vu.

M. de R… fut la victime sur laquelle l'orage éclata. Le premier chambellan était chargé de l'organisation du théâtre français; c'est lui qui avait désigné ceux des acteurs qui viendraient à Mayence, pendant la réunion des princes, qui s'y rendaient pour la confédération du Rhin. Désirant leur rendre la cour agréable, on avait voulu y réunir un bon spectacle.

Ce jour on avait joué Cinna, mademoiselle Raucourt avait rempli le rôle d'Émilie, et vraiment c'était un contre-sens choquant de lui entendre dire:

Si j'ai séduit Cinna, j'en séduirai bien d'autres

L'empereur était furieux qu'on eût donné aux princes réunis à Mayence un tel échantillon de nos actrices; il disait avec raison qu'ils devaient supposer que dans cette circonstance on avait fait un choix des meilleures, et qu'ils emporteraient dans leur pays une opinion bien désavantageuse de notre premier théâtre. Il gronda vivement M. de B… et lui dit qu'à l'exception d'un très-petit nombre de rôles dont mademoiselle Raucourt pouvait encore être chargée, on devait lui interdire tous les autres.

Ce fut à Mayence, où M. Méchin avait suivi l'empereur, qu'il obtint une nouvelle préfecture en remplacement de celle qui venait de lui être enlevée par sa destitution. Depuis le départ d'Aix-la-Chapelle, nous l'avions rencontré dans toutes les villes où la cour séjournait, à Cologne, à Coblentz; on était sûr, en traversant l'antichambre, d'y trouver M. Méchin.

L'impératrice contribua beaucoup à calmer la colère de l'empereur; c'est à elle, à ses pressantes sollicitations, que M. Méchin dut sa nomination. Mais la préfecture de la Roër n'en était pas moins regrettable; c'était la première de France pour les produits, qui excédaient 25,000 fr., tandis que celle de Laon n'en valait pas douze.

Joséphine avait beaucoup vu la famille de M. Méchin pendant le voyage d'Aix-la-Chapelle; il avait quitté l'hôtel de la préfecture pour le lui offrir, et avait passé tout le temps qu'elle l'avait habité dans une auberge avec toute sa famille. Elle mit tant d'instance et de suite dans ses sollicitations qu'elle obtint qu'il fût replacé à Laon. Le hasard d'une promenade me rendit témoin, pendant mon séjour à Mayence, de l'arrivée du prince primat (depuis grand-duc de Francfort). Le cortége qui se rendit hors de la ville à sa rencontre était la chose du monde la plus touchante.

Cet excellent prince, aussi bon que spirituel, était coadjuteur de son oncle l'électeur de Mayence.

Quoique la révolution arrivée en France l'eût privé de cette succession (puisqu'on s'était emparé de Mayence), il n'en payait pas moins des pensions à tous les anciens serviteurs de son oncle.

Je citerai de lui une attention très-aimable pour moi. Au bal donné par la ville de Mayence à l'empereur, il vint s'asseoir sur le siége que je venais de quitter pour danser une valse avec le prince d'Isembourg. J'y avais laissé mon éventail; il le brisa en s'asseyant.

La danse finie, je cherchai mon éventail un instant, mais quelqu'un m'ayant dit ce qui était arrivé, je cessai bien vite de m'en occuper.

Deux mois après je reçus à Paris un éventail charmant.

Joséphine avait l'habitude, avant les audiences diplomatiques, de voir la liste des présentations, en sorte qu'elle était ou se mettait parfaitement au courant des ambassadeurs et des ministres qui devaient en faire partie; elle savait à peu près avant ce qu'elle devait dire à chacun. Il arriva cependant un jour qu'en répondant à M. de Lima, et lui disant, je reçois avec plaisir les félicitations du prince régent de Portugal, elle se trompa et dit le prince régnant, pour le prince régent. Elle était désolée après l'audience; je ne sais quelle était la sotte personne qui avait pu l'avertir de cette bévue; lui en parler était très-inconvenant et très-méchant, car on était certain qu'elle s'en affligerait.

Au reste, je dois dire que toutes les audiences auxquelles j'ai assisté se passaient de la manière la plus convenable; et ce qui pourra surprendre, c'est qu'il n'en était pas ainsi de Marie-Louise, qui cependant devait en avoir pris l'habitude à la cour d'Autriche. Mais en vérité rien de plus pitoyable que la plupart des réceptions de cette jeune et malheureuse princesse. Madame la duchesse de Montebello tenait la feuille contenant les noms des personnes présentées; souvent elle lisait mal les noms étrangers; quand elle avait dit: «J'ai l'honneur de présenter à Votre Majesté impériale et royale Monsieur…,» elle s'arrêtait, hésitait, balbutiait. Marie-Louise alors se penchait pour lire elle-même le nom; puis, à l'exemple de Napoléon, elle demandait à la personne présentée: Êtes-vous marié? avez-vous des enfans? et quelquefois elle ajoutait comme son époux: Que faites-vous? Le ministre de Saxe, le comte d'Einselden, que je voyais très-souvent alors, me disait à chaque audience de Marie-Louise: En vérité l'impératrice devrait savoir que je ne suis pas marié, que je n'ai pas d'enfans, car je le lui ai déjà dit tout autant de fois que je l'ai vue. Il paraît qu'elle a peu de mémoire.

CHAPITRE XI

De Mayence à Saverne.—Le général Ordener et madame de La Rochefoucault.—Plaintes de madame de La Rochefoucault à l'impératrice.—Bonté de Joséphine.—Sa douceur dégénérant en faiblesse.—Jalousie entre ses femmes de chambre.—Mademoiselle Avrillon et madame Saint-Hilaire.—Madame de La Rochefoucault grondant l'impératrice.—Larmes de Joséphine.—Joséphine parlant de la mort du duc d'Enghien.—Prières de Joséphine et regret de Napoléon.—Arrivée à Nancy.—M. d'Osmond, évêque de Nancy.—Madame Lévi.—Invitation à déjeuner refusée par l'impératrice.—Autre temps, autres mœurs.—Prodigalité de Joséphine, venant de la bonté de son cœur.—Importunités des marchands.—Joséphine achetant une bourse que son intendant refuse de payer.—Triomphe de Napoléon en voyage et froid accueil des Parisiens.—Opinion de Napoléon sur le 10 août.—Mépris de Napoléon pour le peuple.—Chagrins domestiques de l'auteur.—Spéculations sur les fonds publics.—Engagement imprudent.—Dépenses énormes et inévitables.—Vente à réméré de la terre de V…—Beau rêve et triste réveil.—Le spéculateur en perte.—Fuite de MM.*** et ruine de l'auteur.—Lettre de MM.*** à l'auteur.—Résolution soudaine.—L'auteur priant l'impératrice d'accepter sa démission.—Le général Foulers envoyé à l'auteur par l'impératrice.—Instance de Joséphine.—Explication différée.

En quittant Mayence, on vint coucher à Saverne; nous y trouvâmes le général qui avait commandé l'expédition d'Ettenheim; il fut, ainsi que plusieurs autres généraux, admis au souper de l'impératrice, et le hasard le plaça à côté de madame de La Rochefoucault. Ne connaissant ce général que par son nom, qui avait acquis une si funeste célébrité, et nullement par sa figure, je ne pouvais pas comprendre les signes que me faisait madame de La Rochefoucault, signes qui annonçaient un vif sujet de mécontentement. Après souper, une conversation qui eut lieu devant moi, dans l'appartement de Joséphine, m'en donna l'explication.

Madame de La Rochefoucault lui dit: «Quand j'ai refusé si long-temps l'honneur que Votre Majesté voulait me faire, c'est ce que je savais bien que ses bontés, son amitié même, ne pouvaient pas m'éviter une foule de désagrémens indépendans de sa volonté, comme, par exemple, le malheur (qui m'est arrivé ce soir) de me trouver placée à souper à côté du général***.» Madame de La Rochefoucault ne pouvait pas s'en consoler. On trouvera peut-être singulière la liberté avec laquelle elle adressait ces plaintes à l'impératrice; mais elle avait été son amie long-temps avant d'être sa dame d'honneur, et la bonté de Joséphine lui donnait tout-à-fait son franc-parler.

Dans une autre circonstance, je l'avais vue en user jusqu'au point de la faire pleurer; c'était à propos de ses femmes de chambre que cette sévère leçon lui avait été donnée.

J'ai déjà dit que l'impératrice était parfaitement bonne, d'un caractère doux, égal, mais très-faible. La dernière personne qui lui parlait avait toujours raison avec elle.

Il arrivait de là quelquefois que les deux parties, auxquels en particulier elle avait donné droit, en appelaient à elle-même, se croyant sûres chacune de leur côté de triompher. Ce fut ce qui arriva un jour avec ses femmes de chambre.

 

Mademoiselle Avrillon, qui avait été à madame Bonaparte, avait toutes les peines du monde à perdre avec l'impératrice la familiarité dont sa grande bonté lui avait laissé contracter l'habitude; elle venait lui faire ses plaintes. Il existait une grande jalousie entre elle et madame Saint-Hilaire, première femme de chambre, et les sujets de doléance ne manquaient jamais, surtout en voyage; c'était souvent relativement aux chambres que leur désignait M. Philippe de Ségur, maréchal-des-logis: si celle de madame Saint-Hilaire était meilleure que celle de mademoiselle Avrillon, cette dernière venait tourmenter Joséphine; il en était de même si c'était madame Saint-Hilaire qui se crût maltraitée. Jamais les prérogatives des ambassadrices entre elles n'ont occasioné autant de débats qu'il s'en élevait quelquefois entre les femmes de Joséphine.

Mademoiselle Avrillon trouvait fort mauvais que madame Saint-Hilaire se fît accompagner par sa femme de chambre, et surtout qu'elle l'envoyât dîner à la même table où elle se trouvait.

Un jour les différentes parties avaient réclamé près de Joséphine le redressement de leurs griefs respectifs; elle avait, comme d'habitude, donné raison à chacune, et il en était résulté que le désordre avait été porté au comble, chaque partie se trouvant forte de son approbation.

Madame de La Rochefoucault intervint; elle lui fit sentir qu'elle ne devait pas permettre à ses femmes de venir jamais l'entretenir de leurs débats; elle lui dit que c'était sa trop grande bonté à cet égard qui avait empiré le mal.

Joséphine le sentait si bien qu'elle en pleura. Le matin avant de partir de Saverne, ce qui s'était passé la veille amena naturellement l'impératrice à me parler de la mort du duc d'Enghien; elle me dit qu'elle l'avait apprise par Bonaparte, qui était entré de très-bonne heure chez elle, et lui avait annoncé son arrivée, sans parler encore de sa mort; qu'elle s'était précipitée vivement hors de son lit, en se jetant à ses pieds, pour le supplier d'épargner sa vie; Napoléon l'avait relevée en lui disant tristement: «Il n'est plus temps.»

Elle croyait que si elle eût été instruite à temps, elle eût peut-être pu faire changer sa détermination, Joséphine pensait qu'en venant lui annoncer le matin ce funeste événement, il éprouvait déjà le regret de l'avoir provoqué.

De Saverne on vint coucher à Nancy.

Les deux seules visites que Joséphine y reçut le soir de son arrivée présentaient un contraste bien bizarre: c'était l'évêque, M. d'Osmont, et madame Levi; la bienveillance qu'elle leur accordait les fit excepter de l'ordre qui avait été donné de ne recevoir personne. L'évêque n'était point une nouvelle connaissance pour l'impératrice, elle l'avait déjà reçu souvent à Paris; elle appréciait son esprit, et surtout les formes polies et agréables qui entouraient toutes ses actions.

La séduction des manières exerçait un grand empire sur elle, et ne manquait jamais son effet; c'était un moyen certain de lui plaire.

Quant à madame Levi, je ne sais trop ce qui lui avait acquis ses bontés, mais cette riche juive accourut avec beaucoup de familiarité, pour lui demander d'accepter un déjeuner chez elle le lendemain. Joséphine lui dit que cela était impossible; madame Levi insistait et voulait absolument savoir le pourquoi. Elle rappelait, sans faire distinction des temps, un autre déjeuner que madame Bonaparte était venue faire chez elle antérieurement, lorsqu'elle se rendait aux eaux de Plombières.

Et cependant, en révolution, il faudrait souvent rappeler cet adage: autre temps, autres mœurs.

L'impératrice, pressée par elle, lui répondit enfin: «Ma chère madame Levi, c'est tout autre chose à présent, je ne le puis plus; mais revenez encore demain matin me voir.»

Madame Levi revint et lui apporta de très-belles perles. Joséphine les acheta, pour la consoler du déjeuner qu'elle avait été obligée de refuser.

Elle oubliait quelquefois qu'il est plus facile d'acheter que de payer, et cet oubli lui donnait souvent beaucoup d'embarras. On lui en a fait bien des reproches, et on avait tort. Cette prodigalité tenait particulièrement à la bonté de son cœur, qui ne lui permettait pas de rien refuser. Sa condescendance à cet égard excédait souvent les sommes destinées pour sa toilette.

C'était aux personnes de son service, qui la connaissaient, à lui éviter les tentations, en ne laissant pas arriver jusqu'à elle cette foule de marchands, sollicitant chacun l'achat de ce qu'ils lui apportaient. Un jour un joaillier vint la tourmenter pour acheter une charmante bourse ornée de diamans; Joséphine la trouva très-jolie et l'acheta mais son intendant ne voulut jamais délier les cordons de la sienne pour la payer. Le pauvre joaillier, après mille courses et deux ans d'attente, se trouva fort heureux qu'on la lui rendît. Ces refus de payer, qu'on opposait souvent à de justes demandes, faisaient un très-mauvais effet. C'était le tort des personnes qui l'entouraient, et non le sien.

En arrivant à Paris, je ne m'étonnai plus si Napoléon aimait tant à voyager. Sur sa route partout il foulait des fleurs, en passant sous des arcs de triomphe; toujours il était accompagné des cris de vive l'empereur! mais en entrant à Paris, tout était froid et silencieux autour de lui; sa voiture passait presque inaperçue; aussi il détestait bien cordialement les Parisiens. Pendant notre séjour à Mayence, un jour je lui avais entendu parler du 10 août, et dire: À cette époque je n'étais qu'un simple officier d'artillerie; j'étais sur la terrasse du bord de l'eau, et je me rongeais les poings (c'est l'expression dont il se servit) en voyant un souverain attendre dans son palais l'attaque de toute cette populace, qu'il devait balayer à coups de canon.

Il parla long-temps et vivement à ce sujet, s'exprimant avec beaucoup de mépris pour le peuple, qui, disait-il, est comme l'eau qui prend la forme de tous les vases, et dont les volontés doivent être enchaînées, ayant besoin qu'on pense et qu'on agisse pour lui.

Mon retour à Paris fut suivi de beaucoup de chagrins; avant d'en parler, je dois retracer quelques circonstances antécédentes.

Lorsque j'avais perdu mon père, j'étais restée en rapports avec M. G…, son homme d'affaires; je vis chez lui un M. M…, qui faisait quelques opérations très-avantageuses. M. G… regarda comme une très-grande faveur qu'il voulût bien se charger d'une petite somme que je lui confiai, pour joindre à ses opérations; j'ignorais de quelle nature elles étaient; mais depuis j'ai eu lieu de croire qu'elles consistaient tout simplement en spéculations sur la hausse et la baisse des fonds publics. Mes rapports avec lui me firent rencontrer quelquefois dans son cabinet un M. Odra, qu'on disait chargé de beaucoup d'affaires de ce genre pour M. de Talleyrand.

Depuis, j'ai cru souvent que les opérations si avantageuses de M. M…, auxquelles je participai pendant plusieurs années, avaient dû provenir de ses liaisons avec M. Odra, qui avait dû être toujours parfaitement au courant de tout ce qui devait assurer le succès de ce genre d'affaires.

Pendant long-temps M. M… me renvoyait mes fonds avec le bénéfice, et quand il se présentait une circonstance qui lui paraissait favorable, il venait les reprendre.

Si j'eusse été prudente, je me serais contentée d'augmenter ce capital avec les bénéfices, sans compromettre d'autres fonds. Mais c'est ici que je dois m'avouer coupable. Enchantée de ces succès, non-seulement j'augmentai ce capital de tout ce qu'il me fut possible d'y joindre, mais j'eus l'imprudence d'en parler à des amis, à des personnes de ma propre famille, qui désiraient participer à ces avantages.

J'en parlai à M. M…; il me dit qu'il ne s'occupait de ce genre d'affaires que pour lui, qu'il avait consenti à s'en charger pour moi à la recommandation de M. G…, son ami intime, mais qu'il ne voulait accepter aucune responsabilité envers personne autre que moi. J'eus l'imprudence de donner ma reconnaissance personnelle pour les fonds que mes amis lui confièrent par mon entremise.

Les changemens qu'on avait faits dans ma maison et mon jardin pendant mon voyage en Angleterre avaient été tellement mal ordonnés, qu'il y avait eu nécessité de les faire disparaître. J'avais confié ces nouveaux travaux à un autre architecte, qui avait un goût particulier pour la distribution des jardins; mais au lieu de commencer ces changemens en détail et successivement, il avait bouleversé vingt-deux arpens de terrain dans toute leur étendue; il avait détruit l'ancienne avenue, et en avait pratiqué une nouvelle au milieu du parc, pour arriver à la maison; mais n'ayant pas calculé exactement la durée de ces travaux, il arriva que la saison des pluies survint avant qu'ils ne fussent terminés. Bientôt la nouvelle route, qui n'avait pas été ferrée encore, devint impraticable; les voitures, pour parvenir à la maison, furent obligées de se frayer de nouvelles routes à travers le parc, et l'ouvrage d'une centaine d'ouvriers, qui y avaient été employés pendant trois mois, se trouva perdu. Non-seulement ce travail et les sommes qu'il avait coûtées étaient regrettables, mais le piétinement des chevaux, le passage des voitures sur ces terres les avaient transformées en pierre; au printemps, il fallut des travaux immenses pour les défoncer de nouveau, et les mettre au point de recevoir les plantations et la semence de gazon. On se formera une idée des sommes qui furent enfouies dans ce lieu, quand on saura qu'il y eut pour deux mille francs de graine de gazon, et cependant cet article, dans les travaux de ce genre, est communément une des moindres dépenses.

J'étais tout-à-fait malheureuse de me trouver ainsi entraînée, malgré ma volonté, dans des travaux interminables; mais la totalité des terrains ayant été bouleversée, il fallait ou les finir, ou vendre cette habitation à vil prix, car dans l'état où elle se trouvait personne n'en eût voulu. La vendre me paraissait impossible, je manquais de force pour me résigner à ce cruel sacrifice. Une partie du parc avait été consacrée pour la sépulture de mon père, je devais donc conserver à jamais cette habitation.

Jusqu'alors les bénéfices qui m'avaient été remis par M. M*** avaient couvert une grande partie de ces dépenses. Mais elles finirent par les absorber, et le capital même s'en trouva fort diminué.

Les avantages que j'avais recueillis pendant plusieurs années me perdirent. Sans calculer qu'ils pouvaient cesser, j'eus l'imprudence, la folie de vendre à réméré la superbe terre de V…, dont le fourneau seul était loué vingt mille francs. Le terme pour exercer le réméré était une année; je vendis ma terre pour rien, me croyant certaine de rentrer dans sa possession, en remboursant dans le cours de l'année la somme qui avait été donnée. Je pensais que les bénéfices des opérations de M. M… suffiraient pour achever les travaux de ma maison, et payer les sommes qui étaient restées à la charge de mon mari par suite de plusieurs cautionnemens qu'il avait donnés avant son émigration. Je me voyais en espérance rentrée, à la fin de l'année, en possession de ma terre, et libérée de tout engagement.

Ce rêve était beau, le réveil fut cruel… Hélas! si la conscience des intentions pouvait suffire, je pourrais me reposer sur les miennes; elles étaient parfaites; mais combien est faible cette consolation! elle ne peut avoir d'effet que lorsque nos fautes n'ont atteint que nous-mêmes; mais si d'autres en sont aussi les victimes, elle devient bien insuffisante.

M. M***, dont les opérations depuis six mois étaient beaucoup moins avantageuses, et quelquefois en perte, avait cessé dès long-temps de rapporter les fonds, et de les reprendre lorsque l'occasion de s'en servir se présentait; ces fonds restaient alors toujours entre ses mains; seulement j'y puisais pour payer mes dépenses et celles des travaux de ma maison.

Le lendemain de mon arrivée à Paris, j'envoyai chez lui; on vint me dire qu'il n'y logeait plus, et qu'on ignorait où il était. Inquiète, effrayée, j'y courus moi-même, et je reçus la même réponse; il avait cédé son appartement et ses meubles à un Allemand, qui ne put me donner aucune lumière sur le lieu où il s'était retiré. J'exprimerais mal ce qui se passa en moi dans ce moment. Si j'eusse été veuve, si tous les fonds emportés ou perdus par M. M… eussent été à moi seule, avec le caractère que j'ai reçu de la nature, je n'en aurais pas été affectée un seul instant; mais les bontés de mon beau-père et de ma belle-mère m'avaient donné l'entière propriété de tout ce que mes soins avaient pu sauver de leur fortune. Toujours je m'étais regardée comme dépositaire de cette fortune; mon mari, au retour de l'émigration, m'en avait laissé la libre disposition. Jamais il ne m'avait demandé compte de ma gestion. Il ignorait toutes les opérations de M. M…; l'adresse ou le bonheur que j'avais eu de lui conserver une belle fortune, malgré la sévérité des lois contre les émigrés, lui avait donné une parfaite confiance dans ma capacité; sa bonté pour moi m'en accordait même beaucoup plus que je n'en avais reçu réellement. Il ne cessait de faire mon éloge à ses amis, à ses parens.

 

Si l'on ajoute à cette confiance illimitée l'éloignement naturel qu'il avait pour s'occuper de toute espèce d'affaires, on concevra comment il était resté dans l'ignorance totale des siennes. Qu'on juge donc de ce que je dus éprouver quand mon imprudence funeste eut compromis toute cette brillante fortune, et que je pensai que cet excellent homme, qui avait été élevé au milieu d'un luxe proportionné à l'opulence qui entourait sa famille, allait partager les privations que je devais m'imposer.

Pour moi personnellement, mon parti était pris; mais avec quels déchiremens je commençai à entrevoir l'impossibilité de garder cette maison qui m'était si précieuse par le dépôt qu'elle renfermait!

Hélas! les sommes énormes qui y avaient été enfouies auraient presque suffi, pour réparer les pertes résultant de la fuite de M. M…, ou du moins elles eussent pu former encore une belle fortune.

Mais elles étaient perdues sans retour; car on sait qu'en vendant une maison de campagne, on ne retrouve jamais que sa valeur primitive, et qu'en général le prix de tous les changemens qu'on y a faits se trouve perdu. En revenant de chez M. M…, je trouvai chez moi une lettre de lui, timbrée de La Haye; il me disait «qu'il était au désespoir, beaucoup plus pour moi que pour lui-même; que je devais me rappeler que c'était presque malgré lui qu'il s'était chargé de mes fonds, puisqu'il n'avait jamais travaillé que sur son propre argent. Qu'il n'avait rien emporté, absolument rien autre que la valeur de son mobilier, qui n'était pas considérable. Qu'il avait quelques réclamations à faire en Hollande pour quelques sommes qui lui étaient dues. Que s'il réussissait à s'en faire payer, ces sommes me seraient envoyées, puisque j'étais la seule personne compromise dans cette affaire. Que tout ce qu'il pourrait recueillir de ce qui lui était dû, ou gagner par son industrie, me serait acquis58

Cette lettre ne devait me laisser aucune espérance. Je dus de suite prendre courageusement mon parti, et renoncer à un monde dans lequel je ne pouvais plus paraître avec l'éclat qui m'avait entourée jusqu'alors.

J'écrivis à l'impératrice; sans entrer dans aucun détail, je lui disais qu'une circonstance imprévue et impérieuse me prescrivait de quitter Paris, que je la priais d'accepter ma démission.

Quelques heures après le départ de ma lettre, le général Fouler, son écuyer cavalcadour, arriva chez moi, avec l'invitation de me rendre de suite à Saint-Cloud. J'y fus, j'y trouvai Joséphine seule; elle vint à moi avec l'empressement le plus aimable. «Que vous est-il donc arrivé? me demanda-t-elle; quelque chose que ce soit, je puis, je crois, le réparer, et c'est là, sans doute, la plus heureuse prérogative de ma position. Parlez, ouvrez-moi franchement votre cœur. Vous savez si je vous aime; dans les mois que nous venons dépasser ensemble, j'ai su vous apprécier59; je ne veux pas que nous soyons séparées. Non, ajouta-t-elle en m'embrassant, nous ne le serons pas, nous ne pouvons pas l'être.»

J'allais répliquer et lui dire que j'étais pénétrée de sa bonté, mais qu'il m'était impossible d'en profiter, que les circonstances dans lesquelles je me trouvais étaient irréparables, et nécessitaient le parti que je prenais, lorsque l'empereur entra chez elle. Le salon fut bientôt rempli de monde; je dus remettre cette explication à un autre jour.

58Je fus quatorze ans sans entendre parler de lui, sans en recevoir aucune nouvelle. Enfin après mille recherches je découvris, en 1818, qu'il était alors en Angleterre. J'y allai; j'eus beaucoup de peine à l'y trouver. Il y végétait par les résultats d'un commerce très-peu considérable sur les marchandises prohibées. J'en tirai quelques billets pour une faible somme de 10,000; mais ces billets dans la suite ne furent pas payés. Je fus obligée de retourner à Londres. Enfin après plusieurs voyages, beaucoup de peines et de fatigues, je fus obligée, pour ne pas perdre le tout, de recevoir des marchandises pour six mille francs environ. Depuis j'ai appris qu'il était mort à peu près insolvable.
59Ces paroles bienveillantes ne prouvaient que la bonté de Joséphine, et nullement mon mérite.
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