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Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour

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À cette occasion, je me rappelle une anecdote qui prouve, mieux que tout ce que l'on pourrait dire, toute la bonté, toute la simplicité du maréchal. Un jour, on lui annonce que quelqu'un qui ne se nomme pas demande à lui parler. Le maréchal sort de son cabinet, et reconnaît son ancien capitaine aux gardes françaises, où, comme l'on sait, le maréchal avait été sergent. Le maréchal lui demande la permission de l'embrasser, lui offre ses services, sa bourse, sa maison, le traite enfin presque comme s'il eût été encore sous ses ordres. L'ancien capitaine était émigré; il rentrait sans trop savoir ce qu'il ferait. D'abord sa radiation est promptement obtenue par les soins du maréchal; mais il ne voulait plus servir, et avait toutefois besoin d'une place. Ayant fait ressource dans l'émigration de donner des leçons de français et de latin, il témoigna le désir d'obtenir un emploi dans l'université: «Comment, mon colonel, lui dit le maréchal avec son accent allemand, mais je vais tout de suite vous mener chez mon ami M. de Fontanes.» On met les chevaux à la voiture du maréchal, et voilà le protecteur respectueux et son protégé dans les salons du grand-maître de l'université. M. de Fontanes se hâte de venir au devant du maréchal, qui, m'a-t-on dit, fit de la sorte son discours de présentation: «Mon cher ami, je vous présente M. le marquis de***. C'est mon ancien capitaine, mon bon capitaine! Il veut bien demander une place dans l'université. Ah! dam! ce n'est pas un homme de rien, un homme de la révolution, comme vous et moi. C'est mon ancien capitaine, M. le marquis de***.» Enfin le maréchal finit par dire: «Ah! le bon, l'excellent homme! Je n'oublierai jamais que, quand j'allais à l'ordre chez mon bon capitaine, il ne manquait jamais de me dire: Lefebvre, mon enfant, passe à l'office; va te rafraîchir: Ah! mon bon, mon excellent capitaine.»

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Tous les membres de la famille impériale avaient un goût marqué pour la musique, et particulièrement pour la musique italienne; mais ils n'étaient point musiciens, et la plupart chantaient presque aussi faux que Sa Majesté elle-même. Il faut cependant en excepter la princesse Pauline, qui avait fini par profiter un peu des leçons assidues que lui donnait Blangini, et chantait assez agréablement. Sous le rapport de la justesse de la voix, le prince Eugène se montrait bien digne d'être le fils adoptif de l'empereur. Il était cependant musicien, et chantait avec passion, mais non pas de manière à satisfaire ses auditeurs. En revanche, le prince Eugène avait un organe magnifique pour commander les évolutions militaires, avantage qu'il partageait avec le comte de Lobeau et le général Dorsenne; aussi était-ce toujours l'un d'eux que Sa Majesté désignait pour commander sous ses ordres aux grandes revues.

Quelque sévère que fût l'étiquette à la cour de l'empereur, il y eut toujours quelques personnes privilégiées qui conservèrent le droit d'entrer dans sa chambre, même quand il était au lit; mais le nombre en était borné. Il se composait ainsi:

MM. de Talleyrand, vice-grand-électeur; de Montesquiou, grand-chambellan; de Rémusat, premier chambellan; Maret, Corvisart, Denon, Murat, Yvan; Duroc, grand-maréchal; et de Caulaincourt, grand-écuyer.

Pendant long-temps je vis toutes ces personnes-là venir chez l'empereur presque tous les matins, et leurs visites furent l'origine de ce que l'on appela par la suite le petit lever. M. de Lavalette venait aussi quelquefois, aussi bien que M. Réal et MM. Fouché et Savary, alors que chacun d'eux fut ministre de la police.

Les princes de la famille impériale jouissaient également du droit de venir le matin dans la chambre de l'empereur. J'y ai vu bien souvent Madame Mère. L'empereur lui baisait la main avec beaucoup de respect et de tendresse, mais je l'ai entendu plusieurs fois lui adresser des reproches sur son excessive économie. Madame Mère l'écoutait, puis donnait, pour ne pas changer sa manière de vivre, des raisons qui ont plus d'une fois impatienté Sa Majesté, mais que les événemens ont malheureusement pris le soin de justifier.

Madame Mère avait été d'une remarquable beauté, et elle était encore très-belle, surtout quand je la vis pour la première fois. Il était impossible de voir une meilleure mère; excellente pour ses enfans, elle leur prodiguait les plus sages conseils, et elle intervenait toujours dans les brouilleries de famille pour soutenir ceux qui à ses yeux avaient raison; long-temps elle prit le parti de Lucien, et je lui ai souvent vu prendre avec chaleur celui de Jérôme, quand le premier consul était le plus mal disposé pour son jeune frère. La seule chose que l'on ait reprochée à Madame Mère est son excessive économie, et sur ce point on peut aller bien loin sans crainte d'atteindre l'exagération; mais tout le monde l'aimait au palais, parce qu'elle était bonne et affable pour tout le monde.

Je me rappelle, à l'occasion de Madame Mère, un fait qui divertit beaucoup l'impératrice Joséphine. Madame était venue passer quelques jours à la Malmaison; une de ses daines qu'elle avait fait appeler entre dans son appartement et voit… Qu'on juge de son étonnement!… Elle voit le cardinal Fesch, remplissant les fonctions de femme de chambre, enfin laçant sa sœur, qui n'avait alors sur elle que le vêtement le plus voisin de la peau et son corset.

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Un des chapitres sur lesquels l'empereur n'entendait jamais raillerie, c'était le chapitre des douanes. Pour tout ce qui était contrebande il se montrait d'une sévérité inflexible. C'était à un tel point qu'un jour M. Soyris, directeur des douanes à Verceil, ayant fait saisir un ballot de soixante cachemires, envoyé de Constantinople à l'impératrice, l'empereur ordonna le maintien de la saisie, et les cachemires furent vendus au profit de l'état. En pareille circonstance l'empereur disait souvent: «Comment un souverain fera-t-il respecter les lois, s'il ne commence pas par les respecter lui-même?» Je me rappelle cependant une occasion, et je crois que ce fut la seule, où il passa condamnation sur une infraction aux droits de la douane; et pourtant, comme on va le voir, il ne s'agissait pas d'un acte de contrebande ordinaire.

Les grenadiers de la vieille garde, sous les ordres du général Soulès, revenaient en France après la paix de Tilsitt. Arrivés à Mayence, les douaniers voulurent faire leur devoir, et par conséquent visiter les caissons de la garde et ceux du général. Toutefois, le directeur des douanes, cherchant à y mettre des procédés, alla prévenir le général de la nécessité où il était de faire exécuter la loi et les intentions bien précises de l'empereur. La réponse du général à cette ouverture courtoise fut simple et énergique: «Si un seul douanier, répondit-il, ose porter la main sur les caissons de mes vieilles moustaches, je les fais tous f… dans le Rhin.» Le directeur insista; les douaniers étaient en grand nombre, et se disposaient à procéder à la visite, quand le général Soulès fit mettre les caissons sur le milieu de la place et en confia la garde à un régiment. Le directeur des douanes, n'osant alors passer outre, se contenta d'adresser au directeur général des douanes un rapport qui fut mis sous les yeux de l'empereur. En toute autre circonstance le cas eût été grave; mais l'empereur était de retour à Paris, mais il était plus que jamais salué par les acclamations de tout un peuple, mais on célébrait les fêtes de la paix, mais cette vieille garde revenait couverte de tant de gloire, mais elle avait été si belle à Eylau! Tout cela se réunit pour faire tomber la colère de l'empereur, et s'étant résolu à ne pas punir, il voulut récompenser et ne point prendre au sérieux l'infraction faite par menaces à ses lois de douane. Le général Soulès, que l'empereur aimait beaucoup, étant donc de retour à Paris, se présenta chez l'empereur qui le reçut très-bien, et après quelques autres propos relatifs à la garde, ajouta: «À propos, dis-moi donc, Soulès: tu en as fait de belles là-bas!… On m'a donné de tes nouvelles… Comment!… tu voulais jeter mes douaniers dans le Rhin?… Est-ce que tu l'aurais fait?—Oui, Sire, répondit le général avec son accent allemand; oui, je l'aurais fait. C'était une insulte à mes vieux grenadiers, que de vouloir visiter leurs caissons.—Allons, allons, ajouta l'empereur avec beaucoup d'affabilité, je vois ce que c'est; tu as fait la contrebande.—Moi, Sire?—Je te dis que si; tu as fait la contrebande; tu as acheté du linge en Hanovre; tu as voulu monter ta maison, parce que tu as pensé que je te nommerais sénateur. Tu ne t'es pas trompé. Va te faire faire un habit de sénateur. Mais ne recommence pas, car une autre fois je te ferai fusiller.»

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Pendant notre séjour à Bayonne en 1808, tout le monde fut frappé de la gaucherie du roi et de la reine d'Espagne, du mauvais goût de leur toilette, de la disgrâce de leurs équipages et d'un certain air contraint et empesé qui était répandu sur toutes les personnes de leur suite. L'élégance française et la richesse des équipages de la cour formaient avec tout cela un contraste qui le rendait réellement plus ridicule qu'il ne serait possible de le dire. L'empereur, qui avait en toutes choses un tact si exquis, ne fut pas un des derniers à s'en apercevoir; mais il n'aimait pas que l'on trouvât l'occasion de se moquer des têtes couronnées. Un matin, à sa toilette, il me dit en me pinçant l'oreille: «Dites donc, monsieur le drôle, vous qui vous entendez si bien à tout cela, donnez donc quelques conseils aux valets de chambre du roi et de la reine d'Espagne; ils ont un air gauche à faire pitié.» Je mis beaucoup d'empressement à faire ce que souhaitait Sa Majesté; mais elle ne s'en tint pas là. L'empereur communiqua en effet à l'impératrice ses observations sur la reine et sur ses dames. L'impératrice Joséphine, qui était le goût lui-même, donna des ordres en conséquence; et pendant deux jours ses coiffeurs et ses femmes de chambre ne furent plus occupés qu'à donner des leçons de goût et d'élégance à leurs confrères d'Espagne. Il fallait bien certainement que l'empereur trouvât du temps pour tout, pour pouvoir descendre de ses hautes occupations à de si minces détails.

 
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Le grand-maréchal du palais (Duroc) était à peu près de la taille de l'empereur. Il marchait mal et sans grâce. Sa tête et son visage étaient assez bien. Il était vif, emporté, jurait comme un soldat. Mais il avait un grand talent pour l'administration, et il en a donné plus d'une preuve dans l'organisation, à la fois grande et sagement réglée, de la maison impériale. Quand le canon ennemi eut privé Sa Majesté d'un serviteur dévoué et d'un ami sincère, l'impératrice Joséphine dit qu'elle ne connaissait que deux hommes capables de le remplacer; c'étaient le général Drouot, ou M. de Flahaut. Toute la maison espérait que l'un ou l'autre de ces deux messieurs serait nommé; mais il en fut autrement.

M. de Caulaincourt, duc de Vicence, était d'une extrême sévérité, et même dur dans le service; mais il était juste et d'une loyauté chevaleresque; sa parole valait un contrat. On le craignait, et pourtant on l'aimait. Il avait le regard perçant, parlait vite et avec une grande facilité. On connaît l'affection que lui portait Sa Majesté, et certes personne n'en était plus digne que lui.

M. le comte de Rémusat, premier chambellan, était d'une taille moyenne, d'une figure douce et blanche, obligeant, aimable, d'une politesse naturelle et de bon goût; mais il aimait la dépense, manquait d'ordre pour ses affaires, et par conséquent pour celles de l'empereur. Cette profusion, qui a un beau côté, aurait pu convenir à un autre souverain; mais celui-là était économe, et quoiqu'il aimât beaucoup M. de Rémusat, il lui retira le gouvernement des dépenses de sa garde-robe, et le confia à M. de Turenne, qui y apporta une sévère économie. M. de Turenne avait peut-être un peu trop de ce qui manquait à son prédécesseur. Ce fut précisément cela qui plut au maître. M. de Turenne était un assez joli homme, s'occupant un peu trop de lui; grand parleur et anglomane, ce qui lui avait fait donner par l'empereur le nom de milord Kinsester (qui ne sait se taire); mais il contait avec agrément, et quelquefois Sa Majesté se plaisait à lui faire raconter la chronique de Paris.

Quand M. le comte de Turenne remplaça M. le comte de Rémusat dans la place de grand-maître de la garde-robe, pour ne pas dépasser la somme de 20,000 francs que Sa Majesté accordait pour sa toilette, il fit toutes les économies possibles sur la quantité, le prix et la qualité des choses indispensables pour le service. On m'a dit, mais je ne puis pas l'assurer, que, pour savoir au juste à quoi s'en tenir sur les bénéfices des fournisseurs de l'empereur, il était allé chez divers fabricans de Paris, avec des échantillons de gants, de bas de soie, de bois d'aloës, etc.. Ce fait, s'il est vrai, ne peut, après tout, que faire honneur au zèle et à la probité de M. Turenne.

J'ai très-peu connu M. le comte de Ségur, grand-maître des cérémonies. On disait dans la maison qu'il était fier, un peu raide, mais d'une politesse parfaite, plein d'esprit et de reparties délicates et fines.

Il faut avoir vu l'ordre qui régnait dans la maison de l'empereur pour se le figurer. Dès le consulat, le général Duroc avait apporté à l'administration intérieure du palais cet esprit de règle et d'économie qui le caractérisait particulièrement. Cependant, quelle que fût la confiance de l'empereur dans le général Duroc, il ne dédaignait point de jeter le coup d'œil du maître sur des choses qui semblent de détail, et dont en général les souverains ne s'occupent guère par eux-mêmes. Ainsi, par exemple, il y eut au moment de la fondation de l'empire un peu de profusion dans certaines parties du palais, notamment à Saint-Cloud, où les aides-de-camp se mirent à tenir table ouverte; ce qui toutefois était loin de ressembler aux prodigalités désordonnées de l'ancien régime; le vin de Champagne et les vins fins allaient surtout très-vite, et il n'en fallut pas plus pour que l'empereur établît un règlement pour sa cave. Il fit venir le chef de la maison Soupé-Pierrugues, et lui dit: «Monsieur, je vous prête les caves de tous mes palais impériaux; vous y entretiendrez des vins de toutes les espèces; il en faut dans mes palais des Tuileries, de Saint-Cloud, de Compiègne, de Fontainebleau, de Marrac, de Lacken et de Turin. Établissez un prix moyen pour chacune de ces résidences, et vous aurez seul la fourniture de ma maison.» Ce marché fut conclu, et toute espèce de fraude était impossible, attendu que le délégué de M. Soupé-Pierrugues ne délivrait de vins que sur un bon signé du contrôleur de la bouche; toutes les bouteilles non débouchées étaient reprises, et chaque soir on établissait le compte de ce qui était dû pour la journée.

Le service se faisait de la même manière auprès de l'empereur quand nous étions en campagne. Pendant la seconde campagne de Vienne, je me rappelle que le délégué de la maison Soupé-Pierrugues fut M. Eugène Pierrugues, bon, gai, spirituel et aimé beaucoup de nous tous. Une imprudence lui coûta cher. Par suite d'une étourderie naturelle à son âge, il eut la cuisse cassée. Nous étions alors à Schœnbrunn. Ceux qui connaissent cette résidence impériale savent que des avenues magnifiques s'étendent au devant du palais et conduisent jusqu'à la route de Vienne. Comme je montais souvent à cheval pour aller me promener dans la ville, M. Eugène Pierrugues voulut un jour y venir avec moi, et emprunta un cheval d'un des fourriers du palais. On le prévint que le cheval était extrêmement fougueux, mais il n'en tint pas compte, et à peine sur son cheval il lui fit prendre le galop. Je retins le mien pour ne pas animer celui de mon compagnon; mais, malgré cette précaution, le cheval s'emporta, se jeta dans les arbres, et brisa la cuisse de son malheureux et imprudent cavalier. M. Eugène Pierrugues ne fut cependant pas désarçonné du coup; il résista encore un moment après la blessure; mais elle était extrêmement grave, et il fallut le reporter chez lui. Je fus plus que tout autre affligé de cet affreux accident. Nous établîmes auprès de lui un service régulier, de manière à ce que l'un de nous au moins pût lui tenir compagnie quand nos devoirs nous le permettaient. Je n'ai jamais vu souffrir avec plus de courage; ce fut au point même que la cuisse de M. Pierrugues ayant d'abord été mal remise, il fit au bout de quelques jours briser la fracture, opération que l'on dit horriblement douloureuse.

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Mon oncle, qui était huissier du cabinet de l'empereur, m'a raconté une anecdote qui probablement ne peut être connue de personne, car tout, comme on va le voir, se passa dans l'ombre du plus profond mystère. «Un soir, me dit-il, le maréchal Duroc vint me donner lui-même l'ordre de faire éteindre les lustres du salon qui précédait le cabinet de Sa Majesté, et de ne laisser que quelques bougies allumées. Je ne concevais rien à un pareil ordre, d'un genre tout nouveau, et d'ailleurs le grand-maréchal n'était pas dans l'usage d'en donner ainsi directement. Je fis exécuter l'ordre, et j'attendis à mon poste. À dix heures le maréchal Duroc revint accompagné d'un personnage dont il me fut impossible de distinguer les traits; il était entièrement enveloppé dans un large manteau; il avait la tête couverte et son chapeau enfoncé jusque sur les yeux. Je me retirai et les laissai tous les deux. À peine j'étais sorti du salon que l'empereur y entra, et aussitôt le maréchal Duroc se retirant aussi, laissa l'inconnu seul avec Sa Majesté. Au ton dont parla l'empereur, il était facile de juger combien il était irrité. Il s'exprimait très-haut, et je lui entendis dire: «Eh bien! Monsieur, vous ne changerez donc jamais?… C'est de l'or qu'il vous faut, toujours de l'or!… Vous agiotez sur toutes les banques étrangères, et n'avez pas de confiance dans celle de Paris!… Vous avez ruiné la banque de Hambourg!… Vous avez fait perdre deux millions à M. Drouet!» (Ou Drouaut, car le nom fut prononcé très-vite.)

»L'empereur, poursuivit mon oncle, continua long-temps sur ce ton; l'inconnu ne répondait pas, ou bien répondait si bas, qu'il me fut impossible d'entendre une de ses paroles. Cette scène, qui dut être affreuse pour le personnage mystérieux, dura de la sorte près de vingt minutes. Enfin il lui fut loisible de sortir, ce qu'il fit avec autant de précautions qu'en arrivant, et se retira enfin du palais aussi secrètement qu'il y était venu.»

Rien de cette scène ne transpira dans le palais, et d'ailleurs ni mon oncle ni moi nous n'avons jamais cherché à savoir quelle était la personne à laquelle l'empereur avait adressé tant et de si sévères paroles.

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Toutes les fois que les circonstances le permettaient, la manière de vivre de l'empereur était extrêmement régulière, et voici à peu près quelle était la division ostensible de son temps: tous les matins, à neuf heures précises, l'empereur sortait de l'intérieur de ses appartemens; son scrupule pour l'exactitude des heures était poussé à un point extrême, et je l'ai vu quelquefois, étant prêt un peu plus tôt, attendre deux ou trois minutes pour que personne ne fût pris en défaut. À neuf heures il était habillé comme il devait l'être toute la journée. Quand il était dans le salon de réception, les officiers de service étaient les premiers admis, et recevaient les ordres de Sa Majesté pour le temps de leur service. Immédiatement après, ce que l'on appelait les grandes entrées étaient introduites, c'est-à-dire les personnages d'un haut rang qui y avaient droit par leurs charges ou par une faveur spéciale de l'empereur, et je puis dire que cette faveur était bien enviée; elle était acquise généralement à tous les officiers de la maison impériale, alors même qu'ils n'étaient pas de service. Tout le monde était debout et l'empereur aussi. Il parcourait le cercle de toutes les personnes présentes, adressait presque toujours un mot ou une question à tout le monde, et il fallait voir ensuite, pendant toute la journée, l'attitude noble et fière de ceux auxquels l'empereur avait parlé un peu plus long-temps qu'aux autres. Cette cérémonie durait ordinairement une demi-heure. Dès qu'elle était terminée, l'empereur saluait, et chacun se retirait.

À neuf heures et demie, on servait le déjeuner de l'empereur: c'était ordinairement sur un petit guéridon en bois d'acajou, et ce premier repas ne durait matériellement que sept ou huit minutes; mais quelquefois il se prolongeait davantage, et je l'ai vu même durer assez long-temps: c'était lorsque l'empereur était gai, et qu'il aimait à se livrer familièrement aux charmes de la conversation avec des hommes d'un grand mérite qu'il connaissait depuis long-temps et qui assistaient à son déjeuner. Là ce n'était plus l'empereur du lever; il continuait en quelque sorte le vainqueur de l'Italie, le conquérant de l'Égypte, et surtout le membre de l'Institut. Ceux qui y venaient le plus habituellement étaient MM. Monge, Bertholet, Costaz, intendant des bâtimens de la couronne; Denon, Corvisart, David, Gérard, Isabey, Talma et Fontaine, son premier architecte. Que de grandes pensées, que de choses d'un ordre élevé sont émanées de ces conversations que l'empereur avait coutume d'annoncer en disant: «Allons, Messieurs, je ferme la porte de mon cabinet.» C'était le signal, et ce qui était vraiment miraculeux, c'était l'aptitude de Sa Majesté à mettre son génie en communication avec des intelligences si fortes et si diverses.

Je me rappelle que pendant les jours qui précédèrent le couronnement, M. Isabey était extrêmement assidu au déjeuner de l'empereur; il y venait pour ainsi dire tous les matins, et ce n'était pas une chose vulgaire que voir un grand jouet d'enfant servir à faire la répétition de la vaste cérémonie qui allait avoir une si grande influence sur les destinées du monde. Le spirituel peintre de portraits du cabinet de l'empereur avait effectivement disposé sur une grande table une quantité énorme de petits bons-hommes représentant tous les personnages qui devaient figurer dans la cérémonie du sacre; chacun y avait sa place assignée, et nul n'était omis, depuis l'empereur et le pape, jusqu'aux enfans de chœur, et tous étaient revêtus du costume qu'ils devaient porter.

Ces répétitions eurent lieu plusieurs fois, et chacun était bien aise de consulter le modèle pour ne point se méprendre sur la place qu'il devait occuper. Ces jours-là, comme on peut le croire, la porte du cabinet fut fermée, d'où il résulta que les ministres attendirent pendant quelques instans.

C'était en effet après son déjeuner que l'empereur ouvrait à ses ministres et aux directeurs généraux, et ces audiences consacrées au travail spécial de chaque ministère, de chaque direction générale, duraient jusqu'à six heures du soir, à l'exception des jours où Sa Majesté se livrait encore plus en grand aux soins de son gouvernement, en présidant le conseil-d'état ou le conseil des ministres.

 

Le dîner était servi à six heures. Aux Tuileries et à Saint-Cloud l'empereur dînait tous les jours seul avec l'impératrice, à l'exception du dimanche, où toute la famille était admise au dîner. L'empereur, l'impératrice et Madame Mère étaient seuls assis sur des fauteuils; tous les autres, fussent-ils rois ou reines, n'avaient que des chaises. On ne faisait jamais qu'un seul service avant le dessert. Sa Majesté buvait ordinairement du vin de Chambertin, mais rarement pur, et guère plus d'une demi-bouteille. Au surplus le dîner chez l'empereur était plutôt un honneur qu'un plaisir pour ceux qui étaient admis, car il fallait, comme on dit vulgairement, avaler en poste, Sa Majesté ne restant à table que quinze ou dix-huit minutes. Après son dîner comme après son déjeuner, l'empereur prenait habituellement une tasse de café; c'était l'impératrice qui le lui versait. Sous le consulat, madame Bonaparte avait pris cette habitude, parce que le général oubliait souvent de prendre son café: elle la conserva étant devenue impératrice, et plus tard l'impératrice Marie-Louise adopta le même usage.

Après le dîner, l'impératrice descendait dans ses appartemens, où elle trouvait réunis ses dames et les officiers de service. L'empereur y venait quelquefois, mais il n'y restait pas long-temps. Telle était la vie coutumière de l'intérieur du palais des Tuileries les jours où il n'y avait ni chasse le matin, ni concert ni spectacle le soir; la vie de Saint-Cloud offrait d'ailleurs bien peu de différence avec celle des Tuileries. On y faisait de plus quelques promenades en calèche quand le temps le permettait, et le mercredi, jour fixé pour le conseil des ministres, ces messieurs avaient régulièrement l'honneur d'être invités à dîner avec leurs majestés. Quand il y avait chasse à Fontainebleau, à Rambouillet ou à Compiègne, l'étiquette était suspendue; les dames suivaient en calèche, et tout le service dînait avec l'empereur et l'impératrice sous une tente dressée dans la forêt.

Il arriva quelquefois à l'empereur, mais rarement, d'inviter extraordinairement un membre de sa famille à rester à dîner avec lui, et ceci me rappelle une anecdote qui doit trouver sa place ici. Le roi de Naples vint un jour faire une visite à l'empereur. Celui-ci l'invita à dîner, ce que le roi accepta; mais il n'avait point fait attention qu'il était en bottes, et il ne lui restait physiquement que le temps nécessaire pour changer de costume, sans avoir celui de retournera l'Élysée, qu'il habitait alors. Le roi monta rapidement chez moi et me conta son embarras. Je l'en tirai sur-le-champ, et, je puis le dire, à sa grande satisfaction. J'avais alors une garde-robe très-bien montée, et presque toujours plusieurs objets entièrement neufs. Je lui donnai donc chemise, culotte, gilet, bas et souliers, et je l'habillai. Le bonheur voulut que tout lui allât comme si tous ces vêtemens avaient été faits pour lui. Il fut, comme il voulait bien l'être toujours avec moi, d'une extrême bonté et d'une amabilité parfaite, et me remercia d'une manière charmante. Le soir, le roi de Naples, après avoir pris congé de l'empereur, remonta chez moi pour reprendre ses vêtemens du matin, et il m'engagea à venir le voir le lendemain à l'Élysée. Je m'y rendis ponctuellement, après avoir raconté à l'empereur ce qui s'était passé, récit qui le divertit beaucoup. Arrivé à l'Élysée, je fus immédiatement introduit dans le cabinet du roi, qui me renouvela ses remerciemens de la façon la plus gracieuse, et me donna une fort jolie montre de Bréguet.

Pendant nos campagnes, j'eus encore quelquefois l'occasion de rendre au roi de Naples quelques petits services de la même nature; mais il ne s'agissait plus comme à Saint-Cloud de bas de soie; plus d'une fois il m'est arrivé au bivouac de partager avec lui une botte de paille que j'avais été assez heureux pour me procurer. En pareil cas, je dois l'avouer, le sacrifice était beaucoup plus grand de ma part qu'en offrant une partie de ma garde-robe. Le roi alors ne tarissait pas en remerciemens; et n'est-ce pas une chose digne d'observation que de voir un souverain dont le palais était comblé de tout ce que la mollesse peut inventer de plus commode, de tout ce que les arts peuvent créer de plus brillant et de plus magnifique, trop heureux de trouver la moitié d'une botte de paille pour y reposer sa tête?

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Voici quelques nouveaux souvenirs qui me reviennent sur les spectacles de la cour. À Saint-Cloud, pour se rendre des appartemens à la salle de spectacle, il fallait traverser l'Orangerie dans toute sa longueur, et rien n'était plus élégant que la manière dont elle était alors décorée. On y voyait une grande abondance de plantes précieuses disposées en étages, le tout éclairé par des lustres. Si c'était pendant l'hiver, on masquait les caisses des orangers en les recouvrant avec de la mousse et des fleurs, ce qui produisait aux lumières un effet charmant.

Le parterre était généralement composé des généraux, des sénateurs et des conseillers d'état; on réservait les premières loges aux princes et princesses de la famille impériale, aux princes étrangers, aux maréchaux, à leurs femmes et aux dames d'honneur; et aux secondes loges se plaçaient toutes les personnes attachées à la cour. Pendant les entr'actes on servait des glaces, des rafraîchissemens; mais on y avait rétabli une partie de l'ancienne étiquette qui déplaisait beaucoup aux acteurs: on n'applaudissait pas, et Talma m'a dit souvent que l'espèce de froideur dont ce silence frappait la représentation nuisait bien souvent à de certains mouvemens, pour lesquels l'acteur éprouve le besoin d'être électrisé. Cependant il arrivait quelquefois que l'empereur, pour témoigner sa satisfaction, faisait un léger signe de la main, alors, et dans les plus beaux momens, on entendait sinon des applaudissemens, du moins un murmure flatteur que les spectateurs n'étaient pas toujours maîtres de retenir.

Ces brillantes réunions tiraient leur principal lustre de la présence de l'empereur; aussi était-ce une chose extrêmement précieuse qu'un billet pour le théâtre de Saint-Cloud. Du temps de l'impératrice Joséphine, il n'y avait point de représentations au palais en l'absence de l'empereur; mais quand l'impératrice Marie-Louise se trouva seule à Saint-Cloud, pendant la campagne de Dresde, elle y fit donner deux représentations par semaine. On joua successivement devant Sa Majesté tout le répertoire de Grétry. À la fin de chaque pièce il y avait toujours un petit ballet.

Le théâtre de Saint-Cloud, si l'on peut ainsi parler, fut plus d'une fois un théâtre d'essai. Ainsi on y joua pour la première fois les États de Blois de M. Raynouard, ouvrage que l'empereur ne permit pas de représenter en public, et qui ne fut joué en effet qu'après le retour de Louis XVIII. Les Vénitiens, de M. Arnaud, avaient aussi fait leur première apparition sur le théâtre de Saint-Cloud, ou plutôt de la Malmaison. L'époque ne fait pas grand chose à ceci; mais ce qui était prodigieusement remarquable, c'est le jugement que l'empereur portait des pièces et des acteurs. C'était ordinairement à M. Corvisart qu'il donnait la préférence pour traiter ce sujet, sur lequel il s'étendait avec complaisance quand ses hautes occupations le lui permettaient. Il était en général moins sévère et plus juste que Geoffroy, et il serait bien à désirer que l'on eût pu conserver le recueil des critiques et des jugemens de l'empereur sur les auteurs et les acteurs. Cela pourrait être d'une grande utilité pour les progrès de l'art.

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