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Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour

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Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour
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TOME PREMIER

INTRODUCTION

La vie de l'homme obligé de se faire lui-même sa carrière, et qui n'est ni un artisan ni un homme de métier, ne commence ordinairement qu'aux environs de vingt ans. Jusque là il végète, incertain de son avenir, et n'ayant pas, ne pouvant pas avoir de but bien déterminé. Ce n'est que lorsqu'il est parvenu au développement complet de ses forces, et en même temps lorsque son caractère et son penchant le portent à marcher dans telle ou telle voie, qu'il peut se décider sur le choix d'une carrière et d'une profession; ce n'est qu'alors qu'il se connaît lui-même et voit clair autour de lui; enfin, c'est à cet âge seulement qu'il commence à vivre.

En raisonnant de cette façon, ma vie, depuis que j'ai atteint ma vingtième année, a été de trente ans, qui peuvent se partager en deux parts égales, quant au nombre des mois et des jours, mais on ne peut pas plus diverses, si l'on s'attache à considérer les événemens qui se sont passés durant ces deux périodes de mon existence.

Pendant quinze années attaché à la personne de l'empereur Napoléon, j'ai vu tous les hommes et toutes les choses importantes dont seul il était le point de ralliement et le centre. J'ai vu mieux encore que cela; car j'ai eu sous les yeux, dans toutes les circonstances de la vie, les moindres comme les plus graves, les plus privées comme celles qui appartiennent le plus à l'histoire et qui en font déjà partie; j'ai eu, dis-je, sans cesse sous les yeux l'homme dont le nom remplit à lui seul les pages les plus glorieuses de nos annales. Quinze ans je l'ai suivi dans ses voyages et dans ses campagnes, à sa cour et dans l'intérieur de sa famille. Quelque démarche qu'il pût faire, quelque ordre qu'il pût donner, il était bien difficile que l'empereur ne me mît pas, même involontairement, dans sa confidence; et c'est sans le vouloir moi-même que je me suis plus d'une fois trouvé en possession de secrets que j'aurais bien souvent voulu ne point connaître. Que de choses se sont passées pendant ces quinze années! Auprès de l'empereur on vivait comme au milieu d'un tourbillon. C'était une succession d'événemens rapide, étourdissante. On s'en trouvait comme ébloui; et si l'on voulait, pour un instant, y arrêter son attention, il venait tout de suite comme un autre flot d'événemens qui vous entraînait sans vous donner le temps d'y fixer votre pensée.

Maintenant à ces temps d'une activité qui donnait le vertige a succédé pour moi le repos le plus absolu, dans la retraite la plus isolée. C'est aussi un intervalle de quinze ans qui s'est écoulé depuis que j'ai quitté l'empereur. Mais quelle différence! Pour ceux qui, comme moi, ont vécu au milieu des conquêtes et des merveilles de l'empire, que reste-t-il à faire aujourd'hui? Si, dans la force de l'âge, notre vie a été mêlée au mouvement de ces années si courtes, mais si bien remplies, il me semble que nous avons fourni une carrière assez longue et assez pleine. Il est temps que chacun de nous se livre au repos. Nous pouvons bien nous éloigner du monde, et fermer les yeux. Que nous reste-t-il à voir qui valût ce que nous avons vu? de pareils spectacles ne se rencontrent pas deux fois dans la vie d'un homme. Après avoir passé devant ses yeux, ils suffisent à remplir sa mémoire pour le temps qu'il lui reste encore à vivre; et dans sa retraite il n'a rien de mieux à faire que d'occuper ses loisirs du souvenir de ce qu'il a vu.

C'est là aussi ce que j'ai fait. Le lecteur croira facilement que je n'ai point de passe-temps plus habituel que de me reporter aux années que j'ai passées au service de l'empereur. Autant que cela m'a été possible, je me suis tenu au courant de tout ce qu'on a écrit sur mon ancien maître, sur sa famille et sur sa cour. Dans ces lectures que ma femme ou ma belle-sœur faisaient à la famille, au coin du feu, que de longues soirées se sont écoulées comme un instant! Lorsque je rencontrais dans ces livres, dont quelques-uns ne sont vraiment que de misérables rapsodies, des faits inexacts, ou faux, ou calomnieux, je trouvais du plaisir à les rectifier, ou bien à en prouver l'absurdité. Ma femme, qui a vécu, comme moi et avec moi, au milieu de ces événemens, nous faisait à son tour part de ses réflexions et de ses éclaircissemens; et, sans autre but que notre propre satisfaction, elle prenait note de nos observations communes.

Tous ceux qui veulent bien de temps en temps venir nous voir dans notre solitude, et qui prennent plaisir à me faire parler de ce que j'ai vu, étonnés et trop souvent indignés des mensonges que l'ignorance ou la mauvaise foi ont débités à l'envi sur l'empereur et sur l'empire, me témoignaient leur satisfaction des renseignemens que j'étais à même de leur donner, et me conseillaient de les communiquer au public. Mais je ne m'étais jamais arrêté à cette pensée, et j'étais bien loin d'imaginer que je pourrais être un jour moi-même auteur d'un livre, lorsque M. Ladvocat arriva dans notre ermitage, et m'engagea de toutes ses forces à publier mes mémoires, dont il me proposa d'être l'éditeur.

Dans le temps même où je reçus cette visite, à laquelle je ne m'attendais pas, nous lisions en famille les Mémoires de M. de Bourrienne, que la maison Ladvocat venait de publier, et nous avions remarqué plus d'une fois que ces mémoires étaient exempts de cet esprit de dénigrement ou d'engouement que nous avions si souvent rencontré, non sans dégoût, dans les autres livres traitant du même sujet. M. Ladvocat me conseilla de compléter la biographie de l'empereur, dont M. de Bourrienne, par suite de sa situation élevée et de ses occupations habituelles, avait dû s'attacher à ne montrer que le côté politique. Après ce qu'il en a dit d'excellent, il me restait encore, suivant son éditeur, à raconter moi-même, simplement, et comme il convenait à mon ancienne position auprès de l'empereur, ce que M. de Bourrienne a dû nécessairement négliger, et que personne ne pouvait mieux connaître que moi.

J'avouerai sans peine que je ne trouvai que peu d'objections à opposer aux raisonnemens de M. Ladvocat, lorsqu'il acheva de me convaincre, en me faisant relire ce passage de l'introduction aux Mémoires de M. de Bourrienne.

«Si toutes les personnes qui ont approché Napoléon, quels que soient le temps et le lieu, veulent consigner franchement ce qu'elles ont vu et entendu, sans y mettre aucune passion, l'historien à venir sera riche en matériaux. Je désire que celui qui entreprendra ce travail difficile trouve dans mes notes quelques renseignemens utiles à la perfection de son ouvrage.»

Et moi aussi, me dis-je après avoir relu attentivement ces lignes, je puis fournir des notes et des éclaircissemens, relever des erreurs, flétrir des mensonges, et faire connaître ce que je sais de la vérité; en un mot, je puis et je dois porter mon témoignage dans le long procès qui s'instruit depuis la chute de l'empereur; car j'ai été témoin, j'ai tout vu, et je puis dire: J'étais là. D'autres aussi ont vu de près l'empereur et sa cour, et il devra m'arriver souvent de répéter ce qu'ils en ont dit; car, ce qu'ils savent, j'ai été comme eux à même de le savoir. Mais ce qu'à mon tour je sais de particulier et ce que je puis raconter de secret et d'inconnu, personne jusqu'ici n'a pu le savoir, ni par conséquent le dire avant moi1.

Depuis le départ du premier consul pour la campagne de Marengo, où je le suivis, jusqu'au départ de Fontainebleau, où je fus obligé de quitter l'empereur, je n'ai fait que deux absences, l'une de trois fois vingt-quatre heures, l'autre de sept ou huit jours. Hors ces congés fort courts, dont le dernier m'était nécessaire pour rétablir ma santé, je n'ai pas plus quitté l'empereur que son ombre.

On a prétendu qu'il n'était point de héros pour le valet de chambre. Je demande la permission de ne point être de cet avis. L'empereur, de si près qu'on l'ait vu, était toujours un héros, et il y avait beaucoup à gagner à voir aussi en lui l'homme de près et en détail. De loin on n'éprouvait que le prestige de sa gloire et de sa puissance; en l'approchant, on jouissait de plus, avec surprise, de tout le charme de sa conversation, de toute la simplicité de sa vie de famille, et, je ne crains pas de le dire, de la bienveillance habituelle de son caractère.

Le lecteur, curieux de savoir d'avance dans quel esprit seront écrits mes mémoires, aimera peut-être à trouver ici un passage d'une lettre que j'écrivis a mon éditeur, le 19 janvier dernier.

«M. de Bourrienne a peut-être raison de traiter avec sévérité l'homme politique; mais ce point de vue n'est pas le mien. Je ne puis parler que du héros en déshabillé; et alors il était presque constamment bon, patient, et rarement injuste. Il s'attachait beaucoup, et recevait avec plaisir et bonhomie les soins de ceux qu'il affectionnait. Il était homme d'habitude. C'est comme serviteur attaché que je désire parler de l'empereur, et nullement comme censeur. Ce n'est pas non plus une apothéose en plusieurs volumes que je veux faire. Je suis un peu à son égard comme ces pères qui reconnaissent des défauts dans leurs enfans, les blâment fort, mais en même temps sont bien aises de trouver des excuses à leurs torts.»

 

Je prie qu'on me pardonne la familiarité, ou même, si l'on veut, l'inconvenance de cette comparaison, en faveur du sentiment qui l'a dictée. Du reste, je ne me propose ni de louer ni de blâmer, mais simplement de raconter ce qui est à ma connaissance, sans chercher à prévenir le jugement de personne.

Je ne puis finir cette introduction sans dire quelques mots de moi-même, en réponse aux calomnies qui ont poursuivi jusque dans sa retraite un homme qui ne devrait point avoir d'ennemis, si, pour être à l'abri de ce malheur, il suffisait d'avoir fait un peu de bien, et jamais de mal. On m'a reproche d'avoir abandonné mon maître après sa chute, de n'avoir point partagé son exil. Je prouverai que si je n'ai point suivi l'empereur, ce n'est pas la volonté, mais bien la possibilité de le faire, qui m'a manqué. À Dieu ne plaise que je veuille déprécier ici le dévouement des fidèles serviteurs qui se sont attachés jusqu'à la fin à la fortune de l'empereur; mais pourtant qu'il me soit permis de dire que, quelque terrible qu'eût été la chute de l'empereur pour lui-même, la condition (à ne parler ici que d'intérêt personnel) était encore assez belle à l'île d'Elbe pour ceux qui étaient restés au service de Sa Majesté, et qu'une impérieuse nécessité ne retenait pas en France. Ce n'est donc pas l'intérêt personnel qui m'a fait me séparer de l'empereur. J'expliquerai les motifs de cette séparation.

On saura aussi la vérité sur un prétendu abus de confiance dont, suivant d'autres bruits, je me serais rendu coupable vis-à-vis de l'empereur. Le simple récit de la méprise qui a donné lieu à cette fable suffira, j'espère, pour me laver de tout soupçon d'indélicatesse. Mais s'il fallait y ajouter encore des témoignages, j'invoquerais ceux des personnes qui vivaient le plus dans l'intimité de l'empereur, et qui ont été à même de savoir et d'apprécier ce qui s'était passé entre lui et moi; enfin j'invoquerais cinquante ans d'une vie irréprochable, et je dirais:

«Dans le temps où je me suis trouvé en situation de rendre de grands services, j'en ai rendu beaucoup en effet, mais je n'en ai jamais vendu. J'aurais pu tirer avantage des démarches que j'ai faites pour des personnes qui, par suite de mes sollicitations, ont acquis une immense fortune; et j'ai refusé jusqu'au profit légitime que, dans leur reconnaissance, très-vive à cette époque, elles croyaient devoir m'offrir en me proposant un intérêt dans leur entreprise. Je n'ai point cherché à exploiter la bienveillance dont l'empereur daigna si long-temps m'honorer, pour enrichir ou placer mes parens; et je me suis retiré pauvre, après quinze ans passés au service particulier du souverain le plus riche et le plus puissant de l'Europe.»

Cela dit, j'attendrai avec confiance le jument du lecteur.

MÉMOIRES DE CONSTANT

CHAPITRE PREMIER

Naissance de l'auteur.—Son père, ses parens.—Ses premiers protecteurs.—Émigration et abandon.—Le suspect de 12 ans.—Les municipaux ou les imbéciles.—Le chef d'escadron Michau.—M. Gobert.—Carrat.—Madame Bonaparte et sa fille.—Les bouquets et la scène de sentiment.—Économie de Carrat pour les autres et sa générosité pour lui-même.—Poltronnerie.—Espiégleries de madame Bonaparte et d'Hortense.—Le fantôme.—La douche nocturne.—La chute.—L'auteur entre au service de M. Eugène de Beauharnais.

Je ne parlerai que très-peu de moi dans mes mémoires, car je ne me cache pas que le public ne peut y chercher avec intérêt que des détails sur le grand homme au service duquel ma destinée m'a attaché pendant seize ans, et que je ne quittai presque jamais pendant ce temps. Cependant je demanderai la permission de dire quelques mots sur mon enfance, et sur les circonstances qui m'ont amené au poste de valet de chambre de l'empereur.

Je suis né le 2 décembre 1778, à Péruelz, ville qui devint française, lors de la réunion de la Belgique à la république, et qui se trouva alors comprise dans le département de Jemmapes. Peu de temps après ma naissance, mon père prit aux bains de Saint-Amand un petit établissement nommé le Petit-Château, où logeaient les personnes qui fréquentaient les eaux. Il avait été aidé dans cette entreprise par le prince de Croï, dans la maison duquel il avait été maître d'hôtel. Nos affaires prospéraient au delà des espérances de mon père, car nous recevions un grand nombre d'illustres malades. Comme je venais d'atteindre ma onzième année, le comte de Lure, chef d'une des premières familles de Valenciennes, se trouva au nombre des habitans du Petit-Château; et comme cet excellent homme m'avait pris en grande affection, il me demanda à mes parens pour être élevé avec ses fils, qui étaient à peu près de mon âge. L'intention de ma famille était alors de me faire entrer dans les ordres, pour plaire à un de mes oncles, qui était doyen de Lessine. C'était un homme d'un grand savoir et d'une vertu rigide. Pensant que la proposition du comte de Lure ne changerait rien à ses projets futurs, mon père l'accepta, jugeant que quelques années passées dans une famille aussi distinguée me donneraient le goût de l'étude et me prépareraient aux études plus sérieuses que j'aurais à faire pour embrasser l'état ecclésiastique. Je partis donc avec le comte de Lure, fort affligé de quitter mes parens, mais bien aise en même temps, comme on l'est ordinairement à l'âge que j'avais, de voir un pays nouveau. Le comte m'emmena dans une de ses terres située près de Tours, où je fus reçu avec la plus bienveillante amitié par la comtesse et ses enfans, et je fus traité sur un pied parfait d'égalité avec eux, prenant chaque jour les leçons de leur gouverneur.

Hélas! je ne profitai malheureusement pas assez long-temps des bontés du comte de Lure et des leçons que je recevais chez lui. Une année à peine s'était écoulée depuis notre installation au château, lorsque l'on apprit l'arrestation du roi à Varennes. La famille dans laquelle je me trouvais en éprouva un violent désespoir, et tout enfant que j'étais, je me rappelle que j'éprouvai un vif chagrin de cette nouvelle, sans pouvoir m'en rendre compte, mais parce que, sans doute, il est naturel de partager les sentimens des personnes avec lesquelles on vit, quand elles nous traitent avec autant de bonté que le comte et la comtesse de Lure en avaient pour moi. Toutefois j'étais dans cette heureuse imprévoyance de l'enfance, lorsqu'un matin je fus réveillé par un grand bruit. Bientôt je me vis entouré d'un nombre considérable d'étrangers, dont aucun ne m'était connu, et qui m'adressèrent une foule de questions auxquelles il m'était bien impossible de répondre. Seulement j'appris alors que le comte et la comtesse de Lure avaient pris le parti d'émigrer. On me conduisit à la municipalité, où les questions recommencèrent de plus belle, et toujours aussi inutilement; car je ne savais rien du projet de mes protecteurs, et je ne pus répondre que par les larmes abondantes que je versai en me voyant abandonné de la sorte et éloigné de ma famille. J'étais trop jeune alors pour réfléchir sur la conduite du comte; mais j'ai pensé depuis, que mon abandon même était de sa part un acte de délicatesse, n'ayant pas voulu me faire émigrer sans l'assentiment de mes parens; j'ai toujours eu la conviction qu'avant de partir, le comte de Lure m'avait recommandé à quelques personnes, mais que celles-ci n'osèrent pas me réclamer, dans la crainte de se trouver compromises; ce qui, comme l'on sait, était alors extrêmement dangereux.

Me voilà donc seul, à l'âge de douze ans, sans guide, sans appui, sans soutien, sans conseil et sans argent, à plus de cent lieues de mon pays, et déjà habitué aux douceurs de la vie d'une bonne maison. Qui le croirait? dans cet état, j'étais presque regardé comme un suspect, et les autorités du lieu exigeaient que je me présentasse chaque jour à la municipalité, pour la plus grande sûreté de la république; aussi me rappelé-je parfaitement que lorsque l'empereur se plaisait à me faire raconter ces tribulations de mon enfance, il ne manquait jamais de répéter plusieurs fois: Les imbéciles! en parlant de mes honnêtes municipaux. Quoi qu'il en soit, les autorités de Tours, jugeant enfin qu'un enfant de douze ans était incapable de renverser la république, me délivrèrent un passe-port avec l'injonction expresse de quitter la ville dans les vingt-quatre heures; ce que je fis de bien grand cœur, mais non sans un profond chagrin de me voir seul et à pied sur la route, avec un long chemin à faire. À force de privation, et avec beaucoup de peine, j'arrivai enfin auprès de Saint-Amand, que je trouvai au pouvoir des Autrichiens. Les Français entouraient la ville, mais il me fut impossible d'y entrer. Dans mon désespoir je m'assis sur les rebords d'un fossé, et là je pleurais amèrement quand je fus remarqué par le chef d'escadron Michau,2 qui devint par la suite colonel et aide-de-camp du général Loison. M. Michau s'approcha de moi, me questionna avec beaucoup d'intérêt, me fit raconter mes tristes aventures, en parut touché, mais ne me cacha pas l'impossibilité où il était de me faire conduire dans ma famille; venant d'obtenir un congé, qu'il allait passer dans la sienne à Chinon, il me proposa de l'accompagner, ce que j'acceptai avec une vive reconnaissance. Je ne saurais dire combien la famille de M. Michau eut pour moi de bonté et d'égards, pendant les trois ou quatre mois que je passai auprès d'elle; au bout de ce temps M. Michau m'emmena avec lui à Paris, où je ne tardai pas à être placé chez un M. Gobert, riche négociant, qui me traita avec la plus grande bonté pendant tout le temps que je restai chez lui.

J'ai revu dernièrement M. Gobert, et il m'a rappelé que, quand nous voyagions ensemble, il avait l'attention de laisser à ma disposition une des banquettes de sa voiture, sur laquelle je m'étendais pour dormir. Je mentionne avec plaisir cette circonstance, d'ailleurs assez indifférente, mais qui prouve toute la bienveillance que M. Gobert avait pour moi.

Quelques années après, je fis la connaissance de Carrat, qui était au service de madame Bonaparte, pendant que le général se livrait à son expédition d'Égypte; mais avant de dire comment j'entrai dans la maison, il me semble à propos de commencer par raconter comment Carrat lui-même avait été attaché à madame Bonaparte, et en même temps quelques anecdotes qui le concernent, et qui sont de nature à faire connaître les premiers passe-temps des habitans de la Malmaison.

Carrat se trouvait à Plombières quand madame Bonaparte y alla prendre les eaux. Tous les jours il lui apportait des bouquets, et lui adressait de petits complimens, si singuliers, si drôles même, que cela divertissait beaucoup Joséphine, aussi bien que quelques dames qui l'avaient accompagnée, parmi lesquelles étaient mesdames de Cambis et de Crigny,3 et surtout sa fille Hortense, qui riait aux éclats de ses facéties; et la vérité est qu'il était extrêmement plaisant à cause d'une certaine niaiserie et d'une certaine originalité de caractère qui ne l'empêchaient pas d'avoir de l'esprit. Ses espiégleries ayant plu à madame Bonaparte, il y ajouta une scène de sentiment, au moment où cette excellente femme allait quitter les eaux. Carrat pleura, se lamenta, exprima de son mieux le vif chagrin qu'il allait éprouver à ne plus voir madame Bonaparte tous les jours, comme il en avait contracté l'habitude, et madame Bonaparte était si bonne, qu'elle n'hésita pas à l'emmener à Paris avec elle. Elle lui fit apprendre à coiffer, et se l'attacha définitivement en qualité de valet de chambre coiffeur; telles étaient du moins les fonctions qu'il avait à remplir auprès d'elle, quand je fis la connaissance de Carrat. Il avait avec elle un franc-parler étonnant, au point même que quelquefois il la grondait. Quand madame Bonaparte, qui était extrêmement généreuse, et toujours bienveillante pour tout le monde, faisait des cadeaux à ses femmes, ou s'entretenait familièrement avec elles, Carrat lui en faisait des reproches: «Pourquoi donner cela?» disait-il; puis il ajoutait: «Voilà comme vous êtes, Madame, vous vous mettez à plaisanter avec vos domestiques! eh bien, au premier jour, ils vous manqueront de respect.» Mais s'il mettait ainsi obstacle à la générosité de sa maîtresse quand elle se répandait sur ses entours, il ne se gênait pas davantage pour la stimuler en ce qui le concernait, et quand quelque chose lui plaisait, il disait tout simplement: «Vous devriez bien me donner cela?»

 

La bravoure n'est pas toujours la compagne inséparable de l'esprit, et Carrat en offrit plus d'une fois la preuve. Il était doué d'une de ces sortes de poltronneries naïves et insurmontables qui ne manquent jamais dans les comédies d'exciter le rire des spectateurs; aussi était-ce un grand plaisir pour madame Bonaparte que de lui jouer des tours qui mettaient en évidence sa rare prudence.

Il faut savoir, d'abord, qu'un des grands plaisirs de madame Bonaparte à la Malmaison était de se promener à pied sur la grande route qui longe les murs du parc; elle préféra toujours cette promenade extérieure, et où il y avait presque continuellement des tourbillons de poussière, aux délicieuses allées de l'intérieur du parc. Un jour, étant accompagnée de sa fille Hortense, madame Bonaparte dit à Carrat de la suivre à la promenade. Celui-ci était enchanté d'une pareille distinction, lorsque tout à coup on vit s'élever de l'un des fossés une grande figure recouverte d'un drap blanc, enfin un vrai fantôme, tels que j'en ai vus de décrits dans la traduction de quelques anciens romans anglais. Il est inutile que je dise que le fantôme n'était autre qu'une personne placée exprès par ces dames pour épouvanter Carrat, et certes la comédie réussit à merveille; Carrat, en effet, eut à peine aperçu le fantôme, qu'il s'approcha fort effrayé de madame Bonaparte, en lui disant tout tremblant: «Madame, Madame, regardez donc ce fantôme!… c'est l'esprit de cette dame qui est morte dernièrement à Plombières!…—Taisez-vous, Carrat, vous êtes un poltron.—Ah! c'est bien son esprit qui revient.» Comme Carrat parlait ainsi, l'homme au drap blanc, achevant de remplir son rôle, s'avança sur lui en agitant son long voile, et le pauvre Carrat, saisi de terreur, tomba à la renverse, et se trouva tellement mal, qu'il fallut tous les soins qui lui furent prodigués pour lui faire reprendre connaissance.

Un autre jour, toujours pendant que le général était en Égypte, et par conséquent avant que je ne fusse attaché à personne de sa famille, madame Bonaparte voulut donner à quelques-unes de ses dames une représentation de la peur de Carrat. Ce fut alors parmi les dames de la Malmaison une conspiration générale, dans laquelle mademoiselle Hortense joua le rôle du principal conjuré. Cette scène a été assez racontée devant moi par madame Bonaparte pour que je puisse en donner les détails assez comiques. Carrat couchait dans une chambre auprès de laquelle existait un petit cabinet; on fit percer la cloison de séparation, et l'on y fit passer une ficelle au bout de laquelle était attaché un pot rempli d'eau. Ce vase rafraîchissant était suspendu précisément au-dessus de la tête du patient; et ce n'était pas tout encore, car on avait en outre pris la précaution de faire ôter les vis qui retenaient la sangle du lit de Carrat, et comme celui-ci avait l'habitude de se coucher sans lumière, il ne vit ni les préparatifs d'une chute préméditée, ni le vase contenant l'eau destinée à son nouveau baptême. Tous les membres de la conspiration attendaient depuis quelques instans dans le cabinet, quand il se jeta assez lourdement sur son lit, qui ne manqua pas de s'enfoncer à l'instant même, pendant que le jeu de la ficelle faisait produire au pot à l'eau tout son effet. Victime à la fois d'une chute et d'une inondation nocturnes, Carrat se récria avec violence contre ce double attentat: «C'est une horreur!» criait-il de toutes ses forces; et cependant la maligne Hortense, pour ajouter à ses tribulations, disait à sa mère, à madame de Crigny, depuis madame Denon, à madame Charvet et à plusieurs autres dames de la maison: «Ah! maman, les crapauds et les grenouilles qui sont dans l'eau vont lui tomber sur la figure.» Ces mots, joints à une profonde obscurité, ne servaient qu'à augmenter la terreur de Carrat, qui, se fâchant sérieusement, s'écriait: «C'est une horreur, Madame, c'est une atrocité que de se jouer ainsi de vos domestiques.» Je n'oserais assurer que les plaintes de Carrat fussent tout-à-fait déplacées, mais elles ne servaient qu'à exciter la gaieté des dames qui l'avaient pris pour le plastron de leurs plaisanteries.

Quoi qu'il en soit, tels étaient le caractère et la position de Carrat, lorsque, ayant fait depuis quelque temps connaissance avec lui, le général Bonaparte étant de retour de son expédition d'Égypte, il me dit que M. Eugène de Beauharnais s'était adressé à lui pour un valet de chambre de confiance, le sien ayant été retenu au Caire par une maladie assez grave au moment du départ. Il s'appelait Lefebvre, et était un vieux serviteur tout dévoué à son maître, comme durent l'être toutes les personnes qui ont connu le prince Eugène; car je ne crois pas qu'il ait jamais existé un homme meilleur, plus poli, plus rempli d'égards et même d'attentions pour les personnes qui lui ont été attachées. Carrat m'ayant donc dit que M. Eugène de Beauharnais désirait un jeune homme pour remplacer Lefebvre, et m'ayant proposé de prendre sa place, j'eus le bonheur de lui être présenté et de lui convenir. Il voulut même bien me dire, dès le premier jour, que ma physionomie lui plaisait beaucoup, et qu'il voulait que j'entrasse chez lui sur-le-champ. De mon côté, j'étais enchanté de cette condition, qui, je ne sais pourquoi, se présentait à mon imagination sous les plus riantes couleurs. J'allai sans perdre de temps chercher mon modeste bagage, et me voilà valet de chambre, par intérim, de M. de Beauharnais, ne pensant point que je serais un jour admis au service particulier du général Bonaparte, et encore moins que je deviendrais le premier valet de chambre d'un empereur.

1Je suis heureux de pouvoir citer, à l'appui de ce que j'avance ici, l'opinion exprimée par M. de Bourrienne, à propos d'un triste événement dont je rendrai compte en son lieu. «C'est dans la nuit qui précéda le retour du maréchal Macdonald à Fontainebleau que l'on assure que Napoléon tenta de s'empoisonner; mais comme je n'ai aucun détail certain sur cette tentative d'empoisonnement, et que je ne veux parler que de ce dont je suis bien sûr, je m'abstiendrai de donner, comme quelques personnes l'ont fait, des conjectures toujours hasardées sur un fait de cette gravité que Napoléon a rejeté bien loin dans les conversations de Sainte-Hélène. Le seule personne qui puisse lever les doutes qui existent à cet égard, est Constant, qui, m'assura-t-on, n'avait pas quitté Napoléon de la nuit.» (Mémoires de M. de Bourrienne, page 161, tome X.)
2Depuis j'ai été assez heureux pour lui faire obtenir de l'empereur, une place qu'il désirait pour retraite, ayant perdu l'usage de son bras droit.
3Madame de Crigny fut depuis madame Denon.
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