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Le livre de la Jungle

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Aussi fuyaient-ils, en bégayant de terreur, sur les murs et les toits des maisons, tandis que Baloo poussait un profond soupir de soulagement. Quoique sa fourrure fût beaucoup plus épaisse que celle de Bagheera, il avait cruellement souffert de la lutte. Alors, Kaa ouvrit la bouche pour la première fois: un long mot siffla, et les singes qui, au loin, se pressaient de venir à la défense des Grottes Froides, s’arrêtèrent où ils étaient, cloués par l’épouvante, tandis que les branches qu’ils chargeaient pliaient et craquaient sous leur poids. Les singes, sur les murs et les maisons vides, turent subitement leurs cris, et, dans le silence qui tomba sur la cité, Mowgli entendit Bagheera secouer ses flancs humides en sortant du réservoir. Puis, la clameur recommença. Les singes bondirent plus haut sur les murs; ils se cramponnèrent aux cous des grandes idoles de pierre, et poussèrent des cris perçants en sautillant le long des créneaux, tandis que Mowgli, qui dansait de joie dans le pavillon, collait son œil aux jours du marbre et huait à la façon des hiboux, entre ses dents de devant, pour se moquer et montrer son mépris.

– Remonte le petit d’homme par la trappe; je ne peux pas faire davantage, haleta Bagheera. Prenons le petit d’homme, et fuyons. Ils pourraient nous attaquer de nouveau.

– Ils ne bougeront plus, jusqu’à ce que je le leur ordonne. Restez. Sssso!

Kaa siffla, et le silence se répandit une fois de plus sur la cité.

– Je ne pouvais pas venir plus tôt, camarade… mais… j’ai cru en vérité t’entendre appeler…

Cela s’adressait à Bagheera.

– Je… je peux avoir crié dans la lutte, répondit Bagheera. Baloo, es-tu blessé?

– Je ne suis pas sûr qu’ils ne m’aient pas taillé en cent petits oursons, – dit Baloo en secouant gravement ses pattes l’une après l’autre. —Wow! Je suis moulu. Kaa, nous te devons, je pense, la vie… Bagheera et moi.

– Peu importe. Où est l’hommeau?

– Ici, dans une trappe; je ne peux pas grimper, cria Mowgli.

La courbe du dôme écroulé s’arrondissait sur sa tête.

– Emmenez-le! Il danse comme Mor, le paon. Il va écraser nos petits, dirent les cobras de l’intérieur.

– Ah! ah! – dit Kaa avec un petit rire; – il a des amis partout, cet hommeau! Recule-toi, petit; et cachez-vous, Peuple du Poison. Je vais briser le mur.

Kaa examina la maçonnerie avec soin, jusqu’à ce qu’il découvrît, dans le réseau du marbre, une lézarde plus pâle dénotant un point faible. Il donna deux ou trois légers coups de tête pour se rendre compte de la distance; puis, élevant six pieds de son corps au-dessus du sol, il lança de toutes ses forces, le nez en avant, une demi-douzaine de coups de bélier. Le travail à jour céda, s’émietta en un nuage de poussière et de gravats, et Mowgli se jeta d’un bond par l’ouverture entre Baloo et Bagheera… un bras passé autour de chaque gros cou.

– Es-tu blessé? – demanda Baloo, en le serrant doucement.

– Je suis meurtri, j’ai faim, et je ne suis pas moulu à moitié. Mais… oh!.. ils vous ont cruellement malmenés, mes frères. Vous saignez.

– Il y en a d’autres, – dit Bagheera en se léchant les lèvres, et en regardant les singes morts sur la terrasse et autour du réservoir.

– Ce n’est rien, ce n’est rien, si tu es sauf, ô mon orgueil entre toutes les petites grenouilles! pleura Baloo.

– Nous jugerons de cela plus tard, – dit Bagheera d’un ton sec qui ne plut pas du tout à Mowgli. – Mais voici Kaa, auquel nous devons l’issue de la bataille, et toi, la vie. Remercie-le suivant nos coutumes, Mowgli.

Mowgli se tourna, et vit la tête du grand Python qui oscillait à un pied au-dessus de la sienne.

– Ainsi, c’est là cet hommeau, dit Kaa. Sa peau est très douce, et il ne diffère pas beaucoup des Bandar-Log. Aie soin, petit, que je ne te prenne jamais pour un singe par quelque crépuscule où j’aie nouvellement changé d’habit.

– Nous sommes du même sang, toi et moi, répondit Mowgli. Je te dois la vie, cette nuit. Ma proie sera ta proie, si jamais tu as faim, ô Kaa!

– Tous mes remerciements, petit frère, dit Kaa, dont l’œil narquois brillait. Et que peut tuer un si hardi chasseur? Je demande à suivre la prochaine fois qu’il se mettra en campagne.

– Je ne tue rien… je suis trop petit… mais je rabats les chèvres au-devant de ceux qui savent s’en servir. Quand tu te sentiras vide, viens à moi, et tu verras si je dis la vérité. J’ai quelque habileté grâce à ceci – il montra ses mains – et si jamais tu tombes dans un piège, je peux payer la dette que je te dois, ainsi que celle que je dois à Bagheera et à Baloo ici présents. Bonne chasse à vous tous, mes maîtres.

– Bien dit! grommela Baloo.

Car Mowgli avait joliment tourné ses remerciements.

Le Python laissa tomber légèrement sa tête, pour une minute, sur l’épaule de Mowgli.

– Cœur brave, et langue courtoise, dit-il, ils te conduiront loin dans la jungle, petit… Mais maintenant, va-t’en vite avec tes amis. Va-t’en dormir, car la lune se couche, et il vaut mieux que tu ne voies pas ce qui va suivre.

La lune s’enfonçait derrière les collines, et les rangs de singes tremblants, pressés les uns contre les autres sur les murs et les créneaux, paraissaient comme des franges grelottantes et déchiquetées. Baloo descendit au réservoir pour y boire, et Bagheera commença à mettre de l’ordre dans sa fourrure, tandis que Kaa rampait vers le centre de la terrasse et fermait ses mâchoires d’un claquement sonore qui attirait sur lui les yeux de tous les singes.

– La lune se couche, dit-il. Y a-t-il encore assez de lumière pour voir?

Des murs vint un gémissement comme celui du vent à la pointe des arbres:

– Nous voyons, ô Kaa!

– Bien. Et maintenant, voici la danse… la danse de la Faim de Kaa. Restez tranquilles et regardez!

Il se roula deux ou trois fois en un grand cercle, en agitant sa tête de droite et de gauche d’un mouvement de navette. Puis il se mit à faire des boucles et des huit avec son corps, des triangles visqueux qui se fondaient en carrés mous, en pentagones, en tertres mouvants, tout cela sans se reposer, sans se hâter, sans jamais interrompre le sourd bourdonnement de sa chanson. La nuit se faisait de plus en plus noire; bientôt, on ne distingua plus la lente et changeante ondulation du corps, mais on pouvait entendre le bruissement des écailles.

Baloo et Bagheera se tenaient immobiles comme des pierres, des grognements au fond de la gorge, le cou hérissé, et Mowgli regardait tout étonné.

– Bandar-Log – dit enfin la voix de Kaa, – pouvez-vous bouger mains ou pieds sans mon ordre? Parlez!

– Sans ton ordre nous ne pouvons bouger ni pieds ni mains, ô Kaa!

– Bien! Approchez d’un pas plus près de moi.

Les rangs des singes, irrésistiblement, ondulèrent en avant, et Baloo et Bagheera firent avec eux un pas raide.

– Plus près! siffla Kaa.

Et tous entrèrent en mouvement de nouveau.

Mowgli posa ses mains sur Baloo et sur Bagheera pour les entraîner au loin, et les deux grosses bêtes tressaillirent comme si on les eût réveillées au milieu d’un rêve.

– Laisse ta main sur mon épaule, murmura Bagheera. Laisse-la, ou je vais être obligée de retourner… de retourner vers Kaa. Aah!

– Mais ce n’est que le vieux Kaa en train de faire des ronds dans la poussière, dit Mowgli, allons-nous-en.

Et tous trois se glissèrent à travers une brèche des murs pour gagner la jungle.

– Whoof! – dit Baloo, quand il se retrouva dans la calme atmosphère des arbres. – Jamais plus je ne ferai un allié de Kaa.

Et il se secoua du haut en bas.

– Il en sait plus que nous, – dit Bagheera, en frissonnant. – Un peu plus, si j’étais restée, je marchais dans sa gueule.

– Plus d’un prendra cette route avant que la lune se lève de nouveau, dit Baloo. Il fera bonne chasse… à sa manière.

– Mais qu’est-ce que tout cela signifiait? – dit Mowgli, qui ne savait rien de la puissance de fascination du python. – Je n’ai rien vu de plus qu’un gros serpent en train de faire des ronds ridicules, jusqu’à ce qu’il fît noir. Et son nez était tout abîmé. Oh! Oh!

– Mowgli, – dit Bagheera avec irritation, – son nez était abîmé à cause de toi, comme c’est à cause de toi que sont déchirés mes oreilles et mes flancs et mes pattes, ainsi que le mufle et les épaules de Baloo. Ni Baloo ni Bagheera ne seront en humeur de chasser avec plaisir pendant de longs jours.

– Ce n’est rien, dit Baloo, nous sommes rentrés en possession du petit d’homme.

– C’est vrai, mais il nous coûte cher; il nous a coûté du temps qu’on aurait pu passer en chasses utiles, des blessures, du poil (je suis à moitié pelée tout le long du dos) et enfin de l’honneur. Je dis de l’honneur, car rappelle-toi, Mowgli, que moi, la panthère noire, j’ai été forcée d’appeler Kaa à l’aide, et que tu nous as vus, Baloo et moi, demeurer stupides comme de petits oiseaux devant la Danse de la Faim. Tout ceci, petit d’homme, vient de tes jeux avec les Bandar-Log.

– C’est vrai, c’est vrai, dit Mowgli avec chagrin. Je suis un vilain petit d’homme, et je me sens le cœur bien triste.

– Hum! Que dit la Loi de la Jungle, Baloo?

Baloo ne voulait pas accabler Mowgli, mais il ne pouvait prendre de tempéraments avec la loi; aussi mâchonna-t-il:

– Chagrin n’est pas punition. Mais souviens-t’en, Bagheera… il est tout petit!

– Je m’en souviendrai; mais il a mal fait, et les coups méritent maintenant des coups. Mowgli, as-tu quelque chose à dire?

– Rien. J’ai eu tort. Baloo et toi, vous êtes blessés. C’est juste.

Bagheera lui donna une demi-douzaine de tapes, amicales pour une panthère (elles auraient à peine réveillé un de ses propres petits), mais qui furent pour un enfant de sept ans une correction aussi sévère qu’on pourrait souhaiter d’en éviter. Quand ce fut fini, Mowgli éternua, et tâcha de se reprendre, sans un mot.

 

– Maintenant, dit Bagheera, saute sur mon dos, petit frère, et retournons à la maison.

Une des beautés de la Loi de la Jungle, c’est que la punition règle tous les comptes. C’en est fini après de toutes tracasseries.

Mowgli laissa tomber sa tête sur le dos de Bagheera, et s’endormit si profondément qu’il ne s’éveilla même pas lorsqu’on le déposa dans la caverne de ses frères.

CHANSON DE ROUTE
DES BANDAR-LOG

 
Voyez-nous passer festonnant la brume
A mi-chemin de la jalouse lune!
N’enviez-vous pas nos libres tribus?
Que penseriez-vous de deux mains de plus?
N’aimeriez-vous pas cette queue au tour
Plus harmonieux que l’arc de l’Amour?..
Vous vous fâchez?.. Ça n’est pas important,
 
 
Frère, regarde ta queue
Qui pend!
 
 
Sur la branche haute en rangs nous rêvons
A de beaux secrets que seuls nous savons,
Songeant aux exploits que le monde espère,
Et qu’à l’instant notre génie opère,
Quelque chose de noble et sage fait
De par la vertu d’un simple souhait…
Quoi?.. Je ne sais plus… Etait-ce important?
 
 
Frère, regarde ta queue
Qui pend!
 
 
Tous les différents langages ou cris
D’oiseau, de reptile ou de fauve appris,
Plume, écaille, poil, chants de plaine ou bois,
Jacassons-les vite et tous à la fois!
Excellent! Parfait! Voilà que nous sommes
Maintenant pareils tout à fait aux hommes!
Jouons à l’homme… est-ce bien important?
 
 
Frère, regarde ta queue
Qui pend!
 
 
Le peuple-singe est étonnant.
Venez! Notre essaim, bondissant dans les grands bois, monte et descend
En fusée aux sommets légers où mûrit le raisin sauvage,
Par le bois mort que nous cassons et le beau bruit que nous faisons,
Oh, soyez sûrs que nous allons consommer un sublime ouvrage!
 

«AU TIGRE, AU TIGRE!»

 
Reviens-tu content, chasseur fier?
Frère, à l’affût j’eus froid hier.
C’est ton gibier que j’aperçois?
Frère, il broute encore sous bois.
Où donc ta force et ton orgueil?
Frère, ils ont fui mon cœur en deuil.
Si vite pourquoi donc courir?
Frère, à mon trou je vais mourir.
 

Quand Mowgli quitta la caverne du loup, après sa querelle avec le clan au Rocher du Conseil, il descendit aux terres cultivées où habitaient les villageois, mais il ne voulut pas s’y arrêter: la jungle était trop proche, et il savait qu’il s’était fait au moins un ennemi dangereux au Conseil. Il continua sa course par le chemin raboteux qui descendait la vallée; il le suivit au grand trot, d’une seule traite, environ vingt milles, et parvint à une contrée qu’il ne connaissait pas. La vallée s’ouvrait sur une grande plaine parsemée de rochers et coupée de ravins. A un bout se trouvait un petit village, et à l’autre l’épaisse jungle s’abaissait rapidement vers les pâturages et s’y arrêtait net, comme si on l’eût coupée d’un coup de bêche. Partout dans la plaine les bœufs et les buffles paissaient, et, quand les petits garçons qui sont chargés de la garde des troupeaux aperçurent Mowgli, ils poussèrent des cris et se sauvèrent, et les chiens parias jaunes, qui errent toujours autour d’un village hindou, se mirent à aboyer. Mowgli avança, car il se sentait très faim, et en arrivant à la barrière du village, il vit le gros buisson épineux, que l’on tirait devant, chaque jour au crépuscule, poussé sur l’un des côtés.

– Hum! – dit-il, car il avait rencontré plus d’une de ces barricades dans ses expéditions nocturnes en quête de choses à manger. – Ainsi, les hommes craignent le peuple de la jungle même ici!

Il s’assit près de la barrière, et au premier homme qui sortit, il se leva, ouvrit la bouche, et en désigna du doigt le fond, pour indiquer qu’il avait besoin de nourriture. L’homme écarquilla les yeux, et remonta en courant l’unique rue du village, appelant le prêtre, qui était un gros homme vêtu de blanc avec une marque rouge et jaune sur le front. Le prêtre vint à la barrière, et, avec lui, plus de cent personnes écarquillant aussi les yeux, parlant, criant et se montrant Mowgli du doigt.

– Ils n’ont point de façons, ces gens qu’on appelle des hommes! se dit Mowgli. Il n’y a que le singe gris capable de se conduire comme ils le font.

Et il rejeta en arrière ses longs cheveux et fronça le sourcil en regardant la foule.

– Qu’y a-t-il là d’effrayant? dit le prêtre. Regardez les marques de ses bras et de ses jambes. Ce sont les morsures des loups. Ce n’est qu’un enfant-loup échappé de la jungle.

Naturellement, en jouant avec lui, les petits loups avaient souvent mordu Mowgli plus fort qu’ils ne voulaient, et il avait les jambes et les bras couverts de balafres blanches. Mais il eût été la dernière personne du monde à nommer cela des morsures, car il savait, lui, ce que mordre veut dire.

– Arré! Arré! – crièrent en même temps deux ou trois femmes. – Mordu par les loups, pauvre enfant! C’est un beau garçon. Il a les yeux comme du feu. Parole d’honneur, Messua, il ressemble à ton garçon qui fut enlevé par le tigre.

– Laissez-moi voir! dit une femme qui portait de lourds anneaux de cuivre aux poignets et aux chevilles.

Et elle étendit la main au dessus de ses yeux pour regarder attentivement Mowgli.

– C’est vrai. Il est plus maigre, mais il a tout à fait le regard de mon garçon.

Le prêtre était un habile homme, et il savait que Messua était la femme du plus riche habitant de l’endroit. Il leva les yeux au ciel pendant une minute, et dit solennellement:

– Ce que la jungle a pris, la jungle l’a rendu. Emmène ce garçon chez toi, ma sœur, et n’oublie pas d’honorer le prêtre qui voit si loin dans la vie des hommes.

– Par le taureau qui me racheta! dit Mowgli en lui-même, du diable si, avec toutes ces paroles, on ne se croirait pas à un autre examen du clan! Allons, puisque je suis un homme, il faut me conduire en homme.

La foule se dispersa en même temps que la femme faisait signe à Mowgli de venir dans sa bulle, où il y avait un lit laqué de rouge, un large coffre à grains en terre cuite, orné de curieux dessins en relief, une demi-douzaine de casseroles en cuivre, l’image d’un dieu hindou dans une petite niche, et, sur le mur, un vrai miroir, tel qu’il s’en trouve pour huit sous dans les foires de campagne.

Elle lui donna un grand verre de lait et du pain, puis elle lui posa la main sur la tête et le regarda au fond des yeux… Elle pensait que peut-être c’était là son fils, son fils revenu de la jungle où le tigre l’avait emporté. Aussi lui dit-elle:

– Nathoo, Nathoo!..

Mowgli ne parut pas connaître ce nom.

– Ne te rappelles-tu pas le jour où je t’ai donné des souliers neufs?

Elle toucha ses pieds, ils étaient presque aussi durs que de la corne.

– Non, fit-elle avec tristesse: ces pieds-là n’ont jamais porté de souliers; mais tu ressembles tout à fait à mon Nathoo, et tu seras mon fils.

Mowgli éprouvait un malaise, parce qu’il n’avait jamais de sa vie été sous un toit; mais, en regardant le chaume, il s’aperçut qu’il pourrait l’arracher toutes les fois qu’il voudrait s’en aller; et, d’ailleurs, la fenêtre ne fermait pas.

– Puis, il se dit: A quoi bon être homme, si on ne comprend pas le langage de l’homme? A l’heure qu’il est, je suis aussi niais et aussi muet que le serait un homme avec nous dans la jungle. Il faut que je parle leur langage.

Ce n’était pas seulement par jeu qu’il avait appris, pendant qu’il vivait avec les loups, à imiter l’appel du chevreuil dans la jungle, et le grognement du petit sanglier. De même, dès que Messua prononçait un mot, Mowgli l’imitait presque parfaitement, et, avant la nuit, il avait appris le nom de bien des choses dans la hutte.

Une difficulté se présenta à l’heure du coucher, parce que Mowgli ne voulait pas dormir emprisonné par rien qui ressemblât à une trappe à panthères autant que cette hutte et, lorsqu’on ferma la porte, il sortit par la fenêtre.

– Laisse-le faire, dit le mari de Messua. Rappelle-toi qu’il n’a peut-être jamais dormi dans un lit. S’il nous a été réellement envoyé pour remplacer notre fils, il ne s’enfuira pas.

Mowgli alla s’étendre sur l’herbe longue et lustrée qui bordait le champ; mais il n’avait pas fermé les yeux qu’un museau gris et soyeux se fourrait sous son menton.

– Pouah! grommela Frère Gris (c’était l’aîné des petits de mère Louve). Voilà une pauvre récompense pour t’avoir suivi pendant vingt milles! Tu sens la fumée de bois et l’étable, tout à fait comme un homme, déjà… Réveille-toi, petit frère; j’apporte des nouvelles.

– Tout le monde va bien dans la jungle? dit Mowgli, en le serrant dans ses bras.

– Tout le monde, sauf les loups qui ont été brûlés par la Fleur Rouge. Maintenant, écoute. Shere Khan est parti chasser au loin jusqu’à ce que son habit repousse, car il est affreusement roussi. Il jure qu’à son retour il couchera tes os dans la Waingunga.

– Nous sommes deux à jurer: moi aussi, j’ai fait une petite promesse. Mais les nouvelles sont toujours bonnes à savoir. Je suis fatigué, ce soir, très fatigué de toutes ces nouveautés, Frère Gris… mais tiens-moi toujours au courant.

– Tu n’oublieras pas que tu es un loup? Les hommes ne te le feront pas oublier? dit Frère Gris d’une voix inquiète.

– Jamais. Je me rappellerai toujours que je t’aime, toi et tous ceux de notre caverne; mais je me rappellerai toujours aussi que j’ai été chassé du clan.

– Et que tu peux être chassé d’un autre clan!.. Les hommes ne sont que des hommes, petit frère, et leur bavardage est comme le bavardage des grenouilles dans la mare. Quand je reviendrai ici, je t’attendrai dans les bambous, au bord du pacage…

Pendant les trois mois qui suivirent cette nuit, Mowgli ne passa guère la barrière du village, tant il était occupé à apprendre les us et coutumes des hommes. D’abord il eut à porter un pagne autour des reins, ce qui l’ennuya horriblement; ensuite, il lui fallut apprendre ce que c’était que l’argent, à quoi il ne comprenait rien du tout, et le labourage, dont il ne voyait pas l’utilité. Puis, les petits enfants du village le mettaient en colère. Heureusement, la Loi de la Jungle lui avait appris à ne pas se fâcher, car dans la jungle la vie et la nourriture dépendent du sang-froid; mais quand ils se moquaient de lui parce qu’il refusait de jouer à leurs jeux, comme de lancer un cerf-volant, ou parce qu’il prononçait un mot de travers, il avait besoin de se rappeler qu’il est indigne d’un chasseur de tuer des petits tout nus pour s’empêcher de les prendre et de les casser en deux. Il ne se rendait pas compte de sa force le moins du monde. Dans la jungle, il se savait faible en comparaison des bêtes; mais, dans le village, les gens disaient qu’il était fort comme un taureau.

Il n’avait certainement aucune idée de ce que peut être la crainte: le jour où le prêtre du village lui déclara que, s’il volait ses mangues, le dieu du temple serait en colère, il alla prendre l’image, l’apporta au prêtre dans sa maison, et lui demanda de mettre le dieu en colère, parce qu’il aurait plaisir à se battre avec lui. Ce fut un scandale horrible, mais le prêtre l’étouffa, et le mari de Messua paya beaucoup de bon argent pour apaiser le dieu.

Mowgli n’avait pas non plus le moindre sentiment de la différence qu’établit la caste entre un homme et un autre homme. Quand l’âne du potier glissait dans l’argilière, Mowgli le hissait dehors par la queue; et il aidait à empiler les pots lorsqu’ils partaient pour le marché de Khaniwara. Cela était on ne peut plus choquant: car le potier est un homme de basse caste, et son âne pis encore. Si le prêtre le réprimandait, Mowgli le menaçait de le camper aussi sur l’âne, et le prêtre conseilla au mari de Messua de mettre l’enfant au travail aussitôt que possible; en conséquence, le chef du village dit à Mowgli qu’il aurait à sortir avec les buffles le jour suivant, et à les garder pendant qu’ils seraient en train de paître.

Rien ne pouvait faire plus de plaisir à Mowgli; et, le soir même, puisqu’il était chargé d’un service public, il se dirigea vers un cercle de gens qui se réunissaient quotidiennement sur une plate-forme en maçonnerie à l’ombre d’un grand figuier. C’était le club du village, et le chef, le veilleur et le barbier, qui savaient tous les potins de l’endroit, et le vieux Buldeo, le chasseur du village, qui possédait un mousquet, s’assemblaient et fumaient là. Les singes bavardaient, perchés sur les branches supérieures, et il y avait sous la plate-forme un trou où vivait un cobra, auquel on servait une petite jatte de lait, tous les soirs, parce qu’il était sacré; et les vieillards, assis autour de l’arbre, causaient et aspiraient leurs gros houkas jusque très avant dans la nuit. Ils racontaient d’étonnantes histoires de dieux, d’hommes et de fantômes; et Buldeo en racontait de plus étonnantes encore sur les habitudes des bêtes dans la jungle, jusqu’à faire sortir les yeux de la tête aux enfants, assis en dehors du cercle. La plupart des histoires concernaient des animaux, car, pour ces villageois, la jungle était toujours à leur porte. Le daim et le sanglier fouillaient leurs récoltes, et de temps en temps le tigre enlevait un homme, au crépuscule, en vue des portes du village.

 

Mowgli, qui, naturellement, connaissait un peu les choses dont ils parlaient, avait besoin de se cacher la figure pour qu’on ne le vît pas rire, tandis que Buldeo, son mousquet en travers des genoux, passait d’une histoire merveilleuse à une autre plus merveilleuse encore; et les épaules de Mowgli en sursautaient.

Buldeo expliquait maintenant comment le tigre qui avait enlevé le fils de Messua était un tigre-fantôme, un corps habité par l’âme d’un vieux coquin d’usurier mort quelques années auparavant.

– Et je sais que cela est vrai, dit-il, parce que Purun Dass boitait toujours du coup qu’il avait reçu dans une émeute, quand ses livres de comptes furent brûlés, et le tigre dont je parle boite aussi, car les traces de ses pattes sont inégales.

– C’est vrai, c’est vrai, ce doit être la vérité! approuvèrent ensemble les barbes grises.

– Toutes vos histoires ne sont-elles que pareilles billevesées, pareils contes de la lune? dit Mowgli. Ce tigre boite parce qu’il est né boiteux, comme tout le monde le sait. Et parler de l’âme d’un usurier dans une bête qui n’a jamais eu le courage d’un chacal, c’est parler comme un enfant.

La surprise laissa Buldeo sans parole pendant un moment, et le chef du village ouvrit de grands yeux.

– Oh, oh! C’est le marmot de la jungle, n’est-ce pas? dit enfin Buldeo. Puisque tu es si malin, tu ferais mieux d’apporter sa peau à Khaniwara, car le gouvernement a mis sa tête à prix pour cent roupies… Mais tu ferais encore mieux de te taire quand tes aînés parlent!

Mowgli se leva pour s’en aller.

– Toute la soirée, je suis resté là à écouter, jeta-t-il par dessus son épaule, et, sauf une ou deux fois, Buldeo n’a pas dit un mot de vrai sur la jungle, qui est à sa porte… Comment croire, alors, aux histoires de fantômes, de dieux et de lutins qu’il prétend avoir vus?

– Il est grand temps que ce garçon aille garder les troupeaux! – dit le chef du village, tandis que Buldeo soufflait et renâclait de colère, à l’impertinence de Mowgli.

Selon la coutume de la plupart des villages hindous, quelques jeunes pâtres emmenaient le bétail et les buffles de bonne heure, le matin, et les ramenaient à la nuit tombante; et les mêmes bestiaux qui piétineraient à mort un homme blanc, se laissent battre, bousculer et ahurir par des enfants dont la tête arrive à peine à la hauteur de leur museau. Tant que les enfants restent avec les troupeaux, ils sont en sûreté, car le tigre lui-même n’ose charger le bétail en nombre; mais s’ils s’écartent pour cueillir des fleurs ou courir après les lézards, il leur arrive d’être enlevés. Mowgli descendit la rue du village au point du jour, assis sur le dos de Rama, le grand taureau du troupeau; et les buffles bleu ardoise, avec leurs longues cornes traînantes et leurs yeux féroces, se levèrent de leurs étables, un par un, et le suivirent; et Mowgli, aux enfants qui l’accompagnaient, fit voir très clairement qu’il était le maître. Il frappa les buffles avec un long bambou poli, et dit à Kamya, un des garçons, de laisser paître le bétail tandis qu’il allait en avant avec les buffles, et de prendre bien garde à ne pas s’éloigner du troupeau.

Un pâturage indien est tout en rochers, en mottes, en trous et en petits ravins, parmi lesquels les troupeaux se dispersent et disparaissent. Les buffles aiment généralement les mares et les endroits vaseux, où ils se vautrent et se chauffent, dans la boue chaude, durant des heures. Mowgli les conduisit jusqu’à la lisière de la plaine, où la Waingunga sortait de la jungle; là, il se laissa glisser du dos de Rama, et s’en alla en trottant vers un bouquet de bambous où il trouva Frère Gris.

– Ah! dit Frère Gris, je suis venu attendre ici bien des jours de suite. Que signifie ce travail de garder les bestiaux?

– Un ordre que j’ai reçu, dit Mowgli; je suis pour un temps berger de village. Quelles nouvelles de Shere Khan?

– Il est revenu dans le pays et t’a guetté longtemps par ici. Maintenant il est reparti, car le gibier est rare. Mais il veut te tuer.

– Très bien, fit Mowgli. Aussi longtemps qu’il sera loin, viens t’asseoir sur ce rocher, toi ou l’un de tes frères, de façon que je puisse vous voir en sortant du village. Quand il reviendra, attends-moi dans le ravin proche de l’arbre dhâk, au milieu de la plaine. Il n’est pas nécessaire de courir dans la gueule de Shere Khan.

Puis Mowgli choisit une place à l’ombre, se coucha et dormit pendant que les buffles paissaient autour de lui. La garde des troupeaux, dans l’Inde, est un des métiers les plus paresseux du monde. Le bétail change de place et broute, puis se couche et change de place encore, sans mugir presque jamais. Il grogne seulement. Quant aux buffles, ils disent rarement quelque chose, mais entrent l’un après l’autre dans les mares bourbeuses, s’enfoncent dans la boue jusqu’à ce que leurs mufles et leurs grands yeux bleu faïence se montrent seuls à la surface, et là, ils restent immobiles comme des blocs. Le soleil fait vibrer les rochers dans la chaleur de l’atmosphère, et les petits bergers entendent un vautour – jamais plus – siffler presque hors de vue au-dessus de leur tête; et ils savent que s’ils mouraient, ou si une vache mourait, ce vautour descendrait en balayant l’air, que le plus proche vautour, à des milles plus loin, le verrait tomber et suivrait, et ainsi de suite, de proche en proche, et qu’avant même qu’ils fussent morts il y aurait là une vingtaine de vautours affamés venus de nulle part. Tantôt ils dorment, veillent, se rendorment; ils tressent de petits paniers d’herbe sèche et y mettent des sauterelles, ou attrapent deux mantes religieuses pour les faire battre; ils enfilent en colliers des noix de jungle rouges et noires, guettent le lézard qui se chauffe sur la roche, ou le serpent à la poursuite d’une grenouille près des fondrières. Tantôt ils chantent de longues, longues chansons avec de bizarres trilles indigènes à la chute des phrases, et le jour leur semble plus long qu’à la plupart des hommes la vie entière; parfois ils élèvent un château de boue avec des figurines d’hommes, de chevaux, de buffles, modelées en boue également, et placent des roseaux dans la main des hommes, et prétendent que ce sont des rois avec leurs armées, ou des dieux qu’il faut adorer. Puis, le soir vient, les enfants rassemblent les bêtes en criant, les buffles s’arrachent de la boue gluante avec un bruit semblable à des coups de fusil partant l’un après l’autre, et tous prennent la file à travers la plaine grise pour retourner vers les lumières qui scintillent là-bas, au village.

Chaque jour, Mowgli conduisait les buffles à leurs marécages, et chaque jour il voyait le dos de Frère Gris à un mille et demi dans la plaine – il savait ainsi que Shere Khan n’était pas de retour – et, chaque jour, il se couchait sur l’herbe, écoutant les rumeurs qui s’élevaient autour de lui, et rêvant aux anciens jours dans la jungle. Shere Khan aurait fait un faux pas de sa patte boiteuse, là-haut dans les jungles, au bord de la Waingunga, que Mowgli l’eût entendu par ces longues matinées silencieuses.

Un jour enfin, il ne vit pas Frère Gris au poste convenu. Il rit et dirigea ses buffles vers le ravin proche de l’arbre dhâk, lequel était tout couvert de fleurs d’un rouge doré. Là se tenait Frère Gris, chaque poil du dos hérissé.

– Il s’est caché pendant un mois pour te mettre hors de tes gardes. Il a traversé les champs, la nuit dernière, avec Tabaqui, et suivi ta voie chaude, fit le Loup haletant.

Mowgli fronça les sourcils:

– Je n’ai pas peur de Shere Khan, mais Tabaqui sait plus d’un tour!

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