Бесплатно

Un Cadet de Famille, v. 3/3

Текст
0
Отзывы
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

CVI

La joyeuse nouvelle se répandit dans le vaisseau, et toutes les figures rayonnèrent de bonheur. Au bout d'une heure, le grab vint côte à côte de nous, et nous jetâmes ensemble un hourra qui s'éleva au-dessus du bruit de la mer. Il m'est impossible de dépeindre le plaisir que je ressentis, et ce plaisir était doublé par son à-propos. Comme la mer était trop agitée pour mettre un bateau sur l'eau, nous ne pûmes communiquer qu'à l'aide de nos signaux particuliers, et de Ruyter m'ordonna de me tenir près du grab et de suivre ses mouvements.

La brise continuait à souffler du golfe de Siam, et poussait le convoi vers Bornéo. Nous suivîmes de Ruyter, qui se dirigeait vers la flotte, et je remarquai que la plupart des vaisseaux avaient beaucoup souffert. Un d'eux avait eu son mât de misaine frappé par la foudre; le commodore tenait celui-là en touage; un autre n'avait plus ni perroquet ni beaupré; il était très-grand, éloigné des autres, mais rapproché de la frégate, qui l'avait en touage. Les autres vaisseaux essayaient de se tenir ensemble pour se protéger mutuellement pendant que de Ruyter utilisait tous les moyens nautiques pour les harasser et les diviser, tandis qu'avec une effronterie nonchalante j'aidais de tout mon pouvoir les tentatives de mon ami. Nuit et jour nous rôdâmes autour du convoi comme rôdent des loups autour d'une bergerie protégée par des chiens de garde.

La supériorité de notre navigation nous donna le plaisir d'ennuyer nos ennemis; mais, outre les vaisseaux de guerre, la plupart de ceux qui appartenaient à la compagnie marchande étaient plus forts que nous, avaient plus d'hommes et portaient de trente à quarante canons. Malgré cela, nous entravâmes tellement leur marche, soit à l'aide d'attaques fausses ou réelles, soit par des lumières ou des coups de canon, qu'ils firent tous leurs efforts pour nous détruire, afin de se débarrasser de nous. La frégate nous chassa l'un après l'autre, et malgré sa force et son adresse, ses tentatives de délivrance n'eurent aucun résultat.

Ma témérité mit plusieurs fois le schooner en danger, et, chassé par la frégate, qui portait plus de voiles que moi, j'allais tomber entre ses mains lorsque, au moment où elle commençait à faire feu, son beaupré et son perroquet se brisèrent.

Nous réussîmes à gêner le convoi et à le diviser malgré les vaillants efforts que l'ennemi opposait à nos attaques, car nous étions favorisés par les îles, les bancs et les rochers dispersés sur leur côté opposé au vent et vers lesquels la houle et le courant conspiraient avec nous pour les chasser. Le vaisseau que la frégate avait de temps en temps en touage était chassé par le vent bien loin derrière les autres lorsqu'il était privé de cette assistance, et nous avions fortement contribué à la lui faire perdre, en le tenant sans cesse dans une craintive alerte. Au coucher du soleil, de Ruyter vint côte à côte de nous bien avant de la flotte, et me dit:

– Dans vingt-quatre heures, la force de cette brise sera épuisée; profitons-en et faisons un dernier effort pour réussir à exterminer le vaisseau protégé par la frégate. J'empêcherai cette dernière de lui porter secours jusqu'au coucher du soleil, et alors son secours deviendra inutile. Je me rendrai à votre côté contre le vent, vous irez derrière le vaisseau et vous me trouverez près de vous.

Après ces paroles, de Ruyter me quitta, et, plus audacieux qu'il ne l'avait jamais été, il dirigea le grab au centre même du convoi, et échangea des coups de canon avec les grands vaisseaux. Les mouvements de de Ruyter furent si rapides, que la frégate se mit sur le qui-vive. Les vaisseaux des Indes ressemblent à des jonques chinoises, étant équipés pour la plupart avec de pauvres malheureux lascars. Un de ces vaisseaux était démâté, et de Ruyter et moi, après avoir réussi à le détacher du convoi, nous espérâmes en faire la conquête.

L'Angleterre a raison d'être fière de ses galants matelots, aussi hardis et aussi battus par la tempête que les rochers de sa côte de fer. La richesse d'une seule île, qui est pauvre et insignifiante par elle-même, contient plus de puissants vaisseaux de guerre que l'Europe entière; mais aussi tout y est sacrifié. Cependant il est un fait singulier, et ce fait est que les vaisseaux employés au commerce sont, sans exception, les plus laids, les plus sales et les plus lourds voiliers du monde, et pendant les temps de guerre ils sont horriblement équipés, car alors la marine s'empare de tous les hommes utiles. En vertu de l'injuste loi qui régit les impôts, les droits de tonnage sont levés sur l'étendue de la contre-quille et de la largeur du vaisseau, et non point sur la quantité de tonneaux qu'un bâtiment peut contenir. L'étude du marchand de bâtiments est de diminuer le poids de l'impôt, et, pour arriver à cela, ils continuent la largeur avec peu de diminution depuis la proue jusqu'à la poupe, en faisant la partie supérieure du vaisseau très-saillante et en donnant à la cale la profondeur d'un puits du désert: de sorte que, suivant l'absurde mesurage de notre gouvernement, un vaisseau qui est enregistré porteur de sept cent cinquante tonneaux a généralement mille ou onze cents tonneaux de cargaison. Ce système absurde ne peut être égalé que par celui des Chinois, qui protégent cette ordonnance par amour pour son antiquité. Ils mesurent la largeur du vaisseau depuis le milieu du mât de misaine jusqu'au milieu du mât d'artimon, et la dimension est prise vers la poupe, ce qui fait que la longueur est multipliée par la largeur. Cette méthode fait qu'un brigantin paye souvent plus cher que ne paye un vaisseau, et un vaisseau de cent tonneaux ne paye que la moitié de l'impôt mis sur un vaisseau de mille tonneaux. Et cependant les Anglais et les Chinois sont appelés des hommes savants!

CVII

Le temps se calma un peu; les petits nuages frisés qui avaient tous couru dans la même direction se rassemblèrent au côté contre le vent, et ils restèrent stationnaires, réunis en lignes horizontales, jusqu'à ce que, incorporés dans le banc sombre et escarpé de l'horizon, ils changeassent leur couleur grise en une teinte d'opale. La mer tomba, et l'obscurité devint si grande, qu'il me fut impossible de distinguer les vaisseaux des Indes; mais j'étais guidé vers eux par les signaux de détresse qu'ils faisaient à ceux qui ne pouvaient ni les entendre ni les voir. Quoique un peu affaibli, le vent soufflait encore avec violence, et pendant que les intervalles de calme nous débarrassaient de la pression du vent, les vagues furieuses lançaient çà et là des avalanches d'eau sur notre pont. Pour ajouter un péril de plus à nos dangers, il y avait des bancs de sable et une ligne de rochers submergés tout à fait au-dessus de notre quartier opposé au vent. Nous ne vîmes point le grab avant les premières lueurs du jour, et de Ruyter me dit qu'il avait la crainte que le vaisseau que nous avions poursuivi ne se fût brisé contre les rochers.

– J'ai vainement averti l'étranger de ce dangereux voisinage, continua de Ruyter; je lui ai conseillé de mettre en panne; mais sans m'écouter ou sans m'entendre, ignorant où il était, il est parti avec le vent. Maintenant il faut ou qu'il périsse ou qu'il demande assistance en déchargeant ses canons, mais j'ai grand'peur que son appel ne soit trop tardif.

Le pressentiment de de Ruyter se changea en vérité. La première chose que mon regard rencontra au lever de l'aurore fut le pauvre vaisseau naufragé: il était couché sur un lit de rochers et attaché à ses dures pointes comme par une vis cyclopéenne. Les vagues furieuses frappaient avec colère les bases du rocher, s'élevaient en pyramides ou se précipitaient en avant, puis elles continuaient leur chemin jusqu'au moment où la houle les dispersait en écume. Au milieu de l'horrible gouffre battu par le ressac, qui tombait avec autant de force que s'il eût été vomi par un volcan, se voyait le pauvre naufragé.

Le convoi avait disparu sous le sombre voile de nuages qui couvrait l'extrême pointe de l'horizon. Après s'être tourné vers l'est, où il souffla encore avec violence, le vent s'affaiblit et enfin tomba tout à fait après le lever du soleil. Nous étions tellement secoués et ballottés, que nos mâts se courbaient avec la flexibilité des cannes des Indes, et que le vaisseau gémissait en faisant entendre de sourds craquements.

Il était parfaitement inutile de songer à secourir l'équipage, si toutefois quelques hommes existaient encore. À l'aide d'un télescope, je découvris que la grande vergue et le tronc du mât d'artimon étaient les seules parties du naufragé sur lesquelles la mer ne se jetât pas continuellement. La partie de devant du vaisseau était fracassée, les ponts enlevés, et la cargaison avait dû céder à la violence de l'eau. Si quelques marins avaient réussi à se sauver, ce ne pouvait être qu'à l'aide de la grande vergue, qui était considérablement élevée avec le côté opposé au vent.

À neuf heures du matin, les houles étaient si bien diminuées, qu'en voyant de Ruyter préparer un bateau, je suivis son exemple, et je réussis à mettre à l'eau une barque excessivement légère, équipée avec mon second contre-maître et quatre des meilleurs marins du schooner. À mon grand regret, je me vis contraint de rester sur le vaisseau, ma blessure me faisant encore souffrir. De Ruyter héla mon bateau; ils marchèrent de compagnie et firent un grand détour pour tenter l'intrépide sauvetage des naufragés. J'enviais de Ruyter, le brave, le courageux de Ruyter, et, impuissant comme une vieille femme malade, je ne pouvais que maudire le membre paralysé, obstacle insurmontable à l'imitation du noble exemple que donnait mon ami.

Vers midi seulement, les deux bateaux longèrent les rochers pour revenir vers le grab. J'avais pu distinguer, malgré l'éloignement des hommes qui remuaient sur la grande vergue du naufragé, que les bateaux avaient assez approché pour persuader aux hommes de descendre dans la mer en se laissant glisser sur des cordes. Comme le schooner était plus léger que le grab, je donnai l'ordre de le faire approcher des bateaux, et ces derniers nous rejoignirent sains et saufs. De Ruyter s'élança à bord à l'aide d'une corde, et, lorsque ses deux mains pressèrent les miennes, sa figure me parut rayonnante de joie.

 

– Si cet imbécile de vaisseau, me dit-il, ne s'était pas jeté sur les rochers, j'aurais gagné quarante mille dollars; eh bien, cependant, je ne sais pas trop pourquoi je suis plus heureux d'avoir sauvé quatre hommes que d'être possesseur d'une montagne de boîtes à thé. Les pauvres garçons! il faut vraiment qu'ils soient doués de la force des loutres pour avoir supporté sans mourir une pareille nuit. Haussez-les à bord, mes enfants; commencez premièrement par nous donner le père et le fils.

Ces paroles furent à peine prononcées qu'un homme parut sur le pont: cet homme était couvert d'une jaquette déchirée de camelot rouge, aux parements jaunes, brodés de cordonnets d'argent. Il marchait en chancelant, employant pour se tenir debout toute la force d'une ferme volonté. Un jeune homme brun et nu jusqu'à la ceinture suivait le premier arrivé, en cherchant à lui prêter l'appui de son bras. L'homme à la jaquette, âgé de cinquante ans, était capitaine dans un régiment du Bengale, et il rentrait en Europe après un service de vingt-cinq ans dans les Indes. Ces longues années de travail avaient fait gagner à l'étranger la solde à vie de quatre-vingts livres par an. Si le climat des Indes avait été moins funeste au vieux soldat, il lui eût été possible de jouir pendant quelques années de ce pauvre salaire; mais, incarcéré dans Calcutta, dont l'atmosphère est étouffante, son foie avait pris les proportions dénaturées de celui d'une oie de Strasbourg, et par les mêmes moyens: la chaleur et l'excès de nourriture. La bile, et non le sang, circulait sous la peau verte et jaune de cet homme à moitié mort de fatigue et d'épuisement. Le jeune garçon, son fils, né d'une femme indienne, avait dix-sept ans.

Greffé sur une race indigène, le jeune homme avait grandi et promettait de porter un jour de bons fruits. Les deux autres naufragés faisaient partie de l'équipage du navire: un était le contre-maître, homme fort et carré du nord de l'Angleterre, habitué aux orages, ayant été élevé dans un bâtiment charbonnier, sur les dangereuses côtes de son pays; le second remplissait sur le vaisseau perdu les fonctions de bosseman. C'était un homme d'une beauté rare, d'un courage éprouvé, et dont la force me parut prodigieuse. Sans parler ni même paraître se souvenir du danger qu'ils avaient couru, le contre-maître et le bosseman nous racontèrent avec admiration le dévouement que le jeune Anglo-Indien avait témoigné à son père en cherchant à le sauver au prix de sa propre existence.

CVIII

Quand le contre-maître anglais eut réparé ses forces avec quelques heures de sommeil et un bon repas, il nous raconta l'histoire du naufrage.

– Notre vaisseau, dit-il, qui était un des plus grands du convoi, avait perdu ses perroquets et un de ses mâts. La frégate l'avait pris en touage, mais la violence du temps rendait ce secours très-dangereux pour elle, sans être efficace au navire démâté. La cargaison se composait de thé, de soieries et de plusieurs autres objets de commerce; de plus, le vaisseau portait à son bord des femmes, des enfants, des domestiques nègres, enfin un personnel de trois cents individus. Le vaisseau souffrit si cruellement à la chute du jour de l'agitation de la mer, qu'il s'était fendu en plusieurs endroits. En le mettant au vent pour l'alléger, deux des canons du grand pont s'étaient détachés, et un avait enfoncé une embrasure, qui laissa pénétrer l'eau. Quand le grab nous eut avertis du voisinage des rochers, nous essayâmes de tourner le vaisseau; mais, faute de voiles, il nous fut impossible de réussir. Pour activer notre destruction, le vent, les vagues et le golfe poussèrent le vaisseau à travers un étroit canal de rochers. Là, nous fûmes arrêtés, avec la poupe en avant, sur une couche de rochers submergés, et tous les lascars se précipitèrent, pour y chercher un refuge, sur les agrès et les mâts. Les lamentations et les cris étaient si bruyants, que la désolante clameur étouffait le bruit du vent et des vagues. Tout le monde croyait le vaisseau englouti, et ceux qui se trouvaient sur le pont étaient si effarés, que les vagues les emportèrent avant même qu'ils eussent compris le réel danger de notre situation. Bientôt rien ne resta plus visible aux regards que l'écume blanche qui bouillonnait autour du vaisseau. Non-seulement nous ignorions dans quelle partie de la mer le malheur nous atteignait, mais encore ce qu'il fallait faire pour le combattre. Je grimpai dans les agrès, que les lascars, ainsi que plusieurs officiers, avaient pris pour refuge; ne pouvant trouver de place, je passai sur la grande vergue, qui était également chargée de monde. Le mât d'artimon tomba dans la mer, entraînant avec lui une foule d'hommes; pas un ne reparut plus sur la surface de l'eau. Un bruit de tonnerre nous annonça que les ponts emportés laissaient la mer envahir le navire. Vers le point du jour, le vaisseau gronda sourdement et s'inclina sur le côté gauche: le mouvement eut tant de violence et de rapidité, qu'un second mât, chargé d'Européens, fut précipité dans l'eau. Le bosseman ne m'avait pas quitté, et nous nous encouragions mutuellement à supporter notre extrême fatigue. L'ardente activité que j'apportais dans l'examen de notre entourage me fit voir que le mât de hune allait se briser. Nous nous traînâmes sur la grande vergue; elle était presque abandonnée, car les cordes qui la supportaient avaient été enlevées, et, en se détachant, la grande voile avait jeté à la mer ceux qui étaient sur la vergue. J'aperçus alors le vieux capitaine, que son fils avait traîné sur le rocher; ils y étaient collés tous deux comme des homards endormis. Quand le jour parut, je cherchai mes compagnons d'infortune, et je comptai six êtres vivants! Nous étions épuisés, sans espérance. Dieu nous envoya vos bateaux. Mais, en regardant autour de nous, je perdis l'espoir donné par votre apparition, car il était presque impossible de franchir, pour arriver jusqu'à nous, la ceinture de rochers et le banc de sable qui nous enfermaient. Outre cette crainte d'insuccès désespérante, nous savions que vous êtes des corsaires français, et peut-être l'espoir du pillage vous attirait-il près de nous!

Ici le dur visage du contre-maître eut une expression de reconnaissance profonde, ses petits yeux brillèrent, et il reprit en nous jetant un regard humide:

– J'ai vu de braves et bons bateliers sortir dans leurs bateaux de sauvetage des rives de notre côte pendant la tourmente, mais on n'a jamais vu arracher d'un pareil gouffre quatre hommes inconnus en risquant l'existence de braves marins! Les houles qui tournaient autour de nous jetaient en l'air des corps humains, des boîtes de thé, des tonneaux, des ballots de soieries, du coton, des voiles de vaisseau, des bateaux de réserve, des hamacs, des avirons, et tout cela pêle-mêle, en désordre, en confusion. Dans le groupe informe, tantôt séparé, tantôt réuni, j'aperçus une vieille nourrice noire qui tenait dans ses bras un enfant blanc; elle paraissait, par ses mouvements, vouloir le porter à bord, près de nous, et son corps, ballotté par la mer, courait autour des rochers. Un homme cramponné à la vergue, près de moi, suivait d'un œil fasciné toutes les allées et venues de la vieille femme; puis tout à coup il se précipita dans la mer, la tête la première, en criant:

« – Oui, oui, vieux diable, oui, je te suis, je te suis!

« – Ne regardez pas la mer, me cria le vieux capitaine, cette vue vous donnera le vertige et vous tomberez.»

Un poisson n'aurait pu flotter dans cet horrible gouffre, et cependant le capitaine américain approcha assez près de nous pour jeter sur notre bord une ligne de plomb. Malheureusement, le premier homme qui tenta de la saisir fut emporté par les vagues. La ligne fut jetée une seconde fois, et le jeune créole, qui était aussi agile qu'un singe, réussit à la prendre. J'y attachai le bout d'une corde que le capitaine tira à bord. Nous descendîmes donc un à un, et nous gagnâmes les bateaux. Que Dieu soit béni pour nous avoir accordé la grâce de rencontrer des compatriotes sur votre bord, et je dois ajouter que, malgré son origine américaine, je n'ai jamais vu un navire aussi bon, et des marins aussi secourables et aussi dévoués à leurs frères malheureux…

CIX

Aussitôt que le calme du temps nous eut permis de lever l'ancre, nous dirigeâmes notre course vers le nord-est, afin d'atteindre trois petites îles situées à la hauteur des côtes de Bornéo, et près desquelles nous nous étions déjà arrêtés une fois.

J'avais donné à de Ruyter un récit circonstancié de tout ce que j'avais vu, entendu ou fait, et son émotion me serra le cœur lorsqu'il eut appris la mort du pauvre Louis.

– Comment ferons-nous sans son aide? me dit de Ruyter: depuis longtemps il avait le contrôle de nos affaires d'argent, et c'était un admirable arithméticien; il nous sera fort difficile de trouver un homme assez honnête pour tenir honorablement la place qu'il occupait près de nous. Il y a du danger dans le maniement de l'argent et dans la connaissance du calcul; cette connaissance donne une trop grande facilité pour soustraire aux autres dans son propre intérêt. Elle rend l'âme sordide, et vous savez que la rapacité des banquiers et des munitionnaires est si bien connue, qu'elle est proverbiale. En conséquence, comme il nous serait impossible de trouver un homme digne de remplacer le pauvre Louis, nous partagerons entre nous les charges de cet emploi.

Après avoir attentivement écouté le récit de mon aventure avec les Javanais, de Ruyter s'écria:

– Vous êtes allé à une chasse d'oies sauvages ou de sangliers, excité à le faire, je suppose, par sa dangereuse absurdité. Il est vrai que vous êtes sorti du piége avec une admirable sagacité; mais quel autre homme que vous, Trelawnay, se serait rendu coupable d'une si grande folie? Vous êtes plus téméraire et plus inconsidéré que notre ami malais, le héros de Sambas.

– À propos de lui, de Ruyter, dites-moi si votre alliance avec cette rapace tribu des Malais n'est pas un acte de folie chevaleresque aussi coupable que mon expédition à Java?

De Ruyter me regarda en riant, frotta joyeusement ses mains l'une contre l'autre, et me répondit d'un ton de visible contentement:

– Non, mon garçon, non; harasser, humilier et détruire les ennemis du drapeau que je sers est un devoir; je confesse que je ne m'engagerais pas volontiers dans des entreprises inutiles, mais je déteste, j'abhorre la compagnie marchande anglaise, et, du reste, toutes les compagnies, parce qu'elles sont liées ensemble par des vues étroites et des liens intéressés. La vengeance, ou plutôt la rétribution, est pour moi comme le diamant sans pareil que possède le sultan de Bornéo, comme le soleil sans prix. Un ministre poëte de votre nation a dit ceci:

«La vengeance est le courage de rappeler les dettes de notre honneur.»

Et vous savez, mon garçon, qu'il faut que mes dettes d'honneur soient scrupuleusement payées. Je crois, en vérité, que pour chaque dollar qu'ils m'ont enlevé autrefois, les Anglais ont perdu des milliers de dollars.

Depuis longtemps la Compagnie essaye de s'établir sur ce côté de Bornéo, mais le manque de port et les obstacles opposés par les braves Malais continuent à frustrer toutes leurs espérances. Enfin la Compagnie fixa ses yeux avides sur la ville de Sambas, qui a une rivière, un bon ancrage assez rapproché et défendu par un fort; en outre, sa situation est des plus favorables au commerce et à l'agriculture. Aussi perfides dans leurs desseins qu'atroces dans leurs actions, ils dirent que le but de l'entreprise était celui de détruire cette colonie de pirates, et la cause réelle qui guidait leur attaque était la conquête de l'île. Le grab avait pris une position excellente et le Malais s'était engagé pour son peuple à me donner la direction de toutes les tribus. En conséquence, j'ordonnai au chef de faire embarquer ses gens dans leurs proas de guerre, et accompagnés par une forte partie d'hommes dans mes bateaux, nous avançâmes le long de la côte jusqu'à notre arrivée au cap Tangang. Je débarquai là et j'y laissai les bateaux.

Nous traversâmes la contrée à pied; les grands canons et d'autres articles lourds avaient été envoyés à la ville dans les proas. Après avoir passé une longue et triste journée à traverser des forêts, des montagnes gigantesques et escarpées, des plaines sans chemin, des rivières, des torrents et des marais, nous arrivâmes aux bords de la rivière de Sambas. D'un côté s'étendait un marais immense, de l'autre un jungle inextricable. Mais, guidé par les natifs, je vis bientôt devant moi la ville de Sambas, la ville dont la possession était ambitionnée par les Anglais. Les habitants étaient pêle-mêle dans de misérables huttes bâties en cannes et protégées par une masse informe de boue et de bois, à laquelle on donnait le nom de fort. Çà et là se trouvaient des habitations qui ressemblaient à des corbeilles soutenues par des béquilles, et, selon toute apparence, les propriétaires de ces masures étaient prêts à fuir vers la ville quand leurs affaires ou la nécessité les y obligeraient. J'avais remarqué, chemin faisant, une grande et magnifique baie entourée d'îles à l'est de la ville malaise, et je compris de suite que les assaillants mettraient là leurs vaisseaux en ancrage pour faire débarquer leurs troupes. Je trouvai les natifs occupés à déménager leurs meubles et leurs bateaux de guerre pour les conduire dans les places fortes, plus disposés à éviter l'invasion qu'à la soutenir. À ma prière, le chef malais se rendit dans les jungles, dans les marais, monta aux cavernes des montagnes pour haranguer les chefs aux barbes grises de case retirée, et pour les rallier à nous.

 

Aux noms de bataille et de butin, les guerriers qui s'étaient cachés sortaient de leurs retraites comme des troupes de chacals. L'âme entreprenante du chef enthousiasma tous les cœurs et se répandit comme un feu incendiaire des jungles à la plaine, de la plaine aux montagnes.

La haine des Malais pour les Européens et le désir de s'égaler mutuellement en force et en courage, multiplièrent le nombre des natifs et les réunirent dans un seul corps. Le second jour de mon arrivée, je mis la forteresse en état de défense, et je donnai l'ordre d'enfoncer des arbres dans le lit de la rivière afin d'en fermer le passage. Vers le milieu de cette même journée, j'entendis le sauvage cri de guerre des nobles barbares. Ils se précipitaient au bas de la montagne comme un déluge, et je fus bien heureux d'avoir pris possession de la forteresse de boue pendant le premier accès de leur fièvre inflammatoire. Les gestes violents des Malais, leurs cris perçants, le bruit de leurs armes à feu, celui de leurs trompettes de conque qui se répétaient de rocher en rocher, auraient pu faire croire qu'ils étaient devenus fous. Mon ami le chef vint bientôt me rejoindre, accompagné par les plus puissants chefs des diverses tribus. Il me présenta à ces chefs, et, après un festin abondant sans être splendide, nous nous occupâmes des choses importantes. Le chef, qui était un grand orateur, fit une longue harangue, et dans cette harangue il exalta mes services et finit par me proposer, au nom du peuple, le commandement de l'armée. Je l'acceptai, et mon premier acte d'autorité fut de diviser les tribus, de leur fixer à chacune une retraite sûre où elle devait se tenir cachée jusqu'au débarquement de l'ennemi. Je dis à un de mes corps de bataillon qu'il devrait apparaître à une certaine distance de la baie, quand une troupe de Malais cachée dans les jungles s'avancerait sur l'ennemi.

Quand tout fut préparé pour la défense, nous attendîmes l'arrivée de la flotte de Bombay. Nous avions placé des vigies tout le long de la côte, et des proas qui naviguaient très-vite avaient été envoyés dans la largue. L'attente fut longue, et nous désespérions déjà du bonheur d'assouvir notre vengeance quand nous les aperçûmes.

Le sol de l'Inde a été rougi du sang de ses enfants, et ses sultans, ses princes et ses guerriers ont été exterminés. Je donnerais ma vie pour voir l'Océan de l'est rougi par le sang, comme l'était la mesquine rivière de Sambas le jour où nous nous précipitâmes avec violence à travers les rangs des chrétiens, le jour où les féroces et indomptables Malais repoussèrent les renégats sepays et les jetèrent avec une incroyable fureur dans les sombres eaux de la rivière. Il n'y eut pas de quartier et surtout fort peu de butin. Nous poursuivîmes les fugitifs, et la plupart furent tués au moment de regagner leurs vaisseaux. Quelques bateaux étaient encore occupés à débarquer des munitions, des armes et des troupes, qui s'échappèrent. Mais le nombre des morts fut bien supérieur à celui des vivants.

– Mais, arrêtons-nous, mon garçon, j'entends notre chef malais qui approche du vaisseau. Montez avec moi sur le pont, je lui dois un bon accueil.

Le chef et sa suite étaient montés sur notre bord. Le chef se précipita vers de Ruyter, se mit à genoux devant lui et embrassa ses mains; ensuite il se releva et fit un discours dont il n'avait point étudié les paroles à l'école de Démosthènes; mais ce discours avait une telle énergie dans les expressions, qu'il montrait que l'éloquence passionnée et simple peut aussi bien toucher le cœur de l'homme que le langage complaisant et subtil du philosophe grec.

Le chef renouvelait à de Ruyter ses remercîments et ceux de son peuple, qui le conjurait de rester à Sambas et d'être leur prince.

– Nous vous bâtirons une maison sur la montagne d'or et aux pieds de laquelle coule une rivière de diamants. (Cette offre n'était point illusoire, car une grande quantité d'or et de très-beaux diamants sont trouvés dans la rivière.) Nous vous donnerons tous nos biens et vous serez notre père. Un seul petit bienfait sera notre récompense, et ce bienfait est celui d'employer votre influence sur les grands guerriers de votre nation pour les entraîner à la petite île des grands vaisseaux (l'Angleterre); là, vous brûlerez les bâtiments, vous détruirez l'île et vous noierez tout le peuple. Ton fils, continua le chef en me désignant, restera avec nous pendant toute la durée de ton absence. Chaque vieillard sera son père, et par lui ta voix sera écoutée et comprise; n'est-il pas ton sang!

Pendant que le chef faisait ces offres, on préparait un festin auquel il prit part, et à la fin du repas il dit à de Ruyter que toutes sortes de provisions lui seraient envoyées le lendemain.

– Tu aimes mon peuple, dit le Malais en sortant de table, car tu as fait pour lui plus que leurs pères et leurs mères; s'ils lui ont donné la vie, plus généreux encore, tu leur as donné la liberté. Mon peuple est pauvre, il aime les cadeaux; mais je lui ai défendu d'accepter les présents de tes serviteurs (en disant ces mots, le chef regarda ses hommes d'un air terrible), et je tuerai celui qui enfreindra ma défense, fût-il né dans les mêmes entrailles que moi, eût-il été nourri au même sein!

Le chef baisa encore une fois les mains de de Ruyter et regagna son proa, qui prit le chemin du rivage.

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»