Бесплатно

Un Cadet de Famille, v. 3/3

Текст
0
Отзывы
iOSAndroidWindows Phone
Куда отправить ссылку на приложение?
Не закрывайте это окно, пока не введёте код в мобильном устройстве
ПовторитьСсылка отправлена

По требованию правообладателя эта книга недоступна для скачивания в виде файла.

Однако вы можете читать её в наших мобильных приложениях (даже без подключения к сети интернет) и онлайн на сайте ЛитРес.

Отметить прочитанной
Шрифт:Меньше АаБольше Аа

CXIII

De Ruyter vint bientôt nous retrouver, tenant en touage un petit schooner dont il avait fait la conquête sans avoir à déplorer aucune perte d'hommes. Nous levâmes l'ancre pour aller la jeter sans retard dans le port de Batavia. Ayant à vendre non-seulement nos deux prises, mais encore une foule d'objets qu'il avait mis en dépôt dans une maison de la ville, de Ruyter prit un logement à Batavia, et nous nous y installâmes. Les vaisseaux, amplement pourvus de provisions, étaient, en outre, dans un ordre parfait. En conséquence, j'avais la libre disposition de mon temps, et j'en usai en faisant parcourir à Zéla la partie montagneuse de la riche et populeuse île des Javanais. Les productions du territoire de l'île, telles que bois de charpente, grains, légumes et fruits, sont d'une qualité fort supérieure à toutes celles que j'avais vues dans l'Inde, en faisant une exception toutefois en faveur des produits de Bornéo.

Le général Jansens, vieil ami de de Ruyter et gouverneur de l'île, fut très-poli pour moi, et je passai plusieurs jours à sa maison de campagne.

Il y a ou il y a eu en Europe une sorte de fanatisme pour les jeunes filles aux cheveux dorés; à Java, ce fanatisme est consacré aux femmes dont la peau a cette teinte jaune.

Dans la maison du marchand habitée par de Ruyter vivait une veuve très-riche, née dans la capitale de Jug, ville encore gouvernée par des princes natifs.

Cette dame au teint jaune était si belle aux yeux des jeunes gens de Batavia, qu'ils consacraient la plus grande partie du jour à passer devant sa porte, dans l'espérance d'attirer l'attention de cette merveille, dont voici le portrait:

Elle avait à peu près quatre pieds de hauteur, et sa peau était d'un jaune si brillant, que les rayons du soleil pouvaient s'y refléter comme sur un dôme. Les petits yeux noirs de la dame, assez vifs d'expression, disparaissaient enfouis sous ses joues aussi rondes qu'une orange, et auxquelles un petit nez en bec d'oiseau et des lèvres africaines donnaient un ensemble des plus bizarres. Quant aux cheveux, ils étaient si courts, si épars sur cette petite tête, qu'en les rassemblant tous, il eût encore été très-difficile de réunir la quantité qui est nécessaire pour ombrager les lèvres d'un homme.

Cependant, l'affreuse caricature que je viens de dépeindre était l'idéal de la beauté chère aux Javanais, et de tous les coins les plus reculés de l'île, on venait en foule briguer ses faveurs et lui rendre les hommages d'une adoration enthousiaste.

Dans cette heureuse partie du monde, les femmes jouissent du privilége inestimable qu'accorde le divorce, et l'incomparable veuve usait tant de ce privilége, qu'elle en abusait. À peine âgée de vingt-quatre ans, la belle dame s'était mariée dix fois; un de ses époux était mort, deux avaient été tués on ne sait comment, six s'étaient mal conduits envers elle, et enfin le dernier avait disparu.

Les Javanais sont une race extraordinairement petite; les hommes dépassent rarement cinq pieds, et les femmes quatre et demi. De Ruyter et moi, qui avions l'un et l'autre six pieds de hauteur, des muscles d'acier et une force proportionnée à notre stature, nous semblions des géants au milieu de ce petit peuple. Notre extérieur herculéen fit une grande impression sur la sensibilité de la veuve, qui, en notre honneur, traita avec mépris les nains de l'île, qu'elle appelait des fragments d'homme. Après un scrupuleux examen, après une mûre délibération, après une étude approfondie de la figure, de l'air et des manières de de Ruyter, la veuve, qui s'était sentie entraînée vers lui au premier coup d'œil, arriva bientôt à me donner la préférence, non-seulement parce que j'étais le plus jeune, mais encore parce que, venant d'avoir la jaunisse, j'étais le plus doré. Ne doutant pas un instant du bonheur et de l'empressement que je mettrais à accueillir ses avances, la dame dit à de Ruyter qu'elle m'offrait ses charmes sans condition, et qu'à ce don suprême elle ajouterait des champs semés de riz, de café, de cannes à sucre, des maisons, des esclaves, des domestiques; enfin, un domaine assez vaste pour me mettre en égalité parfaite avec les plus puissants princes de la province de Jug.

– Madame, répondit de Ruyter avec le plus grand sérieux, mon ami sera charmé de votre attention; il en sera fier, il en sera dans le ravissement. Vous me voyez moi-même confondu de joie et de surprise. Malheureusement, madame, un petit obstacle s'oppose à la réalisation de ce bel avenir: mon ami est déjà marié.

– Marié! exclama la veuve, marié! je ne puis pas le croire; et cependant, ajouta-t-elle d'un ton empreint de doute et d'amertume, je l'ai vu accompagner à la promenade une pâle et maladive jeune fille qui a les cheveux tournés autour de la tête en forme de turban. Mais, monsieur, cette jeune fille est mince, frêle comme un roseau; de plus, elle a les yeux si grands et la bouche si petite, que sa figure en est ridicule. Tous les hommes doivent avoir cette petite fille en horreur. Fi donc! elle ressemble à une femme marine, et doit bien certainement aimer l'eau comme un poisson.

Après cette réponse, la veuve découvrit à de Ruyter ses charmes éblouissants, et lui dit d'un air orgueilleux:

– Regardez-moi…

De Ruyter avoua à la veuve qu'elle ne pouvait être comparée à la jeune fille marine sous aucun rapport, mais qu'il fallait faire la part des goûts excentriques des hommes, goûts qui sont aussi capricieux que les flots de la mer.

– Monsieur, s'écria la veuve, envoyez-moi votre ami; je veux que ses regards décident la question. Laissez-le contempler en moi la véritable beauté, et son âme sera émue et son cœur brûlera d'amour.

Enchanté de profiter d'une si belle occasion pour donner cours à son humeur railleuse, de Ruyter me parla depuis le matin jusqu'au soir de la princesse jaune en m'appelant Altesse royale. De Ruyter se disait mon agent auprès de la veuve, disposait en imagination de tous ses biens, et voulait absolument l'épouser pour moi. Cette conduite excitait si bien l'ardeur de la dame, qu'elle m'accablait de cadeaux, et le schooner était encombré de ses nombreux envois de café, de tabac, de sucre, de fruits et de fleurs. Mes entrevues avec la veuve furent fréquentes; car, quoique mahométans, les Javanais ne gardent que l'extérieur de la foi. Quant à leurs actions, elles n'ont d'autres limites que l'étendue de leurs désirs, et les femmes obéissent pieusement au précepte de la nature qui dit: «Croissez et multipliez.»

J'étais presque fâché de voir Zéla indifférente aux agaceries que me faisait la veuve; car non-seulement elle n'y puisait aucun sentiment jaloux, mais encore elle encourageait les plaisanteries de de Ruyter. Le soupçon, le doute, la méfiance étaient inconnus à Zéla: cette loyale et simple nature ne pouvait les comprendre.

CXIV

Pendant un de ses voyages à travers les nombreuses îles dispersées dans le golfe de la Sonde, de Ruyter avait été obligé de se mettre en panne, et, en explorant la place, il vit sur une couche de rochers le corps d'un navire échoué. Selon les apparences, ce navire était de construction européenne. De Ruyter examina attentivement la situation de la côte où il faisait cette découverte, et l'inscrivit sur sa carte, dans l'intention de revenir à une époque plus favorable à son projet, celui de faire lever le vaisseau.

Le calme du temps et l'obligation de rester quelques jours à Batavia, la turbulence de l'équipage, ennuyé de son inaction, engagèrent de Ruyter à tenter la pêche du navire. Après avoir disposé tout ce qui était nécessaire, il prit à ses gages une troupe d'habiles plongeurs, et nous nous dirigeâmes avec un bon vent de terre vers le lieu de notre destination.

Nos bateaux nous conduisirent à la place même marquée par de Ruyter sur sa carte marine; mais la chute du jour nous obligea à l'abandonner jusqu'au matin.

Au lever du soleil, nous étions en face du vaisseau échoué. L'eau était aussi transparente que de la glace, et en laissant tomber la sonde sur le corps du vaisseau, nous fûmes assurés qu'une vingtaine de pieds d'eau seulement nous séparaient de son pont. Nous laissâmes une bouée afin de marquer la place, et nous remontâmes à bord des vaisseaux, qui s'approchaient de nous.

Après avoir pris des lignes, des aussières, des grappins et d'autres instruments nécessaires, nous reprîmes notre course vers le vaisseau submergé. Lorsqu'on regardait fixement et avec attention dans la mer, chaque partie du vaisseau devenait parfaitement visible. On distinguait aussi les masses de poissons à coquille qui incrustaient et peuplaient son pont d'une vie marine. Quand les noirs plongeurs descendirent sur les ponts, l'eau multiplia leurs figures, et ils prirent l'aspect fantastique d'une bande de démons réunis pour défendre leur vaisseau attaqué dans le sanctuaire de l'Océan. Après plusieurs heures de travail, nous réussîmes à attacher des tonneaux aux cordages du naufragé pour pomper l'eau qui le remplissait, et à le remuer en faisant passer au-dessous de lui de fortes aussières. Le second jour, le grab et le schooner furent placés de chaque côté du navire, afin que leurs forces réunies vinssent à notre aide pour faire monter le bâtiment à la surface de l'eau. Un succès complet couronna nos efforts. Le vaisseau ressemblait à un énorme cercueil, et la lumière du jour brillait étrangement sur son corps blanc incrusté et plein de bourbe. Des étoiles de mer, des crabes, des écrevisses et toute sorte de poissons à coquille se traînaient sur le corps du vaisseau. Nous vidâmes l'eau qui remplissait le navire, et je vis que, s'il était troué, ses avaries n'étaient pas grandes. Les objets qui garnissent le pont d'un vaisseau ainsi que la principale cale avaient été enlevés ou par l'eau ou par les natifs de Sumatra, qui probablement avaient vu le naufragé pendant leurs courses sur la mer; mais la cale d'arrière, protégée par un double pont, n'avait pas été touchée.

 

En débarrassant le pont, mes hommes trouvèrent, le prenant pour un câble, un énorme serpent d'eau; ou ce reptile avait un goût prononcé pour les poissons à coquille, ou il préférait un chenil de bois à une cave de corail; peu intéressés, du reste, à approfondir les causes de sa conduite, nous l'attaquâmes avec des piques, et il fallut le frapper rudement avant de le contraindre à baisser pavillon pour nous laisser le temps de continuer notre travail. Les plongeurs disaient, en considérant le corps palpitant du reptile:

– Vraiment, il eût été de force à nous manger.

Je ne sais pas si les nègres parlaient d'or, mais je suis bien certain que, plus féroces que leur ennemi, ils le mangèrent sans scrupule et sans remords.

Après avoir toué le naufragé vers l'île, nous le fîmes échouer sur un banc de sable afin de vider la cale d'arrière, remplie d'eau, et sur laquelle flottaient plusieurs barils. Nos premières trouvailles furent des sacs de grains gâtés, des barils de poudre et une masse d'autres articles tellement mêlés ensemble, qu'il était impossible de les distinguer les uns des autres. Pour complaire aux secrets pressentiments de de Ruyter, nous fîmes des fouilles, et je trouvai deux petites boîtes soigneusement attachées et cachetées; de Ruyter les ouvrit, et trouva huit mille dollars espagnols noircis par l'eau de la mer, ainsi que le vaisseau et tout ce qui se trouvait à son bord.

La meilleure partie de notre prise était, selon moi, non les dollars, mais deux tonneaux de vin espagnol et deux barils d'arack. Donnez-moi la mer comme cave à vin! Un liquide aussi délectable n'avait encore de ma vie humecté mes lèvres, satisfait mon palais, réchauffé mon cœur et extasié mes sens!

Cette délicieuse liqueur rendit tout le monde joyeux et même éloquent; le vieux rais déclara que ce vin ressemblait à l'onguent de koireisch, apporté de la Mecque par les hadjis.

CXV

On disait à Batavia que nous avions découvert un banc de dollars espagnols en échouant dessus, et que nos vaisseaux étaient encombrés par l'immense quantité de cette merveilleuse trouvaille. À ce conte, la rumeur ajoutait que nos plongeurs avaient pêché dans les profondeurs de la mer des tonneaux de vin portant pour date le millésime de 1550. Ces nouvelles remplirent le grab de visiteurs qui avaient tous le désir de boire le vin ou l'arack. Si l'un ou l'autre de ces liquides eût été un élixir d'immortalité, bien certainement on les aurait bus avec moins de plaisir et d'avidité. Les graisseux marchands hollandais s'assemblaient à bord du grab, et passaient la nuit à chanter des alleluia pour exprimer leur satisfaction. Grâce au bon conseil de de Ruyter, je substituai d'autres vins à notre nectar espagnol, et nous le gardâmes pour les malades, pour nos marins, auxquels il rendit plus d'une fois la souplesse de leurs membres et l'énergie dans l'action.

En vendant nos prises, de Ruyter n'oublia pas le capitaine de Bombay. Son bien-aimé vaisseau lui fut cédé pour un prix fort modique, et il lui fut loisible de reprendre la mer avec tout son équipage.

Quand tout fut terminé, nous levâmes l'ancre pour quitter Java.

La veuve de Jug resta frappée d'étonnement lorsqu'elle apprit notre départ. L'amour triompha de son apathie pour la mer, et elle nous suivit dans un bateau à rames, en criant, en faisant des signaux et en se déchirant les bras à l'aide de ses ongles.

Sa fureur comique ne connut plus de bornes lorsqu'elle s'aperçut que je ne faisais aucune attention à ses gestes et à ses cris, dont le bruit assourdissant semblait augmenter le vent de la terre. Mon télescope me laissait voir la veuve décharger sa colère sur les esclaves qui conduisaient le bateau; les pauvres diables courbaient le dos sous une furieuse avalanche de coups de bambou. Sachant fort bien qu'un homme n'a pas plus de force qu'une femme en se servant des armes offensives et défensives de la langue, des ongles et des larmes, j'avais agi prudemment en évitant la bataille. Si l'âme de la veuve n'eût pas été chargée d'argile, elle se serait attachée à mes pas dans mes voyages autour du monde. Mais aussitôt que l'esquif de mon amoureuse sentit les vagues en dehors du havre, il tourbillonna sur lui-même, et je vis la princesse jaune, – ou plutôt je ne vis la pas, car elle était tombée dans le bateau, – reprendre le chemin du rivage; si bien que je puis dire d'elle:

– Elle aima et s'éloigna à la rame.

J'avais été si tourmenté, si persécuté par ce dragon femelle, que je l'avais en horreur. Un jour, elle me gorgeait de baisers et de gâteaux; le lendemain, elle m'accablait d'injures et de menaces. Depuis cette époque, j'ai fait serment de ne jamais mettre les pieds dans le repaire d'une veuve, car la férocité maligne d'un tigre est de la mansuétude en comparaison de celle d'une veuve contrariée dans ses désirs.

En quittant le port de Batavia et son eau sale, pour voguer sur le limpide océan de la mer, j'étais accablé d'une inconcevable tristesse. Pour la première fois de ma vie le doute et la crainte obscurcissaient mon esprit, et cependant ma santé était excellente; celle de Zéla ne me donnait aucune crainte, car ses yeux étaient brillants, et son haleine plus parfumée que les fleurs d'une matinée de printemps. Quelle cause assombrissait ainsi mon cœur? quelle cause me rendait soucieux et pensif comme à l'approche d'un grand malheur? Ce n'étaient ni les persécutions de la veuve ni ses menaces; j'avais tout oublié en perdant de vue son bateau. Son esprit s'attachait-il donc à moi comme un vampire? Je me souvins alors qu'elle m'avait dit: «Si vous m'abandonnez, je vous ferai souffrir mille morts.»

Dans l'Est, la vie est à très-bon marché, et à Java quelques roupies suffisent pour acheter la conscience d'un homme qui se charge alors d'assassiner ou d'empoisonner la victime qu'on lui désigne. Le poison est là si indigène, qu'il coule des plantes, des arbrisseaux, et les natifs sont très-habiles dans l'art de l'utiliser. Cependant la veuve ne s'était point servie contre moi de cette arme dangereuse, et j'étais loin de sa portée; d'où venaient donc mes craintes?

Une nuit je fus éveillé par des visions affreuses. D'abord parut la veuve; en cherchant à échapper à ses caresses, je vis surgir auprès d'elle une vieille sorcière jaune; cette femme hideuse sauta sur mon lit et voulut me contraindre à manger un fruit vénéneux qu'elle pressait contre mes lèvres. Je voulus arracher à la furie le fruit empoisonné et le jeter loin de moi; mais mes forces me trahirent et je tombai anéanti sur ma couche. Tout à coup la fidèle Adoa entra dans ma cabine et s'empara du fruit en criant: «C'est du poison! c'est la mort!» Derrière Adoa apparut le prince javanais monté sur son cheval couleur de sang; le cheval escalada mon lit, et ses pieds me frappèrent violemment à la tête; puis tout s'évanouit dans l'obscurité; alors une femme blanche suivie par une ombre s'inclina sur moi et une voix mélodieuse me dit doucement:

– Vous devez vivre; moi seule dois mourir!

Après ces paroles, le fantôme noir qui accompagnait Zéla souleva le crêpe qui lui couvrait la figure, et je reconnus les traits pâles et livides de la vieille Kamalia.

– Étranger, me dit-elle d'un ton solennel, vous vous êtes parjuré; vous avez souillé le meilleur sang de l'Arabie; vous avez brisé le cœur de mon enfant d'adoption.

Un violent effort me réveilla tout à fait.

La tête me faisait horriblement mal, et cette souffrance, causée par des rêves, m'a poursuivi longtemps après mon départ de Batavia.

Le second jour de notre départ du port, nous rencontrâmes deux belles frégates françaises et un schooner à trois mâts qui rentraient à Batavia après une longue course.

Nous dirigeâmes notre course le long de la côte, à l'est de Java, vers les îles de la Sonde, et nous n'y rencontrâmes que de petits vaisseaux destinés ou appartenant à cet archipel, et chargés d'huiles de ghée et de coco. Ces denrées, plus précieuses à leurs yeux que des morceaux d'or et d'argent, étaient trop viles à nos yeux pour valoir même une pensée.

CXVI

Une longue et forte brise nous chassa vers les côtes de la Nouvelle-Hollande, et, quand elle eut cessé, nous vîmes un petit bateau battu par la houle et évidemment en détresse; je me hâtai de diriger notre course vers lui.

La force de la brise nous mit promptement bord à bord de la barque, et nous reçûmes son équipage, qui se composait de quatre matelots et d'un contre-maître appartenant à une frégate anglaise qui, après avoir capturé un brigantin, en avait confié la charge à une petite partie de ses hommes. Le brigantin avait été séparé de la frégate par une forte rafale en entrant dans le détroit de la Sonde; outre cela, les mâts et les agrès du navire captif avaient beaucoup souffert; dans ce misérable état, une énorme vague vint fracasser une partie de la poupe, et l'eau envahit si rapidement le vaisseau, que ce ne fut qu'à force d'adresse et de dextérité que les marins réussirent à mettre à la mer un lourd bateau qui se trouvait au milieu du brigantin. Le vaisseau coula si promptement à fond, que les naufragés n'eurent que le temps nécessaire à la conservation de leurs propres personnes; car deux hommes qui avaient essayé de sauver quelques débris de vêtements et de vivres furent ensevelis sous l'écume de la mer. Le bateau était aussi vieux et aussi fracassé que le navire auquel il avait appartenu; mais fort heureusement, pendant son séjour sur le brigantin, il avait été le réceptacle de vieux canevas, de petites voiles, de rames, de bouts de corde et enfin d'une mue qui contenait six canards, un vieux bouc et un poulet. En voyant leurs provisions vivantes, les matelots remercièrent la Providence, et quelques heures s'écoulèrent avant que ces terribles paroles fussent prononcées: «Il n'y a pas d'eau fraîche sur le bateau!» Et chacun répéta d'une voix désespérée: «Il n'y a pas d'eau fraîche! nous allons mourir de soif!»

Déjà une altération anticipée desséchait les lèvres des pauvres marins et faisait trembler leurs braves cœurs. Les dangers passés et présents furent oubliés. Ce n'était rien d'être dans un vaisseau troué, fracassé et mal bâti, à peine assez grand pour contenir le reste de l'équipage, et s'agitant dans la mer comme un marsouin harponné; tout cela n'était rien en comparaison du manque d'eau.

Heureusement l'officier qui se trouvait avec les marins était un homme intelligent, faible d'extérieur, de constitution, mais courageux et fort par son âme et par son cœur. L'officier ranima les esprits accablés de ses hommes; il leur dit qu'ils étaient près de la terre, qu'ils avaient des voiles et assez de vent pour les gonfler; qu'en outre le bateau était léger, peu rempli, et qu'on pouvait sans mourir supporter la soif pendant quelques jours.

– D'ailleurs, ajouta-t-il, nous avons des bêtes vivantes à bord; leur sang est aussi rafraîchissant que de l'eau, et je crois même qu'une bonne pluie s'amasse dans les nuages noirs qui couvrent l'horizon.

L'air calme et intrépide du jeune chef eut encore plus d'influence sur le tremblant équipage que les paroles qui promettaient du secours, car il devint calme et attendit la réalisation des espérances qu'on lui faisait entrevoir.

Le contre-maître réussit à mettre le bateau à l'épreuve de l'eau en fermant ses crevasses avec des chiffons, puis il disposa les voiles et se mit sous le vent; mais, pour arriver à ce résultat, il avait fallu une adresse parfaite, un coup d'œil sûr et une main ferme. L'officier n'avait ni compas ni carte marine pour lui servir de guide dans ce chemin perdu; rien, sinon les études et le soleil, et ce dernier était si ardent, si éblouissant, qu'il n'osait pas le regarder. La seule espérance du pauvre navigateur était de gagner les îles de la Sonde ou les côtes de la Nouvelle-Hollande, ou bien encore de faire la rencontre de quelque barque vagabonde.

Le bouc fut tué, et chaque œil glacé de crainte regardait avec une avide angoisse la petite part du sang distribué par le contre-maître. Quand on découpa l'animal, son estomac contenait encore du sang coagulé et quelque humidité. Ce sang fut loyalement partagé; le contre-maître nous dit qu'il en avait extrait le fluide en mâchant la substance sans l'avaler, et il voulut persuader à ses hommes qu'ils trouveraient un avantage à suivre son exemple. Quelques-uns écoutèrent leur chef, mais la plupart furent impuissants à résister aux déchirements affreux qui torturaient leurs entrailles.

– En m'abstenant de manger, nous dit encore l'officier, je supportai mieux la soif, et, au bout de quelques jours, j'éprouvais un grand soulagement, en gardant dans ma bouche un fragment de substance.

 

Nous examinions avec une ardente inquiétude la forme et le changement des nuages. Enfin nous vîmes avancer vers nous du fond de l'horizon un épais nuage évidemment surchargé de pluie. Ceux qui ont vu ou qui peuvent concevoir la situation d'un pèlerin perdu dans les sables brûlants du désert, et qui aperçoit enfin l'oasis désirée, peuvent se faire une idée de nos sensations. Quand les premières gouttes de la pluie si ardemment appelée touchèrent nos lèvres arides, des prières profondément religieuses furent murmurées par des hommes qui seraient morts au combat au milieu d'un jurement ou d'un blasphème. Mais, hélas! le nuage humide fut avare de son trésor; il en laissa tomber quelques gouttes, et s'enfuit rapidement pour mêler ses eaux à celles du vaste Océan.

Les pauvres marins désespérés couvrirent leurs yeux enflammés de leurs mains tremblantes, et tombèrent dans les spasmes de l'agonie. Ces hommes souffrirent ainsi pendant sept jours, espace de temps qui paraît bien court aux heureux du monde, mais qui eut pour eux la durée de soixante et dix ans.

Dans la frénésie de cette horrible souffrance, deux hommes se jetèrent dans la mer pour étancher leur soif dans ses eaux salines: ils en moururent; un autre se déchira le bras, but son propre sang, et s'endormit pour ne plus se réveiller. Le septième jour, l'équipage se trouvait réduit à quatre hommes, y compris l'officier. Au moment de notre heureuse arrivée, ces malheureux, qui n'avaient plus d'humain que la forme, ne gardaient plus dans le fond de leur cœur le moindre rayon d'espérance; l'officier seul possédait encore un peu de raison; quant aux autres, ils étaient abrutis et presque morts. Lorsque le courageux marin fut arrivé sur le pont du schooner, il regarda tranquillement autour de lui en disant d'une voix éteinte:

– Nous mourons de la mort des damnés; donnez de l'eau à mes hommes.

Après avoir rempli ce dernier devoir de protection, il nous montra sa lèvre couverte d'écume et tomba sans connaissance.

L'adresse de de Ruyter et la science de Van Scolpvelt arrêtèrent la fuite de la vie pendant qu'elle voltigeait sur les lèvres du courageux marin. Après une longue agonie, les forces revinrent à notre malade, et ses premières paroles intelligibles furent adressées à Van:

– Qui êtes-vous? Le diable?.. Où suis-je? Où sont mes hommes? ont-ils de l'eau? Laissez-moi les voir, les pauvres garçons!

Van Scolpvelt sauva le contre-maître et deux des hommes; mais le dernier mourut dans les convulsions d'un violent délire.

La guérison de l'officier fut la plus décisive et la plus rapide. Il resta longtemps au milieu de nous, et je contractai avec Darwell (il se nommait ainsi) une étroite amitié. La vie de ce brave garçon a été courte, ainsi que celle de tous ceux avec lesquels je me suis lié. À l'âge de trente ans, je n'avais plus d'ami; ce tendre sentiment de l'amitié est mort pour moi, je n'en ai plus que le souvenir; son baume ne rafraîchira plus les blessures de mon cœur flétri. Des choses bien plus médiocres que ce sentiment ont leurs mausolées, leurs colonnes, leurs pyramides; moi, je me contenterai de faire le récit des actions de tous ceux que j'ai aimés, et de garder leurs noms dans mon cœur et dans ma mémoire.

Купите 3 книги одновременно и выберите четвёртую в подарок!

Чтобы воспользоваться акцией, добавьте нужные книги в корзину. Сделать это можно на странице каждой книги, либо в общем списке:

  1. Нажмите на многоточие
    рядом с книгой
  2. Выберите пункт
    «Добавить в корзину»