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Le mystère de la chambre jaune

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Pendant que je mhabillais, je criai à Rouletabille qui simpatientait dans mon salon:

«Est-ce que vous avez une idée sur la condition de lassassin?

– Oui, répondit-il, je le crois sinon un homme du monde, du moins dune classe assez élevée… Ce nest encore quune impression…

– Et quest-ce qui vous la donne, cette impression?

– Eh bien, mais, répliqua le jeune homme, le béret crasseux, le mouchoir vulgaire et les traces de la chaussure grossière sur le plancher…

– Je comprends, fis-je; on ne laisse pas tant de traces derrière soi, «quand elles sont lexpression de la vérité!»

– On fera quelque chose de vous, mon cher Sainclair!» conclut Rouletabille.

III
«Un homme a passé comme une ombre à travers les volets»

Une demi-heure plus tard, nous étions, Rouletabille et moi, sur le quai de la gare dOrléans, attendant le départ du train qui allait nous déposer à Épinay-sur-Orge. Nous vîmes arriver le parquet de Corbeil, représenté par M. de Marquet et son greffier. M. de Marquet avait passé la nuit à Paris avec son greffier pour assister, à la Scala, à la répétition générale dune revuette dont il était lauteur masqué et quil avait signé simplement:«Castigat Ridendo.»

M. de Marquet commençait dêtre un noble vieillard. Il était, à lordinaire, plein de politesse et de «galantise», et navait eu, toute sa vie, quune passion: celle de lart dramatique. Dans sa carrière de magistrat, il ne sétait véritablement intéressé quaux affaires susceptibles de lui fournir au moins la nature dun acte. Bien que, décemment apparenté, il eût pu aspirer aux plus hautes situations judiciaires, il navait jamais travaillé, en réalité, que pour «arriver»à la romantique Porte Saint-Martin ou à lOdéon pensif. Un tel idéal lavait conduit, sur le tard, à être juge dinstruction à Corbeil, et à signer «Castigat Ridendo» un petit acte indécent à la Scala.

Laffaire de la «Chambre Jaune», par son côté inexplicable, devait séduire un esprit aussi… littéraire. Elle lintéressa prodigieusement; et M. de Marquet sy jeta moins comme un magistrat avide de connaître la vérité que comme un amateur dimbroglios dramatiques dont toutes les facultés sont tendues vers le mystère de lintrigue, et qui ne redoute cependant rien tant que darriver à la fin du dernier acte, où tout sexplique.

Ainsi, dans le moment que nous le rencontrâmes, jentendis M. de Marquet dire avec un soupir à son greffier:

«Pourvu, mon cher monsieur Maleine, pourvu que cet entrepreneur, avec sa pioche, ne nous démolisse pas un aussi beau mystère!

– Nayez crainte, répondit M. Maleine, sa pioche démolira peut- être le pavillon, mais elle laissera notre affaire intacte. Jai tâté les murs et étudié plafond et plancher, et je my connais. On ne me trompe pas. Nous pouvons être tranquilles. Nous ne saurons rien.

Ayant ainsi rassuré son chef, M. Maleine nous désigna dun mouvement de tête discret à M. de Marquet. La figure de celui-ci se renfrogna et, comme il vit venir à lui Rouletabille qui, déjà, se découvrait, il se précipita sur une portière et sauta dans le train en jetant à mi-voix à son greffier: «surtout, pas de journalistes!»

M. Maleine répliqua: «Compris!», arrêta Rouletabille dans sa course et eut la prétention de lempêcher de monter dans le compartiment du juge dinstruction.

«Pardon, messieurs! Ce compartiment est réservé…

– Je suis journaliste, monsieur, rédacteur à lÈpoque, fit mon jeune ami avec une grande dépense de salutations et de politesses, et jai un petit mot à dire à M. de Marquet.

– M. de Marquet est très occupé par son enquête…

– Oh! Son enquête mest absolument indifférente, veuillez le croire… Je ne suis pas, moi, un rédacteur de chiens écrasés, déclara le jeune Rouletabille dont la lèvre inférieure exprimait alors un mépris infini pour la littérature des «faits diversiers» ; je suis courriériste des théâtres… Et comme je dois faire, ce soir, un petit compte rendu de la revue de la Scala…

– Montez, monsieur, je vous en prie…», fit le greffier seffaçant.

Rouletabille était déjà dans le compartiment. Je ly suivis. Je massis à ses côtés; le greffier monta et ferma la portière.

M. de Marquet regardait son greffier.

– Oh! Monsieur, débuta Rouletabille, nen veuillez pas «à ce brave homme»si jai forcé la consigne; ce nest pas à M. de Marquet que je veux avoir lhonneur de parler: cest à M. «Castigat Ridendo»! … Permettez-moi de vous féliciter, en tant que courriériste théâtral à lÈpoque…»

Et Rouletabille, mayant présenté dabord, se présenta ensuite.

M. de Marquet, dun geste inquiet, caressait sa barbe en pointe. Il exprima en quelques mots à Rouletabille quil était trop modeste auteur pour désirer que le voile de son pseudonyme fût publiquement levé, et il espérait bien que lenthousiasme du journaliste pour loeuvre du dramaturge nirait point jusquà apprendre aux populations que M. «Castigat Ridendo» nétait autre que le juge dinstruction de Corbeil.

«Loeuvre de lauteur dramatique pourrait nuire, ajouta-t-il, après une légère hésitation, à loeuvre du magistrat… surtout en province où lon est resté un peu routinier…

– Oh! Comptez sur ma discrétion!» sécria Rouletabille en levant des mains qui attestaient le Ciel.

Le train sébranlait alors…

«Nous partons! fit le juge dinstruction, surpris de nous voir faire le voyage avec lui.

– Oui, monsieur, la vérité se met en marche… dit en souriant aimablement le reporter… en marche vers le château du Glandier… Belle affaire, monsieur De Marquet, belle affaire! …

– Obscure affaire! Incroyable, insondable, inexplicable affaire… et je ne crains quune chose, monsieur Rouletabille… cest que les journalistes se mêlent de la vouloir expliquer…»

Mon ami sentit le coup droit.

«Oui, fit-il simplement, il faut le craindre… Ils se mêlent de tout… Quant à moi, je ne vous parle que parce que le hasard, monsieur le juge dinstruction, le pur hasard, ma mis sur votre chemin et presque dans votre compartiment.

– Où allez-vous donc, demanda M. de Marquet.

– Au château du Glandier», fit sans broncher Rouletabille.

M. de Marquet sursauta.

«Vous ny entrerez pas, monsieur Rouletabille! …

– Vous vous y opposerez? fit mon ami, déjà prêt à la bataille.

– Que non pas! Jaime trop la presse et les journalistes pour leur être désagréable en quoi que ce soit, mais M. Stangerson a consigné sa porte à tout le monde. Et elle est bien gardée. Pas un journaliste, hier, na pu franchir la grille du Glandier.

– Tant mieux, répliqua Rouletabille, jarrive bien.»

M. de Marquet se pinça les lèvres et parut prêt à conserver un obstiné silence. Il ne se détendit un peu que lorsque Rouletabille ne lui eut pas laissé ignorer plus longtemps que nous nous rendions au Glandier pour y serrer la main «dun vieil ami intime», déclara-t-il, en parlant de M. Robert Darzac, quil avait peut-être vu une fois dans sa vie.

«Ce pauvre Robert! continua le jeune reporter… Ce pauvre Robert! il est capable den mourir… Il aimait tant Mlle Stangerson…

– La douleur de M. Robert Darzac fait, il est vrai, peine à voir … laissa échapper comme à regret M. de Marquet…

– Mais il faut espérer que Mlle Stangerson sera sauvée…

– Espérons-le… son père me disait hier que, si elle devait succomber, il ne tarderait point, quant à lui, à laller rejoindre dans la tombe… Quelle perte incalculable pour la science!

– La blessure à la tempe est grave, nest-ce pas? …

– Evidemment! Mais cest une chance inouïe quelle nait pas été mortelle… Le coup a été donné avec une force! …

– Ce nest donc pas le revolver qui a blessé Mlle Stangerson», fit Rouletabille… en me jetant un regard de triomphe…

M. de Marquet parut fort embarrassé.

«Je nai rien dit, je ne veux rien dire, et je ne dirai rien!»

Et il se tourna vers son greffier, comme sil ne nous connaissait plus…

Mais on ne se débarrassait pas ainsi de Rouletabille. Celui-ci sapprocha du juge dinstruction, et, montrant le Matin, quil tira de sa poche, il lui dit:

«Il y a une chose, monsieur le juge dinstruction, que je puis vous demander sans commettre dindiscrétion. Vous avez lu le récit du Matin? Il est absurde, nest-ce pas?

– Pas le moins du monde, monsieur…

– Eh quoi! La «Chambre Jaune» na quune fenêtre grillée «dont les barreaux nont pas été descellés, et une porte que lon défonce…» et lon ny trouve pas lassassin!

– Cest ainsi, monsieur! Cest ainsi! … Cest ainsi que la question se pose! …»

Rouletabille ne dit plus rien et partit pour des pensers inconnus… Un quart dheure ainsi sécoula.

Quant il revint à nous, il dit, sadressant encore au juge dinstruction:

– Comment était, ce soir-là, la coiffure de Mlle Stangerson?

– Je ne saisis pas, fit M. de Marquet.

– Ceci est de la dernière importance, répliqua Rouletabille. Les cheveux en bandeaux, nest-ce pas? Je suis sûr quelle portait ce soir-là, le soir du drame, les cheveux en bandeaux!

– Eh bien, monsieur Rouletabille, vous êtes dans lerreur, répondit le juge dinstruction; Mlle Stangerson était coiffée, ce soir-là, les cheveux relevés entièrement en torsade sur la tête… Ce doit être sa coiffure habituelle… Le front entièrement découvert…, je puis vous laffirmer, car nous avons examiné longuement la blessure. Il ny avait pas de sang aux cheveux… et lon navait pas touché à la coiffure depuis lattentat.

– Vous êtes sûr! Vous êtes sûr que Mlle Stangerson, la nuit de lattentat, navait pas «la coiffure en bandeaux»? …

– Tout à fait certain, continua le juge en souriant… car, justement, jentends encore le docteur me dire pendant que jexaminais la blessure: «Cest grand dommage que Mlle Stangerson ait lhabitude de se coiffer les cheveux relevés sur le front. Si elle avait porté la coiffure en bandeaux, le coup quelle a reçu à la tempe aurait été amorti.» Maintenant, je vous dirai quil est étrange que vous attachiez de limportance…

 

– Oh! Si elle navait pas les cheveux en bandeaux! gémit Rouletabille, où allons-nous? où allons-nous? Il faudra que je me renseigne.

Et il eut un geste désolé.

«Et la blessure à la tempe est terrible? demanda-t-il encore.

– Terrible.

– Enfin, par quelle arme a-t-elle été faite?

– Ceci, monsieur, est le secret de linstruction.

– Avez-vous retrouvé cette arme?»

Le juge dinstruction ne répondit pas.

«Et la blessure à la gorge?»

Ici, le juge dinstruction voulut bien nous confier que la blessure à la gorge était telle que lon pouvait affirmer, de lavis même des médecins, que, «si lassassin avait serré cette gorge quelques secondes de plus, Mlle Stangerson mourait étranglée».

«Laffaire, telle que la rapporte Le Matin, reprit Rouletabille, acharné, me paraît de plus en plus inexplicable. Pouvez-vous me dire, monsieur le juge, quelles sont les ouvertures du pavillon, portes et fenêtres?

– Il y en a cinq, répondit M. de Marquet, après avoir toussé deux ou trois fois, mais ne résistant plus au désir quil avait détaler tout lincroyable mystère de laffaire quil instruisait. Il y en a cinq, dont la porte du vestibule qui est la seule porte dentrée du pavillon, porte toujours automatiquement fermée, et ne pouvant souvrir, soit de lintérieur, soit de lextérieur, que par deux clefs spéciales qui ne quittent jamais le père Jacques et M. Stangerson. Mlle Stangerson nen a point besoin puisque le père Jacques est à demeure dans le pavillon et que, dans la journée, elle ne quitte point son père. Quand ils se sont précipités tous les quatre dans la «Chambre Jaune» dont ils avaient enfin défoncé la porte, la porte dentrée du vestibule, elle, était restée fermée comme toujours, et les deux clefs de cette porte étaient lune dans la poche de M. Stangerson, lautre dans la poche du père Jacques. Quant aux fenêtres du pavillon, elles sont quatre:lunique fenêtre de la «Chambre Jaune», les deux fenêtres du laboratoire et la fenêtre du vestibule. La fenêtre de la «Chambre Jaune» et celles du laboratoire donnent sur la campagne; seule la fenêtre du vestibule donne dans le parc.

– Cest par cette fenêtre-là quil sest sauvé du pavillon! sécria Rouletabille.

– Comment le savez-vous? fit M. de Marquet en fixant sur mon ami un étrange regard.

– Nous verrons plus tard comment lassassin sest enfui de la «Chambre Jaune», répliqua Rouletabille, mais il a dû quitter le pavillon par la fenêtre du vestibule…

– Encore une fois, comment le savez-vous?

– Eh! mon Dieu! cest bien simple. Du moment qu«il» ne peut senfuir par la porte du pavillon, il faut bien quil passe par une fenêtre, et il faut quil y ait au moins, pour quil passe, une fenêtre qui ne soit pas grillée. La fenêtre de la «Chambre Jaune» est grillée, parce quelle donne sur la campagne; les deux fenêtres du laboratoire doivent lêtre certainement pour la même raison. «Puisque lassassin sest enfui», jimagine quil a trouvé une fenêtre sans barreaux, et ce sera celle du vestibule qui donne sur le parc, cest-à-dire à lintérieur de la propriété. Cela nest pas sorcier! …

– Oui, fit M. de Marquet, mais ce que vous ne pourriez deviner, cest que cette fenêtre du vestibule, qui est la seule, en effet, à navoir point de barreaux, possède de solides volets de fer. Or, ces volets de fer sont restés fermés à lintérieur par leur loquet de fer, et cependant nous avons la preuve que lassassin sest, en effet, enfui du pavillon par cette même fenêtre! Des traces de sang sur le mur à lintérieur et sur les volets et des pas sur la terre, des pas entièrement semblables à ceux dont jai relevé la mesure dans la «Chambre Jaune», attestent bien que lassassin sest enfui par là! Mais alors! Comment a-t-il fait, puisque les volets sont restés fermés à lintérieur? Il a passé comme une ombre à travers les volets. Et, enfin, le plus affolant de tout, nest-ce point la trace retrouvée de lassassin au moment où il fuit du pavillon, quand il est impossible de se faire la moindre idée de la façon dont lassassin est sorti de la «Chambre Jaune», ni comment il a traversé forcément le laboratoire pour arriver au vestibule! Ah! oui, monsieur Rouletabille, cette affaire est hallucinante… Cest une belle affaire, allez! Et dont on ne trouvera pas la clef dici longtemps, je lespère bien! …

– Vous espérez quoi, monsieur le juge dinstruction? …»

M. de Marquet rectifia:

– «… Je ne lespère pas… Je le crois…

– On aurait donc refermé la fenêtre, à lintérieur, après la fuite de lassassin? demanda Rouletabille…

– Évidemment, voilà ce qui me semble, pour le moment, naturel quoique inexplicable… car il faudrait un complice ou des complices… et je ne les vois pas…»

Après un silence, il ajouta:

«Ah! Si Mlle Stangerson pouvait aller assez bien aujourdhui pour quon linterrogeât…»

Rouletabille, poursuivant sa pensée, demanda:

«Et le grenier? Il doit y avoir une ouverture au grenier?

– Oui, je ne lavais pas comptée, en effet; cela fait six ouvertures; il y a là-haut une petite fenêtre, plutôt une lucarne, et, comme elle donne sur lextérieur de la propriété, M. Stangerson la fait également garnir de barreaux. À cette lucarne, comme aux fenêtres du rez-de-chaussée, les barreaux sont restés intacts et les volets, qui souvrent naturellement en dedans, sont restés fermés en dedans. Du reste, nous navons rien découvert qui puisse nous faire soupçonner le passage de lassassin dans le grenier.

– Pour vous, donc, il nest point douteux, monsieur le juge dinstruction, que lassassin sest enfui – sans que lon sache comment – par la fenêtre du vestibule!

– Tout le prouve…

Je le crois aussi», obtempéra gravement Rouletabille.

Puis un silence, et il reprit:

– Si vous navez trouvé aucune trace de lassassin dans le grenier, comme par exemple, ces pas noirâtres que lon relève sur le parquet de la «Chambre Jaune», vous devez être amené à croire que ce nest point lui qui a volé le revolver du père Jacques…

– Il ny a de traces, au grenier, que celles du père Jacques», fit le juge avec un haussement de tête significatif…

Et il se décida à compléter sa pensée:

«Le père Jacques était avec M. Stangerson… Cest heureux pour lui…

– Alors, quid du rôle du revolver du père Jacques dans le drame? Il semble bien démontré que cette arme a moins blessé Mlle Stangerson quelle na blessé lassassin…»

Sans répondre à cette question, qui sans doute lembarrassait, M. de Marquet nous apprit quon avait retrouvé les deux balles dans la «Chambre Jaune», lune dans un mur, le mur où sétalait la main rouge – une main rouge dhomme – lautre dans le plafond.

«Oh! oh! dans le plafond! répéta à mi-voix Rouletabille… Vraiment… dans le plafond! Voilà qui est fort curieux… dans le plafond! …

Il se mit à fumer en silence, sentourant de tabagie. Quand nous arrivâmes à Epinay-sur-Orge, je dus lui donner un coup sur lépaule pour le faire descendre de son rêve et sur le quai.

Là, le magistrat et son greffier nous saluèrent, nous faisant comprendre quils nous avaient assez vus; puis ils montèrent rapidement dans un cabriolet qui les attendait.

«Combien de temps faut-il pour aller à pied dici au château du Glandier? demanda Rouletabille à un employé de chemin de fer.

– Une heure et demie, une heure trois quarts, sans se presser», répondit lhomme.

Rouletabille regarda le ciel, le trouva à sa convenance et, sans doute, à la mienne, car il me prit sous le bras et me dit:

«Allons! … Jai besoin de marcher.

– Eh bien! lui demandai-je. Ça se débrouille? …

– Oh! fit-il, oh! il ny a rien de débrouillé du tout! … Cest encore plus embrouillé quavant! Il est vrai que jai une idée…

– Dites-la.

– Oh! Je ne peux rien dire pour le moment… Mon idée est une question de vie ou de mort pour deux personnes au moins…

– Croyez-vous à des complices?

– Je ny crois pas…»

Nous gardâmes un instant le silence, puis il reprit:

«Cest une veine davoir rencontré ce juge dinstruction et son greffier… Hein! que vous avais-je dit pour le revolver? …

Il avait le front penché vers la route, les mains dans les poches, et il sifflotait. Au bout dun instant, je lentendis murmurer:

«Pauvre femme! …

– Cest Mlle Stangerson que vous plaignez? …

– Oui, cest une très noble femme, et tout à fait digne de pitié! … Cest un très grand, un très grand caractère… jimagine… jimagine…

– Vous connaissez donc Mlle Stangerson?

– Moi, pas du tout… Je ne lai vue quune fois…

– Pourquoi dites-vous: cest un très grand caractère? …

– Parce quelle a su tenir tête à lassassin, parce quelle sest défendue avec courage, et surtout, surtout, à cause de la balle dans le plafond.»

Je regardai Rouletabille, me demandant in petto sil ne se moquait pas tout à fait de moi ou sil nétait pas devenu subitement fou. Mais je vis bien que le jeune homme navait jamais eu moins envie de rire, et léclat intelligent de ses petits yeux ronds me rassura sur létat de sa raison. Et puis, jétais un peu habitué à ses propos rompus… rompus pour moi qui ny trouvais souvent quincohérence et mystère jusquau moment où, en quelques phrases rapides et nettes, il me livrait le fil de sa pensée. Alors, tout séclairait soudain; les mots quil avait dits, et qui mavaient paru vides de sens, se reliaient avec une facilité et une logique telles «que je ne pouvais comprendre comment je navais pas compris plus tôt».

IV
«Au sein dune nature sauvage»

Le château du Glandier est un des plus vieux châteaux de ce pays dÎle-de-France, où se dressent encore tant dillustres pierres de lépoque féodale. Bâti au coeur des forêts, sous Philippe le Bel, il apparaît à quelques centaines de mètres de la route qui conduit du village de Sainte-Geneviève-des-Bois à Montlhéry. Amas de constructions disparates, il est dominé par un donjon. Quand le visiteur a gravi les marches branlantes de cet antique donjon et quil débouche sur la petite plate-forme où, au XVIIe siècle, Georges-Philibert de Séquigny, seigneur du Glandier, Maisons- Neuves et autres lieux, a fait édifier la lanterne actuelle, dun abominable style rococo, on aperçoit, à trois lieues de là, au- dessus de la vallée et de la plaine, lorgueilleuse tour de Montlhéry. Donjon et tour se regardent encore, après tant de siècles, et semblent se raconter, au-dessus des forêts verdoyantes ou des bois morts, les plus vieilles légendes de lhistoire de France. On dit que le donjon du Glandier veille sur une ombre héroïque et sainte, celle de la bonne patronne de Paris, devant qui recula Attila. Sainte Geneviève dort là son dernier sommeil dans les vieilles douves du château. Lété, les amoureux, balançant dune main distraite le panier des déjeuners sur lherbe, viennent rêver ou échanger des serments devant la tombe de la sainte, pieusement fleurie de myosotis. Non loin de cette tombe est un puits qui contient, dit-on, une eau miraculeuse. La reconnaissance des mères a élevé en cet endroit une statue à sainte Geneviève et suspendu sous ses pieds les petits chaussons ou les bonnets des enfants sauvés par cette onde sacrée.

Cest dans ce lieu qui semblait devoir appartenir tout entier au passé que le professeur Stangerson et sa fille étaient venus sinstaller pour préparer la science de lavenir. Sa solitude au fond des bois leur avait plu tout de suite. Ils nauraient là, comme témoins de leurs travaux et de leurs espoirs, que de vieilles pierres et de grands chênes. Le Glandier, autrefois «Glandierum», sappelait ainsi du grand nombre de glands que, de tout temps, on avait recueillis en cet endroit. Cette terre, aujourdhui tristement célèbre, avait reconquis, grâce à la négligence ou à labandon des propriétaires, laspect sauvage dune nature primitive; seuls, les bâtiments qui sy cachaient avaient conservé la trace détranges métamorphoses. Chaque siècle y avait laissé son empreinte: un morceau darchitecture auquel se reliait le souvenir de quelque événement terrible, de quelque rouge aventure; et, tel quel, ce château, où allait se réfugier la science, semblait tout désigné à servir de théâtre à des mystères dépouvante et de mort.

Ceci dit, je ne puis me défendre dune réflexion. La voici:

Si je me suis attardé quelque peu à cette triste peinture du Glandier, ce nest point que jaie trouvé ici loccasion dramatique de «créer» latmosphèrenécessaire aux drames qui vont se dérouler sous les yeux du lecteur et, en vérité, mon premier soin, dans toute cette affaire, sera dêtre aussi simple que possible. Je nai point la prétention dêtre un auteur. Qui dit: auteur, dit toujours un peu: romancier, et, Dieu merci! Le mystère de la «Chambre Jaune» est assez plein de tragique horreur réelle pour se passer de littérature. Je ne suis et ne veux être quun fidèle «rapporteur». Je dois rapporter lévénement; je situe cet événement dans son cadre, voilà tout. Il est tout naturel que vous sachiez où les choses se passent.

 

Je reviens à M. Stangerson. Quand il acheta le domaine, une quinzaine dannées environ avant le drame qui nous occupe, le Glandier nétait plus habité depuis longtemps. Un autre vieux château, dans les environs, construit au XIVe siècle par Jean de Belmont, était également abandonné, de telle sorte que le pays était à peu près inhabité. Quelques maisonnettes au bord de la route qui conduit à Corbeil, une auberge, lauberge du «Donjon», qui offrait une passagère hospitalité aux rouliers; cétait là à peu près tout ce qui rappelait la civilisation dans cet endroit délaissé quon ne sattendait guère à rencontrer à quelques lieues de la capitale. Mais ce parfait délaissement avait été la raison déterminante du choix de M. Stangerson et de sa fille. M. Stangerson était déjà célèbre; il revenait dAmérique où ses travaux avaient eu un retentissement considérable. Le livre quil avait publié à Philadelphie sur la «Dissociation de la matière par les actions électriques» avait soulevé la protestation de tout le monde savant. M. Stangerson était français, mais dorigine américaine. De très importantes affaires dhéritage lavaient fixé pendant plusieurs années aux États-Unis. Il avait continué, là- bas, une oeuvre commencée en France, et il était revenu en France ly achever, après avoir réalisé une grosse fortune, tous ses procès sétant heureusement terminés soit par des jugements qui lui donnaient gain de cause, soit par des transactions. Cette fortune fut la bienvenue. M. Stangerson, qui eût pu, sil lavait voulu, gagner des millions de dollars en exploitant ou en faisant exploiter deux ou trois de ses découvertes chimiques relatives à de nouveaux procédés de teinture, avait toujours répugné à faire servir à son intérêt propre le don merveilleux d«inventer» quil avait reçu de la nature; mais il ne pensait point que son génie lui appartînt. Il le devait aux hommes, et tout ce que son génie mettait au monde tombait, de par cette volonté philanthropique, dans le domaine public. Sil nessaya point de dissimuler la satisfaction que lui causait la mise en possession de cette fortune inespérée qui allait lui permettre de se livrer jusquà sa dernière heure à sa passion pour la science pure, le professeur dut sen réjouir également, «semblait-il», pour une autre cause. Mlle Stangerson avait, au moment où son père revint dAmérique et acheta le Glandier, vingt ans. Elle était plus jolie quon ne saurait limaginer, tenant à la fois toute la grâce parisienne de sa mère, morte en lui donnant le jour, et toute la splendeur, toute la richesse du jeune sang américain de son grand-père paternel, William Stangerson. Celui-ci, citoyen de Philadelphie, avait dû se faire naturaliser français pour obéir à des exigences de famille, au moment de son mariage avec une française, celle qui devait être la mère de lillustre Stangerson. Ainsi sexplique la nationalité française du professeur Stangerson.

Vingt ans, adorablement blonde, des yeux bleus, un teint de lait, rayonnante, dune santé divine, Mathilde Stangerson était lune des plus belles filles à marier de lancien et du nouveau continent. Il était du devoir de son père, malgré la douleur prévue dune inévitable séparation, de songer à ce mariage, et il ne dut pas être fâché de voir arriver la dot. Quoi quil en soit, il ne sen enterra pas moins, avec son enfant, au Glandier, dans le moment où ses amis sattendaient à ce quil produisît Mlle Mathilde dans le monde. Certains vinrent le voir et manifestèrent leur étonnement. Aux questions qui lui furent posées, le professeur répondit: «Cest la volonté de ma fille. Je ne sais rien lui refuser. Cest elle qui a choisi le Glandier.» Interrogé à son tour, la jeune fille répliqua avec sérénité: «Où aurions- nous mieux travaillé que dans cette solitude?» Car Mlle Mathilde Stangerson collaborait déjà à loeuvre de son père, mais on ne pouvait imaginer alors que sa passion pour la science irait jusquà lui faire repousser tous les partis qui se présenteraient à elle, pendant plus de quinze ans. Si retirés vivaient-ils, le père et la fille durent se montrer dans quelques réceptions officielles, et, à certaines époques de lannée, dans deux ou trois salons amis où la gloire du professeur et la beauté de Mathilde firent sensation. Lextrême froideur de la jeune fille ne découragea pas tout dabord les soupirants; mais, au bout de quelques années, ils se lassèrent. Un seul persista avec une douce ténacité et mérita ce nom «déternel fiancé», quil accepta avec mélancolie; cétait M. Robert Darzac. Maintenant Mlle Stangerson nétait plus jeune, et il semblait bien que, nayant point trouvé de raisons pour se marier, jusquà lâge de trente-cinq ans, elle nen découvrirait jamais. Un tel argument apparaissait sans valeur, évidemment, à M. Robert Darzac, puisque celui-ci ne cessait point sa cour, si tant est quon peut encore appeler «cour»les soins délicats et tendres dont on ne cesse dentourer une femme de trente-cinq ans, restée fille et qui a déclaré quelle ne se marierait point.

Soudain, quelques semaines avant les événements qui nous occupent, un bruit auquel on nattacha pas dabord dimportance – tant on le trouvait incroyable – se répandit dans Paris; Mlle Stangerson consentait enfin à «couronnerlinextinguible flamme de M. Robert Darzac!» Il fallut que M. Robert Darzac lui-même ne démentît point ces propos matrimoniaux pour quon se dît enfin quil pouvait y avoir un peu de vérité dans une rumeur aussi invraisemblable. Enfin M. Stangerson voulut bien annoncer, en sortant un jour de lAcadémie des sciences, que le mariage de sa fille et de M. Robert Darzac serait célébré dans lintimité, au château du Glandier, sitôt que sa fille et lui auraient mis la dernière main au rapport qui allait résumer tous leurs travaux sur la «Dissociation de la matière», cest-à-dire sur le retour de la matière à léther. Le nouveau ménage sinstallerait au Glandier et le gendre apporterait sa collaboration à loeuvre à laquelle le père et la fille avaient consacré leur vie.

Le monde scientifique navait pas encore eu le temps de se remettre de cette nouvelle que lon apprenait lassassinat de Mlle Stangerson dans les conditions fantastiques que nous avons énumérées et que notre visite au château va nous permettre de préciser davantage encore.

Je nai point hésité à fournir au lecteur tous ces détails rétrospectifs que je connaissais par suite de mes rapports daffaires avec M. Robert Darzac, pour quen franchissant le seuil de la «Chambre Jaune», il fût aussi documenté que moi.

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